VI

Histoire d’une brioche et d’une bouteille de champagne


Une brioche et une bouteille de champagne
Une brioche et une bouteille de champagne


Oui, pendant trois jours, peut-être même quatre, Caramel demeura paisible, comme si les conseils de Minou avaient produit un grand effet en son âme.

On ne le vit plus courir de-ci de-là, en quête d’aventure, ou de mauvais tours à jouer.

Après cette mésaventure, dont son dos plus que son esprit avait gardé un cuisant souvenir, Caramel demeura sage trois jours durant.

Il aida Stéphanie dans les soins du ménage, fit la toilette de Minou, qui adorait qu’on lui grattât le dessus de la tête, et même essaya ses plus belles grimaces à l’adresse de Jacot dans l’espoir de le dérider et de le faire rire ; peine perdue, d’ailleurs !

Mais le quatrième jour, Caramel n’y put tenir, et laissant là Stéphanie, Minou et l’indéridable Jacot, il s’en vint jeter un coup d’œil par la fenêtre, en quête d’une distraction quelconque.


Caramel observe un petit pâtissier passant dans la rue.
Caramel observe un petit pâtissier passant dans la rue.


Justement un petit pâtissier passait, portant une manne sur sa tête, et, dans cette manne, une brioche savoureuse et dorée à souhait.

L’eau en vint tout de suite à la bouche de ce gourmand de Caramel.

Seulement, comment goûter à la brioche ? Là était le difficile. Le petit pâtissier ne se laisserait pas dépouiller sans crier !…

Comment faire ?


Caramel vise la brioche avec l’arc de Cadet.
Caramel vise la brioche avec l’arc de Cadet.


La brioche vint piquer tout droit contre un arbre .
La brioche vint piquer tout droit contre un arbre .


Ah ! Caramel ne fut pas longtemps embarrassé !

C’était un esprit joliment industrieux, que M. Caramel.

Justement il venait d’apercevoir dans la rue, Cadet, le petit Cadet à Mame Michel, qui avait laissé sur le trottoir son arc et ses flèches, pour tracer le portrait du propriétaire sur le mur blanc de l’immeuble confié aux bons soins de sa maman.

Arriver en tapinois, se saisir de l’arc, y fixer une flèche et tirer dans la direction de la savoureuse brioche, ne fut qu’un jeu pour l’adroit Caramel.

Et un jeu où il gagna du premier coup, car la brioche, traversée de part en part et emportée par l’élan de la flèche, s’en vint se piquer tout droit contre un arbre où Caramel n’eut qu’à la cueillir et à la dévorer goulûment.

Caramel n’eut qu’à cueillir la brioche.
Caramel n’eut qu’à cueillir la brioche.

Oh ! la bonne brioche !

Certes, si elle était appétissante à voir, dorée comme un rayon de miel, combien plus délectable à croquer !

Jamais Caramel n’avait goûté à un mets aussi délicat !

Caramel dévore goulûment la brioche.
Caramel dévore goulûment la brioche.

Certainement, cela valait beaucoup mieux que les noix de coco du désert.

Et Caramel croquait sa brioche sans que l’ombre d’un remords pour la vilaine action qu’il venait de commettre s’en vint troubler sa gourmandise et sa gloutonnerie.

Seulement, dame ! si la brioche était plus savoureuse que les noix de coco du pays natal, celles-là avaient l’avantage sur celle-ci d’être beaucoup moins altérantes.

Il n’est rien qui altère, en effet, comme une brioche, surtout lorsqu’elle a été volée, et quand Caramel eut dévoré la sienne jusqu’à la dernière miette, il se sentit dévoré à son tour par une soif inextinguible.

Caramel fouille le placard.
Caramel fouille le placard.

Et c’est alors que Caramel, qui avait la mémoire de l’estomac, se souvint que dans le bas du placard de la cuisine il y avait de belles bouteilles avec des chapeaux d’or, que, lorsqu’on les débouchait, ces bouteilles faisaient plouf ! et que la boisson qui s’en échappait devait être exquise, à en croire la grimace de plaisir que faisait M. Picrate quand il en buvait.

Et sans plus hésiter, Caramel s’en vint voler une bouteille chapeautée d’or, qui faisait plouf !

Caramel prend une bouteille de champage.
Caramel prend une bouteille de champage.

Ah ! il savait la déboucher, Caramel, il l’avait vu faire à son maître, et quand Caramel avait vu faire une chose une seule fois, c’était un jeu pour lui de la refaire.

Il savait fort bien qu’il fallait retirer cette belle enveloppe d’or, pour trouver les ficelles qui retiennent les bouchons !

Pour couper ces ficelles, le bon M. Picrate se servait bien d’un instrument que Caramel n’avait pas sous la main, mais bah ! ses dents de singe y suffiraient !

Seulement, dame ! il n’allait pas déboucher sa bouteille dans l’appartement du bon M. Picrate, car le bruit pourrait le trahir ; non, il allait consommer son crime dans la cour.

Caramel ouvre la bouteille.
Caramel ouvre la bouteille.


Mais, arrivé là, la vue de la marionnette du petit Cadet, dont il s’était déjà servi jadis, lui suggéra l’idée d’un bon tour à jouer à Mame Michel.

Caramel et la marionnette.
Caramel et la marionnette.

Aussi, coiffant la bouteille de la marionnette, après en avoir soigneusement défait la ficelle, il la pointa dans la direction de la fenêtre de la concierge, puis d’une bonne claque il fit sauter le bouchon, et hop là !

Caramel coiffe la bouteille de la marionnette.
Caramel coiffe la bouteille de la marionnette.

Justement, Mame Michel se trouvait à table avec Cadet, le parrain de Cadet, et cette excellente Mlle Césarine, qui ne dédaignait point parfois de partager le menu de sa concierge.

Car la bonne Mame Michel, ainsi que toutes les concierges qui se respectent un tant soit peu, aimait fort à donner à dîner.

Et, c’était tantôt l’un, tantôt l’autre qui s’asseyait à la table de la respectable dame.

Ce jour-là, les invités étaient donc la bonne Césarine et le parrain de Cadet.

Celui-ci était un excellent homme qui, ayant été concierge d’une maison fort « conséquente » du boulevard Haussmann, avait pris sa retraite, et vivait en rentier n’ayant pas de plus grand plaisir que d’aider la bonne Mame Michel à tirer le cordon.

Caramel pointe la bouteille vers la fenêtre de la concierge.
Caramel pointe la bouteille vers la fenêtre de la concierge.

Or, le parrain en question était le convive de Mame Michel quand l’accident se produisit.

Ils étaient là fort tranquillement, tout occupés à se raconter les menus faits de la vie privée des locataires de la maison, trouvant à redire à tout, et ne cessant de médire que pour calomnier, quand tout à coup…

Je vous laisse à penser l’émoi des con vives en voyant ce nain à grosse tête et comme vivant, surgir, traverser l’espace et tomber au beau milieu de la soupe en éclaboussant la tablée !

Caramel fait sauter le bouchon.
Caramel fait sauter le bouchon.
La marionnette surgit chez Mame Michel.
La marionnette surgit chez Mame Michel.
La marionnette tombe dans la soupe.
La marionnette tombe dans la soupe.

Le parrain, la bonne Césarine et l’excellente Mame Michel se dressent, comme mus par des ressorts, puis, tremblants de peur, se réfugient sous la table, en l’attente de quelque cataclysme imprévu autant qu’épouvantable.

Le chien et le chat de Mame Michel en font tout autant.

Seul l’ara, retenu à son perchoir, ne peut les imiter : mais il hérisse ses plumes et pousse des cris de paon.

Pendant ce temps, Caramel, riant comme un petit fou, vidait le contenu de la bouteille, ce qui, vous l’imaginez bien, le mit dans un vilain état !


Caramel ouvre la bouteille.
Caramel ouvre la bouteille.