II

Les premiers malheurs de Caramel


Tête de tigre
Tête de tigre


Certes, vous n’êtes pas sans avoir entendu parler du cirque Cookson !

Bien que son établissement ne puisse rivaliser avec celui de MM. Barnum and Bailey, c’est tout de même un cirque tout à fait confortable.

Master Cookson possède je ne sais combien de lions, presque tout autant d’éléphants, et une si grande quantité de tigres que l’on perdrait véritablement son temps à les compter ; quant à ses chevaux, il en ignore lui-même le nombre.

Il avait en outre des acrobates, des équilibristes, des gymnasiarques, des danseurs de corde, et une nuée de clowns qui s’abattaient sur la piste pour la plus grande joie des petits et des grands.

Voilà, certes, qui faisait bien l’affaire de notre Caramel.

Malheureusement, master Cookson, un Américain, comme son nom l’indique, était un méchant gentleman qui ne sut pas deviner les merveilleuses qualités de ce pauvre Caramel et en profiter ainsi qu’il l’aurait pu.

Au lieu de lui faire des tours et des culbutes, le soir, aux représentations que le cirque donnait de ville en ville, ce qui eût beaucoup amusé les petits enfants, au lieu de profiter de toute l’intelligence de son nouveau pensionnaire, master Cookson l’employait aux plus basses besognes.

Caramel faisant la vaisselle
Caramel faisant la vaisselle

Et ce pauvre Caramel était le plus malheureux des singes !

Dès le matin, il lui fallait cirer les bottes du vilain gentleman, et c’étaient de grandes bottes qui n’en finissaient pas, et il fallait frotter, frotter pour les faire reluire, sans compter qu’elles avaient des revers en cuir jaune et qu’il fallait bien prendre garde que le cirage ne les salit.

Ah ! si Caramel n’avait pas eu un certain respect pour la cravache de master Cookson, comme il eût volontiers envoyé par les fenêtres les grandes bottes et leurs beaux revers !

Mais malgré son envie, Caramel n’osait se livrer à cette joyeuseté, car il savait bien qu’il lui en cuirait.

Quand il avait ciré les vilaines bottes de son maître, Caramel devait lui brosser ses vêtements, toujours pleins de poussière : il y avait surtout une grande diablesse de veste rouge à brandebourgs, et dorée sur toutes les coutures, qui lui donnait un mal de chien.

Puis Caramel devait lui préparer son déjeuner.

Ah ! quel supplice pour ce pauvre Caramel : allumer le feu pour chauffer le lait et surtout faire le café !… Oh ! ce café qu’il fallait moudre et dont le parfum lui venait chatouiller désagréablement les narines ! Car si Caramel aimait le sucre, il ne pouvait souffrir le café. La simple vue d’un grain de café lui provoquait des nausées. et il fallait le moudre… le moudre !…

Puis c’était la vaisselle qu’il fallait nettoyer, et rien n’était plus désagréable à Caramel que de récurer les marmites de terre dont le graillon craquait, craquait à lui faire grincer les dents.

Et enfin, quand tout cela était terminé, il fallait encore que mon pauvre Caramel, armé d’un long bâton de cire et d’une brosse, cirât le parquet et en fît un miroir.

Caramel cirant le parquet
Caramel cirant le parquet

La sueur ruisselait de son front, il pleurait il soufflait, mais quoi ? master Cookson était là avec sa cravache et il fallait lui obéir.

Caramel moud le café
Caramel moud le café

Mais tout cela n’eût été rien encore si, toutes ces terribles besognes terminées, l’affreux master Cookson eût permis à Caramel d’assister aux représentations du cirque.

Hélas !

À l’heure où tous les quinquets s’allumaient, où la foule se pressait aux portes, vite on enfermait l’infortuné Caramel à double tour.

Et il se désespérait, le pauvre, car il eût bien voulu assister, ne fût-ce qu’une seule fois, à une de ces représentations féeriques dont un vieil éléphant, attaché à la maison, lui avait dit merveilles !

Et il se rongeait les poings de désespoir, et il ne s’endormait que fort tard, rêvant aux rives du Congo, où l’on ignorait les cravaches du terrible master Cookson.

Caramel cirant des bottes
Caramel cirant des bottes

Ah ! comme Caramel regrettait sa forêt natale, les rives fleuries du fleuve, les bonnes noix de coco qu’on allait cueillir là-haut, tout là-haut dans les cieux, et la société des éléphants, des girafes et des crocodiles qui avaient toujours une friandise à lui offrir !…

Jamais plus il ne reverrait le Congo, son vieux singe de père et sa vieille guenon de maman !

Et Caramel avait le cœur bien gros en pensant à toutes ces choses, et quand il était tout seul, sa besogne terminée, Caramel pleurait comme un petit enfant !…



Caramel pleurant
Caramel pleurant