Camille Lemonnier (Bazalgette)/4
Du Masque rouge
Le véritable Roi des Belges. On prétend même que l’ « autre » roi l’admire en cachette, loin de ses ministres falots. Puissant et poilu comme un dieu, avec une encolure de taureau mythique. Le poil est roux et rousse est la chair, de cette rousseur d’orge mûre que recherchait Rubens et qui enthousiasmait Delacroix. Derrière le binocle au large ruban, s’ouvrent des yeux candides, clairs comme des yeux d’enfant. Mais ces yeux-là ont vu toute la vie avec ses horreurs et ses enchantements. L’ensemble est d’un athlète qui n’aurait point l’orgueil de sa force, et qui accomplirait des besognes d’Hercule, en se jouant. Appartient à cette lignée de créateurs énormes auxquels les Flandres durent tant de miracles d’art. Adorateur passionné de la couleur. Robuste et délicat tour à tour, ayant « l’animalité humaine » d’un Rodin et le sensualisme lumineux d’un Renoir. Travaille en pleine pâte, grassement. Peint avec la même probité les chairs en rut et les âmes en dérive. Aussi ses livres sont-ils sains comme la nature même, et seuls des magistrats nauséabonds ont pu parfois y flairer l’ordure. Est un interprète grandiloquent du panthéisme des choses. « C’est un mâle, plus mâle encore que son Mâle », a dit de lui Barbey d’Aurevilly. A descendu tous les cercles de l’enfer humain. Tandis que s’organisait en Belgique le plus admirable des partis ouvriers, il démasquait le prêtre, disséquait le bourgeois, clouait au pilori l’exploiteur, offrant aux intelligences un peu indolentes de ses compatriotes l’exemple stimulant d’une inlassable action de pensée. Et c’est pourquoi tous ceux qui mènent le combat contre le Mensonge applaudissent aujourd’hui à la glorification de ce maître écrivain, de ce bon géant, grand entre les plus grands, et dont l’œuvre formidable, d’une variété sans égale, a été consacrée par la haine que lui vouèrent tous les esprits de réaction.