Cambodge et Siam, du capitaine Filoz

Cambodge et Siam, du capitaine Filoz
Revue pédagogique, second semestre 1889 (p. 429-430).

Cambodge et Siam : Voyage et séjour aux ruines des monuments Kmers, par le capitaine Filoz ; Gédalge, éditeur, 1889. « Nous avons réuni dans ces pages, sans aucune prétention, quelques notes prises au cours du voyage et recueillies dans des lettres. Nous réclamons toute l’indulgence du lecteur pour un récit qui n’a qu’un mérite, celui d’être vrai. »

Cette courte préface donne une idée exacte de la manière dont a été composé l’intéressant ouvrage de M. Filoz. L’auteur n’a pas eu la prétention de donner au public une œuvre littéraire, et, avant d’écrire, il n’a certainement pas repassé, dans un traité de rhétorique, le chapitre sur l’art des transitions, art si délicat, si difficile et si cher aux lettrés. C’est un voyageur à l’esprit ouvert et attentif, qui passe, observe et jette sur son calepin une note rapide. La phrase est, en général, courte, brusque, hachée, mais l’observation est juste, l’expression pittoresque et vraie.

L’auteur veut-il donner une idée de la fertilité du sol à Saïgon, la phrase suivante lui suffit : « La végétation est si puissante qu’en semant une graine, on peut avoir un énorme chou dix jours après. » C’est tout, mais on est renseigné. Quel horticulteur n’envierait un pareil terrain, et ceux dont les rêves d’ambition se bornent à « planter leurs choux » choisiraient peut-être les environs de Saïgon pour s’y livrer à cette occupation si, quelques lignes plus bas, l’auteur n’ajoutait en passant : « Le climat de la Cochinchine est un des plus meurtriers du monde. Il suffit, à certaines heures, d’avoir la nuque découverte pour tomber foudroyé ». Cela donne à réfléchir.

Le capitaine Filoz, chargé par l’amiral Dupré, gouverneur de la Cochinchine, d’aller prendre des empreintes moulées dans les ruines d’Angcor, passa à Angcor-Thôm et resta trente-six jours à Angcor-Watt, d’où il rapporta une ample moisson de moulages et même de bas-reliefs et de statues détachés du monument. Il fallut huit chars pour transporter ces richesses.

Rien ne peut donner une idée de la grandeur et de la magnificence de ces palais que la végétation tropicale a envahis et devant lesquels on demeure « muet de surprise et d’admiration ».

À Angcor-Watt seulement, l’ensemble du monument couvre une superficie de plus d’un kilomètre carré. « Les bas-reliefs d’une seule des galeries s’étendent sur plus de deux mille mètres carrés et chaque mètre carré renferme plus de trente figures d’hommes et d’animaux. Des piliers sont couverts, de la base au sommet, de sculptures dont les sujets ont à peine quelques millimètres. Les marches des escaliers sont de véritables œuvres d’art. Tout a été fouillé par le ciseau de l’artiste. Que dire enfin de ces toits de dentelle qui se continuent pendant des kilomètres, de ces vingt-cinq tours dont chaque pierre est sculptée.

» Il a fallu des milliers d’hommes, travaillant pendant un siècle, pour extraire les matériaux, les mettre en place, les sculpter, creuser les bassins, construire les temples. *

Les détails intéressants et instructifs abondent dans les notes du capitaine Filoz. Quiconque aura lu son petit volume se fera une idée exacte de ces pays, où, sous l’action de l’humidité et d’un soleil de feu, les énergies de la nature sont si puissantes, où la végétation est si riche, la vie animale si active. Là ont brillé jadis des civilisations avancées, disparues aujourd’hui et inconnues, de l’histoire. Pour toutes traces de leur passage et de leur splendeur, elles n’ont laissé que des ruines, et ces ruines elles-mêmes sont en train de périr.