Calligrammes/Sur les prophéties

Calligrammes
Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916)
Mercure de France (p. 42-43).
SUR LES PROPHÉTIES


J’ai connu quelques prophétesses

Madame Salmajour avait appris en Océanie à tirer les cartes

C’est là-bas qu’elle avait eu encore l’occasion de participer

À une scène savoureuse d’anthropophagie
Elle n’en parlait pas à tout le monde
En ce qui concerne l’avenir elle ne se trompait jamais

Une cartomancienne céretane Marguerite je ne sais plus quoi

               Est également habile
Mais Madame Deroy est la mieux inspirée
               La plus précise

Tout ce qu’elle m’a dit du passé était vrai et tout ce qu’elle

M’a annoncé s’est vérifié dans le temps qu’elle indiquait

J’ai connu un sciomancien mais je n’ai pas voulu qu’il interrogeât mon ombre

Je connais un sourcier c’est le peintre norvégien Diriks

Miroir brisé sel renversé ou pain qui tombe
Puissent ces dieux sans figure m’épargner toujours

Au demeurant je ne crois pas mais je regarde et j’écoute et notez

Que je lis assez bien dans la main

Car je ne crois pas mais je regarde et quand c’est possible j’écoute


Tout le monde est prophète mon cher André Billy
Mais il y a si longtemps qu’on fait croire aux gens
Qu’ils n’ont aucun avenir qu’ils sont ignorants à jamais
                    Et idiots de naissance
Qu’on en a pris son parti et que nul n’a même l’idée
De se demander s’il connaît l’avenir ou non
Il n’y a pas d’esprit religieux dans tout cela
Ni dans les superstitions ni dans les prophéties
Ni dans tout ce que l’on nomme occultisme
Il y a avant tout une façon d’observer la nature
Et d’interpréter la nature
Qui est très légitime