Caliste ou Lettres écrites de Lausanne/Lettre 22


VINGT-DEUXIÈME LETTRE


Madame,

Je n’ai point encore reçu de lettres. Il y a des instants où je crois pouvoir encore espérer. Mais non, cela n’est pas vrai. Je n’espère plus. Je la regarde déjà comme morte, et je me désole. Je m’étais accoutumé à sa maladie comme à sa sagesse, comme à son amant. Je ne croyais point qu’elle se marierait, je n’ai point cru qu’elle pût mourir, et il faut que je supporte ce que je n’avais pas eu le courage de prévoir. Avant que le dernier coup soit porté, ou du moins tandis que je l’ignore, je vais profiter d’un reste de sang-froid pour vous dire une chose qui peut-être ne signifie rien, mais qu’il me paraît que je suis obligé de vous dire. Depuis quelques jours, tout entier à mes souvenirs que l’histoire que je vous ai faite a rendus comme autant de choses présentes, je ne parlais plus à personne, pas même à Milord. Ce matin je lui ai serré la main quand il est venu demander si j’avais dormi, et au lieu de répondre : jeune homme, lui ai-je dit, si jamais vous intéressez le cœur d’une femme vraiment tendre et sensible, et que vous ne sentiez pas dans le vôtre que vous pourrez payer toute sa tendresse, tous ses sacrifices, éloignez-vous d’elle, faites-vous-en oublier, ou croyez que vous l’exposez à des malheurs sans nombre, et vous-même à des regrets affreux et éternels. Il est resté pensif auprès de moi, et une heure après, me rappelant ce que j’avais dit un jour des différentes raisons que votre fille pouvait avoir de ne plus vivre avec nous dans une espèce de retraite, il m’a demandé si je croyais qu’elle eût du penchant pour quelqu’un. Je lui ai répondu que je l’avais soupçonné. Il m’a demandé si c’était pour lui. Je lui ai répondu que quelquefois je l’avais cru. — Si cela est, m’a-t-il dit, c’est bien dommage que Mademoiselle Cécile soit une fille si bien née, car de me marier à mon âge on n’y peut penser. Encore une fois cela ne signifie rien. Je n’ai jamais rien dit ni rien pensé de pareil ; j’aurais en tout temps préféré Caliste à ma liberté comme à une couronne ; et cependant qu’ai-je fait pour elle ? Souvent on a tout fait pour celle pour laquelle on croyait qu’on ne ferait rien.