Cadet Buteux à l’opéra de la Vestale


CADET BUTEUX À L’OPÉRA
DE LA VESTALE


Pot-Pourri en trois actes



L’aut’ matin, je m’ disais comm’ ça :
Mais qu’est-ce qu’ c’est donc qu’un opéra ?
V’là qu’ dans un’ rue, au coin d’ la Halle,
        J’ lisons : la Vestale,
        Faut que j’ m’en régale :
C’est trois liv’s douz’ sous qu’ ça me coût’ra…
        Un’ vestale vaut ben ça.



        L’heur’ du spectacle approche,
        J’me r’quinq’ pus vite qu’ ça,
            Et les sonnett’s en poche,
                J’ courons à l’Opéra ;

Mais voyant qu’ pour entrer l’on s’ bat dans l’antichambre
        Je m’ dis : Voyez queu chien d’honneur
        Quand pour c’te Vestale d’ malheur
        J’ me s’rai foulé z’un membre !


Air : du lendemain.

N’ croyez pas, ma cocotte,
Qu’ tout exprès pour vos beaux yeux,
J’allions, à propos d’ botte,
M’ f’air’ casser z’un’ jambe ou deux ;
Je r’viendrons, n’ vous en déplaise…
N’ sait-on pas qu’il est d’s endroits
Où c’ qu’on entre plus à l’aise
    La s’conde fois ?



J’n’ons pas plutôt ach’vé,
Qu’la parole étouffée
Par un’ chienne d’bouffée
Je m’sentons soulevé ;
Le déluge m’entraîne,
Et me v’là z’en deux temps.
    Sans billet, z’et sans peine,
            Dedans.



    Silence ? silence ! silence !
V’là qu’la première act’ commence.
Chacun m’dit d’mettre chapeau bas.
Je l’mets par terre, il n’ tomb’ra pas,



J’voyons un monastère
Où c’qu’un’ fille d’honneur
Était r’ligieuse à contre coeur,
C’était monsieur son père
Qui, l’jour qu’il trépassa,
D’sa fille exigea ça…
                    Ha !…



Quand aux règles du monastère
        Un’ fill’ manquait,
On vous la j’tait tout’ vive en terre
        Comme un paquet.
Si la terre aujourd’hui d’ nos belles
        Couvrait l’s abus.
J’ crais ben qu’jaurions pus de d’moiselles
        Dessous que d’sus.



V’là z’enfin un bel homme
Qu’elle avait pour amant,
Qui r’vient vainqueur à Rome
Avec son régiment.
Il apprend que l’ cher père
A cloîtré son objet.
Il pleure, il s’ désespère !
Mais c’est comm’ s’il chantait.



Dans c’ pays-là, par bonheur,
La loi voulait qu’on choisisse

La vestal’ la plus novice
Pour couronner le vainqueur.
« Tu r’viens comm’ Mars en carême
(Lui dit tout bas cell’ qu’il aime).
Pour r’cevoir le diadème
Du cœur dont t’as triomphé. »
Il eut répondre, il s’arrête,
Il la regarde d’un air bête ;
Et le v’là qui perd la tête
Au moment d’être coiffé (bis).



        Enfin,
Un serr’ment d’main
Lui dit : « Prends garde,
On nous regarde. »
Le v’là qui se remet ;
Via qu’elle lui met
Un beau plumet.
— À c’te nuit, j’te l’ promets.
— À c’te nuit, j’ te l’ permets.
— Puisqu’ la çarimonie,
Dit l’abesse, est finie,
Rentrez dans vot’ dortoir,
    Jusqu’au revoir,
        Bonsoir.



    Silenc’ ! silenc’ ! silence !
V’là qu’la s’conde act’ commence.
Et j’vois l’enceinte du saint lieu,
Avec un réchaud z’au milieu.



On ordonne à la r’ligieuse
        D’entret’nir le feu ;
S’il s’éteint, la malheureuse
        N’aura pas beau jeu.
À son devoir ell’ s’apprête,
        N’osant dire tout haut
Qu’elle a bien d’aut’s feux en tête
        Que l’feu du réchaud.



    La v’là seule, et dans son cœur,
    Où qu’ la passion s’ concentre,
    Elle appelle son vainqueur :
    Mais que d’viendra son honneur,
S’il entre, s’il entre, s’il entre !



            « Il entrera.
S’ dit-elle au bout d’un bon quart-d’heure ;
            Il entrera,
    Et puis après il sortira.
Gn’y a bien assez longtemps que j’ pleure,
        Du moins j’ dirai,
        S’il faut que j’ meure :
            Il est entré. »



Sitôt pris, sitôt pendu ;
Elle court ouvrir la porte ;

L’amant que l’ plaisir transporte,
Accourt, d’amour éperdu.
Faut qu’ ce soir je t’appartienne ;
J’ai ta parole, t’as la mienne,
Pus d’feu, pus d’ réchaud qui tienne.
Ciel ! m’arracher de c’lieu saint ! »
Bref, mêm’ rage les consume ;
Et tandis qu’ leur feu s’allume,
V’là-t-i’ pas qu’ l’autre s’éteint ! (bis).



« Ô ciel, je suis perdue !
Dit la Vestale émue ;
    Gn’ y a pas d’ bon Dieu. »
    Et v’ là qu’ la pauvre amante
    Tombe glacée, et tremblante
        Au coin du feu. (ter).



Les cris d’la belle évanouie
Donn’ nt l’alerte à l’abbaye,
Qui s’éveill’ tout ébahie ;
Et l’amant qui s’ sent morveux,
Voyant qu’on crie à la garde,
S’esbigne en disant : « Si j’ tarde,
Si j’ m’amuse à la moutarde,
Nous la gobons tous les deux. »


Air : Dépêchons, dépêchons, dépêchons-nous.

        Ah ! mam’zell’, qu’avez-vous fait là ?
        Dit d’un’ voix de tonnerre

            Le révérend du monastère ;
        Ah ! mam’zell’, qu’avez-vous fait là ?
    Vot’ feu s’est éteint, mais il vous en cuira.
    D’shabillez, d’shabillez, d’shabillez-la,
                    Son affaire
                    Est claire :
            Qu’à l’instant même on l’enterre,
Et qu’ça mor… et qu’ça mor… et qu’ça morbleu !
Lui apprenne une aut’fois à bien souffler son feu !



Là-d’ sus on lui couv’ l’estomac
D’un ling’ tout noir qu’a l’air d’un sac
L’orchest’ li pince à sa manière
Un’ marche à porter l’ diable en terre
Et la patiente, d’son côté,
S’ dit tout bas : « J’ m’en avais douté. »



    Silenc’ ! silenc’ ! silence !
V’là qu’ la troisième act’ commence.
J’vois six tombeaux, sept, huit, neuf, dix,
Qu’ c’est gai comme un De profondis.



Au clair de la lune
L’amant, tout en l’air,
Sur son infortune
Vient chanter z’un air,
Où c’qu’il dit : « Qu’all’ meure,
Et j’ varrons beau train !

S’il fait nuit à c’ t’ heure,
Il f’ra jour demain. »



Mais drès que d’la Vestale
Il entend v’ nir l’ convoi,
Crac, le v’ la qui détale…
On n’ sait pas trop pourquoi.
D’ vant la fosse il s’arrête :
On croit que l’ pauvre officier
D’ chagrin va s’y j’ter l’ premier ;
    Mais pas si bête !



    Du plus haut d’la montagne,
                    L’enfant
                    Descend,
    Tout l’ monde l’accompagne.
    Et tout bas chaqu’ compagne,
    S’ dit, en allongeant l’ cou :
« V’la son trou, v’la son trou, v’la son trou. ».
    Pendant l’ Miserere
    Qu’ entonne m’ sieu l’ curé,
    Blême et plus morte qu’ vive,
Au bord du trou la Vestale arrive :
    Tout l’ monde d’mand’ qu’all’ vive ;
    L’ curé répond : « Nenni,
        N, i, ni, c’est fini, »



        C’tapendant, qu’il dit, j’ veux bien
        Faire encore qu’euq’ chose pour elle ;

        Sur c’ réchaud où n’y a plus rien
        Mettez l’ fichu d’la d’moiselle ;
    Si l’ ling’ brûle, on n’ l’ enter’ra pas.
    S’il n’ brûle pas, ell’ a’ l’echapp’ra pas.
        Vous l’ voyez, aucune étincelle
        N’ vient contremander son trépas ;
                Or plus d’ débats ;
                Du haut en bas,
Gn’ a point za dir’, faut qu’ell’ saute l’ pas.



                        « Doucement
                        Dit l’amant,
                Qui guettait l’ moment,
Faut qu’ enfin l’ chap’let se débrouille :
                C’est moi qu’a tout fait,
                Grâc’ pour mon objet,
        Sinon j’ai là ma patrouille.
                Par son trépas
                D’un crim’ vot’ bras
                    Se souille ;
                Si ça n’est pas,
                J’ veux qu’ mon damas
                    Se rouille !
        — Mon Dieu ! comme il ment !
        Dit la pauvre enfant ;
    Ni vu, ni connu, j’t’embrouille. »



« Vite, à moi, mon régiment !
            En plein plan,

            Rlantamplan,
    Vlà z’un enterr’ment
            Qu’à l’instant
    Et d’ but en blanc
Il faut mettre en déroute ;
Battons-nous, coût’ qui coût’,
Quoique j’ n’ y voyons goutte,
        Mais l’ régiment
            Du couvent,
            En plein, plan.
            Rlantamplan,
Qu’est pour l’enterr’ ment,
Répond qu’il vers’ ra son sang
Jusqu’à la dernier’ goutte.
Pendant queuqu’ temps on doute
Qu’est-c’ qu’emport’ra la r’doute.
Au bout d’un combat sanglant,
            En plein, plan,
            Rlantanplan,
    Au lieu d’ l’ enterr’ment,
        C’est l’ régiment
            De l’amant
Qui s’ trouve être en déroute.



    Gn’ y a pas d’ milieu,
    Faut s’ dire adieu,
C’est-i-ça qui vous l’ coupe ?
    Rien que d’ les voir,
    V’ la mon mouchoir
Qu’est trempé comme un’ soupe


Air : N’est-il amour sous ton empire.

L’ pauvre agneau descend dans la tombe !

        Qu’ c’est pain béni !
Sur sa tête l’ couvercle r’tombe
        V’là qu’est fini.
Pour si peut s’ voir maltraitée !
        L’ beau chien d’ plaisir !
Et n’ la v’là-t-i pas ben plantée
        Pour raverdir !



Mais, patatras, v’là z un éclair qui brille ;
Et l’Tout-Puissant, qui, j’dis, n’est pas manchot,
        Pour sauver la pauvre fille,
        Vous lâche un pétard qui grille
L’diable d’ chiffon qui pendait sur l’réchaud.
        Vive l’ Père Éternel,
            Qui d’ son tonnerre
            Arrang’ l’affaire !
            J’ n’ y comptions guère ;
        C’est z’ un coup du ciel.



« Ah ! mon Dieu ! que je l’échappe belle !
    Dit en haussant l’ cou
        Au-d’sus du trou
        La demoiselle ;
Au bon Dieu je d’vons un’ fièr’ chandelle !
    Car je n’ pouvons pas
M’ dissimuler qu’ j’étions ben bas. »



Tant y a que l’ coupl’ s’épousa,
Et qu’ chaqu’ vestall’ dit, voyant ça :

Quand est-c’ qu’autant m’en arriv’ra ?
            Alléluia