C. E. Casgrain : mémoires de famille/Texte entier


C. E. CASGRAIN



Jean-Baptiste Casgrain, fils de Jean-François Casgrain et de Catherine LeComte Dupré, le premier de ce nom venu en Canada, naquit à Airvault, petite ville du Poitou, située à huit lieues de Saumur et du Bocage, faisant partie de la Vendée militaire. Son père était laboureur, et avait trois fils : Jacques, Philippe qui disparut en mer, et Jean qui était le cadet et qui fait le sujet de ce préambule. Il quitta très-jeune le toit paternel à cause des mauvais traitements que lui suscitait sa belle-mère, et demeura pendant quelque temps dans une ville voisine d’Airvault, chez un traiteur. Il s’enrôla ensuite dans les brigades irlandaises au service de la France, servit comme grenadier de la première division sous le capitaine Fitz-Gibbon, et fit plusieurs campagnes. Comme il était bel homme et soldat courageux, il fut engagé au service du marquis de la Tesserie, colonel en pied des carabiniers. La maison française de la Tesserie, et la maison anglaise de Grenville, alliées toutes deux, avaient formé un bataillon à leurs frais pour faire le service en Turquie. Il fut le trentième de ceux qui furent choisis pour remplacer les chevaliers de Malte tués en Orient. Les carabiniers dont il faisait partie, servaient, dans le Levant, sous la même discipline que les chevaliers de Malte. Quatre seulement parmi ceux de ces derniers, qui prirent part à cette expédition, retournèrent en France ; encore étaient-ils incapables de servir. Dans un engagement très-vif, Jean eut le nez fendu d’un coup de cimeterre. L’ennemi fut vaincu ; mais vingt-deux chevaliers de Malte et treize carabiniers périrent. Plus tard il fut fait prisonnier par les Turcs en même temps qu’un chef de brigade du nom de Sabran. Pendant leur captivité, un prêtre renégat, que Sabran avait connu jadis pendant ses études, voulut les convertir à l’Islamisme. En entendant ces propositions, le chef de brigade, qui était très-pieux et qui avait même étudié pour entrer dans les ordres sacrés, fut indigné. « Ah ! s’écria-t-il en s’adressant à son compagnon d’infortune, est-il possible qu’on vienne outrager Dieu d’une pareille manière. » À ces mots, Jean Casgrain se précipita furieux sur le renégat et l’aurait tué si le janissaire qui était à sa suite n’eût tiré son cimeterre et ne se fut jeté sur lui. Le brave carabinier saisit une chaîne pour se défendre et frappa le janissaire à mort. Jean et Sabran furent alors jetés dans un cachot, et reçurent cinquante-neuf coups de nerf de bœuf. Sabran en mourut. Jean reçut de plus vingt-cinq coups de bâton de Calabre sous la plante des pieds. Un chevalier de Malte qui était prisonnier avec eux reçut les mêmes traitements que Jean et en mourut. Avant d’expirer, Sabran prédit à son compagnon qu’il serait bientôt délivré. Mais il lui recommanda de ne point se battre contre ses frères prisonniers pour obtenir sa liberté ; car c’était la coutume de délivrer de ses fers le vainqueur. Jean offrit de se battre contre les plus braves des janissaires ; mais ils refusèrent.

De retour en France, il alla rejoindre à Arras, en Picardie, son régiment nommé les Invincibles. En arrivant, il fut mis aux arrêts, car les carabiniers, qui combattaient sous la même discipline que les chevaliers de Malte, ne pouvaient se rendre et devaient mourir les armes à la main. Traduit devant un conseil de guerre, il présenta pour toute défense une déposition qu’il tenait cachée dans son bonnet et dont il ne connaissait pas le contenu, car il ne savait pas lire. C’était une lettre d’un chevalier de Malte, nommé de Launay, qui rendait justice à sa bravoure. Il fut absous et réintégré dans son poste d’honneur.

Pendant les guerres sanglantes qui désolèrent l’Europe sous le règne de Louis XV, il fit les campagnes de Hongrie, du Danemark et de Poméranie, ainsi que celle de Bohème en 1743. S’étant distingué, la même année, à la fameuse retraite du maréchal de Belle-Île devant Prague, il fut promu au grade de sergent-major de son régiment. Il combattit aussi à une bataille considérable livrée à Nancy. Son régiment ayant été dirigé sur Maestricht, intercepta un convoi envoyé par le prince Charles de Lorraine, et il fut blessé dans ce combat d’une balle qui lui passa de la joue à l’oreille droite, et d’un coup de sabre qui lui sillonna la figure du front à la joue gauche. Il fut présent au siége de Berg-op-Zoom, en 1747, où les Français entrèrent en marchant dans le sang jusqu’à la cheville du pied. À la bataille de Fontenoy, gagnée par les Français le 11 mai 1745, il combattait à cheval comme sergent-major d’un bataillon d’artillerie. Il y fut blessé par un coup d’escopette qui lui brisa la cheville du pied.

Usé par la guerre, l’héroïque vétéran, qui avait assisté à cinquante combats et engagements, fut obligé d’abandonner le service ; et, se trouvant sans ressource, il lui fallut dire adieu à sa terre natale. Il s’embarqua pour la Nouvelle France accompagné de Monsieur Bonenfant, dont la fille devait plus tard épouser un de ses fils, et de Monsieur Letellier de St.-Just, aïeul de l’Honorable Luc Letellier de St.-Just, membre du Conseil Législatif, et aujourd’hui Sénateur.

S’étant fixé à Québec, il ouvrit un commerce de vin, à la Cloche Bleue, dans la rue Sous le fort, à droite de l’escalier de la Basse-Ville.

Il fit une assez bonne fortune. — C’était un homme blond ; il était devenu replet sur ses vieux jours, et mourut à la Rivière-Ouelle, dans un âge très-avancé. Ses restes reposent dans l’église de cette paroisse. — Extrait des « Mémoires de familles. »


In memoriâ æternâ crit justus,
La mémoire du juste sera éternelle.


I


Naissance de M. Casgrain — Son éducation — Son mariage — Lettres de sa mère.


C’est à la demande de votre frère Raymond, mes chers enfants, que j’ai entrepris de tracer ces lignes. Je voudrais par là mettre sous vos yeux les vertus et les exemples que votre père a laissés après lui. Vous apprendrez en les lisant que le bon chrétien fait aussi le bon citoyen.

Votre père Charles-Eusèbe Casgrain est né à la Rivière-Ouelle le 25 de décembre 1800. Il était le cadet des enfants de Pierre Casgrain, seigneur de cette paroisse et de Marie-Marguerite Bonenfant. De plusieurs autres enfants cinq seulement vécurent, savoir : Pierre-Thomas, Olivier-Eugène, Sophie, Justine et Luce. C’est au milieu de cette famille que votre père passa ses premières années. Dès l’âge de dix ans, il fut placé au Séminaire de Québec où il ne resta que peu de temps. Il entra ensuite au Collége de Nicolet, et y continua ses études jusqu’à sa Rhétorique inclusivement. Les succès les plus beaux couronnèrent son travail assidu. J’ai encore en ma possession deux ouvrages qui lui furent décernés en prix : le Télémaque et les œuvres de Boileau. Ce dernier lui fut décerné en Rhétorique.

Mais l’anecdote suivante prouvera encore mieux son application et l’estime que lui portait ses maîtres.

Mgr Plessis, d’illustre mémoire, et dont, comme on le sait, le Collége de Nicolet fut l’œuvre, était venu présider aux examens de cette institution naissante. Après avoir interrogé les élèves et distribué aux écoliers studieux les récompenses alors peu nombreuses, à l’instigation des prêtres qui l’entouraient, il fit venir le jeune Charles et lui posa plusieurs questions relatives à ses études. Charmé des réponses de l’enfant, l’Évêque voulut donner un témoignage éclatant de sa satisfaction. Il envoya cueillir dans le jardin, une branche flexible et garnie de ses feuilles, en fit lui-même une couronne qu’il plaça sur la tête du jeune élève.

Jugez avec quel plaisir l’excellent écolier dût offrir à sa mère ces lauriers si glorieux. Madame Casgrain de son côté garda soigneusement cette précieuse récompense accordée à son fils. Malheureusement après la mort de celle-ci, arrivé le 13 mars 1825, Monsieur Casgrain votre grand père ayant fait faire encan de ses meubles, l’avait fait mettre de côté pour m’en faire don, et quand il voulut me la présenter on s’aperçut qu’elle avait disparu. C’est alors qu’on me raconta cette anecdote que l’humilité de votre père a toujours tenue secrète. C’est à cause de cette ignorance bien involontaire de ma part, que je n’ai pu sauver cet hommage rendu à la vertu et à diligence de votre père.

Il était âgé de dix-huit ans lorsqu’il fut atteint d’une pleurésie qui lui survint à la suite d’une traversée du lac Saint-Pierre, qu’il fit monté sur ses patins. Il fut obligé d’interrompre ses études et on le ramena le même hiver au sein de sa famille, où il fut l’objet des soins les plus tendres. Ce fut un chirurgien de la marine, le docteur Donnelly, qui le traita ; il le soigna, et lui appliqua les ventouses dix-sept fois. On a dit qu’il l’avait soigné comme il l’aurait fait d’un matelot. Toujours est-il que depuis cette époque, la santé de votre père s’est altérée, et sa complexion fut toujours délicate jusqu’à sa mort.

Les médecins lui prescrivirent aussitôt après son rétablissement de faire un voyage sur mer. Il se rendit l’été suivant à Halifax, où il reçut de sa mère, qui ne le perdait jamais de vue, la lettre suivante, où elle lui annonce le mariage de sa sœur Luce, avec M. Philippe Panet, alors avocat, et depuis juge à Québec.[1]


« Rivière-Ouelle, 19 juillet 1818.
« Mon cher fils,

« Depuis que j’ai reçu ta lettre datée du 27 juin, qui était à l’adresse de Justine, j’ai désiré t’écrire sans pouvoir trouver le temps de le faire. La diversité d’occupations qui m’en ont empêché, exige pour ta satisfaction et la mienne que je t’en fasse un détail, d’autant plus qu’il est aussi intéressant pour toi que pour le reste de la famille : je te préviens que cela va être long ; mais dans la persuasion où je suis que cela ne t’ennuiera pas, je vais donc commencer par te dire que ta chère Luce est mariée du 14 du courant. Cela va sûrement te surprendre, car tu ne pensais pas plus que nous que ce serait si tôt. Je vais te dire ce qui en est. C’est le départ de Monseigneur[2] qui, comme tu ne l’ignores pas, doit rester en ville tout le temps que Monseigneur Plessis sera absent. Tu peux t’imaginer aisément la peine que nous cause son absence. Nous avons profité du peu de temps qu’il est resté à la Rivière-Ouelle pour ne pas le priver, ainsi que nous, du plaisir qu’il avait de faire ce mariage, qui, comme tu n’en doutes pas, était autant de son goût qu’il l’est du nôtre. Nous avons eu le plaisir d’y voir la plus grande partie de la famille de M. Panet, c’est-à-dire sa maman, M. Louis, M. Charles, M. LeBourdais, Mlle Rose. Nous n’avions d’étrangère que Mme Wyss.

« Cher ami, ce jour qui était pour moi si beau, comme pour toute la famille, a souvent été interrompu par cette idée, qui partout me poursuivait : il me manque ici mon cher Charles ; que ne peut-il partager la joie que nous avons de l’heureux choix qu’a fait sa sœur ! Je t’assure que souvent je me trouvais attendrie en me faisant cette réflexion, et j’avais bien de la peine à le dissimuler, et je ne doute pas que dans la famille plusieurs ont pensé ainsi que moi, sans oser me le dire, sachant bien ce que je pensais. La chère Luce m’a dit cependant : Maman, si ce cher petit Charles était ici, que je serais contente ; et alors je pensai à la gageure que vous aviez faite tous deux. Je lui dis s’il était ici il s’acquitterait, car il éprouverait une grande satisfaction en perdant ainsi son argent, lorsqu’il verrait son tout aimable beau-frère. Il faut te dire que nous avions fait les préparatifs de la noce sans être sûrs où on pourrait dîner ce jour-là ; car nous ne savions si Émilie[3] attendrait que cette cérémonie fut faite, avant de faire la sienne, mais le tout s’est passé tel qu’on pouvait le désirer ; elle a passé la journée gaiement avec nous, aidant à tout ce qu’elle pouvait, tel qu’elle avait coutume de le faire, et le lendemain matin, elle m’a dit : vos affaires sont finies, je crois qu’il est temps que je fasse les miennes ; à la vérité, elle ne s’est point trompée, car à deux heures et demie, le 15, elle nous a fait politesse d’un gros garçon, qui est très-bien portant, et elle est très-bien. J’ai eu le plaisir d’être la marraine avec M. Panet, il se nomme Pierre-Philippe ; imagine-toi, d’où tu es, voir ton Papa, et ton frère ; la joie où ils sont d’avoir ce gros garçon. Vois si, depuis un certain temps, j’ai dû être occupée, et que j’avais des raisons qui m’empêchaient de t’écrire aussitôt que je l’aurais désiré. J’attends avec impatience une des tiennes. Je désire savoir comment tu es et le temps que tu as mis à te rendre, si tu te trouves mieux, aussi si tu te plais bien, tout cela m’intéresse, cher fils ; ne manque pas de m’informer de tout, la manière dont tu te comporteras, ne trompera pas mon attente, au moins j’ose l’espérer. Ton papa te fait ses embrassements les plus tendres, ainsi que la famille. Madame Panet, quoique sans cesse occupée des petits soins et attentions, qu’elle doit à son cher époux, n’oublie pas son cher Charles, elle me charge de beaucoup de choses qui te regardent, et que je ne puis t’écrire ; je te dirai seulement que ton papa vient de lui payer la gageure, qu’elle a double plaisir et profit à gagner. Crois-moi, cher fils, ta tendre et affectionnée maman.

« Marie Bonenfant Casgrain. »


Il ne faut pas s’étonner de rencontrer peu de style, dans cette lettre de Madame Casgrain ; il y a plutôt lieu d’en admirer les beaux sentiments, quand on songe que cette dame a eu seulement l’avantage de fréquenter, pendant une année ou deux, le couvent de Saint-François-du-Sud, l’un des premiers que les Sœurs de la Congrégation aient établi dans le district de Québec.

À mesure que j’avancerai dans ce récit, je citerai quelques autres de ces lettres.

Pendant le séjour que votre père fit alors à la Rivière Quelle, il y avait chez M. Casgrain, une jeune convertie, Mlle Bradford, fille d’un ministre protestant. Elle était entrée comme postulante chez les Ursulines de Québec, mais le défaut de santé l’obligea de sortir ; et pour se rétablir, elle fut placée chez Madame Casgrain. Quatre ans plus tard, cette même personne ayant été recommandée à Madame Ross Lewin, où je demeurais alors, cette dernière la prit chez elle.

Votre père commença l’étude du droit aussitôt après son rétablissement en 1820. Il entra en qualité de clerc chez M. Moquin, avocat célèbre de Québec. Québec était encore une petite ville ; tous ses citoyens se connaissaient de vue, et je crois pouvoir dire que tous les Québecquois m’étaient à peu près connus. Il y avait dans la classe élevée trois jeunes gens qui se distinguaient entre tous les autres par la régularité de leur conduite et par leurs bonnes manières ; ils appartenaient à des familles aisées. Leurs noms étaient : Wolsey, Lindsay et Casgrain, et comme on en parlait souvent chez Madame Ross Lewin, dans l’intimité de la famille, Mlle Bradford, cette jeune convertie que j’ai nommée plus haut, faisait souvent l’éloge des vertus de M. Charles Casgrain qu’elle avait été à même d’admirer pendant sa maladie. Elle s’étendait surtout sur sa patience au milieu des souffrances qu’il endurait ; et sur la vive affection qu’il témoignait à sa mère, et dont il était payé de retour, comme le prouvent les lettres que je vais citer. Celles-ci forment la correspondance qui s’établit entre Madame Casgrain et son fils, pendant les quatre années de sa cléricature, depuis 1820 jusqu’à 1824. Si elles ne sont pas des chefs-d’œuvre de littérature, elles le sont du moins de sentiments. Celle-ci par exemple :


« 26 décembre 1820.
« Mon cher fils,

« Je ne doute nullement du plaisir que tu as éprouvé au retour de ta sœur. J’ai bien pensé que leur absence te faisait trouver le temps long, car je sais que tu veilles si bien à tout lorsqu’ils n’y sont pas, que ce trouble te fait désirer avec plus de hâte leur retour ; et aussi l’idée de les savoir auprès de la famille, sans pouvoir partager ce plaisir, te faisait faire des réflexions un peu sérieuses. Les nouvelles verbales qu’ils t’ont données sur l’état de ma santé ne sont point exagérées, je suis toujours dans un état de faiblesse qui pourrait bien décourager plus brave que moi, mais je te dirai que je m’habitue à tout, aussi ne le dois-je pas ? puisque c’est la volonté de Dieu. Mon sort serait peut-être plus à plaindre, si, avec l’aisance dans laquelle je pourrais vivre, je jouissais d’une bonne santé. J’aurais tant de plaisir à aller vous voir de temps en temps ; il faut que j’en sois privée, que je me contente seulement d’entendre parler de vous. Aussi, mon fils, je ne puis recevoir d’adoucissement à ce que j’éprouve que lorsque je reçois vos lettres, que je les lis et relis avec tant de plaisir. Je n’ai aucun doute, ô le plus tendre des fils ! vu le pouvoir qu’a sur toi l’amour maternel, que tu n’adresses souvent et avec ardeur des vœux au Ciel pour ma conservation. Oui, mes chers enfants, je puis le dire sans me tromper, que vous êtes tous pénétrés du même sentiment. Que peut désirer de plus une mère qui reçoit de ses enfants, les mêmes tendresses qu’elle est prête de leur faire éprouver jusqu’au dernier moment.

« C’est donc avec raison, cher fils, que je dis que je puis jouir de tout, excepté de la santé ; que je dois compter pour rien à mon âge ; l’espoir que tu as de mon rétablissement est bien trompeur. Dieu seul le sait, et en disposera à sa volonté. Mais c’est Eugène, ce cher Eugène, s’il était privé de moi, à l’âge où il est ; ô mes chers enfants ! lui seul serait le plus à plaindre, mais que dis-je ? il le serait si vous étiez capables d’oublier la plus tendre des mères, ce que je ne crois pas, cher fils. Je crains de t’affliger, passons à un autre sujet moins triste pour toi, qui cependant suivant ce que tu me dis, touchant ta profession, paraît t’inquiéter. Il est bien vrai qu’en considérant le nombre qui embrasse cette profession, cela paraît terrible, et peut donner sujet de réfléchir à celui qui a à cœur de faire quelque chose. Mon fils, c’est dans tous les états que les jeunes gens de ce temps veulent embrasser, ils se trouvent en foule. D’où vient cela ? Il faut considérer aussi que la population est si nombreuse, c’est ce qui occasionne cela. Il faut considérer aussi, que le plus grand nombre ne réussit pas, pourquoi ? Tu le vois tous les jours comme moi, aussitôt qu’ils ont cette profession, ils s’imaginent que tout est à eux ; ils ne s’inquiètent pas du service de Dieu, ils s’abandonnent à tous les excès, ne font aucun calcul de leurs dépenses avec leurs revenus, et en bien peu de temps ils se trouvent hors d’état de paraître parmi les honnêtes gens sans rougir. Oh ! mon fils, que ce malheureux nombre, qui est sans contredit le plus grand, ne t’épouvante pas ; la conduite que tu as tenue jusqu’ici ne doit pas te faire craindre leur sort. Suis, cher enfant, les sentiers que je me suis fait un devoir de te tracer, continue à faire ton devoir envers Dieu ; sers le de tout ton cœur, et ne crains rien. Il n’abandonnera pas jamais ceux qui le servent avec ardeur. Comme tu l’observes avec tant de justesse : S’il n’abandonne pas les petits oiseaux qui ne sèment pas à plus forte raison n’abandonnera-t-il pas des créatures qui l’aiment et le servent avec fidélité. Il a déjà pourvu à ton nécessaire en nous faisant les dépositaires d’une raisonnable somme destinée à ton besoin ; et ta conduite à l’avenir, peut, je le sais, t’en procurer davantage. Toi seul, peux décider cela à ton gré, car il ne faut pas croire, comme quelques-uns le disent, qu’une demoiselle qui peut prétendre à quelque chose du côté de sa famille, ne soit point pour cela propre à faire une femme de ménage. Je ne suis pas du tout de cet avis, je te rapporterai à ce sujet ce que disait souvent le père Têtu : qu’un petit tison seul était d’abord consumé, mais que lorsque l’on pouvait en mettre deux ensemble, cela était immanquable. Tu sais que les vieux français se trompent rarement, on en voit assez souvent la preuve. Ne vois-tu pas aussi que bientôt on va chasser de la ville tous ces vieux avocats ; il en faudra pour faire des juges, des greffiers, lorsque nous aurons des juridictions dans les comtés, cela fera place à tous les jeunes marmots. Je trouve fort à propos cette assemblée qui se fait pour les jeunes gens de votre profession ; il doit sans doute en résulter un grand avantage. Quant à ce que tu me dis pour cette assemblée, tu sais mieux que moi si cela est à propos ; tu sais que ton papa ne t’a jamais refusé ce qui pouvait t’être de quelque avantage : ainsi fais ce que tu voudras. Ton papa arrive de Kamouraska, où il a passé deux jours ; je me suis bien ennuyée, en son absence, mais il était si fatigué de l’assiduité habituelle de la maison, que j’étais bien aise qu’il prit ce temps, pour se délasser. Je ne sais vraiment ce que je ferai lorsqu’il ira en ville… »

Madame Casgrain savait dans l’occasion mêler le badinage à ses conseils, c’est ainsi qu’elle écrivait :

« L’occasion imprévue de Monseigneur de Saldes, survient pour moi très à propos, car j’en cherchais une pour t’écrire… .......... Je suis aise que le froid que tu as enduré, ne t’ait pas mis pire ; prends bien garde à toi, aies soin de l’enfant à maman, quoiqu’il soit un coquin de voleur ; elle en a toujours compassion, dans l’espoir qu’il se corrigera. Sûrement que tu as eu du remords lorsque tu as sorti de ta voiture mon morceau de toile, que je ne t’avais pas donnée, mon coquin. Mais, me diras-tu, c’est toujours le vieux papa qui paye, car il faudra pour cela qu’il achète une couverte de plus… »

Et plus tard, elle racontait un petit accident arrivé à son frère Eugène :

« 1er janvier 1822.
« Cher Charles,

« Je suis seule ce soir avec Marraine[4] et Eugène. Ton papa est allé faire ses visites ; je ne sais où il passe la veillée. Pour me désennuyer, je me suis décidée de t’écrire : j’ai ramassé toutes les vieilles plumes de l’année passée, n’ayant personne pour m’en tailler, ni de canif, de sorte qu’il faut que je me contente de ce que j’ai ; mais pour me dédommager, je me sers de beau papier. Jusqu’ici je trouve que ça va assez bien, gare à la suite.

« Je ne sais si tu as appris ce qui est arrivé à Eugène, chez ton oncle Têtu. Je t’assure qu’à son arrivée, j’ai eu plus de chagrin que de joie. Il prévoyait bien d’avance que ce serait le cas. Il faut te dire qu’étant chez son oncle, il lui a pris fantaisie d’avoir de la poudre pour s’amuser ; il s’est adressé à maître Provost qui, à force des sollicitations, s’est laissé gagner. Il lui en a donné un cornet assez considérable. Il a monté en haut avec, et a été assez rusé de vider cela sur le poële qui était rouge. Imagine-toi que, dans un instant, tout lui a sauté à la figure, et lui a brûlé le nez jusqu’entre les deux yeux, et le tour du bec. Ses yeux n’ont rien attrappé, excepté que le tour a bien grillé. Sa pauvre tante, comme tu peux le croire, y a bien apporté tous ses soins, mais elle ne pouvait le guérir en si peu de temps ; de sorte qu’elle me l’a envoyé par Joseph Lévêque, qui en a bien eu soin. Mais le froid lui avait fait enfler le visage, et pousser une croûte si noire que c’était affreux de le voir. Je ne pouvais imaginer ce qu’il avait, et il ne pouvait me le dire tant il pleurait. J’avais un grand mal de tête lorsqu’il est arrivé, je t’assure qu’il s’est passé bien vite ; et quand il m’a dit que c’était la poudre qui lui avait fait cela, j’ai d’abord cru qu’il resterait marqué, et toujours le visage noir. Cela m’inquiétait ; je me suis mise à le débarbouiller, à le savonner souvent, et cette croûte là a presque toute tombé et il ne lui est pas resté un seul grain de poudre dans la figure..........

« .......... Crois qu’en cette nouvelle année, mon désir est toujours le même pour toi et toute la famille. Que Dieu répande sur vous ses bénédictions, et que vous soyiez toujours fidèles à ses grâces. Il ne vous abandonnera jamais. Voilà les vœux que forme de tout son cœur la plus tendre et la plus affectionnée des mères. »


Comme on peut le voir par la lettre suivante, Madame Casgrain ne manquait jamais l’occasion de donner quelques bons conseils à son fils.

« .......... Je suis loin de douter que c’est un effet de ta négligence, si tu ne m’écris pas souvent. Je sais trop bien que tes occupations y mettent obstacle ; ne t’en détournes jamais pour moi. Rien ne me fait plus de plaisir que de savoir que tu t’acquittes de ton devoir avec fidélité car en remplissant ses obligations, on s’acquitte aussi avec Dieu qui veut qu’il en soit ainsi. Quoique je t’informe que je suis bien mieux, je ne chante pas pour cela victoire. Je suis loin d’être aussi bien que tu parais le croire ; mais je me trouve contente, n’importe dans quelle situation je me trouve..........

« .......... Je n’ai que faire de te dire que je ne t’oublie pas, tu en es persuadé. Tu dois connaître la place que tu occupes dans mon cœur, ta manière d’agir ne peut que la conserver. Je prie Dieu tous les jours que tu continues à t’acquitter envers lui de tous tes devoirs de religion, afin que tu avances en proportion de ton âge dans la vertu. De même, cher fils, un jeune homme peut éviter les dangers auxquels il est souvent exposé, et faire la consolation de ses parents, toi qui a tant cela à cœur.......... »

Voici encore ce qu’elle lui écrivait au sujet d’un voyage aux États-Unis, qu’il était sur le point de faire :

« Cher Charles,

« J’ai perdu tout espoir de te voir avant ton voyage. J’espère que Dieu nous conservera tous deux, et qu’il permettra que nous ayons encore ce plaisir. Si je ne te connaissais pas aussi prudent que tu l’es, je te ferais bien des recommandations, mais je m’en dispense pour cette raison. Je te dirai seulement de bien éviter les endroits où il court quelques maladies, car les étrangers sont toujours sujets plus que les autres à gagner les fièvres malignes qui souvent ravagent ces endroits. Je ne doute pas que ton premier soin, avant ton départ, soit de faire visite à ton directeur, te mettant entièrement entre les mains de la Providence. Cette Providence qui règle jusqu’au moindre instant qu’elle nous laisse vivre, sait aussi nous garantir de tous les écueils auxquels nous sommes sans cesse exposés, surtout à ton âge, cher ami, où la jeunesse a toujours besoin d’être en garde, et doit éviter ceux dont elle ne connaît pas les mœurs, car souvent les apparences peuvent tromper. Mais, mon cher ami, tu as des compagnons pour voyager qui me font plaisir ; car étant seul, tu serais peut-être forcé de faire connaissance avec quelques-uns, et tu le regretterais par la suite… »

Dans la lettre suivante, Mme Casgrain rend hommage à la bonté de cœur de son fils, qui en avait appelé à son père, en faveur d’un serviteur qui avait encouru la disgrâce de celui-ci. Elle commence ainsi :

« Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé.

« Crois-tu, cher Charles, qu’en réfléchissant sur cet article un chrétien peut s’y refuser ? Ces mots adressés à un père de la part de son fils, peuvent-ils essuyer un refus ? Non, cher ami, il lui faudrait un tout autre cœur, que celui qu’il possède. Tu le sais, il n’a jamais été sourd à la voix du malheureux. Jamais, à ma connaissance, il a refusé de le soulager dans sa misère. Il aurait sans doute, comme tu l’observes, de grandes raisons de plaintes, contre ce pauvre John ; mais il sait mettre tout cela de côté, et considérer que sous le rapport de la religion, il doit faire pour lui plus qu’il ne ferait pour tout autre, vu qu’étant avec nous, il a embrassé la religion catholique. Nous devons avoir soin qu’il ne s’écarte pas, et ce serait bien douteux s’il venait à s’éloigner de nous, quoique jusqu’ici il ait bien été exact. Qui sait s’il ne retomberait pas dans l’erreur, dans le but d’obtenir quelques secours des protestants, s’il se retrouvait parmi eux. Tu ne devais pas, mon cher fils, douter un instant qu’il ne vint à obtenir son pardon, car si tu es attendri à la vue de ce misérable qui implore ton secours, d’où te viennent ces sentiments ? où les as-tu puisés ? Ce sont ceux d’un père que je suis bien aise de voir revivre en toi. Je t’assure que ce n’est pas lui qui a donné les lettres ; il s’est tenu dans la chambre du bâtiment, et les a envoyé porter. Il ne savait comment faire son entrée.

« Mais le maître-d’hôtel, M. Rémy,[5] était bien prêt à l’aller chercher, car il était déjà las de frotter les couteaux, et le désirait avec impatience. Il n’était pas attendu de tout le monde avec tant de plaisir, mais cela ne m’inquiète pas. Je saurai bien arranger cela par la suite. Ce retour me rappelle l’histoire de l’enfant prodigue à la maison de son père, et je prendrai de là occasion de le reprendre plus facilement que je ne l’aurais pu faire avant ; je crois qu’il recevra avec soumission ce que je lui dirai. L’obligation qu’il a de ce que tu as fait pour lui, lui paraît au-dessus de toute expression, ainsi que pour les bontés qu’a eues M. Panet. Je ne puis écrire à Luce cette fois. Je suis contente qu’elle soit si bien. Je l’embrasse à plein ainsi que son cher bon mari. Je suis toujours ta tendre maman.

« 4 novembre. »


Ces lettres, mes chers enfants, suffisent pour vous faire connaître jusqu’à quel point Mme Casgrain aimait et estimait votre père.

Je connaissais donc de vue et de réputation le jeune Casgrain. Je le voyais régulièrement le dimanche aux offices de la cathédrale, et souvent à la basse-messe pendant la semaine. Il était toujours d’une mise très propre, et en quelque sorte recherchée, sans luxe cependant. Comme ses parents pourvoyaient amplement à ses dépenses, lui fournissant cheval et voiture, on était surpris de ne lui voir jamais ni épingles, ni autres bijoux, tels que les jeunes gens en portaient. La première et seule épingle que j’aie vue à sa cravate a été faite avec mes cheveux, quelque temps avant notre mariage. Il l’a gardée pendant de longues années.

Voici une lettre que lui écrivait sa mère, pour le presser de s’établir ; elle fera voir avec quelle confiance elle traitait avec lui.

« Cher Charles,

« Ton papa ne pouvait m’apprendre aucune nouvelle en arrivant ; il disait qu’il n’avait rien de drôle à me dire, mais il m’a prouvé le contraire, en me disant à la suite, que tu avais en ta possession une somme de £150 venant de l’ami McCallum ; que tu avais si bien su t’y prendre, que l’affaire s’était arrangée à merveille : et qu’il admirait quelle précaution tu avais prise pour ne point manquer ton coup. Il dit que tu es un homme très-adroit, lorsqu’il s’agit de tes intérêts ; je m’en aperçois comme lui, mais je ne saurais te blâmer, tout au contraire je ne puis que t’approuver en cela. Cet esprit de commerce et de spéculation fait voir combien ces petits Casgrain ont de ressemblance avec leur père. Ils en tiennent pour la vivacité, et pour le soin qu’ils ont de ce qu’on leur promet ; ils n’aiment pas à laisser languir les choses. Cela prouve une vraie ressemblance de caractère. Cette somme, m’a-t-il dit, va être appliquée sur des meubles de ménage ; cela est très-juste, puisque ton père la destine pour cet objet, et je n’ai point d’inquiétude de quelle manière et avec quelle économie cet emploi sera fait. Il faudrait ne point avoir l’avantage de te connaître pour en juger mal. Tu as par avance loué une maison pour y placer tes meubles, tout cela sont de bonnes précautions, car il n’est plus temps de chercher lorsqu’on a besoin : c’est une raison de payer plus cher. Je vois que tu n’es pas de ces gens là, c’est fort bien ; mais, mon fils, ce n’est pas tout. Parlons sérieusement, laissons le badinage. Une chose m’inquiète, c’est lorsque tu seras chez toi, combien plus tu auras à prendre garde pour les compagnies que tu auras à fréquenter. Tu as un petit nombre d’amis choisis qui sûrement ne t’oublieront pas, et avec qui je te conseille de vivre en bonne intelligence. Mais tu dois prendre garde, cher fils, qu’il ne s’en glisse pas quelques mauvais parmi les bons, qui sous prétexte que ce sera un ménage de garçon, on pourra y aller plus librement. Ô ! cher fils, ce sera à toi de bien veiller à cela, tu sais qu’une brebis galeuse peut gâter un troupeau, et on peut, je crois, à cette occasion appliquer la même comparaison. C’est à quoi, je me flatte, tu auras soin de veiller bien, pour éviter ce qui arrive aux autres en pareil cas. Car, mon fils, nous ne pouvons assez compter sur nos propres forces pour croire que ces choses ne peuvent arriver. Nous sommes tous si faibles que nous devons nous tenir sur nos gardes, et demander à Dieu ses grâces :

« Lui seul est notre force et notre unique appui. »

« Ah ! si, dans ce petit espace de temps qui reste pour achever ta cléricature, il s’offrait un objet digne de fixer ton attention, crois que je n’essayerais point à y mettre obstacle ; tout au contraire, j’en serais bien charmée, car je suppose bien que tu ne prétends pas rester seul. Mais je crois que dans ce moment-ci, c’est à quoi tu penses le moins : tu es trop occupé de l’arrangement de ton ménage. La marquise t’a échappé, il lui fallait un anglais ; elle ne prouve pas par son mariage qu’elle était bien attachée à la religion, puisqu’elle a fait un si mauvais pas. Je n’ai pu m’empêcher de frémir lorsque j’ai vu par la Gazette qu’elle était mariée par la main du ministre.

Je me rappelle que tu me disais dans une de tes lettres à laquelle je n’ai pas encore répondu, que tu avais grand besoin de mes avis. Cher fils, de quoi suis-je capable autrement que de t’aider de mes faibles prières. Je t’assure que si Dieu veut les exaucer, les choses iront pour le mieux. Tu n’as pas oublié les entretiens que nous avons eus tous deux ensemble. Tu m’as toujours témoigné assez de respect pour empêcher que je me permette de croire que tu puisses avoir mis mes raisons en oubli. Je suis sûre que les avis sincères et tendres que je t’ai donnés ont été reçus avec attention et reconnaissance. Tes sentiments envers moi m’en ont toujours rendu un fidèle témoignage. Ainsi tendre et affectionné fils, Dieu veillera à tout. Reposons en lui toute notre confiance : je le prie tous les jours, ce Dieu de bonté, de vouloir guider tes pas. Oh ! mon enfant, dans la dernière communion que j’ai eu le bonheur de faire, mercredi, la veille de Noël, j’ai prié pour vous tous, et en particulier pour toi, me reposant entièrement sur ce que Dieu dit : que plus nous lui demandons ses grâces en cet heureux moment, plus on lui devient agréable. Ah ! quel pressant besoin en ai-je moi-même, et c’est avec une entière confiance que je m’adresse à ce Dieu de bonté, malgré mon indignité et mes misères, considérant que ce père tendre est toujours favorable à ceux qui ont recours à lui. Ah ! cher enfant, que les sentiments chrétiens soient toujours la règle de notre conduite, c’est le seul sentier que nous ayons à suivre. Si ma plume était capable de te peindre ici ce que mon cœur ressent, tu verrais avec quel attachement je suis ta tendre mère,

« Marie Bonenfant Casgrain. »

« Tu n’as pas plus oublié que moi, je pense, qu’aujourd’hui le 28 décembre est le jour de ta naissance. »

M. Casgrain entrait alors dans sa vingt-quatrième année. Ce fut dans le mois de mai suivant que nous fîmes connaissance. Voici dans quelle occasion : les citoyens de la ville de Québec donnaient un bal d’adieu au gouverneur-général, lord Dalhousie, avant son départ pour l’Angleterre. Je reçus une invitation, je m’y rendis. Il y avait foule. Les dames les plus âgées descendirent les premières pour le souper. Quand le tour des jeunes personnes arriva, je descendis avec mon partner. Nous trouvâmes beaucoup de confusion aux tables. Votre père étant assis vis-à-vis de moi, s’aperçut que je manquais d’assiette ; il s’empressa de m’en donner une, et en me l’offrant, de m’adresser quelques mots. La conversation s’engagea, et il me fit la politesse de boire à ma santé, comme c’était l’usage d’alors, puis nous nous séparâmes dans les meilleurs termes ; et le dimanche suivant il me fit sa première visite. Nous continuâmes à nous voir sur le même pied d’intimité, jusqu’au mois de septembre suivant, quand mon père vint à Québec, ayant été nommé arbitre par la province du Haut-Canada, pour établir la part qu’elle devait avoir dans les revenus de la douane. M. Casgrain profita de cette occasion pour lui faire connaître ses vues. La réponse de mon père lui fut favorable, et notre mariage fut fixé au 26 du mois d’octobre suivant. À cette occasion sa mère lui écrivit la lettre suivante qui fut sa dernière :

« Cher et tendre enfant,

« Je ne saurais me dispenser de t’écrire quelques mots en réponse aux tiennes. La faiblesse où je suis me prive de le faire plus souvent. Mais, cher ami, n’attribue pas mon silence à aucune autre chose. Tes lettres sont pour moi de nouvelles preuves de la sincérité avec laquelle tu t’es toujours comporté à notre égard ; et tu vois que Dieu te favorise puisqu’il a permis que tu aies fait un choix si à ton goût, d’une demoiselle si aimable et si vertueuse. Ah ! n’en doute pas cher fils, c’est cette Providence qui veille sur tout, qui en nous procurant les besoins de la vie, veut encore nous y faire un sort heureux lorsque nous nous confions entièrement à elle. Rassure-toi de la crainte où tu parais être, que je me sois privée de mon sett,[6] pour te rendre maître d’en disposer en faveur de Mlle Baby. C’est avec plaisir que je te l’ai envoyé..........

« Cher Charles, je ne désire pas moins que toi un temps et des chemins favorables après votre union pour avoir le plaisir de te voir avec celle que Dieu t’a destinée, oh ! oui, qu’elle se joigne à la famille, et qu’elle vienne partager la tendresse avec laquelle je vous ai toujours tous chéris. Je termine ici ma lettre en te souhaitant tout ce que la tendresse maternelle peut et doit faire en cette circonstance, pour un enfant de qui la soumission et la tendresse ont toujours été la règle de conduite. Le jour de votre mariage, nous ne manquerons pas de prier pour vous : tous ceux de la famille qui pourront assister à la messe n’y manqueront pas. Crois-moi, cher fils, ta tendre et affectionnée maman.

« 20 octobre. »

Monseigneur Plessis bénit notre mariage qui fut célébré à la cathédrale de Québec, à six heures du matin, le 26 octobre 1824. Nos plus proches parents furent les seuls invités : du côté de votre père : M. Casgrain votre grand-père, M. et Mme Panet. De mon côté : mon père, mon frère aîné Jacques et ma tante Allison. Mgr Plessis, accompagné de son secrétaire, M. l’abbé Portier, nous fit l’honneur d’assister au déjeuner que nous prîmes à la résidence de mon mari, rue des Carrières.

À son retour à l’évêché, Monseigneur dit à une dame de la ville :[7] « Je viens de faire un mariage comme je voudrais qu’il s’en fît souvent. » Je crois que c’est le dernier qu’il ait fait, il est mort l’année suivante.

Je dois m’arrêter ici pour remercier Dieu de m’avoir choisi un mari entre mille, tel qui m’en fallait un pour traverser heureusement le chemin de la vie. Élevée en enfant gâtée par une excellente parente, ma tante Ross Lewin, je n’avais aucune notion d’économie domestique. Le ciel l’avait abondamment pourvu de cette qualité indispensable dans un ménage, et je me suis toujours appliquée à mettre ses leçons en pratique dans le but de lui être agréable. Persuadée depuis longtemps que sans piété on ne saurait être heureux dans le ménage, j’avais fermement résolu de n’épouser qu’un chrétien fervent. J’avais horreur d’un homme adonné à l’ivrognerie, et je disais en riant, que je n’épouserais qu’un jeune homme qui ne boirait que du lait ; et en cela comme en beaucoup d’autres sujets, le ciel m’a exaucée.

Comme votre père avait hâte de me présenter à sa mère, nous partîmes le lendemain de notre mariage pour nous rendre à la Rivière-Ouelle. Ce fut un festin continuel tout le long de la route ; car M. Casgrain votre grand-père, parti la veille, nous avait annoncés partout. Nous arrêtâmes à St. Michel, chez le docteur Maguire, marié à Mlle Justine Casgrain ; à St. Thomas, chez M. et Mme François Têtu ; à St. Jean, chez M. De Gaspé, mon cousin par son mariage avec Mlle Allison ; à St. Roch, chez le docteur Donnelly. Nous arrivâmes à la Rivière-Ouelle quatre jours après notre départ de Québec. Mme Casgrain me reçut dans ses bras, elle était malade depuis longtemps, et sentait que sa fin n’était pas éloignée. Son émotion fut telle qu’elle me dit, en me serrant sur son cœur : « Il y a des larmes de joie, comme il y en a de causées par la douleur. » Je compris avec satisfaction ce qu’elle voulait dire. Nous restâmes six jours auprès d’elle, et je connus alors pour la première et dernière fois cette femme aimante, distinguée entre toute par sa piété, son jugement droit et élevé. Elle aimait son fils Charles avec passion. Je l’ai vue, appuyer sa tête sur les genoux de celui-ci et lui adresser mille expressions de tendresse.

Votre père a hérité de toutes les belles qualités de sa mère, et c’est lui qui de tous ses frères lui ressemblait le plus par son caractère.

La mort de Mme Casgrain, arrivée le 13 mars suivant, plongea ses enfants dans la plus profonde tristesse ; elle était âgée de 48 ans et mourut en prédestinée, emportant avec elle l’estime et les regrets de tous ceux qui la connurent et surtout des pauvres dont elle était la bienfaitrice. Rien ne rappelle maintenant Mme Casgrain au souvenir de la génération qui s’élève. La demeure même qu’elle a habitée a été démolie. Mais en recopiant ces lettres, qui sont tout ce qui reste d’elle, afin de les transmettre à mes enfants, pour leur édification et leur profit, je sens un véritable bonheur à faire voir combien elles vérifient ces paroles du Saint roi David, que j’ai mises en épigraphe au commencement de ces mémoires : « In memoriâ æternâ erit justus », La mémoire du juste sera éternelle.




II


Séjour à Québec. — Résidence à la Rivière-Ouelle. — Mort de M. P. Casgrain.


Peu de temps après notre retour à Québec, dans une visite que nous fîmes à Mgr Plessis, cet Évêque enjoignit à mon mari de faire partie de la Congrégation de la Sainte-Vierge, en lui disant : « Charles, je t’ai marié, il faut qu’en retour que tu te joignes à la congrégation et fasses en sorte d’y faire entrer quelques autres de tes amis. Les villes prospèrent là où cette société fleurit. » Votre père y entra, et fut toujours un fervent congréganiste. Il récitait l’office de la Sainte-Vierge tous les dimanches matin ; et quand les aînés de nos enfants étaient en vacances, il psalmodiait l’office avec eux.

Au mois de mai 1825, nous quittâmes le logement que nous avions occupé jusque là. Cette maison, comme je l’ai dit, était située sur la rue des Carrières, faisant face au jardin du gouverneur. Nous prîmes possession de la maison de la rue Buade, dont votre père avait acquis la propriété, et qu’il avait fait réparer. Nous y demeurâmes tout le temps que nous avons séjourné à Québec. Charles et Philippe naquirent dans cette maison : le premier, le 3 août 1825 ; et le second, le 30 décembre 1826. Par une heureuse coïncidence, mon père se trouva à Québec lors de la naissance de Charles et en fut le parrain avec Mme Panet. À cette époque, il descendit à la Rivière-Ouelle avec votre père, qui lui fit faire connaissance de la famille Casgrain. Votre grand-père Casgrain étant malade cessa de tenir maison et vint passer l’hiver avec nous.

Au commencement du mois de décembre, mon mari partit de Québec avec M. Vital Têtu, dans le dessein de se rendre à Montréal ; mais arrivé à Yamachiche, ayant bu un verre de lait il se sentit glacé ; cependant il continua son voyage jusqu’à la Rivière-du-Loup chez Mme Vve Gagnon, aïeule de M. Ernest Gagnon, si bien connu aujourd’hui à Québec. Là il fut pris de la fièvre qui le tint jusqu’à la fin de janvier. Votre père conserva une vive reconnaissance envers cette excellente famille pour les soins et les attentions dont il fut l’objet pendant tout le cours de sa maladie, et je me plais aujourd’hui à vous rappeler le souvenir de cette dame et de ses deux enfants, Édouard et Henriette, avec lesquels je fis connaissance, dans le temps.

Sur ces entrefaites, ignorant comme moi la maladie de votre père, M. et Mme Panet m’engagèrent à les accompagner au lever du premier de l’an que le gouverneur lord Dalhousie tenait au château Saint-Louis. J’y fis la rencontre de plusieurs de nos amis qui s’informèrent de la santé de M. Casgrain. Je leur trouvai un air mystérieux, j’en fis la remarque à M. et Mme Panet, qui me dirent que l’on rapportait qu’il était malade à la Rivière-du-Loup. Vous concevez l’inquiétude que me fit éprouver cette nouvelle. Peu après je reçus une lettre de lui, en date du 6 janvier, où il raconte lui-même la cause de sa maladie :

« Il faut te dire, écrivait-il, que j’ai été parfaitement bien jusqu’à Yamachiche, où j’avais pris un verre de lait. Je m’aperçus que ce lait m’avait trop rafraîchi quoique je l’eusse bu avec beaucoup de plaisir. Arrivé à la Rivière-du-Loup, je me sentis plus mal… »

Et pour me donner le change sur la gravité de sa maladie, il égayait sa lettre par le badinage qui suit :

« Vraiment votre visite du premier de l’an à la comtesse m’a fort surpris. Je voudrais bien savoir ce que M. Panet prétend faire ? venir te débaucher pendant mon absence, c’est chose jolie, pour un congréganiste. Ah ! qu’il prenne garde ; à mon retour je veux le faire bannir de ce corps d’honnêtes gens. C’est un profane ; je ferai valoir contre lui la règle qui dit qu’un congréganiste ne doit pas fréquenter les assemblées mondaines, et surtout y mener les femmes des autres. Mais badinage à part, vous avez tous bien fait, et je suis tout réjoui que vous ayiez payé les devoirs que vous devez à la comtesse. Sais-tu ce que j’ai pensé quand tu m’as écrit cela ? j’ai pensé que c’était l’ouvrage de papa qui vous a mis dans le droit chemin. Une autre raison qui me porte à le croire, c’est que je sais combien il aime à vous voir bien mises, et surtout quand c’est à ses dépens ; car comment douter, connaissant sa générosité, qu’il ne se soit signalé dans une occasion aussi favorable. J’ai actuellement l’esprit et le cœur si soulagé depuis la réception de ta lettre, que je ne suis plus rêveur et pensif, comme tu dois supposer que je l’étais auparavant. Promets-moi, de ton côté, d’être tranquille et raisonnable. Croirais-tu que me doutant bien qu’on t’avait imprudemment informée de mon indisposition, que je pensais que tu te serais mise en chemin avec ton enfant. Si bien que, sans en parler à qui que ce soit, je croyais que tu devais être dans chaque voiture étrangère que je voyais arriver. Le bruit même des clochettes me portait je ne sais quel effroi dans le cœur, en pensant te voir arriver dans une saison aussi rigoureuse ; et en même temps j’éprouvais un sentiment contraire, en m’imaginant la satisfaction que j’aurais de te voir. Mais tout est pour le mieux, et je te sais gré d’avoir abandonné ce projet… »

Il se trompait néanmoins, car sur l’avis secret de ma tante Allison, j’allai le rejoindre avec mon petit Charles qui n’avait alors que cinq mois. Je trouvai votre père très-mal. Quinze jours s’étant écoulés, et voyant que les médecins ne pouvaient rien pour son rétablissement, il fit un vœu, et entre autres promesses, il s’engagea à faire avec moi un pèlerinage à la bonne Sainte-Anne-du-Nord. Le lendemain il fut en état de sortir, et le jour suivant nous partîmes pour Québec où il arriva heureusement. Il continua alors d’aller de mieux en mieux.

Une pauvre tasse de lait fut la cause de tout ce remue-ménage ; et si quelque malin lecteur vient à jeter les yeux sur ces pages (destinées à mes enfants seulement), sans doute il va s’empresser de dire qu’un verre d’eau-de-vie eût été préférable dans cette occasion pour M. Casgrain.

Dans l’été de 1826, nous allâmes à Toronto passer quelques jours avec mon père. Celui-ci était si avantageusement connu et si universellement estimé, que toutes les personnes marquantes de la ville, par égard pour lui, vinrent nous rendre visite ; aussi en fut-il très-flatté. Comme nous allions aux États-Unis, votre grand-père nous accompagna jusqu’à Niagara, et il nous dit adieu à Buffalo. Je me doutais peu que c’était pour la dernière fois que je l’embrassais. Après un court séjour à Saratoga, nous revînmes à Québec en septembre.

À la fin de cette année, votre père, que les exigences de sa profession fatiguaient beaucoup, et qui sentait d’ailleurs le besoin d’une vie plus tranquille, chercha à découvrir si je consentirais à laisser la ville pour aller demeurer à la campagne ; et dès qu’il eût l’assurance que ce changement me serait agréable, il se rendit à la Rivière-Ouelle, où il fit l’acquisition de l’ancien manoir de M. Perrault. Ce déplacement ne fut pas d’abord du goût de mon beau-père. Il avait, disait-il, fait beaucoup de dépenses pour aider son fils à embrasser une profession libérale et à s’établir à la ville. Il lui semblait que c’était peine perdue ; toutefois, nous passâmes outre, et nous n’avons pas eu sujet de regretter cette démarche.

Votre grand-père lui-même en fut satisfait dans la suite.

Au mois de mai 1827, nous laissâmes donc Québec pour venir prendre possession de cette demeure que nous avons habitée depuis. Alors votre père songea à tirer le meilleur parti possible de sa ferme. Peu à peu il l’agrandit et s’attacha à la cultiver avec intelligence, sans toutefois donner dans des améliorations trop coûteuses, qui eussent absorbé les revenus. Aussi avait-il le soin de se rendre compte de tout et de tenir avec soin, note des travaux qu’il faisait entreprendre, comme l’attestent les cahiers que j’ai encore en ma possession, où à côté des dépenses il indiquait les récoltes qui pouvaient les justifier. Non content d’avoir assigné la veille aux serviteurs et aux journaliers l’ouvrage qu’ils avaient à faire, il se levait à bonne heure, et après avoir donné à Dieu ses prémices, il voyait par lui-même si chacun commençait sa journée à l’heure précise.

Dans la belle saison, il parcourait ses champs à cheval ; et qui de vous n’a pas vu ou entendu parler de Pompée, ce beau cheval de selle, qu’il réservait pour son usage ou celui de ses amis ? M. l’abbé Bourret le connaissait bien.

Entre autre culture, celle de la patate fut particulièrement l’objet de ses soins. Ce légume était bien peu cultivé dans nos environs. Les pauvres surtout, auxquels il est aujourd’hui d’un si grand secours, n’en appréciaient point la valeur. À l’exemple de quelques agronomes, il en renouvela par la semence la graine, ce qui empêche la patate de dégénérer. Aussi tels furent ses succès qu’il put tous les ans se procurer le bois de chauffage et celui de clôture qu’exigeait cette grande ferme, en échangeant seulement une partie de cette récolte contre ce matériel. Aussi contribua-t-il à généraliser cette culture.

Mais bien qu’ainsi retiré au fond de la campagne, et tout occupé de l’exploitation de ses terres, il n’oubliait pas ses amis et n’en était pas oublié non plus. Il avait hérité de l’urbanité toute française de son père, et il eut voulu voir à sa table un ou deux convives tous les jours. Une de ses qualités sociales que je me suis plu à reconnaître, était l’hospitalité. Pauvre ou riche était également accueilli sous son toit ; et de même que sa mère pouvait dire de son mari, que jamais il n’avait été sourd à la voix du malheureux, je puis moi-même, mes chers enfants, attester à mon tour que jamais pauvre ne frappa à notre porte sans être accueilli. Votre père pouvait dire comme le saint homme Job : « La compassion a cru avec moi dès mon enfance, et elle est sortie avec moi du sein de ma mère. Je n’ai point fait attendre en vain la veuve, je n’ai point mangé seul mon pain ; mais j’en ai fait part à l’orphelin. L’étranger n’est point demeuré dehors, ma porte a toujours été ouverte au voyageur. »

J’aurai occasion, dans le cours de ce récit, de prouver avec quelle vérité on pouvait lui appliquer ces paroles.

Dans le cours de cette année (1827), M. Panet fit un voyage en Europe, et sur nos pressantes invitations Mme Panet vînt passer avec nous une partie du temps que dura l’absence de son mari, et c’est pendant son séjour à la Rivière-Ouelle, que naquit sa fille Rosalie, dont je fus la marraine, et qui en 1845 devint ma belle-sœur, par son mariage avec mon frère Charles. La mort l’a enlevée après dix mois d’union (20 mars 1846).

Dans le mois d’avril 1828 mourut notre beau-frère M. François Letellier de Saint-Just. Il avait su se concilier toute l’estime et l’affection de la famille Casgrain, et il la méritait bien. Je ne ferai que reproduire ici les lignes qu’une plume canadienne lui a consacrées : « S’il fallait décerner à sa mémoire l’éloge qu’il mérite comme notaire et comme légiste, je dirais que sa haute intelligence éclairée par des études consciencieuses lui valut bien des fois l’honneur d’être consulté par des hommes éminents. Des lettres attestent encore que de ce nombre était le célèbre avocat, Rémi Vallières de Saint-Réal. Ce mérite intellectuel de M. Letellier était rehaussé par un caractère probe, austère et qu’on aurait dit moulé sur l’antique. »

Dans le mois de mai de la même année mourut presque subitement à Saint-Michel notre autre beau-frère, M. Charles-Butler Maguire, médecin, ancien chirurgien de marine, que j’ai peu connu. Il avait épousé, en 1819, Mlle Justine Casgrain, aujourd’hui Mme P. Beaubien.

Le 24 août suivant naquit à Québec ma fille aînée, Marie-Élizabeth, chez ma tante Ross-Lewin, devenue alors Mme Cannon, chez laquelle j’étais allée passer quelque temps. À mon retour chez moi entra à notre service une excellente fille, Anastasie Madore qui a toujours demeuré avec nous depuis, en qualité de bonne des enfants. Son attachement, sa fidélité, son dévouement, en ont fait en quelque sorte un des membres de la famille. Parvenue à un âge avancé, elle continue d’employer le reste de ses forces à nous rendre les services que lui permettent les infirmités de ses vieilles années. Qu’elle reçoive aujourd’hui de ma part et de la vôtre ce témoignage de notre affection et de notre intérêt à son égard. Ce n’est pas la faible rémunération que nous lui avons donnée, qui pourrait payer un tel attachement : les services du cœur ne peuvent se payer que par le cœur. Si d’un côté elle a toujours témoigné à mes enfants une tendresse qui dégénérait presqu’en faiblesse, de l’autre, elle a su aussi par là se concilier de leur part la plus vive affection.

À la fin de cette même année une nouvelle tombe s’ouvrit pour nous. Nous eûmes la douleur de perdre le chef de la famille, M. Pierre Casgrain, mon beau-père, qui mourut à Québec le 17 novembre 1828, chez son gendre M. Philippe Panet.

Voici ce que m’écrivit votre père dans cette pénible circonstance :

« Québec, 17 novembre 1828,
1 heure p. m.


« Ma très-chère Elisa,

« Tu ne seras pas surprise d’apprendre que notre père, notre très-cher père, n’est plus ; il est décédé ce matin à dix heures et demie, avec le plus grand calme et la plus grande résignation. Depuis longtemps et depuis plusieurs jours surtout, il s’est préparé à la mort avec ce degré de religion qui nous donne la consolation de croire que Dieu lui aura fait miséricorde..........

« Que te dire de notre affliction, nous avions le meilleur des pères, nous n’étions point de mauvais enfants, et nous l’avons perdu, ô mon Dieu ! jettez des yeux de miséricorde sur lui et sur nous !..........

« Un service aura lieu ici mercredi à 10 heures, et le convoi partira immédiatement après pour la Rivière-Ouelle, où il arrivera jeudi ou vendredi matin. »

M. Casgrain fut inhumé dans l’Église de la Rivière-Ouelle sous son banc seigneurial, à côté de Mme Casgrain.

Voici les souvenirs qui me restent de la personne de votre grand-père. C’était un fort bel homme, d’une haute taille, un peu replet, d’une physionomie douce ayant toujours le sourire sur les lèvres. Il avait le regard très-fin, la parole un peu embarrassée par un léger grasseyement, et par cet accent particulier aux personnes qui parlent du bout de la langue. Le côté le plus saillant de ses facultés était cet esprit d’entreprise, cette intelligence ou plutôt cette intuition des affaires qu’on remarque chez ceux qui font des fortunes rapides. Il n’est pas besoin de vous rappeler que M. Casgrain avait d’abord parcouru les deux rives de notre fleuve, comme marchand ambulant. Il avait fait partie de cette classe de petits négociants devenus si rares de nos jours, et qu’on désigne sous le nom de porte-cassettes. Ne rougissant pas de l’origine de sa fortune, il garda longtemps chez lui la cassette qui lui avait servi autrefois. Sa conversation comme son caractère étaient très-enjoués. L’isolement où il se trouvait à la campagne n’offrant à son amour pour la société qu’un cercle bien restreint, lui faisait rechercher avec avidité la compagnie de ses amis et même des étrangers qu’il invitait à sa table le plus souvent qu’il pouvait. Un officier anglais qui avait reçu l’hospitalité chez votre grand-père en 1816, raconte ainsi les impressions de sa visite :

[8]« The next evening, 17th july 1816, brought me to the village of Ouelle, situated on the right bank of a river so called. I had a letter to the seigneur M. Casgrain, whom I found near the ferry, busied among his workmen, in the superintendance of a new bridge to supply the place of the ferry. He received me very politely and having conducted me to a neat house facing the stream, invited me to his family supper, which in Canada as well as in the States is formed by a combination of the tea equipage with the constituent parts of a more substantial meal. He introduced me to his architect whose appearance well answered M. Casgrain’s description of « rusticus, abnormis, sapens. » The whole of his workmen, forty-five in number, were according to the custom of the country boarded and lodged in his house, and I must do them the justice to say forty-five quieter people never lodged beneath a roof. Early hours being the order of the day we retire to rest at nine o’clock. After an early breakfast, a relation of my host took me in his caleche to visit a porpoise fishing in the neighbourhood… »

Le caractère de Mme Casgrain formait contraste avec celui de son mari. Ils avaient cependant de commun une égale beauté de figure. C’était un bien beau couple.

D’une intelligence plus élevée que celle de son mari, sa causerie plus sérieuse offrait à la fois le charme de la femme du monde et de la femme pieuse. L’honorable Auguste Quesnel disait de Mme Casgrain qu’elle faisait les honneurs de son salon avec l’aisance et la dignité d’une reine, elle brillait autant par sa haute raison et par la rectitude de son jugement que par l’amabilité et la grâce de ses discours. Mais en même temps elle était aussi bien à sa place, aussi dame à sa cuisine, surveillant ses domestiques, qu’au milieu de la meilleure société. Comme la femme forte dont elle était l’image, rien n’échappait à sa vigilance, et elle possédait le don si difficile et si rare de faire régner l’ordre le plus admirable dans sa maison, sans avoir l’air d’y toucher, comme on le dit communément.

Voici un petit exemple de la manière ingénieuse avec laquelle elle savait tirer parti de tout.

M. Casgrain avait à côté de son magasin une salle attenante, où chacun attendait son tour pour faire des achats ou régler ses comptes. Mme Casgrain avait le soin d’y placer des tricotages, et lorsque les femmes des cultivateurs y venaient attendre, elles s’emparaient de ces tricots pour passer le temps, et ainsi l’ouvrage se faisait.

Dans les dernières années de sa vie, qui ne furent qu’un long martyre, elle avait fait placer son lit dans son salon, d’où elle distribuait ses ordres, et où elle recevait ses visites avec une sérénité qui charmait ceux qui approchaient de son lit de douleur. Trente-sept ans plus tard, M. l’abbé Gosselin, qui alors (1825) était vicaire de Mgr Panet, à la Rivière-Ouelle, me racontait qu’il fut appelé pour l’assister pendant une de ses longues agonies qu’elle eut avant de mourir. Après avoir écouté quelques paroles d’exhortation, elle se mit à lui répondre avec des sentiments de piété si tendres et si touchants, qu’il fondit en larmes. Elle lui dit d’un ton de reproche : « Vous n’êtes pas un bon soldat de Jésus Christ ; je vous ai fait appeler pour me fortifier, et vous vous attendrissez. » Telle était votre grand’mère dont je ne puis me lasser de vous faire admirer la belle et grande âme.[9]

L’année 1829 n’offre rien de remarquable, hormis le mariage de Mgr Maguire avec M. le Dr Pierre Beaubien, sur lequel un triste accident vint jeter un voile de deuil. M. Charles Têtu avait alors pour commis un jeune homme de vingt-quatre ans, aimable, poli, se faisant estimer de tout le monde : c’était son frère George. Vu l’intime liaison des deux familles Casgrain et Têtu, ce jeune homme avait été invité au mariage avec les autres membres de la famille. On était au 5 mai, il faisait un temps superbe, la matinée était délicieuse. Votre père, en compagnie de Mme Letellier sa sœur, allait de son côté partir pour Québec, où les noces devaient avoir lieu, chez M. Philippe Panet, au Bocage,[10] quand tout-à-coup on vint nous annoncer la triste nouvelle que le jeune Têtu venait de se noyer. Tout joyeux le matin même, il essayait des habits neufs commandés tout exprès pour la circonstance, et avait refusé de faire le trajet par terre, afin d’avoir le plaisir de monter à Québec dans une goëlette qu’il avait achetée quelques jours auparavant. Mais justement à la sortie de la Rivière-Ouelle, comme il puisait de l’eau, il tomba par-dessus le bord et ne reparut plus !

Jugez de notre consternation ! Votre père se rendit de suite à Saint-Thomas pour annoncer ce funeste évènement à la famille Têtu, et m’écrivit la lettre suivante qui donne la mesure de sa sensibilité :

« Saint-Thomas, 6 mai, 8 h. du soir
« Chez M. le curé Beaubien.

« Je suis seul en ce moment, ou plutôt je suis au milieu de vous tous, témoin de la scène affligeante, cruelle et déplorable qui a eu lieu sous nos yeux, ce matin ! ! Quelle catastrophe, quel malheur, quelle perte cruelle ! ! Mon âme est encore toute bouleversée, et depuis que je vous ai quittés je n’ai eu l’imagination occupée que de la perte immense que nous avons faite dans la personne de notre cher cousin George. Cette triste idée me poursuit partout. Que ne nous est-il donné de rappeler à la vie ceux qui nous sont chers ; mais hélas ! désirs superflus ! ou peut bien réparer la perte d’une fortune, ou un autre malheur, mais la vie est entre les mains de Dieu qui la donne et l’ôte quand il lui plait. Ce n’est pas chose en notre pouvoir de la donner à ceux qu’il en a privés. Que son saint nom soit béni, et que sa sainte volonté soit faite ! Prions-le qu’il le reçoive dans son sein, et le juge dans sa miséricorde qui est sans borne.

M. le curé Beaubien, chez qui nous sommes arrivés à six heures du soir, est allé annoncer la nouvelle foudroyante à notre chère tante Têtu et à la famille. Mme Letellier l’a suivi de près, lui donnant le temps de remplir ce pénible devoir avant mon arrivée. Quant à moi, je sens que je ne puis supporter aujourd’hui une scène telle que sera la rencontre que je dois faire demain avec la famille. Je prie Dieu qu’il donne à ma tante Têtu la force, le courage et la résignation nécessaires dans une aussi triste circonstance. »

Le mariage eut lieu quelques jours après, mais sans aucun éclat comme on peut bien le penser.


III


Entrée de M. Casgrain au Parlement — Sa correspondance — John Bowthorp — Mme Ross-Lewin.


Le 6 avril 1830 naquit Auguste, mon troisième fils.

Dans le mois de juillet, le roi Georges IV étant mort, le parlement canadien fut dissout, ce qui donna lieu à de nouvelles élections. À cette époque nous nous trouvions à Québec, votre père et moi, et il fut vaguement question de le porter candidat pour le comté de Kamouraska. À notre retour à la Rivière-Ouelle, sur la réquisition formelle d’un bon nombre de ses amis, votre père accepta cette candidature. Comme il fallait alors pour chaque comté deux représentants, M. Amable Dionne fut choisi pour son collègue. Tous deux crurent d’abord qu’ils n’auraient pas d’opposants, mais peu après M. Marquis de la paroisse de Saint-André, et M. Bédard avocat de Québec, se mirent sur les rangs. L’élection eut lieu dans le mois de septembre ; MM. Dionne et Casgrain sortirent victorieux de la lutte, et furent proclamés représentants du comté de Kamouraska le 30 septembre 1830. On contesta l’élection, et il fut tenu à cet effet une cour d’enquête à Kamouraska, où toutes les minuties dont la loi est susceptible en pareil cas furent mises en œuvre. On transféra ensuite tout le dossier au Parlement, où lecture s’en fit en français, non pas en comité mais séance tenante. Or il y avait en chambre un vieux représentant anglais, le bonhomme Dunlop, comme on l’appelait ordinairement, qui ne comprenant mot à la langue française, et entendant souvent répéter les noms unis ensemble de Dionne et Casgrain, se prit à dire tout-à-coup, d’un ton élevé : « Well, that Johnny Casgrain must be a very active fellow, since his name comes so often ; he is everywhere !  » ce qui excita au plus haut degré l’hilarité de toute la chambre.

Toutefois l’élection fut maintenue, et c’était disait-on alors la première élection contestée qui l’eût été depuis la constitution. C’est ainsi que votre père entra dans la vie publique. Mais pour lui, comme pour bien d’autres, tout n’y fut pas rose, souvent il se prenait à regretter les joies tranquilles de son foyer et les douceurs de la vie de famille, comme l’attestent plusieurs passages de ses lettres, probablement écrites sur son pupitre parlementaire.

« Si j’étais à mon choix, écrivait-il, je serais au milieu de vous, au lieu de m’ennuyer ici ; ma consolation est de t’écrire ; au lieu de sortir et de me dissiper, je préfère rester à la maison et vivre aussi retiré que possible. La semaine, il y a à s’occuper, mais les dimanches sans occupations, et loin de ce que j’ai de plus cher au monde, les journées pèsent et ne finissent plus… Personne ne devrait me plaindre, je suis la cause de mon sort. »

Favorablement connu à Québec, M. Casgrain aurait pu fréquenter les salons où se réunissait l’élite de la société de cette ville, et ainsi secouer son ennui ou du moins l’alléger ; mais rien ne lui répugnait plus que les bals et les soirées. Aussi n’acceptait-il d’autres invitations que celles où on le demandait à dîner, et lorsque les convenances l’y contraignaient ; encore s’en plaignait-il.

« J’ai été dîner jeudi au château, plutôt par raison que par plaisir. Nous avons eu un assez bon dîner, c’est-à-dire plus adapté aux yeux qu’au goût. J’avais pour un de mes voisins le curé Maguire, et de l’autre côté vis-à-vis de moi M. Turgeon[11] ; ce qui m’a procuré une conversation agréable. Nous avons dîné dans le vieux château, dans la grande salle de danse. Il pouvait y avoir une centaine de convives, parmi lesquels étaient divers officiers de l’état-major et des autres départements militaires. La bande de musique jouait à l’orchestre pendant le repas ; à la fin duquel il a été proposé par son excellence diverses santés, entre autres : celle du roi, de la reine et de la famille royale et des colonies britanniques, dans l’Amérique du Nord. Lord Aylmer a été très-gai et très affable. J’en suis parti à neuf heures et demie, tout en regrettant au lieu de cet étalage et de ce luxe mon dîner de famille…

« J’ai reçu une autre invitation pour jeudi prochain, de la part de lady Aylmer pour un at home à huit heures et demie. Elle a oublié que ce jour était celui de la Conception de la Sainte-Vierge. Au reste, malgré le respect que je lui dois, je n’irai certainement pas. »

Comme on le voit, le caractère sérieux de votre père ne se démentait pas ; et les devoirs que lui imposait son mandat étaient les seules distractions qui allégeaient la peine qu’il ressentait de s’être volontairement éloigné de sa famille. Je dis la peine, car les quatre années qu’il passa en chambre furent, comme il le dit lui-même, semées d’épines. Il lui en coûtait toujours de laisser le vieux manoir si tranquille de la Rivière-Ouelle, pour se rendre aux longues et orageuses sessions du parlement. Dans les nombreuses lettres qu’il écrivait pendant ces absences, il revenait sans cesse sur la résolution qu’il avait prise de ne plus se mêler à la politique, où son caractère franc et ennemi de l’intrigue trouvait si peu de bonne foi, tant d’égoïsme, et un manque déplorable de vrai patriotisme chez ceux-là même qui en faisaient le plus de montre.

« Je t’assure, m’écrivait-il, que d’un jour à l’autre je fais de nouvelles et plus fortes résolutions que jamais de ne point mettre le pied dans la chambre, une fois que j’en serai dehors. J’en veux presque à Pierre et à Charles[12] de m’avoir encouragé à partir ; mais me voilà rendu, et il me faut aller jusqu’à la fin. Tout ce que je puis dire, c’est que je compterai non pas seulement les jours mais les heures qui me tiendront éloigné de ce que j’aime…

« Que celui-là est heureux qui loin du tumulte et de l’embarras des affaires, vit tranquille au sein de sa famille. Mon bonheur n’a été troublé que depuis que je me suis mêlé de ces misérables affaires politiques qui ne conviennent ni à mon caractère, ni à mes dispositions. Certaine femme que je connais bien me l’avait prédit, mais il y a une espèce de fatalité qui entraîne malgré soi. »

Mais ce qui contribua surtout à le dégoûter de la politique, ce furent les difficultés qu’il vit naître à cette époque entre le Canada et la Grande Bretagne. Loyal sujet de l’Angleterre, il voulut être fidèle à son roi ; mais il lui en coûtait beaucoup, d’être obligé de se déclarer contre des noms aussi connus que ceux des Bourdage, des Papineau et autres ; il le fit pourtant, et vota contre les 92 résolutions. Conservateur modéré, il s’efforça de montrer, dans toutes les occasions, que soumis à l’autorité établie, qu’il avait acceptée franchement en entrant au parlement canadien, il devait plutôt chercher l’intérêt de notre pays dans les moyens de conciliation que dans les mesures de violence. C’est pourquoi, regrettant les difficultés que M. Papineau et ses amis avaient fait naître dans notre législature, au sujet de certains griefs dont nous avions raison de nous plaindre, mais qui auraient pu être redressés aussi bien, si les moyens employés eussent été mieux calculés et moins fougueux de leur nature ; témoin ensuite des tristes résultats que ces difficultés avaient produits dans le district de Montréal, il essaya d’en paralyser les effets dans les comtés situés en bas de Québec. Nous verrons plus tard que ce fut lui qui fut le principal moteur de la démonstration amicale que toutes les paroisses du bas du fleuve firent en 1837 et 1838 aux troupes anglaises, lors de leur passage d’Halifax à Québec.

Mais les dégoûts que M. Casgrain rencontra dans sa courte carrière politique ne l’empêchèrent pas de veiller avec soin aux intérêts de son comté. À cette époque, la misère était extrême dans tout le district de Québec : on proposa en chambre une mesure pour obtenir du gouvernement un octroi afin de soulager les pauvres de cette localité. Comme vous pouvez le penser, mes chers enfants, votre père saisit avec avidité cette occasion de déployer son ardente charité. Mais aurait-il pu agir autrement, lui qui dans ses lettres me recommandait à chaque instant de prendre soin des pauvres ; lui qui m’écrivait à cette époque même : « Les détails navrants que Charles Têtu me donne de la détresse de nos pauvres, me déchirent le cœur ; je considérerais comme un grand malheur, si quelqu’un d’eux mourait. » Lui qui plus tard encore, au milieu d’affaires épineuses qui absorbaient tout son temps, ajoutait ce postscriptum, au bas de l’une de ses lettres : « Aies soin de nos pauvres ; fais quelque chose de plus que d’ordinaire pour moi, car je ne vis que pour les affaires actuellement, je ne fais aucune bonne œuvre. » Non, certes ; aussi réussit-il quoique difficilement à obtenir, de concert avec M. Amable Dionne, son collègue, pour les pauvres du comté de Kamouraska, la somme de £512, dont £187 pour la seule paroisse de la Rivière-Ouelle.

Parmi d’autres mesures qu’il n’est pas nécessaire de rapporter ici, et qui n’ont qu’un intérêt local, je dois mentionner l’acte d’incorporation du collège de Sainte-Anne qu’il fit sanctionner par la législature en 1832.

Comme le parlement finissait en 1834, votre père laissa la vie politique. Ce fut pour lui une véritable sortie d’Égypte, et même quelque chose de plus ; car les Israélites en regrettèrent les oignons ; mais quant à votre père, je puis vous assurer qu’il ne regretta jamais rien de toutes les sessions parlementaires ; mais qu’au contraire, il conserva toujours une aversion marquée pour tout ce qui y avait rapport.

Puisque j’écris pour votre instruction, je veux vous citer un passage d’une lettre que le père de Ravignan écrivait à sa sœur, qui tout en s’appliquant particulièrement à la situation où se trouvait votre père, sera pour vous-mêmes, mes chers enfants, une utile leçon. Voici ce passage dont la pensée première s’est souvent offerte à mon esprit, mais que je n’ai jamais vue si bien formulée :

« Ne regrettons pas l’habitation des villes, et les avantages d’une brillante fortune ; une aisance honnête, la vie de la campagne, un entourage de bons paysans, la société de quelques amis et parents chrétiens, des occupations utiles et réglées, et la pratique de la religion : tout cela ne constitue-t-il pas suffisamment le bonheur et même le seul bonheur sur la terre, si surtout nous savons descendre au fond de notre cœur, et là nous entretenir seul à seul avec Dieu, dans le silence, et quelques fois aussi nous nourrir de pieuses et solides lectures. En résumé la campagne avec le sentiment religieux, une famille, quelques amis et le pain de tous les jours, c’est ce que le monde offre de meilleur ; le reste n’est que tourment d’esprit, mirages perfides, vains bruits, ombre plus vaine encore. »[13]

Oh ! mes chers enfants, votre père l’avait bien apprécié ce bonheur que procure l’honnête aisance, embaumée du parfum des pratiques de notre sainte religion, lorsqu’il m’écrivait :

« Élève vers le Ciel, avec moi, des sentiments de reconnaissance pour les bienfaits et les jouissances qu’il nous procure ; et, quoique notre vie soit semée de petits chagrins et contretemps que Dieu nous ménage dans sa miséricorde, quels sont ceux plus heureux que nous et qui doivent plus à la divine Providence. Si nous sommes particulièrement favorisés, nous devons être particulièrement reconnaissants. Rendons-nous dignes des bontés de Dieu et prions-le de continuer de répandre ses bénédictions sur nous, sur nos chers enfants, et sur notre famille en général. »

Belle prière, qui a été entendue du haut du ciel et qui déjà a produit ses fruits pour un bon nombre d’entre vous !

Le cours d’économie politique que votre père a suivi pendant les quatre années qu’il fut au parlement, cours bien trop long à son avis m’a fait passer par-dessus certains événements que je dois relater.

Le 16 de décembre 1831 naquit votre frère Raymond.

Dans l’année 1832, si remarquable par la première apparition du choléra qui décima la population de nos villes, eût lieu le 22 mai le mariage de mon beau-frère M. Olivier-Eugène Casgrain, seigneur de Notre-Dame-de-Bon-Secours de l’Islet, âgé de 20 ans, avec Mlle Hortense Dionne, âgée de 15 ans, fille de l’honorable Amable Dionne. Ils passèrent une année avec nous, et leur fils aîné Eugène naquit ici à la Rivière-Ouelle le 23 février 1833. À la même époque, j’appris la triste nouvelle de la mort de mon père, Jacques Baby, arrivée à Toronto le 19 février 1833.

Séparée de lui dès le bas-âge, et ne le voyant qu’à de rares intervalles je n’avais pas avec lui cette familiarité qu’ont les enfants élevé auprès de leurs parents, ce qui cependant ne diminuait en rien mon amour filial. On me taxerait d’exagération, si je retraçais ses belles qualités telles qu’elles m’apparaissent. Mais ce tableau venant d’une main étrangère, d’un de ses amis M. Strachan, évêque anglican de Toronto, le fera connaître tel qu’il était. Je renvois à la fin de ce volume la notice qu’il en a écrite.

Une nouvelle naissance vint signaler l’année 1833. Le 8 de septembre naquit votre sœur cadette Suzanne. Douée de beaucoup de jugement, elle était aussi remarquable par ses qualités utiles et agréables dans le commerce de la vie que par sa piété exemplaire et ses autres vertus. Elle joignait à un esprit d’ordre, beaucoup d’adresse et de dextérité pour les ouvrages de notre sexe ; avec cela elle était d’un caractère doux et obligeant, et d’une exquise sensibilité.

Mariée le 23 juillet 1861, à Charles-Alphonse-Pantaléon Pelletier, avocat, ils jouissaient tous deux d’un bonheur parfait. Hélas ! il ne fut que d’une courte durée. Elle nous fut enlevée le 12 juin de l’année suivante, à la suite de la naissance de son premier enfant qu’elle m’a légué en mourant, et dont j’ai pris soin depuis cette époque. C’est le petit Oscar. Elle repose dans le cimetière de la Rivière-Ouelle, où son mari qui s’est montré le modèle des époux, lui a fait élever le petit mausolée que vous y voyez.

En 1834 le choléra qui sévissait au Canada pour la seconde fois, nous enleva Mme Johnston, née Marguerite Casgrain, l’unique sœur de votre grand-père. Veuve, ayant perdu tous ses enfants, elle vint se retirer avec nous durant l’année 1829, et votre père eut toujours pour elle les plus grands égards. Aussi bonne qu’elle était laide, et ce n’était pas peu dire, elle s’était faite l’amie de tous les enfants, les rassemblait autour d’elle le soir, dans les longues veillées d’automne et d’hiver ; et se plaisait à leur répéter des contes qu’elle narrait si bien qu’à l’entendre sans la voir, on eût cru qu’elle les lisait dans un livre. Les aînés d’entre vous se rappellent encore avec plaisir son affabilité, et les instants heureux qu’elle a procurés à leur enfance. Quand elle mourut elle était âgée de près de 72 ans.

Le 31 juillet 1835 vit naître votre sœur Julie,[14] la favorite d’un vieux serviteur, qui entra dans notre famille dans le mois de décembre suivant, et dont je vais raconter l’histoire.

L’automne de 1835 fut fécond en naufrages dans notre fleuve. Un navire entre autres du nom de Eagle fut pris au milieu des glaces entre la Rivière-Ouelle et la Rivière-du-Loup. L’équipage parvint à se sauver en sautant de glaçons en glaçons, et mit pied à terre à l’endroit appelé : Pot-à-l’eau-de-vie, sur l’Isle-aux-Liévres.

C’était dans les premiers jours de décembre ; il faisait un froid intense. Les naufragés firent un grand feu sur le rivage, autant pour se chauffer que pour donner signal de leur triste position aux habitants de la côte du Sud. Un brave cultivateur, nommé Charles Pelletier, avec un courage au-dessus de tout éloge, entreprit d’aller à leur secours. Il partit en chaloupe le 8 de décembre, avec quelques autres hommes, et réussit à ramener les naufragés sur la terre ferme. Cette action héroïque lui valut une médaille d’or de la part du bureau de commerce de Québec, et il fut toujours connu depuis sous le nom de Pelletier la médaille. Dans le cours de l’automne, votre père apprenant le grand nombre de désastres qui avait eu lieu, et sachant que la plupart des naufragés devaient remonter à Québec, avait donné avis au gardien du pont de la Rivière-Ouelle, Aristobule Gagnon, de les faire arrêter chez nous, particulièrement tous ceux d’entre eux qui ne parleraient que l’anglais. Ce fut ainsi que neuf matelots de l’équipage de l’Eagle mentionné plus haut, vinrent nous demander asile. Parmi leur nombre se trouvait un anglais du nom de John Bowthorp, qui avait reçu une blessure affreuse à la jambe, au moment de leur descente dans l’Isle-aux-Lièvres. Comme cet infortuné était incapable de faire aucun mouvement, ses camarades furent obligés de le transporter dans leurs bras de la voiture à la maison. Ils racontèrent à votre père que pendant qu’ils étaient occupés à construire une cabane pour se mettre à l’abri du froid, John s’apprêtait à couper un arbre, lorsque le mate, armé d’une petite hache, lui dit : Take care, John, I’ll cut it myself et au même instant, il voulut frapper l’arbre, mais le coup fut détourné par la rencontre d’une branche et la hache alla s’enfoncer jusqu’à l’os dans la jambe de l’infortuné matelot, en lui faisant une entaille de plus de quatre pouces de longueur.

Le froid qu’il eut à souffrir pendant les quelques jours qu’il séjourna dans l’île, avec ses compagnons, envenima cette plaie et lui fît contracter de plus une inflammation de poumons qui le rendit gravement malade. C’est dans cet état qu’il nous arriva.

Touché de compassion, votre père me dit : « Il est certain que ce malheureux va mourir avant d’arriver à Québec, nous devrions le garder. » Je m’empressai d’y consentir.

Depuis ce jour, votre père se constitua lui-même son médecin et le soigna avec une charité vraiment admirable, aidé des conseils du docteur Brassard. Trois fois par jour pendant plus de trois mois, il pansa sa blessure, lui ôtant et lui appliquant les bandages de ses propres mains avec les soins délicats d’une sœur de charité.

John avait un caractère stoïque revêtu au plus haut degré du flegme anglais. Chez lui jamais de plainte. Cependant on ne saurait croire l’impression que produisit sur lui un pareil traitement. Sous la rude écorce du matelot anglais, il cachait un cœur sensible, et des sentiments bien au-dessus de sa position. Au témoignage de ses camarades, et suivant l’expression de l’un d’eux : « He was the best sailor on board. » Natif du comté de Norfolk en Angleterre, il était parti enfant de chez ses parents ; s’était d’abord engagé dans une ferme, et plus tard à bord d’un vaisseau comme mousse, et depuis avait voyagé sur mer pendant 26 ans, durant lesquels il avait parcouru toutes les parties du monde.

Ainsi accueilli, John conçut de l’attachement pour la maison, et dès qu’il put marcher il essaya de se rendre utile, et montra surtout de l’aptitude comme groom. Ce que voyant votre père, il lui demanda un jour s’il n’aimerait pas à demeurer avec nous. John accepta, et n’a plus depuis quitté notre toit.

La charité que votre père déploya dans cette occasion reçut sa récompense dès ce monde, car John fut toujours pour nous un domestique fidèle, dévoué, honnête et d’une ponctualité toute militaire. Voici un trait qui montre son respect pour moi : comme il aimait beaucoup la lecture des journaux et que d’ailleurs il ne manquait pas d’une certaine instruction, j’avais souscrit, par égard pour lui, au journal anglais le Transcript ; eh bien, jamais il n’eut pris ce papier pour le lire, avant que je n’en eusse brisé moi-même l’enveloppe.

Comme je l’ai dit plus haut, il affectionnait beaucoup votre sœur Julie, qu’il avait bercée. Par les petits soins qu’elle sut lui prodiguer en grandissant, elle annonçait déjà sa vocation de sœur de charité, et lorsqu’elle laissa la maison pour toujours, il disait dans son mauvais français : Cé le meilleur poteau de la maison cé parti.

Par une singulière coïncidence, ce bon et fidèle serviteur mourut le même jour que votre sœur Julie prononça ses vœux au couvent des Sœurs-Grises de Montréal, le 24 octobre 1860.[15]

Encore une naissance, nous n’en sommes cependant rendus qu’à la moitié. C’est celle de votre frère William, arrivée le 5 avril 1837. Ici se rattache encore le souvenir d’une personne, intimement liée à la famille, par l’affection qu’elle nous a montrée et surtout à William dont elle a pris soin dès sa naissance. Je veux parler de Léocade Anctil dite Saint-Jean, entrée chez nous en 1834 et qui s’est rendue tellement utile que je l’ai toujours considérée comme nécessaire à la bonne tenue de ma maison. Votre père disait que les parents de Léocade avaient su élever leurs enfants comme on le faisait à Lacédémone, où on leur apprenait que le devoir passait avant tout. Ses parents étaient des cultivateurs aisés. Ils demeuraient à deux lieues et demie de l’église, car, en ce temps là, la Rivière-Quelle comprenait une partie de Saint-Denis, de Saint-Pacôme et de Mont-Carmel. Ce fut pour s’approcher de l’église que Léocade est venue chez nous. Je n’en dirai pas plus, mes enfants, vous la connaissez tous ; vous savez qu’elle est de beaucoup au-dessus de la position à laquelle elle a voulu s’assujettir ; qu’elle est pour ainsi dire, l’expression même de l’ordre et de l’économie ; que, sans elle, je puis le dire, je ne sais pas comment il m’eût été possible de soutenir convenablement l’état de ma maison. En un mot, telle a toujours été sa supériorité, qu’elle a su s’attirer notre respect sincère, et l’estime générale de la paroisse. Telle était la confiance que votre père reposait en elle, qu’il disait que si Léocade devenait incapable de marcher, il la ferait asseoir, dans un fauteuil, dans la cuisine, où sa présence seule maintiendrait le bon ordre. J’espère donc que vous continuerez d’avoir pour elle les mêmes sentiments, car maintenant, quoiqu’il arrive, elle ne saurait faire autrement que de les mériter toujours.

Un voyage que je fis à cette époque à Saint-Thomas, où j’allais, accompagnée de Léocade, comme bonne de mon bébé William, afin de dire adieu à ma tante Cannon qui partait pour le Haut-Canada, me fournit ici l’occasion de payer à cette dernière un tribut de reconnaissance.

Comme je dois beaucoup à la mémoire de ma tante Cannon pour la tendresse qu’elle m’a toujours témoignée et pour les soins qu’elle a prodigués à mes jeunes années, il m’est doux et agréable d’acquitter cette dette de gratitude et de transmettre son nom à votre souvenir. Cette sœur de mon père avait épousé le major Ross-Lewin qui était le roi des hommes pour la bonté.

J’étais âgée de sept ans, lorsque mon père me fit descendre de Sandwich à Québec, heureux qu’il était de me confier à leurs soins, afin de me procurer une éducation chrétienne et catholique (ma mère était protestante). Comme ma tante n’avait pas eu d’enfants, elle reporta sur moi toute l’affection possible, et je dois dire ici, en justice, que rarement enfant fut entourée de plus de soins par ses propres parents. Je suis restée avec elle, jusqu’à mon mariage.

Devenue veuve en 1822, Mme Ross-Lewin épousa M. John Cannon en 1827. À la mort de celui-ci en 1833, elle vint demeurer dans le village de St. Thomas. Plus tard, désirant finir ses jours, dans les environs du Détroit, où elle était née, elle fit choix de votre père, pour lui faire une donation de tous les biens immeubles qu’elle possédait à Québec et dans les environs, à condition par nous de lui payer une rente annuelle et viagère de £200. Elle avait donné son affection et sa confiance à votre père à cause des bons procédés dont il avait usés envers elle, et de la régularité et de l’exactitude qu’il montrait dans le maniement des affaires. Cette donation fut faite en 1837 et ma tante partit pour le Haut-Canada le 21 août de cette même année, se fixa à Amherstburg, sur la Rivière-du-Détroit, où elle termina ses jours le 23 février 1850, âgée de 76 ans.

La lettre suivante du Père Maurice, prêtre missionnaire de l’endroit, est le digne panégyrique de cette femme dont la vie s’est passée à faire le bien.

« Madame

« Je suis chargé de vous annoncer une nouvelle tout à la fois triste et consolante. Samedi dernier, vers les six heures du soir, la bonne dame Cannon s’est endormie dans le Seigneur et est allée au ciel jouir d’une meilleure vie. Depuis longtemps déjà son âge, ses infirmités toujours croissantes, nous faisaient pressentir cet événement comme non éloigné. Aujourd’hui nos craintes sont réalisées. La bonne tante n’est plus de ce monde, mais l’assurance comme certaine que nous avons de son bonheur dans l’autre, nous console et adoucit notre douleur..........

« ..........La mort de Mme Cannon a vraiment été une mort précieuse aux yeux de Dieu et édifiante pour ceux qui en ont été les témoins. Sans entrer ici dans les détails qui, je pense, vous seront donnés plus tard, je me contenterai de vous dire que depuis le premier instant où elle a ressenti les atteintes de sa maladie jusqu’au moment de sa mort, ses yeux, ses lèvres et son cœur ont été comme collés à son crucifix. Pouvant à peine se faire entendre à cause de la paralysie qui lui était tombée sur la langue, elle exprimait par ses actions ce qu’elle ne pouvait dire par ses paroles, et remplissait tout le monde d’admiration par la foi si vive et si pleine de confiance qu’elle témoignait en Jésus-Christ crucifié.

« Elle a reçu à temps tous les sacrements de l’Église, arrangé toutes ses affaires temporelles et conservé jusqu’au dernier instant une connaissance parfaite. Une chose lui manquait cependant, c’était de vous voir auprès d’elle ; elle n’a cependant pas oublié les absents à qui comme aux autres elle a laissé sa bénédiction, avant de donner son âme à Dieu.......... »

Le révérend P. P. Point ajoutait ce qui suit :

« Je ne puis refuser aux désirs de mon cœur d’ajouter un mot à cette lettre et de vous parler d’une personne si chère à sa famille, si amie de tous ceux qui ont eu l’avantage de la connaître. Sa mort a été le plus beau couronnement de sa vie ; à mesure qu’elle approchait de la porte du tombeau ou plutôt de la porte du Ciel, elle semblait se rajeunir… J’ai été témoin du calme, de la sérénité, je pourrai dire même de la joie avec lesquels elle parlait de ce moment, que pendant sa vie, elle paraissait tant redouter. C’est la mort des élus. Aussi je l’ai vue le quatrième jour de sa mort, nullement décomposée, son visage et ses traits étaient ceux d’une personne paisiblement endormie. C’est que la mort du juste est un sommeil selon les paroles de l’Esprit-Saint… Notre bonne mère a voulu avant sa mort me faire lire la lettre édifiante de votre chère religieuse (Ste. Justine). Elle ne désirait qu’un petit présent de ma main, une petite croix de religieuse, avec une petite vierge au pied de la croix. Hélas ! je n’eus pas le temps de tenir ma promesse après quelques jours elle était non plus aux pieds de l’image, mais aux pieds des trônes de Jésus et de Marie..........

« Agréez, etc.

« Pierre Point, Miss. S. J. »




IV


Les troubles de 1837 — Passage des troupes anglaises, services rendus par M. Casgrain — Sa nomination au Conseil Spécial.


Les années 1837 et 1838 fournirent à votre père l’occasion de se montrer conséquent avec les principes qu’il avait émis pendant son séjour au parlement. Ce n’est pas qu’il blâmât tout ce qu’on entreprit alors pour obtenir de l’Angleterre le maintien de nos droits, ni qu’il fut l’ennemi des intérêts des canadiens. Non ; mais aussi rempli de vrai patriotisme que tous ceux qui se retranchaient derrière ce mot, il voulut seulement essayer d’autres moyens plus en rapport avec ses sentiments, et obtenir par la douceur ce que d’autres voulaient arracher par la violence.

Et je désire vous signaler ici sa loyauté, sa prudence, la sûreté de son jugement qui lui firent prévoir, dès 1832 les tristes résultats que devaient produire les discours incendiaires des chefs de l’opposition.

Il m’écrivait, en effet, le 25 de novembre de cette même année : « Le pays se trouve actuellement plongé dans un abîme de difficultés, plus épineuses que jamais… la question de la liste civile surtout sera pour longtemps un sujet des plus grands inconvénients pour le pays, et pourrait peut-être entraîner les suites les plus fâcheuses. » Et il ajoutait le 23 février 1834 : « Je ne puis que gémir sur la triste situation de notre belle Province déchirée, comme elle est, par une faction… qui évidemment la traîne à sa ruine… »

Voulant donc éviter à nos paisibles populations du district de Québec les déplorables malheurs qui, en 1837, affligèrent les paroisses de Montréal, il mit tout en œuvre pour conserver le calme des esprits et pour les engager à seconder l’action du gouvernement dans le rétablissement de la paix.

Les soulèvements survenus dans le district de Montréal ayant obligé le gouvernement militaire de faire venir du Nouveau-Brunswick un renfort de troupes, le commissaire-général, Sir Randolph Routh, son assistant-commissaire Wilson et le Major Ingall eurent recours à votre père pour qu’il leur aidât à faciliter le passage des troupes depuis la Rivière-du-Loup jusqu’à Québec, c’est-à-dire dès leur entrée sur le territoire canadien. Or M. Casgrain sachant combien il importait à tout le pays que les troupes fussent bien accueillies dans notre localité, afin de pallier les mauvaises impressions causées par le soulèvement des paroisses des environs de Montréal, déploya toute son énergie pour faire partager là-dessus ses sentiments aux notabilités et en général à tous les habitants de nos endroits. Il fut secondé en cela par MM. Amable Dionne, Charles Têtu, Pierre et Eugène Casgrain en particulier, et par tous les MM. du clergé le long de la côte, parmi lesquels je dois citer M. le Grand-Vicaire Cadieux, M. Delâge et M. Portier.

Tous d’un commun accord s’empressèrent de favoriser le transport des troupes en pourvoyant à leur logement, et en aidant aux autorités militaires à se procurer comestibles, voitures, etc., etc. Les officiers généraux qui avaient pris conseil de M. Casgrain, suivirent ses suggestions de point en point, tant on y remarqua de jugement et de prévoyance. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les lettres suivantes.

D’abord celle-ci du commissaire général

Sir Randolph Routh :

« I received your letter of the fourteenth december in the midst of our expedition to the Grand-Brûlé. I feel very much indebted to you for your kindness and exertion on behalf of the troops. I have shown your letter to His Excellency Sir John Colborne, and he desires me to communicate to you the high sense he entertains of your good offices. All that you have done appears admirable. So much appears accomplished for the comfort of the men that it will be some time before they forget it. All that you have suggested has been acted upon. »

Et cette autre de son assistant-commissaire M. Wilson, datée de Témiscouata, 15 décembre :

« As the officer in charge of certain duties, I beg you will accept my best thanks for your valuable services, I shall acquaint colonel Booth with all your considerate arrangements in which I cannot suggest any improvements, for you have thought of more than was requisite.

« To meet a kindred spirit like your own, in loyalty and good feeling I am delighted, each circumstance that regards ourself with which I have been made acquainted since our introduction, makes me place a higher value upon your friendship and acquaintance. »

À leur sortie du Portage, M. Casgrain avait décidé que les troupes feraient étape dans les paroisses de la Rivière-du-Loup, de la Rivière-Ouelle, de l’Islet et de St.-Michel, et dans chacune de ces paroisses, il avait pris des arrangements tels que les soldats à leur arrivée y trouvèrent le logement, les provisions nécessaires et même un nombre suffisant de voitures pour leur transport : le tout aux frais du gouvernement. Mais à la Rivière-Quelle, il n’en coûta pas un sou aux autorités militaires pour le logement ; les salles publiques, et des maisons particulières ayant été mises gratuitement à la disposition des soldats.

Quant aux officiers, ils furent, partout reçus, avec l’hospitalité due à des gentilshommes. À la Rivière-Ouelle, ils furent les hôtes de notre digne curé, le Grand-Vicaire Cadieux, de MM. Pierre Casgrain et Charles Têtu, et surtout ceux de votre père, car vu l’initiative qu’il avait prise, les officiers commandants des différents corps venaient directement chez nous.

Il faut avouer que ce n’était pas une petite entreprise que de recevoir convenablement tous ces militaires parmi lesquels, on comptait des lords ; surtout quand on songe que, dans l’espace d’un mois environ, il passa trois régiments : le 43me qui précéda le 85me et fut suivi du 34me, et d’un corps d’artillerie. Jugez si la besogne devait être rude, lorsqu’en outre des mesures que votre père avait prises pour le confort des soldats, il lui fallait encore s’occuper de fêter leurs officiers. Néanmoins M. Casgrain n’épargna ni ses peines, ni ses forces, non, plus que sa bourse pour les bien traiter. Ce même hiver, notre cellier fut vidé de tout son vieux vin, car ces messieurs gardaient fidèlement les traditions de la vieille Angleterre, sachant fort bien, mais toujours en raison, voir le fond de leurs verres.

Mais nous eûmes affaire à de véritables gentilshommes, comme le témoignent plusieurs lettres qu’ils écrivirent à votre père pour le remercier. Celle-ci du colonel Booth par exemple, datée de Saint-André, 23 décembre 1837.

« Your generous sollicitude for our comfort and your most kind offer of assistance as well as hospitality is, I can assure you deeply felt and appreciated by myself and the 43d regiment… I will gladly avail myself of your unbounded liberality and kindness in sending your servant and cariole for my conveyance by availing myself of it to-morrow, and I hope to be with you about four or five o’clock in the evening… with the first division there are seven officers including myself, with the remainder six officers each division. »

Et cette autre qu’il écrivit dès son arrivée à Québec le 1er janvier 1838.

« First of all let me wish you, and your amiable lady and all your family a happy new year and many returns of them, and may all happiness ever attend you. This day, I have the pleasure to inform you the last division under captain Tryon crossed the river as the others have done without accident of any kind, and we have all been received with acclamations and warm greetings from thousands of people here ; but I never can forget that while we were in the wilderness you first stretched out the hand of friendship towards us. You prepared the way for us and made every possible arrangement in your power for our comfort, and on our arrival at the River-Ouelle, you received us with the greatest hospitality. To return all this will never be in our power and indeed the best reward a heart like yours can receive is the inward satisfaction of having most materially contributed to our comfort and assistance. I must thereford content myself with assuring that we are all truly grateful to you. You will have heard that the 34th are ordered up. So many troops passing will impose a hard task upon the hospitality of our kind and loyal friands on the road. I must not forget to mention the great kindness of your brother at l’Islet and that of Reverend M. Fortier at Saint-Michel. »

Je citerai encore une lettre de l’assistant-commissaire Wilson, afin de vous faire connaître de plus en plus, combien les autorités militaires appréciaient les services que M. Casgrain rendit aux troupes.

Le 6 janvier 1838 il lui écrivait :.

« The arrangements for the accommodation of the troops, I am aware, have given great satisfaction, the credit for which is yours… Whatever acknowledgement the 43d and 85th regiments have made to yourself and Mrs. Casgrain, you are fully entitled to all. I can assure you, each and all do feel your great attentions, and as the passing of these very fine regiments, from New-Brunswick to this com- mand, must be stamped upon the history of Canada ; so the kindness of C. E. Casgrain will ever be recollected, by these corps so long as one remains who is now numbered in either of these regiments. »

Quelques mois après passa encore un autre régiment : le 11me qui reçut le même accueil. Il était commandé par un officier très-distingué, le colonel George Goldie, qui lui aussi exprimait à votre père le cas qu’il faisait de ses services.

« I am really, écrivait-il, utterly at a loss how to express to you all my sincere feelings of thanks for your very great kindness which you have so constantly shown to myself and to every individual of my regiment, on the many occasions we passed through your part of Canada. Your marked attentions to all our wants, is the more to be valued and estimated from the fact that, without it, we should have been unable to accomplish the marches we were ordered to go through, and we must also have endured much misery and wretchedness, instead of comfort and truly kind hospitality which we received from you. All that I can say, my dear sir, is, that I shall never, as long as I live, cease to recollect with the most kindly feelings your desinterested conduct to the 11th regiment. I am quite sure every officer in it, joins me most cordially in this feeling. »

Ce colonel avait une conversation extrêmement intéressante. Entre autres sujets, il nous entretint longuement de Napoléon pour lequel il professait un véritable culte. Ayant été en garnison à Sainte-Hélène pendant l’exil de l’Empereur, il avait comme bien d’autres subi l’influence extraordinaire que l’illustre exilé exerçait sur tous ceux qui l’entouraient ; car tout le monde sait que le vaincu de Waterloo, fascinait tous les soldats anglais stationnés dans l’Île. Mais ce qui avait surtout surexcité l’enthousiasme du colonel, c’était d’avoir assisté à la mort du grand homme. Aussi nous disait-il, avec émotion, en nous montrant sa main droite : « Je suis fier que cette main ait touché celle de Napoléon. » Il attachait un grand prix à une bague renfermant des cheveux du vainqueur d’Austerlitz, et qu’il portait toujours.

Toutes les lettres que j’ai citées en disent assez pour vous faire voir la haute estime que l’on avait pour M. Casgrain.

Mais voici qui couronne tous les éloges qu’on lui adressa.

Le gouverneur sir John Colborne lui offre ses remercîments, dans le document officiel qui suit :

« Military Secretary’s Office,
« Quebec, 13th January 1838.


« Sir,

« The officers commanding the 43rd and 85th regiments having represented in strong terms your praised worthy exertions in rendering assistance, and providing accommodation for their respective corps on their late arduous march from Fredericton to Quebec, I am directed by His Excellency Lieutenant General Sir John Colborne, to convey to you the expression of his thanks for your valuable services on the occasions to which I have adverted, and to request that you will continue to assist the other divisions of troops that are expected by New-Brunswick by the same route.

« I have the honor to be, Sir,
« Your obedient humble servant,
« Wm. Rowen. »

Votre père s’était fait autant d’amis des officiers qu’il avait reçus chez lui. Aussi, quand il allait à Québec, ils se l’arrachaient pour le fêter et l’inviter à leur mess ; mais, suivant son habitude, M. Casgrain se dérobait afin de se soustraire à ces sortes d’invitations.

À cette occasion, je ne puis passer sous silence un petit trait qui fera voir la manière délicate dont quelques-uns d’entre eux savaient en user à son égard.

Lisez la lettre suivante qui parle d’elle-même :

« Mon cher monsieur Casgrain,

« Je m’empresse de saisir l’occasion qui m’est présentée, par le moyen de M. Croft, de Kamouraska, pour vous exprimer combien je suis sensible des égards et de l’hospitalité que vous avez bien voulu exercer envers moi avec tant de bienveillance et de bonne grâce. Le peu de temps, mon cher monsieur, que j’ai eu le bonheur d’avoir fait votre connaissance, suffit pourtant à m’assurer que cette bonté de caractère que j’ai remarquée en vous, vous portera à faire des excuses pour la faible manière dont je vous rends mes remercîments ; je suis sûr que vous me ferez la justice de l’attribuer à la gêne d’écrire dans une langue étrangère, et point du tout à un manque de reconnaissance. En vérité, j’aurais mieux fait de vous écrire en anglais, attendu que vous êtes parfaitement maître de cette langue, tandis que moi je connais si peu la vôtre. Mais je dois vous avouer que je me suis enhardi de prétendre vous écrire en français, parce que je me suis imaginé que vous m’en sauriez gré, comme en quelque sorte d’une politesse envers un canadien, et une preuve, pour ainsi dire, que nous autres anglais nous ne cherchons pas à faire oublier votre langue parmi nous, comme certaines personnes nous le reprochent assurément sans raison. D’ailleurs, pour ne rien cacher, il y est entré un peu d’ambition de ma part, mal entendue cependant, et qui doit échouer.

Il m’est toujours souvenu que vous aviez oublié votre promesse à la petite Suzanne,[16] par rapport aux bonbons. J’espère que vous me permettrez d’y suppléer, et je vous prie d’accepter pour elle cette petite boîte que M. Croft est chargé de vous remettre.

« Vous me ferez la faveur d’exprimer à Mme Casgrain, mieux que je ne saurais le faire, mes sentiments de respect pour elle, et de reconnaissance pour les politesses et l’hospitalité qu’elle m’a montrées dans sa maison.

« Agréez, etc., etc.

« James Wilson. »

Certes, cet effort d’imagination de la part d’un anglais, mérite bien, lui tout seul, d’être apprécié.

Sur ces entrefaites M. Casgrain fut promu au grade de lieutenant-colonel de milice (unattached) ; et à la même époque il fut nommé conjointement avec M. Amable Dionne et M. P. de Salles Laterrière membre du Conseil Spécial.

Mais son goût pour les assemblées délibérantes ne s’était pas développé depuis 1834 ; cette nomination ne lui fut pas très-agréable. Aussi écrivait-il le 29 avril 1839 :

« C’est bien malheureux de vivre ainsi : cette pauvre vie est si courte qu’il faudrait la rendre moins misérable. Ce sentiment n’est pas tout à-fait chrétien, il est vrai, et ne s’accorde pas avec le précepte de notre divin Sauveur : « Prends ta croix et suis-moi, » mais cette pauvre humanité est si faible qu’elle se montre partout. »

Voici ce qui vous donnera la mesure exacte de son patriotisme, c’est le simple exposé de ses principes ce que j’appellerai volontiers sa confession politique, franche et honnête comme l’était son cœur. Certaine mesure que Poulett Thompson voulut introduire, lui donna occasion d’écrire ce qui suit ;

« Voilà trois fois que mes malles sont faites pour partir, et trois fois que j’en suis empêché par des mesures importantes remises d’un jour à l’autre, et au sujet desquelles je dois à mon pays de constater mon vote. Je devais descendre dans le bateau qui part à l’instant.

« Nous avions devant nous le projet d’une ordonnance pour la suspension ultérieure de l’habeas corpus, qui avait été remise avec l’entente que cette question ne serait plus agitée, néanmoins on nous dit que son Excellence veut venir demain nous expliquer lui-même ses raisons pour demander la passation de cette ordonnance malgré nous, dit-on, qu’il répugne beaucoup à ses principes libéraux de passer cette mesure. Je ne crois pas à ces principes qui ne sont que dans sa bouche ; et cette mesure importante, mais odieuse, inique et injurieuse au pays, qui est dans un état de tranquillité parfaite, quoiqu’il en dise, n’est ni nécessaire ni justifiable, mais bien pour coupler avec sa fameuse dépêche de l’hiver dernier par laquelle il nous présente les canadiens, sans exception, comme des rebelles dans le cœur que la crainte seule retient. Je n’ai pas encore été ébranlé dans mes sentiments de loyauté et de dévouement au gouvernement ; mais de pareilles mesures et injustices sont bien propres à exaspérer et à changer les dispositions des personnes les plus fidèles. Encore on amène cette question non pas au commencement de la session où la plus grande partie des membres sont présents, mais à la fin lorsque chacun quitte. Néanmoins, il ne me fatiguera pas, car je resterai en dépit de lui jusqu’à la fin, s’il le faut. Il y a demain huit jours qu’il m’a accordé mon congé me disant qu’il n’introduirait rien que d’ordinaire devant le Conseil. Cependant cette suspension de l’habeas corpus est demandée. Vraiment je crois qu’on a perdu la tête. »

Avec la dissolution du Conseil Spécial se termina la vie politique de votre père, où la force des circonstances l’avait contraint de rentrer malgré lui.

De retour à son foyer, il ne s’occupa plus que de l’éducation de sa nombreuse famille que la naissance de vôtre frère René arrivée, le 4 février 1839, était venu augmenter.

Content, heureux, il mena jusqu’en 1846 cette vie douce et tranquille du gentilhomme aisé de la campagne, partageant ses loisirs avec des amis peu nombreux mais choisis ; traduisant dans la vie réelle ces beaux vers de Boileau :

Qu’heureux est le mortel qui, du monde ignoré.
Vit content de soi-même en un coin retiré

Que l’amour de ce rien qu’on nomme renommée
N’a jamais enivré d’une vaine fumée ;
Qui de sa liberté forme tout son plaisir.
Et ne rend qu’à lui seul compte de son loisir !  !


Le passage suivant d’une lettre qu’il m’écrivit à cette même époque vous prouvera que je n’exagère rien, et qu’ici comme partout ailleurs dans ce récit, ma plume n’emprunte rien qu’à la vérité.

« Le bonheur dont nous jouissons à notre campagne ne peut se comparer à ce qu’on appelle ici[17] plaisir, c’est-à-dire, dîners, bals, promenades, etc., etc. Que les hommes sont vains et insensés, et combien je remercie la Providence de nous avoir éloignés de ce tourbillon bruyant et dangereux des villes qui fatiguent l’âme, au lieu de la nourrir et de la reposer. »

Le 2 juillet 1840 naquit votre frère Alfred, et le 27 avril 1842 votre frère Herménegilde. Rosalie est née le 21 juillet 1844.


V


Piété de M. Casgrain — Son dévouement à ses enfants.


Mes chers enfants, je le répète encore, en commençant ce récit, j’ai eu l’intention de mettre sous vos yeux et de faire revivre dans vos cœurs les vertus dont votre père vous a donné l’exemple. Vous avez pu vous convaincre, en lisant les chapitres précédents, qu’il était bon citoyen ; il me reste maintenant à vous le montrer bon chrétien. C’est la partie la plus douce de mon œuvre ; et la plus importante pour votre instruction.

Comme vous étiez pour la plupart dans un âge trop tendre pour apprécier les vertus de votre père, lorsqu’il vous fut enlevé, j’ai toujours entretenu l’idée de vous les faire connaître. Considérez-les en écoutant la voix de votre conscience ; souvenez-vous, en réfléchissant sur une vie si bien remplie, des paroles du Psalmiste : « Voulez-vous vivre éternellement dans le ciel, et passer des jours heureux sur la terre, éloignez-vous du mal et faites le bien. »

Vous comprenez, mes enfants, qu’on ne peut pratiquer la vertu pendant toute sa vie à un si haut degré, sans le secours de la grâce de Dieu ; vous savez que cette grâce de persévérance ne s’obtient que par le moyen de la prière ; aussi votre père priait-il beaucoup. Mais ce qui surprendra davantage quelques-uns d’entre vous, tant c’est chose inusitée dans le monde, c’est qu’il faisait journellement la méditation. Si ses occupations le requerraient, sa prière était courte, mais toujours fervente. Son travail même était une prière. car avant de s’y livrer, il l’offrait à Dieu.

Il assistait régulièrement à la messe. Elle se dit, en hiver, à la Rivière-Ouelle, dans la sacristie ; et je vois encore la place qu’il occupait sur le marche-pied du vestiaire du côté du nord où il l’entendait toujours à genoux, et bien des fois, à ma connaissance, il a tenu à honneur de la servir. Je me rappelle combien sa piété était édifiante, lorsque dans les jours de fêtes où le Saint-Sacrement était exposé, il se tenait agenouillé dans un grand recueillement, pendant tout le temps que duraient les offices, sans s’y asseoir, tant sa foi était vive et son respect profond pour Jésus-Christ présent dans l’adorable Eucharistie. C’était principalement dans la sainte communion qu’il puisait cette foi qui est la vie du chrétien et la règle de ses pensées et de sa volonté.

Comme toutes les vertus chrétiennes s’enchaînent les unes aux autres, il n’est pas nécessaire de repasser toutes celles que votre père a mises en pratique. Je ne m’arrêterai qu’à celles qui le distinguaient le plus. D’abord ce qui vous fera voir son amour pour Dieu, c’est la confiance qu’il reposait en sa divine bonté et son abandon filial à sa providence. Dans toutes ses lettres, dont j’ai conservé plus de trois cents, il y en a très-peu où il ne fasse pas mention de cette providence qui régit toutes choses, et dont il aimait à reconnaître le soin paternel dans les moindres actions de sa vie. S’il réussissait dans quelqu’affaire ou entreprise, il ne manquait pas d’y reconnaître la main de Dieu. S’il ne rencontrait pas le succès, il rendait également hommage à l’intervention divine.

Je copie ce qui suit d’une de ses lettres à propos de difficultés survenues dans nos affaires :

« Que Dieu soit béni, ce sont des avis et des grâces pour nous. L’adversité rappelle à Dieu et la prospérité à laquelle on aspire toujours, enfle le cœur et nous fait oublier nos devoirs.

« …Ces affaires me tracassent et m’occupent beaucoup, car je n’aime ni la chicane ni les procès, et me voilà bien malgré moi en quelque sorte engagé dans deux affaires importantes devant les tribunaux.[18] Je les remets avec confiance et résignation entre les mains de Dieu ; que sa sainte volonté soit faite, et que son saint nom soit béni en toutes choses, quelqu’en soit l’événement ! Je t’ai souvent répété que j’ai tracé la providence toute particulière de Dieu sur moi dans toutes les actions importantes de ma vie. La protection qu’elle nous a toujours accordée ne nous abandonnera pas ; et s’il nous arrive des pertes, des malheurs, ce sont des décrets de cette providence qui le veut et l’ordonne pour notre plus grand bien, quoique contraire à nos vues humaines. Je la prie bien instamment de me tirer de ces affaires auxquelles ma santé et mes forces ne me permettent plus de donner le soin que je voudrais, et de m’accorder assez de jours pour les terminer. Joins tes prières aux miennes, fais prier nos chers enfants, et surtout demandez l’accomplissement de la volonté de Dieu en toutes choses. »

Le plus grand bonheur d’une âme chrétienne est de vouloir ce que veut son créateur. Les saints ne sont saints que parce que leur volonté est conforme à celle de Dieu. Ce que le monde appelle souffrance, contradiction, est un avantage et une faveur du ciel, quand on les regarde comme votre père les voyait. Sa conformité à la volonté de Dieu n’était pas seulement en paroles, mais elle se traduisait dans toutes ses actions. Le fait suivant vous le démontrera.

Dans un voyage qu’il fit dans le Haut-Canada, il avait pris les fièvres du pays, et à son arrivée à Québec, il fut gravement malade. Suffisamment rétabli, il était de retour à la Rivière-Ouelle, depuis quelques semaines, croyant en être quitte, lorsque la fièvre le reprit de nouveau avec violence. C’est alors qu’il appela un de nos enfants, lui disant d’apporter son livre de prières, et lui commanda de réciter le Te Deum en actions de grâces, ajoutant : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi n’en recevrions-nous pas les maux ? »

N’est-ce pas là pousser la soumission jusqu’à l’héroïsme ?

Sa libéralité était proportionnée à ses moyens ; et quoique nous eussions une nombreuse famille, on ne faisait pas un vain appel à sa bourse. Les églises de Sandwich, de Toronto, et d’autres plus rapprochées de nous, ainsi que les établissements religieux, entre autres le collège de Sainte-Anne et l’Archevêché de Québec ont été favorisés de ses dons.

Mais je ne veux rien oublier de tout ce qui peut servir à votre édification.

N’ignorant pas que la dévotion à la Sainte Vierge a toujours été regardée comme une marque de prédestination, votre père a été dès sa jeunesse un dévot serviteur de Marie. Il faisait parti de la Congrégation, comme je l’ai dit ailleurs ; et les confréries du Scapulaire et du Saint Cœur de Marie le comptèrent pour un membre zélé. Sa dévotion de prédilection était le chapelet qu’il récitait tous les jours ; et même dans ses promenades en voiture, il le disait soit avec ses enfants, soit avec ses amis. Un bon prêtre me dit un jour : « Mais, votre mari, il est dévot comme un religieux ; il me fait dire le chapelet chaque fois que je voyage avec lui. »

Bien des fois je me suis dit que je voudrais aimer Marie avec cet amour filial que votre père avait pour elle, tant il était affectueux et expansif.

Tout ce qui se rattache à Dieu lui était cher, et il avait la plus grande vénération pour ce qui concerne son culte et ses ministres, auxquels il portait le respect et l’affection qu’inspire le pouvoir divin dont ils sont revêtus.

Aussi était-il estimé de tout notre clergé et comptait-il plusieurs amis de cœur parmi ses membres. Vous avez vu plus haut comment Mgr Plessis le considérait. Lors d’une visite qu’il nous fit, à son retour d’une mission, il nous donna encore une preuve de son estime. Apercevant mon fils aîné Charles, né pendant son absence : « Si j’avais été ici, dit-il, je l’aurais baptisé. »

De son côté, Mgr Panet fut toujours l’ami de la famille Casgrain, et voulut bien baptiser votre frère Philippe, montrant ainsi son amitié pour votre père ; et Mgr Turgeon traitait avec lui sur un pied d’intimité.

Mgr Baillargeon m’a dit qu’il conservait encore un livre qu’il avait échangé avec votre père, lorsqu’ils étaient compagnons d’étude au collège de Nicolet.

Messieurs les Grands Vicaires Viau et Cadieux, qui furent successivement curés de la Rivière-Ouelle, entretenaient une affection et une confiance toute particulière pour votre père, de telle sorte qu’ils le choisirent pour régler leurs affaires : le premier lors de son départ de la paroisse, et le second en le nommant son exécuteur testamentaire. Combien d’autres ne pourrais-je pas citer, par exemple : MM. Primeau, Bourret, et Leprohon, directeur du collège de Nicolet, qui se plaisait à dire que M. Casgrain était du petit nombre des écoliers qui correspondaient avec leurs anciens maîtres.

D’ailleurs les prêtres formaient sa compagnie habituelle ; et l’une de ses jouissances était de les réunir à sa table.

À toutes ces qualités que je me plais à énumérer, il serait inutile, ce semble, d’ajouter celle de bon père ; mais comme plusieurs d’entre vous l’ont à peine connu, je dois m’attacher à vous le dépeindre sous ce rapport, afin que vous chérissiez de plus en plus son souvenir : car il avait pour vous tous l’affection du plus tendre des pères. Cet amour était le motif de toutes ses démarches. Jamais il ne m’écrivait sans faire quelque recommandation, soit au sujet de votre santé, soit au sujet de votre bien-être en général. Quand il était à la maison, sa récréation était d’amuser les plus jeunes, et de se mêler à leurs jeux. Quant aux plus âgés, il s’efforçait de leur procurer toutes les jouissances légitimes en son pouvoir, telles que chevaux, voitures, etc., etc. Il avait même acheté un petit yacht pour leur agrément. Je me rappelle encore la joie qui accompagnait le départ de ces belles promenades sur le fleuve par une belle journée d’été. Mon extrême prudence m’empêchait d’y prendre part, mais votre père en faisait presque toujours partie, et en laissait le commandement à John. À ce propos, voici ce que racontait l’un d’entre vous : Quand nous arrivions à la hauteur de l’église de Sainte-Anne, papa se découvrait, et nous faisait réciter avec lui les litanies de la Sainte Vierge, puis commandait au vieux John, de virer de bord.

Ce qu’il désirait avant tout, c’était de vous procurer une bonne éducation, et il n’épargnait rien pour parvenir à cette fin : plaçant les garçons au collège, et choisissant pour nos filles une institution qui nous a toujours été bien chère, celle de la Congrégation de Notre-Dame, dont la mission à la Rivière-Ouelle, fondée en 1809, avait eu pour amis et bienfaiteurs vos grands parents Casgrain.

La vénérable mère Sainte-Magdeleine, l’une des fondatrices de cette maison, avait de son côté le plus vif attachement pour le nom Casgrain. Devenue supérieure-générale, elle offrit à votre père en 1843, à l’occasion de la fête de Saint-Charles, un beau reliquaire sur le revers duquel, il écrivit ce qui suit : « Ce beau, riche et précieux reliquaire m’a été présenté par la révérende Sœur Sainte-Madeleine de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, le 4 novembre 1843, à l’occasion de ma fête. Je le destine à l’aîné de mes enfants et l’exhorte ainsi que ses frères et sœurs d’entretenir pour les membres de cette sainte et si utile maison, les sentiments bien mérités d’estime, de considération et de respect que j’ai toujours eus pour elle ; et d’aider et d’encourager de tout leur pouvoir les diverses branches de cette institution qui est la gloire et l’honneur du pays, et la sauvegarde de l’instruction religieuse. »

Il n’est donc pas surprenant que vos sœurs aient hérité de notre affection pour la congrégation. Elles ont toutes commencé très-jeunes à en fréquenter les classes. Placée au pensionnat de Montréal en 1842, votre sœur Éliza demandait à votre père en 1844 son consentement pour entrer au noviciat de la communauté. Voici la réponse qu’il lui fit.

« J’ai reçu, ma très-chère Éliza, ta lettre du 24 juin ; tu ne peux douter que nous ayions été surpris, ta maman et moi, d’apprendre les dispositions que tu manifestes de te consacrer à Dieu, et de suivre l’état sacré des bonnes dames auxquelles nous avions confié le soin de ton éducation, et qui ont été les guides de ton enfance. Assurément, ma chère, quoiqu’il nous en coûtera de nous séparer de toi, et de renoncer à tous les sentiments de la nature ; si telle est la volonté de Dieu, nous sommes prêts à lui faire ce sacrifice et lui remettre entre les mains le dépôt qu’il nous a confié ; car toujours et en toute occasion nous lui avons demandé et lui demandons encore l’accomplissement de sa sainte volonté et non la nôtre, bien convaincus qu’il sait mieux ce qui nous convient que nous. Mais tu es bien jeune, tu n’as peut-être pas assez pensé aux grands sacrifices que cet état exige. Rappelle-toi combien tu aimes tes parents et tes frères et sœurs. Seras-tu assez ferme, assez généreuse pour immoler ces sentiments sur l’autel de l’amour de Dieu ? Tu as à peine su ce qu’est le monde (mais en cela je te félicite). Au moins sais-tu qu’il s’ouvre devant toi un certain avenir que la position de tes parents dans la société promet devoir être assez heureux ; si on peut appliquer avec quelque raison ce terme aux plaisirs et aux jouissances que le monde offre. As-tu réfléchi qu’il fallait non-seulement renoncer à toi-même et à ta propre volonté, pour n’être que l’instrument de celle des autres, et cela en tout et pour tout. Es-tu bien résolue de consacrer le reste de ta vie au service particulier de Dieu, et de t’assujettir, tout en renonçant au monde et à toi-même, à l’instruction de la jeunesse. Si tu as suffisamment pesé toutes ces considérations, et que tu sois capable de ces sacrifices de bon cœur et d’inclination et si tes supérieures, que tu auras dû consulter aussi bien que nous, croient à ta capacité, à ton courage et à ta vertu, alors, ma chère enfant, nous aussi nous sommes prêts à seconder tes vues et à faire taire tous sentiments trop humains pour t’offrir au Seigneur, comme nous n’avons pas manqué de le faire dès ta naissance aussi bien qu’à celle de tes frères et sœurs.

« Tout en te retraçant les grandes obligations et les privations qu’entraîne l’état que tu veux embrasser, je dois te dire que ce monde que tu ne connais pas encore et que tu veux quitter pour toujours, est bien peu digne de tes regrets. Quand je considère les peines, les chagrins et les sollicitudes auxquelles sont sujets ceux qui vivent dans son tourbillon, même ceux des bons chrétiens qui savent prendre tous les contre-temps de la main de Dieu, combien les plaisirs et les jouissances qu’il offre compensent peu tout cela. Je dis souvent avec ta maman : bienheureux sont ceux qui y ont renoncé. Nous sommes pourtant ceux qu’on appelle les heureux du monde, et avec vérité, car Dieu nous a comblé de ses dons d’une manière spéciale, mais encore disons-nous souvent avec Solomon : vanité des vanités, tout n’est que vanité, hors aimer et servir Dieu.

« Loin donc, ma chère et bonne enfant, de te détourner de ton dessein, si Dieu t’appelle à cet état, nous nous efforcerons de nous en réjouir avec toi et nous bénirons le Seigneur de ce qu’il daigne t’agréer pour son épouse. Quelque grand que doive être le sacrifice, il sera bien diminué par l’idée que tu entres dans une maison qui nous est bien chère, et dont j’ai appris à considérer les principaux membres comme ceux mêmes de ma famille et dont tu es pour ainsi dire l’enfant adoptif… »

Cette lettre doit vous faire connaître de plus en plus la piété éclairée de votre père, et sa volonté de sacrifier à la gloire de Dieu ce qui lui était le plus cher. N’allez pas croire, cependant, qu’il n’en coûtait rien à sa sensibilité, car la séparation fut des plus douloureuses.

« Je pars ce soir, écrivait-il de Montréal le jour même de l’entrée d’Éliza le 19 septembre 1844, je m’arrache d’ici, je m’éloigne de notre chère petite, que je voudrais néanmoins avoir toujours à mes côtés. Je ne veux plus lutter avec de si violentes émotions, que m’occasionnent son entrée au couvent, et l’idée d’une séparation presqu’absolue, moi qui aimais, qui aime tant cette enfant. Ma fortitude, mon énergie, mon courage accoutumés, m’ont abandonné ! J’ai été, je suis faible encore, je t’écris le cœur tout navré, je ne dis pas de chagrin, non !… »

L’année suivante, il conduisit Charles et Philippe à Montréal pour assister à la prise d’habit de leur sœur, et ayant continué son voyage jusqu’à Sandwich ; il m’écrivit de Buffalo :

« Je suppose que Charles et Philippe t’auront écrit de Montréal, ainsi que je les en avais priés. Je me flatte que leur voyage leur aura procuré de l’amusement. Je pense souvent à la carrière qui s’ouvre devant eux ; l’avenir est loin d’être flatteur pour les jeunes gens de nos jours. Je joins tous les jours mes prières aux tiennes, pour demander à Dieu qu’il les dirige dans le choix d’un état et surtout qu’il les préserve de la contagion du péché, dans le malheureux siècle où nous sommes. Ils te parleront de leur sœur ; elle est charmante cette enfant que Dieu nous a fait la grâce de choisir pour sa servante spéciale ; ils te diront combien m’a coûté ce sacrifice, de la voir pour toujours séparée de nous, moi qui l’aime tant ; j’ai eu la faiblesse de pleurer pendant tout le temps de cette belle cérémonie. J’aurais voulu que le sacrifice eût été plus grand encore s’il est possible pour pouvoir offrir quelque chose d’agréable à Dieu qui nous comble tous les jours de ses bienfaits. M. Viau, malgré ses infirmités, a assisté à la cérémonie et m’a témoigné son amitié ordinaire. »

Il ne fallait rien moins que la certitude qu’il avait du bonheur de votre sœur pour le consoler de cette séparation. D’ailleurs Dieu donne la force de faire des sacrifices, quand on le lui demande.

C’est ainsi qu’il ajoute : « toutes les personnes qui habitent cette maison ont l’air d’être si heureuses qu’on doit, il me semble, envier leur sort. Nous aurions tort de nous inquiéter de celui d’Éliza. »

Je cite encore la suite de sa lettre, elle me paraît si édifiante : « Nous avons aujourd’hui entendu la messe d’une congrégation presque exclusivement allemande. Les catholiques ici sont parmi les pauvres et les amis de Dieu à qui il a promis son royaume. Buffalo est un endroit extraordinaire : le havre, le canal, les quais offrent un aspect étonnant et donnent une idée des affaires qui ont lieu ici. Les voyageurs y abondent de tous côtés. Mais c’est à effrayer que de voir comme tout est matériel. On ne s’occupe que d’affaires, de spéculations, de moyens de faire de l’argent, et le salut, le salut, l’unique affaire importante à l’homme, paraît être celle qui l’occupe le moins. »

J’ai voulu citer presque toute cette lettre, parce qu’elle est une des dernières qu’il m’ait adressées. Le changement survenu dans notre position ne nécessitait plus de correspondance, comme vous le verrez dans le chapitre suivant.


VI


M. Casgrain est nommé Assistant-Commissaire des Travaux-Publics — Son séjour à Montréal — Sa maladie et sa mort.


Nous étions dans l’année 1846 ; le 27 mai était née votre sœur Adèle, treizième enfant. Tout occupés, votre père et moi, des soins qu’exigeait une si grande famille, nous nous entretenions, sans cesse, des moyens qu’il nous faudrait prendre pour assurer l’avenir de chacun de vous, lorsque la Providence, dans le sein de laquelle nous déposions toutes nos sollicitudes, nous vint en aide, d’une manière tout-à-fait inattendue et qui devait amener un grand changement dans notre vie de famille.

Le 8 juillet, le Secrétaire-Provincial d’alors, l’honorable Daly proposait à M. Casgrain la charge de second-commissaire des Travaux-Publics.

Voici la lettre confidentielle qu’il lui écrivit de Montréal :

« Dear Sir,

« The office of Second Commissary for the management of Public-Works, under the law of last session is now vacant and I take the means of ascertaining how far it might be agreable to you to fill it. The honorable Mr Wm. Robinson is appointed first Commissary and it is very desirable that a gentleman of capacity and one well acquainted with the many objects requiring attention in the Eastern Section of the Province should be associated. With this view I am desirous of ascertaining your wishes for the information of the Government prior to making you an offer of the appointment officially. Should you be disposed to accept the office, I would suggest your immediately proceeding to this place, if you can do so conveniently, when any further explanation you may desire can be given. — Your early reply would oblige. »

À cette lettre, M. Casgrain fit la réponse qui suit :

« Dear Sir,

« Your favor of the 8th instant has just been handed me by this morning’s post. In conformity to your wishes, I loose no time in giving you an early answer.

« I must tell you frankly that the acceptance of office under Government would much interfere with my domestic habits, and that the strongest reasons only could induce me to do so ; such as being useful to my country and especially to this eastern Section of the Province, which, I am sorry to say, has been to much neglected.

« I will however very shortly follow this letter and by further explanations with you, see if I can accept of the office, in justice to myself and family as well as to Government. »

M. Casgrain se rendit immédiatement à Montréal, et après s’être entendu avec les différents membres du Cabinet, et après avoir consulté plusieurs amis éclairés du clergé et autres, qui le pressèrent fortement d’accepter cette charge importante, il finit par se rendre à leurs avis, et entra de suite en office.

Ses affaires domestiques l’ayant obligé de revenir à la Rivière-Ouelle, il en profita pour prendre congé de ses connaissances et de ses amis, qui voulurent bien lui présenter quelques adresses.[19]

Je laisse aux journaux du temps à vous redire l’impression que sa nomination produisit sur l’esprit du public.

Le Canadien du 17 juillet 1846 publiait d’abord ce qui suit :

« On dit que M. C. E. Casgrain, écr., de la Rivière-Ouelle, va être nommé second-Commissaire des Travaux-Publics. Il est maintenant à Montréal, ajoute-t-on, complétant les arrangements préliminaires à son entrée en office. Si cette nomination a lieu, le district de Québec, qui a été jusqu’à ce jour si horriblement négligé sous le rapport des travaux-publics, aura, nous l’espérons, dans M. Casgrain un homme qui, au besoin, fera valoir les droits de ce district.

« Depuis que nous avons écrit ce qui précède, nous avons le plaisir d’informer nos lecteurs que M. Casgrain est nommé Commissaire des Travaux-Publics. Nous félicitons la population du district de Québec sur cette nomination, qui montre de la part du chef de l’Exécutif un désir de rendre justice aux Canadiens-Français et surtout au district de Québec. Nous espérons que Lord Cathcart ne s’arrêtera pas dans une aussi belle voie. »

Le 3 août, le même journal annonçait la nomination officielle de M. Casgrain, et publiait l’adresse que lui présentèrent les MM. du Collège de Sainte-Anne.[20]

Comme vous le voyez, M. Casgrain entrait dans sa nouvelle charge fort de l’estime et de la considération de ses concitoyens, et avec le désir et la volonté d’être utile à son pays, en même temps qu’à sa famille.

Mais avant de quitter la Rivière-Ouelle, votre père voulut consacrer ses adieux par un acte de religion. Quelque temps auparavant, la procession du Saint-Sacrement s’était rendue chez nous, et le reposoir avait été dressé dans un berceau à l’ombre des grands ormes du jardin. Pour perpétuer, comme il le disait lui-même, le souvenir de la visite que Dieu nous avait faite, votre père fit élever une croix à l’endroit où le Saint Sacrement s’était arrêté ; et la veille de notre départ, il invita M. le curé Bégin, à venir en faire la bénédiction.

Les circonstances qui accompagnèrent cette cérémonie religieuse firent sur mon esprit une impression que je n’ai jamais oubliée. Nous nous rendîmes, votre père et moi, dans le cours de l’après-midi au pied de la croix, accompagnés des enfants et de tous les domestiques. C’était par une froide et pâle journée d’octobre ; le ciel gris d’automne, les feuilles jaunies se détachant des arbres et venant joncher les allées du jardin, le vent gémissant dans les branches dépouillées, le souvenir des jours sereins que nous avions coulés dans ces lieux, les apprêts du départ ; tout me portait à la mélancolie, et remplissait mon âme d’une indicible tristesse. À la vue de cette croix que je voyais bénir chez moi, j’eus un vif pressentiment de toutes celles qui m’attendaient : elle m’en parut intuitivement le gage frappant, et pendant les prières de la bénédiction, je ne pus m’empêcher de verser d’abondantes larmes.

Il avait été d’abord convenu que je ne quitterais pas la Rivière-Ouelle de suite, mais que je prendrais le temps suffisant pour mettre ordre à nos affaires domestiques. Sur ces entrefaites votre sœur Sainte-Justine prononça ses vœux au couvent de la Congrégation de Montréal. Je m’y rendis pour la cérémonie. Pendant mon séjour dans cette ville votre père qui éprouvait de l’ennui d’être ainsi isolé de sa famille me proposa de remonter de suite avec nos enfants. Il loua une maison située sur la rue Craig en face du Champ de Mars, et le 20 octobre nous étions tous réunis à Montréal.

La multiplicité des occupations de M. Casgrain était telle, qu’il n’avait pas le temps de s’occuper de la maison, et nous ne le voyions que le soir. C’est ainsi que se passa l’hiver de 1846 à 1847. Le 21 mars 1847 mourut votre petite sœur Adèle, âgée de 10 mois. Sa mort nous fut d’autant plus sensible qu’elle était le premier enfant que Dieu nous enlevait. Ce fut pour moi une des croix que j’avais entrevues au moment de laisser notre campagne.

Au commencement de l’été, les émigrés nous apportèrent le typhus ; et le gouvernement prit de suite des mesures pour recevoir et soulager les milliers d’Irlandais qui fuyaient leur patrie pour venir mourir en Canada. Le département des Travaux-Publics ordonna à cet effet la construction de vastes abris, appelés sheds à la Pointe-Saint-Charles et à la Grosse-Isle, où l’on put recueillir les nombreuses victimes de l’épidémie. Ce fut à votre père que fut dévolue la charge de faire exécuter ces travaux. Il y déploya toute l’activité que l’amour du devoir et la charité chrétienne peuvent inspirer : les journaux du temps firent l’éloge de son zèle. Toutes les Sœurs-Hospitalières de Montréal furent mises en réquisition pour soigner les malades ; elles eurent à se féliciter d’avoir un catholique à la tête du département pour prendre leurs intérêts et les soulager dans leurs travaux. Obligées d’aller d’un shed à l’autre, ces bonnes sœurs étaient forcées de chausser des bottes d’hommes, tant il y avait de boue, la saison ayant été pluvieuse. M. Casgrain fit alors ponter des sentiers pour leur commodité, s’efforçant d’ailleurs par tous les moyens en son pouvoir, de leur venir en aide.

La crainte ne le retenait pas, il visitait journellement les sheds ; il descendit aussi à la Grosse-Isle, lieu de la Quarantaine, afin de voir par lui-même à l’exécution des travaux que M. Robinson, le chef du département, de concert avec lui, y avait ordonnés. Malgré tout, la contagion l’épargna, tandis qu’un grand nombre de prêtres et de religieuses moururent victimes de leur charité.

Votre sœur Marie-Amélie naquit le 29 octobre. Immédiatement après son baptême, nous la fîmes porter par la vieille Stasie au couvent de la Congrégation, afin de la faire voir à votre sœur Sainte-Justine, qui s’empressa de la porter au Noviciat dont elle faisait partie ; et la déposant sur l’autel de la Sainte-Vierge, elle la consacra, conjointement avec ses compagnes, à la divine mère de Dieu. Cette consécration lui a porté bonheur, car elle est actuellement religieuse dans la même communauté.

À la fin de novembre, M. Casgrain descendit au chemin du Lac Témiscouata, pour y faire entreprendre certains travaux ordonnés par le gouvernement. Il eut à endurer beaucoup de fatigue et de froid, et à son retour à Montréal, il se plaignit de douleurs dans le côté gauche, qui furent suivies d’une inflammation de poumons. Néanmoins il continua de vaquer à ses occupations jusqu’au 13 décembre. Ce jour-là, à son retour de l’église, où il s’était rendu pour communier, il avoua qu’il ne se sentait plus capable de se rendre à son bureau. Mais courageux jusqu’à la fin, il essaya de s’occuper pendant quelques jours encore des affaires de son département, en faisant venir chez lui les employés du bureau ; et de son lit il leur indiquait ce qu’il y avait à faire, et signait même les documents. Enfin la maladie augmentant, et les symptômes devenant de plus en plus alarmants, il fut contraint de cesser de s’occuper d’affaires. Cependant il y en avait une à laquelle il tenait beaucoup, et qu’il voulait mener à bonne fin ; car ce fut alors qu’il fit venir auprès de son lit John, que nous avions fait monter de la Rivière-Ouelle depuis peu, et lui demanda de réciter à son intention le Souvenez-vous qu’il avait fait traduire en anglais depuis longtemps pour lui. Quelques jours après, (c’était un dimanche,) il me pria de lui laisser John seul pour garde-malade. Je me rendis à vêpres et à mon retour je retrouvai votre père le visage rayonnant de joie. Il me dit que John avait consenti à se faire catholique, ajoutant qu’il fallait envoyer chercher dès le lendemain un prêtre pour le catéchiser. John fut trouvé suffisamment instruit, de sorte que peu de jours après, à la grande joie de votre père, il fit son abjuration, et fut baptisé dans la chapelle privée de Mgr de Montréal.

Cependant la maladie faisait toujours des progrès ; nous intéressâmes alors toutes les communautés religieuses pour demander le recouvrement de sa santé. Il fit lui-même un vœu, et s’adressa à la vénérable sœur Marguerite Bourgeois en qui il avait une confiance très-grande, et les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame lui envoyèrent le cœur de leur sainte fondatrice, qu’elles conservent en leur communauté.

Une des conditions de ce vœu fut que la petite Marie-Amélie changerait de nom pour prendre celui de Marguerite, qu’elle a porté depuis lors. En entrant au noviciat, elle a pris pour nom de religion celui de Sœur Marie-Marguerite.

Toutefois votre père recommandait de ne pas demander la santé, mais bien l’accomplissement de la volonté de Dieu, disant qu’il s’était toujours si bien trouvé de s’être entièrement abandonné à la Providence qu’il ne voulait demander rien autre chose.

Telles étaient sa patience et sa résignation qu’il édifiait les sœurs de la charité qui le veillaient : il leur demandait souvent de prier avec lui. Il se confessait tous les jours, et à ce sujet quelqu’un lui ayant demandé ce qu’il pouvait avoir à dire :

« Dans mes longues nuits d’insomnie, répondit-il, j’ai bien le temps de repasser toute ma vie, et de trouver matière à confession. »

M. Robinson, son collègue, venait souvent lui rendre visite ; et à la vue du crucifix, de la statue de la Sainte-Vierge et autres objets de piété dont votre père était entouré, il paraissait impressionné. « Les catholiques, disait-il, ont beaucoup plus de consolations dans leur religion, que nous autres protestants, n’en avons dans la nôtre. »

Votre père reçut le Saint-Viatique à deux reprises et demanda lui-même l’Extrême-Onction. Les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame apprenant son état, députèrent deux d’entre elles pour le prier de les bénir, ainsi que toute leur communauté. C’est alors que parut sa profonde humilité ; il se croyait indigne d’une telle mission. Cependant, se rendant à leur demande, il implora le Ciel de répandre ses faveurs les plus spéciales sur ce saint institut.

La divine Providence, qui conduit toutes choses, voulut amener, au lit de mort de votre père, le juge Panet qui était son meilleur ami, ainsi que votre bon oncle Pierre Casgrain qu’il aimait beaucoup.

Voyant les plus jeunes des enfants autour de son lit, il exprima son inquiétude au sujet de leur avenir ; mais élevant aussitôt les yeux au ciel, il ajouta : « Je vous laisse entre les mains d’un bon père, qui vous protégera. » Puis vous bénissant tous, il demanda pour vous, non pas la graisse de la terre, mais la rosée du ciel. Ensuite, il m’exprima son désir que je revinsse me fixer à la Rivière-Ouelle, ce dont je lui donnai l’assurance. Ayant fait venir tous les domestiques, il leur demanda pardon, et leur recommanda de retourner dans notre campagne, et de demeurer avec moi. La nuit du 28 au 29 fut très-pénible, il avait le délire. Sur le matin, sa respiration devint difficile ; et à l’arrivée de son confesseur, M. Saint-Pierre, sur les neuf heures, il demanda les prières des agonisants, auxquelles il répondit distinctement. Après lui avoir appliqué les dernières indulgences, M. Saint-Pierre allait se retirer, lorsque votre père le rappela, pour lui demander une dernière bénédiction.

Toute la famille éplorée, ainsi que les domestiques, entouraient son lit. S’adressant à John, il lui dit : « Celui qui ramène une âme à Dieu peut espérer que ses péchés lui seront pardonnés, Good bye, John, we will meet in heaven. » Peu de temps après, il répétait ces consolantes paroles : « Ma confiance en Dieu est telle qu’il n’y a pas de place pour la crainte. »

Le moment que j’avais tant redouté arrivait pour moi. Pendant les vingt-trois ans de notre union, je n’avais jamais eu de sécurité. Sa faible santé me causait de continuelles alarmes. Si je le voyais mieux portant, je me rassurais, mais dès qu’il devenait malade, toutes mes craintes se réveillaient. J’avais trop souvent mesuré d’avance, pour ne pas comprendre dans toute son étendue, l’abîme qui s’ouvrait devant moi. Rester seule, avec treize enfants, la plupart en bas âge, privée de celui qui avait toujours été mon guide et mon soutien, me semblait impossible. Agenouillée à côté de lui, j’attendais que Dieu terminât ses souffrances, et je lui demandais de recevoir son âme dans son infinie miséricorde. Tous les assistants joignaient leurs prières aux miennes. Je n’avais jamais vu ses yeux briller d’un éclat si vif et si expressif qu’au moment d’expirer. Sa vue s’obscurcissant, il dit à plusieurs reprises : bonsoir, bonsoir, et ajoutant : bonsoir tout le monde, avec un accent inexprimable, et articulant quelques mots de prières que je ne compris pas, il rendit sa belle âme à son Créateur à 11½ heures du matin, mardi 29 février 1848.

Je me tairai sur les impressions que j’éprouvai alors. Il y a des douleurs qu’aucunes consolations humaines ne peuvent alléger ; Dieu seul peut soutenir une âme dans de pareilles circonstances. Je terminerai en citant quelques-unes des lettres que je reçus alors et qui achèveront de vous faire connaître ce que fut votre père.

Lettre de M. le Grand-Vicaire Cazeau :

« Ma bonne cousine, Mme Panet a eu la bonté de me faire part hier au soir de la fâcheuse nouvelle qui venait de lui être transmise par le télégraphe. Je m’empresse de vous exprimer combien je m’associe à votre trop juste douleur, et je suis heureux de vous offrir en même temps les sympathies de Nos Seigneurs de Québec et de Sidyme qui avaient la plus haute estime pour votre bon mari et qui regrettent beaucoup de le voir enlevé si tôt à son intéressante famille, ainsi qu’au pays auquel il rendait de si importants services.

« Le cher défunt a mené une vie trop sainte pour ne l’avoir pas couronnée par une sainte mort. La Sainte-Vierge qu’il a toujours si bien servie l’aura sans doute présenté à son divin Fils, comme un de ses bien-aimés. Il est difficile de pouvoir penser à lui, sans être persuadé que déjà il est au nombre des habitants du ciel. Toutefois, nous ne manquerons pas d’offrir nos faibles prières au ciel, pour qu’il daigne lui accorder sa récompense, dans le cas où il n’en aurait pas encore pris possession. Dans ce but, trois messes privilégiées ont été dites ce matin par autant de personnages de l’Archevêché.

« Je souhaite, ma bonne cousine, que le Seigneur vous donne tout le courage dont vous avez besoin au milieu de votre affliction, et je demeure avec tout le respect et l’amitié possible votre dévoué parent.

« C. F. Cazeau, Ptre.
« Québec, 1er mars 1848. »

Votre frère Philippe, qui avait accompagné le convoi, m’écrivit de la Rivière-Ouelle la lettre suivante :

« Rivière-Ouelle, 10 mars 1848.
« Ma bien chère maman,

« Vous dirai-je avec quelle consolation, quelle satisfaction, nous avons transporté les restes mortels de mon cher père à sa dernière demeure ! Vous n’avez pas, malgré l’estime générale dont vous savez qu’il jouissait, une idée de ce que l’on ressent, depuis Montréal jusqu’ici. La sensation, dans nos endroits est très-profonde. Puissent les détails que je vais vous donner adoucir la rigueur de vos peines ! Je commence notre itinéraire ; je veux être concis.

« Jeudi, le 2, vers les dix heures et demie, après le service chanté à l’église paroissiale ; nous étions en route par un beau temps et des chemins à glace jusqu’à Berthier, et escortés par de nombreux amis jusqu’à la sortie du faubourg, parmi lesquels était M. Chamard, qui vous a suivi jusqu’à Berthier. Là, les bonnes dames religieuses avaient préparé dans leur couvent une chambre de réception décorée de deuil blanc. Sainte-Justine nous a appris ces détails.[21] J’abrège.

« Malgré les offres réitérés de M. le curé Gagnon de chanter un Libéra, le lendemain, nous sommes partis vers les six heures du matin pour nous rendre chez le cousin Gagnon, à la Rivière-du-Loup qui a fait sonner les glas à l’arrivée du corps. Après une courte visite d’une heure, nous partîmes par de mauvais chemins et nous arrivâmes aux Trois-Rivières, vers les trois heures de l’après-midi, et là nous déposâmes le corps dans la chapelle du couvent des Ursulines, où il fut de nouveau veillé par les religieuses.

« Je me garde de faire aucune réflexion sur ces heureuses circonstances, j’admire et je me console. Les chemins étaient si mauvais que nous partîmes tard le lendemain pour attendre qu’on les ouvrit. Néanmoins nous nous rendîmes à Lotbinière après une heureuse traversée, à Saint-Pierre les Becquets, sur les huit heures du soir. Le curé Faucher nous reçut de la manière la plus polie, fit déposer le corps dans l’église, nous donna son cheval pour aider le nôtre dans notre journée du lendemain, et nous parvînmes à Saint-Antoine de Tilly pendant la grand’messe. Aussitôt que M. le curé Béland, compagnon de classe de mon cher père, apprit notre arrivée, il ordonna qu’on chanta un libera et fit transporter le corps dans l’église immédiatement après la grand’messe. Nous fûmes invités à dîner chez lui. Nous atteignîmes enfin la Pointe-Lévis le soir à bonne heure. M. le curé Déziel nous permit de faire reposer le corps dans l’église. Lundi, le jour suivant, MM. Vital et Laurent Têtu nous visitèrent accompagnés de M. J. T. Taschereau partis pour nous suivre jusqu’à la Rivière-Ouelle. Nous partîmes vers neuf heures et arrivâmes chez Fraser. Là M. Taschereau nous devança pour prévenir mon oncle Eugène de notre arrivée. Nous couchâmes chez mon oncle Têtu, qui était absent ainsi que ma tante nous attendant à la Rivière-Ouelle. Nous arrivâmes le lendemain vers onze heures chez mon oncle Eugène, accompagnés de plusieurs voitures venues à notre rencontre. On chanta un libera. Nous partîmes aussitôt après et arrivâmes chez M. Dupuis vers trois heures de l’après-midi. Nous rencontrâmes là plusieurs voitures de la Rivière-Ouelle qui nous suivirent jusqu’à Sainte-Anne, où il nous fallut arrêter pour chanter un libera. La levée du corps se fît au collége, d’où l’on se rendit à l’église. Beaucoup de personnes me parurent très-affectées. Une foule de voitures se mirent à suivre le corps jusqu’à la Rivière-Ouelle où il fut déposé, au son des glas, dans le salon chez mon oncle Pierre Casgrain. On ouvrit le cercueil, tout était en bon ordre. Un très-grand nombre de personnes vinrent prier et veiller près du corps jusqu’à jeudi matin, où l’on referma le cercueil. Je le vis alors pour la dernière fois, ce bien-aimé père ! je le contemplai longtemps. Il n’était pas changé. Chose singulière, ses lèvres étaient très-colorées et son teint quoique pâle n’était pas livide. Je l’embrassai pour la dernière fois. Il y eut un magnifique service. M. Bourret officia. Un nombre considérable d’écoliers chantèrent ; une foule immense assista aux funérailles. Le corps fut inhumé sous le banc seigneurial, près de celui de mon grand-père. MM. les curés Bourret, Gauvreau, Hébert, Quertier, Pouliot, Routhier, et d’autres messieurs du clergé nous firent visite dans l’après-midi et me chargèrent de saluts pour vous. Vous avez de nombreux amis ici qui partagent votre douleur et la nôtre…

Lettre de M. le Grand-Vicaire Gauvreau :

Collége de Sainte-Anne, 6 mars 1848.

Madame,

Permettez à un ami de mêler ses larmes à celles que vous versez avec tant de raison sur la perte de celui qui avait toute votre affection. Je ne suis pas le seul à partager votre douleur, tout ce qu’il y a d’honnête, de bien né dans nos paroisses ici semble avoir perdu un frère, un ami, un bienfaiteur ; le passage de cette dépouille mortelle, son inhumation dans le tombeau de sa famille, préoccupe tout le monde, tous s’y intéressent, tous voudront jeter quelques grains de poussière sur ce cadavre vivifié naguère par une âme si chrétienne, si noble, si généreuse, si bienfaisante. Que ceci serve, Madame, à soulager votre cœur affligé.

Mais vous cherchez ailleurs votre consolation ; vous avez élevé vos yeux vers le souverain maître de toutes choses, vous vous êtes dit que tout lui appartient et qu’en vous ôtant un époux si cher, il n’a fait que reprendre son bien ; que le trouvant mûr pour le ciel, il a voulu le délivrer des misères de cette vie et hâter la récompense ; et, à l’exemple du saint homme Job, vous avez dit : le Seigneur me l’a ôté, que son saint nom soit béni ; et ainsi votre foi vous a consolé.

Vous voilà seule à la tête d’une nombreuse famille, pourrez-vous suffire ? Oui, avec le secours de Dieu, qui tient ses yeux constamment fixés sur la veuve et sur les orphelins et qui n’abandonne jamais ceux qui espèrent en lui. Oh ! oui, c’est bien lui seul qui pourra vous consoler efficacement ! N’est-ce pas à lui que vous avez renvoyé tant de fois des âmes affligées ? Pourrez-vous manquer de confiance vous-même !

Marie au pied de la croix, voilà aussi, madame, votre modèle et votre soutien ; c’est à elle que je vous recommande et que je continuerai de vous recommander. Messieurs mes confrères partagent les sentiments que je viens de vous exprimer. Ils me chargent, Madame, de vous présenter leurs respectueux saluts et leurs souhaits de courage et de résignation à la sainte volonté de Dieu.

J’ai l’honneur d’être, Madame, avec une parfaite considération, votre très-humble et très-obéissant serviteur,
C. Gauvreau, Ptre.
Lettre de M. l’abbé F. Pilote.

Collége de Sainte-Anne, 8 mars 1848.

Madame,

Je ne suis point le premier qui vient apporter à votre douleur quelques paroles de consolation. Bien d’autres avant ce jour ont tâché d’adoucir l’amertume de votre chagrin. Le coup terrible dont vous venez d’être frappée ne vous a point abattue, j’espère. Vous avez envisagé dans cette cruelle séparation l’accomplissement de la sainte volonté de Dieu. D’ailleurs, les circonstances de cette mort sont si extraordinairement édifiantes, qu’elles ont de quoi consoler même le cœur d’une épouse laissée comme vous à la tête d’une si nombreuse famille. La séparation n’est qu’apparente. Les cœurs sont demeurés unis, quoique d’une manière un peu différente, c’est-à-dire plus parfaite. Du bienheureux séjour où ses vertus l’ont placé par la souveraine miséricorde de Dieu, il obtiendra pour sa chère famille les grâces et les bénédictions du ciel pour la faire prospérer.

J’ai offert le saint sacrifice de la messe pour lui dimanche dernier. Je continuerai longtemps mes pieux memento, quoique je sois bien persuadé qu’il n’en a plus besoin. J’ai entendu dire à plusieurs prêtres qu’ils le regardaient comme un saint, et qu’ils garderaient volontiers de ses reliques. Vous ne sauriez vous faire une idée des regrets et du deuil que cette mort a jetés dans tout notre quartier. Nous voyons accomplies à la lettre ces paroles du Psalmiste : « In memoria æterna erit justus, » la mémoire du juste sera éternelle.

Mardi, à trois heures P. M., M. Pierre accompagné de Philippe, a eu la complaisance d’arrêter un peu au Collége, pour nous donner la consolation de payer au défunt un dernier tribut de reconnaissance, dans l’endroit même où il se plaisait tant à nous visiter.

Le corps, après avoir été déposé dans le Collége, en attendant les préparatifs nécessaires, a été ensuite porté processionnellement par les élèves même en uniforme de deuil à l’église paroissiale où nous lui avons chanté un libéra en musique ; à la suite duquel le convoi s’est immédiatement acheminé vers la Rivière-Ouelle où il a dû arriver avant la fin du jour.

Voilà, madame, les détails que j’ai cru devoir vous donner, espérant qu’ils pourront contribuer, quoique faiblement sans doute, à adoucir l’amertume de votre douleur.

Veuillez me croire, avec respect, votre très-humble et obéissant serviteur,

F. Pilote, Ptre.

Les deux extraits suivants du Canadien et du Journal de Québec vous feront connaître l’impression que produisit sur le public le décès de votre père.

Extrait du Canadien :

« Le télégraphe nous a annoncé hier après-midi la mort de l’honorable Charles Eusèbe Casgrain, un des commissaires du Bureau des Travaux Publics. Cet événement malheureux a eu lieu à Montréal hier après-midi. Nous disons événement malheureux, parce qu’en effet la mort de M. Casgrain est un de ces malheurs dont les effets se feront longtemps sentir. M. Casgrain était âgé d’environ 48 ans, et avait été admis au barreau de Québec, où il pratiqua pendant peu de temps. Sa mauvaise santé le força de se retirer à la campagne (à la Rivière-Ouelle), où il se livra à un genre d’occupations plus en harmonie avec ses goûts et sa santé : celui de l’agriculture, dans laquelle il sut faire son profit et donner à ses voisins des leçons très-utiles. En 1830, M. Casgrain eut l’honneur d’être élu par le populeux comté de Kamouraska pour le représenter en Parlement, mandat dont il s’acquitta à la satisfaction générale. Pendant son séjour à la campagne, il n’a cessé d’être l’objet de l’estime et de l’amitié de tous ceux qui eurent le bonheur de le connaître et qui surent apprécier ses excellentes qualités. Il rendait à ses nombreux amis de la campagne des services immenses par les conseils qu’il savait leur distribuer, et de mille autres manières. Entouré de l’estime et de l’affection de tous ceux qui le connaissaient, il jouissait à la Rivière-Ouelle d’un bonheur domestique sans exemple, lorsqu’en 1846, il quitta cette paroisse pour se rendre à Montréal et accepter une charge publique dans les bureaux des Travaux Publics : charge qu’il aurait refusé s’il eût consulté ses goûts, ses dispositions et sa santé, mais qu’il ne put décliner, lorsque tout un public comme celui de Québec, auquel il paraissait être si utile, le sollicitait de l’accepter. Les services qu’il a rendus au district de Québec et au pays en général dans sa charge, sont à la connaissance de tous, et sont une preuve de l’énergie de son caractère et de l’activité qu’il savait déployer lorsqu’il s’agissait du service public malgré la faiblesse de sa santé et ses souffrances constantes. Sa mort a été, dans l’opinion de beaucoup de personnes, avancée de plusieurs années par les fatigues que lui causèrent les nombreux voyages et déplacements que nécessitait sa charge. M. Casgrain laisse une veuve inconsolable de la perte d’un si digne époux et treize enfants encore en bas âge pour la plupart. »

Extrait du Journal de Québec :

« Monsieur le rédacteur,

« Les nombreux amis de l’honorable C. E. Casgrain apprendront, sans doute avec plaisir, quelques détails sur ses obsèques qui ont eu lieu ce matin à la Rivière-Ouelle.

« M. Casgrain avait témoigné en mourant, à Montréal, le 29 février dernier, le désir d’être enterré à la Rivière-Ouelle, sa paroisse natale. Sa famille s’est religieusement conformée à ce désir, et malgré les difficultés du transport à une distance de 85 lieues, dans cette saison de l’année, par des chemins impraticables, le convoi funèbre constamment dirigé par M. P. Casgrain, seigneur de la Rivière-Ouelle, frère du défunt, a pu arriver heureusement au manoir seigneurial mardi soir. Les MM. du Collége de Sainte-Anne, pleins de respect pour la mémoire du défunt, et inspirés d’ailleurs par la reconnaissance des services sans nombre qu’ils en ont reçus, avaient fait connaître d’avance leur désir de lui rendre le dernier hommage, dans le lieu même où il se plaisait tant à les visiter pendant sa vie. En conséquence, le convoi funèbre à peine arrivé au Collège, mardi à 3 heures P. M., le corps fut reçu par les élèves et porté par six d’entre eux en uniforme de deuil dans l’une des salles. Quelques minutes après, les prières du rituel étant récitées, le corps fut porté processionnellement à l’Église paroissiale où un grand concours s’était déjà fait. Après le libera chanté en musique par la communauté, le corps fut de nouveau déposé dans la voiture funèbre et reprit sa marche pour la Rivière-Ouelle, où il a pu arriver avant la chute du jour. La cérémonie du lendemain, mercredi des cendres, a fait remettre à aujourd’hui celles des obsèques. L’Église n’a pu contenir l’immense concours des paroissiens de la Rivière-Ouelle et des paroisses voisines. MM. les curés depuis l’Islet jusqu’à Saint-André inclusivement partageant la douleur commune, sont venus, par leur assistance empressée, témoigner de leur estime toute particulière et de leur haute considération pour la mémoire du défunt.

Un chœur, composé de soixante élèves et régents du Collége de Sainte-Anne, a parfaitement chanté en musique toute la messe et le libera. Mais ce qui rehaussait bien davantage le deuil de cette triste, cérémonie était la douleur profonde partagée, par tous les cœurs, et peinte sur tous les visages. La vue surtout de ce nombreux cortége de pauvres en pleurs qui a accompagné le cercueil jusqu’à sa dernière demeure, avait quelque chose de bien touchant, de bien expressif en faveur de celui qui en était l’objet. Quand M. Casgrain aurait jusqu’à un certain point réussi pendant sa vie, à dérober à ses amis la connaissance de ce qu’il versait habituellement dans le sein des pauvres, les larmes de ceux-ci, après sa mort, étaient bien propres à révéler les secrets de son ardente charité. Dans cette nombreuse assistance, il y avait très-peu de personnes qui ne pussent se rappeler avec bonheur d’avoir reçu du défunt quelque service. La maison de M. Casgrain était toujours ouverte à tous ceux qui croyaient avoir besoin de ses conseils. La connaissance du droit qu’il avait acquise par une étude spéciale jointe à un désintéressement parfait donnait un grand poids à ses avis. Il fut toujours le conseiller de l’ordre et de la paix.

« Mais il est une autre sorte de mérite bien supérieur à tout ce que l’on vient de dire et qui rendra toujours la mémoire de M. Casgrain infiniment chère à tous les hommes religieux. Aux qualités aimables qui distinguent l’homme du monde accompli, il joignait celles non moins précieuses qui font le vrai chrétien, chrétien pratiquant. Ce qui par le temps qui court vaut bien certes l’honneur d’une remarque.

« Tel est, M. le rédacteur, l’exposé de ce dont je viens d’être témoin. Il y aurait sans doute beaucoup de choses à dire de ce citoyen remarquable ; mais les pompeux éloges de la presse n’ajouteraient rien à son mérite, ni aux regrets qu’il a laissés. Puissent les hommes placés comme lui à la tête de la société laisser au-delà de la tombe de tels souvenirs de vertus solides et de tels regrets dans le cœur de tous les honnêtes gens ! »

Mes chers enfants, ma tâche est maintenant terminée. Puisse ce travail que je n’ai entrepris que pour votre utilité et pour la plus grande gloire de Dieu produire les fruits que j’en ai espérés ! Puisse cette lecture vous inspirer le désir de marcher sur les traces de votre vénéré père, et de devenir, comme lui, de fervents chrétiens et de bons citoyens.



APPENDICE


Extrait du Canadien du 17 juillet 1846 :


ADRESSE DES MESSIEURS DU COLLÈGE DE SAINTE-ANNE[22]


« C’est avec grand plaisir que nous publions la correspondance suivante. Nous sommes convaincus que Messieurs les Directeurs du Collège de Sainte-Anne, dans leur adresse, ont fidèlement exprimé, non seulement leur propre opinion, mais celle de tout le district de Québec, qui peut maintenant enfin espérer d’obtenir quelque justice dans la répartition des deniers publics pour les travaux d’amélioration.


« À l’honorable Charles Eusèbe Casgrain, avocat, commissaire des Travaux Publics.

« Monsieur, Nous nous sommes réjouis comme amis et comme canadiens, de votre nomination à la charge de commissaire des Travaux Publics. Nous n’aurions eu qu’à suivre l’impulsion du sentiment public, que l’expression sincère de nos propres sentiments vous était due ; mais à ce motif, non équivoque, s’en joint un autre tout particulier, en notre qualité de directeurs du collége de Sainte-Anne.

« Nous appellerions heureuse l’occasion de vous manifester hautement ce dernier motif, si elle n’avait pour suite regrettable votre éloignement de nos quartiers et la privation de nos liaisons réciproques, déjà plus d’une fois si utiles à notre jeune institution.

« Veuillez-donc, monsieur, agréer ce double témoignage que nous devons à votre caractère public et à votre généreuse amitié. Nous prions Dieu qu’il daigne continuer de bénir les vœux les plus chers d’un citoyen et d’un ami encore plus honorable par ses vertus, que par son caractère et le rang qui le distingue.

« Nous nous souscrivons, monsieur, avec pleine estime et considération, vos serviteurs et amis,
« Al. Mailloux, Ptre.
C. Gauvreau, Ptre.
F. Pilote, Ptre.
T. B. Pelletier, Ptre.
C. E. Richard, Ptre.
J. C. Cloutier, Ptre.
« Collège de Sainte-Anne, 27 juillet 1846. »


Voici la réponse de M. Casgrain :
« Montréal, 1er août 1846.
« Aux Révérends Messieurs Mailloux, Gauvreau, Vicaire Général, et Messieurs Pilote, Richard et Cloutier, prêtres et directeurs du Collège de Sainte-Anne, etc., etc.
« Messieurs et respectables amis,

« Je suis particulièrement sensible à la bienveillance et à la manière si honorable dont vous me traitez, dans votre lettre du vingt-sept du mois dernier, qui m’a été remise au moment de mon départ de la Rivière-Ouelle, et à laquelle je n’ai pu répondre qu’à mon arrivée ici.

« Il m’est bien flatteur que l’acceptation de la charge de second Commissaire des Travaux Publics ait rencontré l’approbation de mes concitoyens, dans ma localité, et surtout celle de Messieurs les Directeurs du Collége de Sainte-Anne, ces dignes membres d’une maison que j’ai toujours affectionnée.

« Je sens combien j’ai perdu en m’éloignant d’amis aussi sincères que respectables, dont la fréquentation était une des plus grandes jouissances de ma vie, et dont le souvenir me sera infiniment cher.

« Veuillez recevoir l’assurance de ma haute considération et du respect profond, avec lequel j’ai l’honneur de me souscrire,

Messieurs,
« Votre très-humble serviteur et ami dévoué,
« C. E. Casgrain. »

Le Canadien du 7 août 1846 contient la publication des autres adresses qui furent présentées, à la Rivière-Ouelle, à votre père au milieu d’un grand concours de personnes. Ces adresses furent faites à la suite d’une grand’messe recommandée par M. Casgrain, pour demander à Dieu ses bénédictions sur la nouvelle position qu’il allait occuper.

« Nous sommes heureux de voir, que dans le peu de mots dont nous avons accompagné l’annonce de l’acceptation, par l’honorable M. Casgrain, des fonctions de commissaire des Travaux Publics, nous n’avons fait qu’anticiper l’expression des sentiments de tout ce qu’il y a de plus respectable dans le district de Québec, et en particulier de ceux que des rapports de voisinage ou autres ont mis plus à même d’apprécier les qualités de ce digne et vertueux citoyen. C’est pour ses compatriotes du district de Québec surtout, et non pour M. Casgrain lui-même, que nous nous réjouissons de cette nomination. Ce Monsieur, d’une santé très-délicate, indépendant du côté de la fortune, et préférant par goût la vie des champs, où il était tranquille et heureux au milieu de sa famille et de ses nombreux amis, à la vie agitée des villes, aux luttes des parties et aux intrigues de la politique, a fait, nous le savons, un très-grand sacrifice, en acceptant un emploi qui dérange ses habitudes, et l’éloigne temporairement de ce qu’il a de plus cher au monde ; et nous sommes persuadés que ce sera bien volontiers qu’il s’en démettra, du moment qu’il ne croira plus pouvoir y être utile à ses compatriotes. Aussi, éprouvons-nous un vrai plaisir à publier les documents suivants qui nous sont parvenus depuis le départ de M. Casgrain, dont nous avons annoncé le passage à Québec en route pour Montréal. »

« Rivière-Ouelle, 28 juillet 1846.

« Monsieur l’Éditeur, votre note éditoriale, en date du 17 juillet courant, sur la récente acceptation par C. E. Casgrain, écuyer, de l’office de second Commissaire des Travaux Publics, me fait espérer que vous accueillerez avec bienveillance la correspondance suivante de celui qui a l’honneur de se souscrire, avec considération, Monsieur, votre obéissant serviteur,

De St. J.

« Mardi dernier, la plus grande partie des notables et des citoyens de la paroisse de la Rivière-Ouelle et une grande partie des notables et des citoyens des paroisses de Sainte-Anne, de Kamouraska et de Saint-Denis, et quelques notables de Saint-Roch, se rendirent à la demeure de C. E. Casgrain, écuyer, pour lui faire un triste mais consolant adieu.

Arrivé là, le Révd. M. Bégin, curé de la Rivière-Ouelle, après un laconique discours rempli de sentiments et d’à propos, présenta à M. Casgrain l’adresse suivante :

« Adresse des notables et des citoyens des paroisses de la Rivière-Ouelle, de Sainte-Anne de la Pocatière et de Saint-Denis, etc., etc.

« À l’Honorable Charles-Eusèbe Casgrain.

« Monsieur, — Permettez-nous, au moment où vous vous séparez de nous, de vous offrir nos adieux et de vous présenter les témoignages de notre estime et de notre considération.

« Si votre caractère de bon citoyen, d’homme probe, instruit et judicieux, n’était une garantie certaine du bien que le public devra retirer de votre acceptation de l’office de commissaire des Travaux-Publics, aujourd’hui, nous vous conjurerions de rester parmi nous, où, depuis près de vingt années, votre esprit de conciliation et de droiture et votre générosité, vous ont fait prodiguer gratuitement aux pauvres comme aux riches, vos lumières et vos talents qui nous furent si utiles.

« Nous connaissons parfaitement bien, Monsieur, que la haute position à laquelle vous êtes appelé, est loin d’augmenter l’heureuse indépendance de votre fortune, et que les conseils de vos amis et l’intérêt public ont pu seuls vous engager à leur sacrifier votre repos et vos intérêts.

« Nous connaissons combien il est pénible à l’homme sensible de briser avec les affections qu’il a contractées pour les lieux qui l’ont vu naître ; pour les lieux où il fut entouré du respect et de la considération de tous ses concitoyens ; et puis nous voudrions vous féliciter ; mais nous avons trop à regretter…

« Nous avons l’honneur d’être avec considération, Monsieur, vos très-humbles et obéissants serviteurs.

(Ci suivent les signatures de deux cents des notables de l’endroit, et des plus honorables citoyens.)


Et aussitôt après lecture de cette adresse, l’honorable A. Dionne, qui avait marché en tête de l’assemblée, accompagné de M. Bégin, présenta l’adresse suivante :

« Adresse à l’honorable Charles-Eusèbe Casgrain, à l’occasion de sa nomination récente sur la commission du Bureau des Travaux Publics et de son prochain départ de la Rivière-Ouelle, pour fixer sa résidence à Montréal.

« À l’honorable Charles-Eusèbe Casgrain, de la Rivière-Ouelle.

« Nous soussignés, le maire et les conseillers municipaux de la paroisse Saint-Louis de Kamouraska, et autres notables de la dite paroisse,

« Vous déclarons que c’est avec le plus vif regret, que nous avons appris votre prochain départ pour la capitale.

« Les importants services que vous avez rendus au comté de Kamouraska, par vos avis gratuits et conciliants, comme avocat ; vos vertus publiques et privées et la justice que l’on ne doit jamais refuser de rendre au mérite, nous font un devoir, dans les circonstances actuelles, de vous dire que la conduite habile et impartiale avec laquelle vous avez rempli tous les devoirs de citoyen, vous a mérité la satisfaction publique et nous fait espérer que cette partie du district qui a de tout temps été négligée sous le rapport des communications intérieures, obtiendra enfin par votre médiation la justice qui lui est due.

« Agréez, Monsieur, l’assurance de notre estime la plus sincère, et nos vœux pour votre bonheur futur.

« Kamouraska, 27 juillet 1846. »


Après quoi M. Casgrain prononça quelques mots de remercîments, avec cette émotion qui amène aux yeux les larmes du cœur, et ne pouvant surmonter les impressions laissées dans son âme à la suite de telles manifestations de considération et de regrets, chargea M. Letellier, notaire de la paroisse de la Rivière-Ouelle, de donner les réponses suivantes :

« À Messieurs les notables et citoyens des paroisses de la Rivière-Ouelle, Sainte-Anne, Saint-Denis et Saint-Roch,

« Messieurs, — L’approbation de ma conduite passée, les sentiments d’estime et de confiance que vous voulez bien me témoigner dans cette circonstance, me sont extrêmement flatteurs et précieux, mais bien au-dessus de mes mérites et des faibles services que j’ai rendus. Si j’ai pu opérer quelque bien, je le dois à la coopération cordiale que j’ai toujours rencontrée parmi vous.

« Appelé, par le gouvernement de Sa Majesté, à remplir une place de responsabilité, aidé de la Providence et fort de votre appui, j’espère pouvoir m’acquitter de mes nouveaux devoirs pour l’avantage général et surtout pour cette section considérable et importante du pays trop négligée jusqu’à ce jour.

« Si je ne croyais devoir vous être plus utile dans ma nouvelle position, je n’aurais pas consenti à sacrifier mes goûts, mes habitudes domestiques, et encore moins à froisser les liens d’affection étroite qui m’unissent à vous, en laissant cette paroisse, que j’avais choisie pour tombeau. Néanmoins c’est ma volonté exprimée, que mes cendres reposent avec les vôtres. Madame Casgrain est aussi sensible que moi à l’hommage que vous lui rendez et à la manifestation de vos sentiments d’estime et de considération à son égard, ainsi qu’aux souhaits que vous formez pour notre bonheur et celui de notre famille. Nous n’oublierons jamais vos procédés pleins de délicatesse et d’attention pour nous : ils seront un adoucissement aux regrets amers que nous avons de vous quitter.

« Veuillez bien recevoir, messieurs, l’assurance respectueuse de ma haute estime et considération et me croire, bien parfaitement, votre très-humble serviteur et ami dévoué.

« (Signé) C. E. Casgrain. »

« À l’honorable M. le maire, MM. les conseillers municipaux et autres messieurs notables de la paroisse de St. Louis de Kamouraska.

« Messieurs, je ne puis assez vous remercier de votre attention marquée, de laisser vos occupations et de venir d’une paroisse éloignée pour me témoigner votre confiance et l’expression de vos sentiments à l’occasion de mon acceptation de l’office de second commissaire des Travaux Publics. C’est pour moi un grand sujet de satisfaction de rencontrer votre approbation et votre appui. Les sentiments que vous entretenez à mon égard sont bien au-dessus de mes mérites ; je sens que j’en suis en grande partie redevable à votre indulgence et à votre amitié ; mais tous mes efforts tendront à m’en rendre digne et à appeler spécialement l’attention du gouvernement de sa Majesté sur cette partie importante de la Province.

« Il est inutile de vous dire combien il m’en coûte de vous laisser et de me séparer d’amis aussi sincères que dévoués. Veuillez recevoir, messieurs, l’expression de ma vive reconnaissance et croire à mon respectueux et profond attachement pour vous.

« (Signé) C. E. Casgrain. »
« Rivière-Ouelle, 28 juillet 1846. »

« Qu’elles étaient belles, M. l’éditeur, ces manifestations rendues à un citoyen en présence de plus de trois cents personnes et qu’il fut difficile pour M. Casgrain de donner un dernier adieu à ceux qui venaient de lui exprimer ainsi leurs regrets, leurs félicitations et leurs souhaits ! Mais tout n’était pas fini : un cortége de voitures contenant les notabilités qui s’étaient rendues chez M. Casgrain, en cette circonstance, l’accompagnèrent jusqu’à l’église de Sainte-Anne, où M. Casgrain les pria de s’arrêter. Après être descendu de voiture et leur avoir tendu la main une dernière fois, il les remercia de leur généreuse démarche et alors le cortége se divisa et plusieurs voitures continuèrent malgré ses instances jusqu’à Saint-Roch. De semblables démonstrations, en faveur d’un citoyen, ne sont-elles pas une garantie ? et l’homme à qui elles sont adressées ne mérite-t-il pas la plus haute considération ? C’est ce que je laisse au jugement du public. »

Comme c’est souvent le cas, la nomination de M. Casgrain au poste important de second commissaire des Travaux Publics ne fut pas du goût de tout le monde. Le Herald (journal de Montréal) avait vu dans cette nomination trop de favoritisme pour le parti canadien-français et s’était même servi d’expressions un peu cavalières.

Voici comment la Revue Canadienne signale cet incident :

« Le Herald, il y a quelques jours, avait fait injure à M. Casgrain du département des Travaux Publics, en le classant avec des gens du calibre de M… Le Pilot dans son dernier numéro a réclamé contre une attaque aussi injuste que mal fondée. Le Herald de ce matin fait ample apologie à M. Casgrain, qui jouit au milieu de nous du caractère le plus honorable et de l’estime générale. »

« We had, » dit le Herald, dans son apologie « no intention of imputing anything dishonorable to Mr. Casgrain, whose character as a gentleman, and a man of honour certainly altogether removes him from the company in which we placed him. We meant merely to condemn an appointment which, as it appears to us, was made because of Mr. Casgrain’s french name rather than for any fitness of office. For that gentleman, we entertain the highest respect, and should extremely regret any remark of ours which could cause him pain. »




LA FAMILLE BABY



Les détails qui suivent vous feront connaître ce que furent vos ancêtres maternels. Ils sont extraits d’un ouvrage publié récemment à Montréal sur les principales familles canadiennes.

« Les éminents services que la famille Baby a rendus de tout temps au pays ; la réputation qu’elle s’est acquise en ces dernières années par son esprit d’entreprise, ne nous permettent pas de la passer sous silence. Elle appartient d’ailleurs à ce groupe de races illustres qui ont si puissamment contribué à la conservation et à la prospérité de la Nouvelle-France. Ses armes sont : de gueules à trois lions d’or, deux et un. Alliée aux du Sablé, aux de Longueuil, aux de Lanaudière, aux de Gaspé, etc., cette famille compte encore aujourd’hui de nombreux rejetons.

JACQUES BABY DE RANVILLE

M. Jacques Baby de Ranville est le chef de cette famille en Canada. Comme les Lanaudière, il était originaire de la Guienne et descendait de Jean Baby, seigneur de Ranville, et de Dame Isabeau Robin. Il passa dans la Nouvelle-France avec le Régiment de Carignan, où il était officier (1665). S’étant déterminé, sur les instances de ses chefs, et à l’exemple de la plupart des officiers de ce régiment, à s’y fixer il s’établit dans la paroisse de Champlain. D’après le recensement de 1681, on voit qu’il possédait déjà, à cette époque, 40 arpents de terre défrichée et 8 bestiaux. C’était alors une propriété considérable ; car Monsieur de Varennes, gouverneur des Trois-Rivières, n’avait que le même nombre d’arpents de terre défrichée.

Comme trait caractéristique de cette période primitive, on remarque, en feuilletant ce recensement, le soin que l’on prenait de constater le nombre et la qualité des armes dont chaque famille était munie pour la défense de la colonie. Ainsi l’on voit que Jacques Baby possédait un fusil et un pistolet. Il avait à son service deux domestiques dont les noms de baptême nous ont été conservés : Maximin né en 1631 et Magdeleine née en 1665.

M. Jacques Baby épousa en 1670 Mlle Jeanne Dandonneau du Sablé, fille de M. Dandonneau, seigneur de l’Isle-du-Pads, et de dame Jeanne LeNoir[23].

Élève de la vénérable Mère de l’Incarnation, première supérieure des Ursulines de Québec, Mlle du Sablé répondit de tout point à la solide éducation qu’elle avait reçue et aux espérances qu’elle avait fait concevoir. Modèle achevé des épouses et des mères, elle fut pour toute la colonie une prédication vivante. Aussi Dieu bénit-il visiblement son mariage. De cette union sont sortis grand nombre d’enfants qui tous firent honneur à leur noble origine, sous les noms de Duperron et de Chèneville. Trois des demoiselles firent d’excellents mariages. Marie-Anne épousa M. de Lusignan appartenant à une maison des plus honorables. Les deux autres entrèrent dans la famille Crevier et l’une d’elles devint belle-mère de M. P. Boucher, ce vénérable patriarche qui a laissé aux générations futures de si beaux exemples.

Raymond, le plus jeune de la famille, s’étant fixé à Montréal, y épousa, le 9 juin 1721, Mlle Thérèse Dupré, fille de M. Louis LeComte Dupré et de Dame Catherine Saint-Georges. Par sa fortune, par ses alliances avec les Juchereau Duchesnay, les Picoté de Bélestre, les Hertel, etc., cette famille était alors une des plus considérables du pays. Devenu père d’une nombreuse famille, M. Baby vit ses enfants, Louis, Jacques, Antoine et François, prendre part à toutes les guerres sanglantes de l’époque et s’y faire une réputation de bravoure des plus dignes d’envie. En 1755, connaissant la singulière influence qu’ils s’étaient acquise sur les Sauvages par leur conduite à la fois douce et ferme. M. de Contrecœur qui commandait au fort Duquesne, leur confiait une mission des plus périlleuses : celle de repousser les Anglais avec quelques guerriers de la nation des Loups : « Aussitôt le présent ordre reçu, est-il dit dans le document qui en fait foi, ils partiront avec un parti de Chaouénons et de Loups, pour aller à la rencontre des Anglais. Si l’ennemi n’a pas dépassé la hauteur des terres, ils s’en reviendront sans frapper, et empêcheront, autant qu’il leur sera possible, les Sauvages de le faire. Si, au contraire, ils les trouvent en armes sur les terres du Roi, ils les repousseront par la force, mais auront attention pour que les Sauvages n’exercent aucune cruauté envers les prisonniers. Fait au fort Duquesne, le 18 juin 1755. (Signé) Contrecœur. »

L’année suivante, M. Dumas qui, après la mort de M. de Beaujeu, avait été chargé de commander à sa place au fort Duquesne, également confiant dans l’habileté et la valeur des jeunes Baby, donnait à l’un d’eux l’ordre suivant : « Il est ordonné au sieur Baby de partir avec un détachement de troupes, pour se rendre en Pensylvanie. Il s’attachera à observer les mouvements de l’ennemi, s’efforçant de saisir ses convois et de faire des prisonniers, afin de pénétrer ses desseins. Il marchera avec toutes les précautions possibles, afin d’éviter toute surprise, ayant toujours des éclaireurs en avant et sur ses ailes. Il emploiera son talent et le crédit qu’il a sur les Sauvages, pour empêcher toute cruauté à l’égard des prisonniers. Fait au fort Duquesne, le 20 juin 1756. (Signé) Dumas. »

Les Anglais persistant à s’emparer de la vallée de l’Ohio, M. de Ligneris qui avait succédé à M. Dumas dans le commandement du fort Duquesne, envoya encore M. Baby à leur poursuite. C’était au mois d’août 1757. L’ordre est ainsi conçu : Il est ordonné au Sieur Baby, officier dans les troupes, de partir incessamment de ce fort, avec le parti dont nous lui avons donné le commandement, afin de reconnaître l’ennemi et de l’attaquer, s’il trouve jour à le faire. Il prendra le plus grand soin pour savoir ses intentions et nous en donnera avis le plus promptement qu’il lui sera possible. S’il fait des prisonniers, il veillera à ce que les Sauvages ne se permettent aucune cruauté à leur égard et fera tous ses efforts pour les en empêcher. (Signé) De Ligneris.

L’année suivante, au mois d’avril, le même officier chargeait les MM. Baby d’une nouvelle mission en Virginie. « Il est ordonné au Sieur Baby, officier de milice, est-il dit dans ce nouveau document, de partir incessamment de ce fort, avec le Sieur Duperon, son frère, et de lever un parti de guerre qu’ils commanderont conjointement. Ils se mettront en campagne le plus promptement possible et iront frapper dans la province de la Virginie. » Les deux intrépides officiers étaient à peine de retour, ramenant avec eux vingt-neuf prisonniers, qu’ils étaient priés par M. de Vaudreuil de prêter main-forte à M. Duplessis, major des troupes à Montréal. En 1760, lorsqu’il fut question d’arrêter l’ennemi dans sa marche sur Montréal, ils furent encore envoyés à l’Île Sainte-Hélène, où commandait M. d’Ailleboust.

Comment les MM. Baby s’acquittèrent-ils des différentes opérations qui leur furent confiées ? C’est ce que nous apprend M. de Vaudreuil dans les lignes qu’on va lire :

« Pierre Rigaud, marquis de Vaudreuil, Grand’Croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, Gouverneur et Lieutenant-Général pour le Roy en toute la Nouvelle-France, certifions que les Sieurs Baby frères ont donné dans toutes les occasions les plus grandes preuves de leur zèle et de leur désintéressement pour le service du Roy, qu’ils se sont distingués par leur bravoure et leurs talents, dans toutes les occasions qui se sont données contre l’Anglais, que depuis l’établissement de la Belle-Rivière, il y en a toujours eu quelques-uns d’entre eux employés auprès des nations de cette contrée, et que dans plusieurs circonstances très-critiques, nous avons ressenti, avec avantage, le crédit et l’autorité qu’ils ont sur ces peuples ; qu’en dix occasions, on leur a confié des détachements qu’ils commandaient en chef pour aller frapper sur les provinces de l’ennemi, et toujours avec succès, entre autres en 1758, avec 30 hommes, ayant fait dans la Virginie et amené au fort Duquesne vingt-neuf prisonniers. L’hiver dernier 1760 le commandant du Détroit, étant dans le cas d’envoyer des présents aux nations de ces contrées, et n’en ayant point dans les magasins, ces Messieurs, qui étaient destinés pour cette affaire, les ont faits eux-mêmes. Enfin, qu’ils ont saisi, sans intérêt et avec empressement, tous les moyens de se rendre utiles. En un mot, que leurs services nous ont été si agréables que nous ne pouvions rien faire de mieux que de leur accorder le présent certificat. »

« Fait à Montréal le 15 juillet 1760.
« Vaudreuil. »

On ne peut rien ajouter à un éloge aussi flatteur.

M. Raymond Baby ne vécut pas assez longtemps pour être témoin des valeureux exploits de ses enfants. Il mourut au mois de mars 1737. Depuis longtemps son père et sa mère étaient descendus dans la tombe. Son épouse lui survécut quelques années et décéda aux Trois-Rivières entre les bras de la mère Thérèse de Jésus, l’une de ses filles, qui s’était fait religieuse chez les Ursulines de cette ville, où, après avoir rempli les diverses charges de sa communauté et donné les plus beaux exemples de vertu, elle s’endormit dans le Seigneur dans un âge très-avancé. Les autres demoiselles Baby restèrent dans le monde. L’une épousa M. Claude Benoist, chirurgien à Villemarie ; l’autre est devenue l’aïeule de M. J. F. Perrault, qui, à la prière de Lord Aylmer, mit par écrit, quoique âgé de quatre-vingts ans, le récit de ses intéressantes aventures. Une troisième devint l’épouse de M. Jean-Baptiste de Niverville, seigneur de Chambly. De leur côté, les MM. Baby, à part Antoine qui ne se maria point, s’étaient donné chacun une épouse. Louis, l’un d’eux, était entré dans la famille de Couagne. Le 24 juillet 1758, il avait épousé Mlle Louise de Couagne, fille de M. Jean-Baptiste de Couagne, capitaine d’infanterie, et de dame Marguerite LeNeuf de Falaise, les deux autres, Jacques et François, formèrent les deux branches qui suivent.

1o. Jacques Baby. — M. Jacques Duperron Baby, second fils du précédent, fut le chef de cette branche. Après s’être signalé, fort jeune, de concert avec ses frères, à la Monongahéla, sur les Plaines d’Abraham et à Sainte-Foye, le Canada ayant été définitivement cédé à la Grande-Bretagne, il passa au Détroit qui faisait encore partie intégrante du Canada. Alors bien des existences étaient brisées ; bien des avenirs étaient compromis. Dans le but de réparer les brèches que le malheur des temps avaient faites à sa fortune, il s’appliqua au commerce des pelleteries, à l’exemple de MM. de Lotbinière, de Verchères, Celoron de Blainville, etc. Les rapports que ce commerce nécessitait avec les sauvages, lui requirent en peu de temps une immense influence sur les tribus des pays d’en haut. Charmés de ses bons procédés, frappés de la loyauté de ses transactions, ces soupçonneux enfants des forêts mirent en lui toute leur confiance. M. Baby en profita pour leur donner de sages avis et se rendre utile à son pays.

En vue de reconnaître les services que M. Baby avait rendu à la couronne britannique, Lord Dorchester le nomma juge au Détroit. Le nouveau gouvernement ne pouvait compter sur un sujet plus dévoué. Lorsqu’éclata l’insurrection dans les colonies anglaises, loin d’embrasser le parti des insurgés, il mit tout en œuvre, d’abord pour les dissuader, et ensuite pour faire échouer leurs desseins sur le Canada. Il avait à cette époque des propriétés considérables : elles furent confisquées. Les promesses brillantes que l’on avait fait entendre à ses oreilles, n’avaient pu ébranler un instant sa fidélité : les mauvais traitements dont il fut alors l’objet, ne purent davantage abattre son courage, ni diminuer sa constance. Il demeura le modèle parfait du citoyen intègre. C’est dans ces sentiments qu’il termina son utile mais trop courte carrière en 1789, à Sandwich, n’étant encore âgé que de cinquante-huit ans.

Trente-six ans auparavant, le 20 novembre 1760, M. Baby avait épousé au Détroit, Mlle Suzanne de la Croix Réaume, personne des plus remarquables par la fermeté de son caractère et la beauté de son esprit. Cette dame survécut plusieurs années à son mari. Elle profita de son veuvage pour achever l’éducation de ses enfants auxquels elle sut inspirer, avec l’esprit d’abnégation et de sacrifice si nécessaire à cette époque, l’amour du foyer, l’éloignement des plaisirs dangereux, la fidélité aux devoirs, le respect des convenances et l’attachement aux nobles traditions que leur avaient léguées leur père et leur grand-père. Ses enfants étaient au nombre de onze : sept garçons et quatre filles.

Les demoiselles firent toutes des mariages avantageux. L’une épousa M. Caldwell ; une autre devint l’épouse de M. Allison, et a été, comme on l’a dit, belle-mère de M. P. de Gaspé. Des deux autres, l’une fit alliance avec M. Ross-Lewin ; l’autre contracta mariage avec M. Bellingham, devenu depuis Lord Bellingham.

Pendant que les demoiselles Baby formaient ces unions dans le monde, leurs frères se faisaient un nom à l’armée. — Daniel, après s’être signalé en Espagne, sous Wellington, en qualité de lieutenant dans le vingt-quatrième régiment d’Infanterie, acheva de se couvrir de gloire au siège de Badajoz. Plus heureux que les deux de Salaberry, ses compatriotes, qui y trouvèrent la mort, il en revint sain et sauf, et parvint quelque temps après au grade de lieutenant-général. Il est mort tout récemment à Londres, après avoir eu le plaisir de recevoir la visite de son cousin, l’Honorable François Baby. — Antoine, ayant aussi pris du service, passa aux Indes, où sa bravoure lui mérita le grade de Major dans son régiment. Ayant alors épousé une demoiselle d’origine française, il quitta le service et vint se fixer à Tours, où on le voyait encore en 1860. — Louis suivit également ses frères aux Indes. C’est là qu’il fut promu au grade de capitaine dans le vingt-quatrième régiment d’infanterie. Il en remplissait les fonctions, lorsqu’il trouva la mort, en combattant à la tête de ses troupes. — Pierre, un autre de leurs frères, embrassa la carrière médicale. Comme il possédait de rares talents, on l’envoya à Édimbourg, en Écosse, suivre les cours de médecine en cette ville. De retour dans son pays, le jeune docteur se fixa dans le Haut-Canada, où il s’allia à une famille d’origine écossaise.

IIo. Jacques Baby. — M. Jacques Baby, frère des précédents, continua la lignée. Il était l’aîné de la famille, et il peut en être considéré comme le plus marquant.

La notice biographique suivante fut écrite à sa mort par son ami, le lord bishop Strachan, de Toronto :

« James Baby. — It is with extreme concern that we announce to the public, the loss of so valuable and respected a member of this Society, as the Hon. James Baby, who after a very short but severe illness, breathed his last, on the afternoon of Tuesday, the 19th inst., in the 71st year of his age. — As very few persons had heard of his illness, the report of his death produced a great sensation, for he was much beloved by all who knew him. His disease was at first attended with excessive pain and repeated convulsions, and when they abated, he was reduced to a state of great debility, and had lost the power of articulation. He was nevertheless quite sensible, knew what was said to him and recognised his friends when they approached him. He seemed fully aware of his approaching dissolution, and bearing his illness with great fortitude and composure, he looked forward to the awful event, with tranquil resignation.

« Those animating hopes with which he had always rested in humble confidence on the mercies of his God, enabled him to contemplate death without dismay ; and his last moments were marked with that elevated serenity and pious submission, which well became the conclusion of a life in which the great duties of a man and a Christian, had been conscientiously discharged.

« In every thing that relates to the life and character of a person so extensively known through both Provinces and deservedly beloved, the public will naturally feel a lively curiosity ; and we lament that we are unable to meet this laudable desire with any other than a hasty and imperfect sketch of both. Yet short as our notice must of necessity be, there will be found something to stimulate to moral improvement, something to recommend and inspire the love of virtue and to exemplify the rewards of rectitude and the consolation of religion.

« James Baby was born at Detroit in 1762. — His Family was one of the most ancient in the colony and it was noble. His father had removed from Lower Canada to the neighbourhood of Detroit, before the conquest of Quebec where, in addition to the cultivation of lands, he was connected with the fur trade at that time, and for many years after, the great staple of the country. James was educated at the Roman Catholic Seminary at Quebec, and returned to the paternel roof soon after the peace of 1783. The family had ever been distinguished (and indeed all the higher French Families) for their adherence to the British crown ; and to this more than to any other cause, are we to attribute the conduct of the Province of Quebec during the American war. Being a great favorite with his father, James was permitted to make an excursion to Europe, before engaging steadly in business, and after spending some time, principally in England, he rejoined his family.

« Infortunately the limits assigned by treaty to the United States, embraced within it the larger portion of his father’s property, and the family attachment to the British Government, being well known, they were looked upon with little favour by the American population, and found it necessary, after much loss and disappointment, to remove to the north side of the River Detroit, which constitutes the boundary of Upper Canada. When the province of Quebec was divided into two distinct governments, Upper and Lower Canada, the subject of this notice became an Executive and Legislative Councillor of the former, and continued in the regular and efficient discharge of the high and important duties of these eminent stations, to the day of his death.

« Soon after his return from England, he became extensively concerned in the fur trade, and other commercial pursuits ; but war with the United States having broken out, all business was suddenly and completely stopped by a hostile invasion. Previous to this, he had experienced very serions losses in his commercial dealings, and also in the erection of mills, on the property still retained with the territories of the United States, and was endeavouring to make such arrangements as would relieve him to attend to his farm and orchard, and his promising family. The sudden war, and the calamities which it occasioned him were not the only evils which befell him. — About the same time, he lost an affectionate wife, leaving five sons and one daughter, all very young.

« To this Lady, a woman of excellent name, unblemished worth, and attentive to every conjugal and domestic duty, he had been married several years, and in her society, had enjoyed the greatest happiness. Her death gave him a great shock ; nor did he perhaps everwholly recover from the blow, for there were moments when he felt the loss, even to the last, most deeply, and he never married again. The death of Mrs. Baby appeared to blast his hopes, and derange his purposes, and to throw him as it were adrift on the ocean of life.

« The commencement of the war was perhaps fortunate for him under his heavy bereavement, for he was immediately called to active service. He commanded the Militia of the Western District and performed many services highly essential to the preservation of the Province. The people were anxious to win his favour ; they had the most unlimited confidence in his judgment, and at his request their provisions, their cattle, and personal services were ever ready to support the King’s forces in making head against the enemy. When it was in contemplation to withdraw the troops from the Western part of the province, he sent his children to Quebec ; and when this event took place, he found his health so much impaired by fatigue and privation, and the grief which still consumed him, that he found it necessary to adopt the advice of his Physicians, and to retire to Lower Canada.[24]

« There he remained with his children till the re-establishment of peace, but not in the enjoyment of health, nor was it till after he had been some time at Sandwich that his strength and energy returned.

« His merits had been so conspicuous during the war — his services so disinterested — his losses and privations so great, that government was anxious to confer upon him some mark of approbation, and knowing that his means had been very much impaired by the sacrifices he had made, it was determined to confer upon him the first office that became vacant, if worthy of his acceptance. As if to meet these views, the office of Inspector General a place of great responsibility, was in a short time at the disposal of government, and was immediately bestowed upon M. Baby. The last 17 years of his life have been spent at York (aujourd’hui Toronto), in the discharge of the duties of this office, and never has there been the slightest shadow of complaint — a fact, the more remarkable as he had to check every other office in the province, and to pronounce in a variety of questions, in which numbers were deeply interested, but such was the public confidence in his integrity and honor, that not a murmur was ever heard.

« As a member of both Councils he displayed the most uncompromising probity and no influence could induce him to give up an opinion, which, after mature examination, he concluded to be right. Owing to his having cultivated both languages, French and English, and sometimes speaking in the one, and sometimes in the other, he seemed, at times, slow of apprehension, and after having made up his mind somewhat pertinaceous, but it was the result of high principle — there was nothing of levity or selfishness allowed in forming his conclusions.

« There was a primitive simplicity in M. Baby’s character, which added to his polished manners and benignity of disposition, threw a moral beauty around him which is very seldom beheld. His favorite amusements partook largely of this simplicity. He was fond of fishing — The solitude with which it was attended was congenial to his mind — it gave him exercise, fresh air and an appetite. For this amusement he had always a strong predilection. — It required hope and much patience ; and indeed, few can sit quietly on the flowery bank of a calm river, separated from the cares and business of the world, without falling into such contemplations as shall benefit their souls.

« He had, perhaps, still greater pleasure in attending to his garden — to prune, to bud and graft, to sow and plant were among his most agreable employments — he delighted in watching the progress of his labours — and was anxious to discover new methods of improving fruits and plants, and ascertaining the most approved methods of cultivation. We would frequently find him hastening in the morning to enjoy his garden, and no man can be fond of its fruits and flowers, and the delightful enjoyment which they yield both to eye and ear by their perfumes and colours, without having his heart touched with gratitude to God, their Creator and was evident in every thing around him. — He had a number of canary birds, which he tended with great care and rejoiced as much in their increase as if he had received some great reward, and when the room resounded with their songs, expressive of their joys, their loves and their happiness, he appeared to participate in their innocent delights. We might proceed to mention the interest which he took in the comfort and happiness of all the domestic animals which he kept about him, but we must hasten to a close.

« His external accomplishments and manners were highly adapted to win affections esteem. To an address pecularly engaging from its dignity, urbanity and ease, was united a cordiality and kindness of deportment which induced one to desire a more intimate acquaintance.

« In his social intercourse he was an universal favorite for the sweetness of his temper, and innocence of his heart opened the affection of all in his favor. It was not that he was distinguished for his colloquial powers, for he was by no means the leader in conversation, but there was the polish of the most refined manners ripened by innate benevolence, which made him so acceptable in all companies, that those only who have had the happiness of meeting him often in society, can form a just conception of the pleasure of his presence.

« But highly as this excellent man was to be admired and loved for his engaging manners and virtuous sentiments, the exalted qualities which dignified his moral nature are still more worthy of approbation. There were the gems which shed around his character, that lustre which made him so great a favorite. A strict probity and inviolable love of truth were perhaps the most prominent of his moral virtues. From these his conduct derived such a purity and elevation as could only spring from a mind in which the finest sensibilities of virtue had ever remained uncontaminated by the consciousness. »





l’honorable juge

PHILIPPE PANET


(Voir page 182.)

Je dois, avant de terminer ces Mémoires, rendre à cet excellent ami un témoignage tout particulier d’estime et de reconnaissance. La plus étroite amitié unissait M. Panet à votre père, et ils s’étaient mutuellement promis, par testament, que celui qui survivrait à l’autre, prendrait tous les intérêts de la famille de son ami défunt.

M. Panet, ayant survécu à votre père a rempli jusqu’à sa mort cet engagement avec une sollicitude dont le souvenir m’attendrit toujours et doit rester gravé dans vos cœurs.

Il est inutile de faire ici son éloge : son nom est resté comme le synonyme de la vertu. Mgr. Turgeon, archevêque de Québec, dans l’oraison funèbre qu’il a prononcée sur sa tombe, a résumé en deux mots toute sa vie, en lui appliquant ce texte de la Sainte-Écriture : Dilectus Deo et hominibus. Il était aimé de Dieu et des hommes.


FIN.

  1. Nous nous permettons dans la citation de ces lettres de corriger quelques fautes d’orthographe, mais les phrases sont toujours intégralement les mêmes.
  2. Mgr Panet résidait à la Rivière-Ouelle. M. Philippe Panet était son neveu.
  3. Madame Pierre Casgrain.
  4. Marraine était une servante attachée à la maison depuis longtemps, qui avait élevé Madame Casgrain, et qui était la marraine de sa fille Justine, Madame Beaubien.
  5. Autre serviteur de M. Casgrain.
  6. Parure en brillants donnée par Mme Casgrain.
  7. Madame de Vaux.
  8. Travels in Canada and the United-States in 1816 and 1817 by Lieut. Francis Hall 14th Light Drageons F. C. P. London. Printed for Longman, Hurst Rees, Orme, and Brown, Pater Noster Row. 1818. Page 95.
  9. M. l’abbé Gosselin est mort l’année dernière, curé de Saint-Jean de l’Île-d’Orléans. C’était un des plus aimable type du temps passé. Il ne parlait jamais de Mme Casgrain qu’avec attendrissement et vénération.
  10. Le bocage Borromée, maintenant changé en cimetière (Saint-Charles), était la résidence d’été de M. Philippe Panet.
  11. Alors prêtre et depuis archevêque de Québec.
  12. MM. Pierre Casgrain et Charles Têtu.
  13. Lettre du 22 avril 1827 à Mme de Roll.
  14. Maintenant sœur de la charité à l’Hôpital-Général des sœurs-grises à Montréal, où elle entra le 19 octobre 1858.
  15. Il est triste d’avancer en âge lorsqu’on survit à ceux qu’on aime. Dans le mois de juin 1836, la mort enleva ma meilleure amie, Mme Charles Têtu que votre père aimait aussi beaucoup. Je ne saurais la faire mieux connaître, qu’en rapportant ici l’éloge publié par un ami dans un journal du temps.

    « À la Rivière-Ouelle, samedi 11 juin, après une maladie de quelques jours, est décédée à l’âge de 30 ans, Mme Charles Têtu. Cette dame recommandable par son éminente piété autant que par ses vertus sociales, emporte les regrets d’un cercle nombreux de parents et d’amis, et laisse dans la désolation un époux dont elle faisait les délices, et des enfants en bas âge. Ceux qui la connurent, ont su admirer, en elle, un assemblage heureux de qualités qui en ont fait une femme accomplie. Il serait difficile de décrire l’impression que sa mort a produite dans les esprits, surtout dans la classe des malheureux, qui perdent, en elle, une amie compatissante et généreuse. Elle conserva jusqu’à ses derniers moments, ce calme et cette résignation qui caractérisent une âme dévouée aux volontés de Celui qui a marqué la durée de nos jours. Son âme tranquille et pure comme sa vie, s’est dégagée sans effort de ses liens terrestres, et est allée prendre possession de la couronne d’immortalité, de cette couronne qui ne se flétrit jamais.


    « Le Ciel nous l’a ravie !… un souvenir nous reste :
    Celui de ses vertus :
    C’est le parfum du soir, l’odeur pure et céleste
    De la fleur qui n’est plus. »

  16. Votre père arrivant de Québec, accompagné de M. Wilson, entrait dans la salle à dîner lorsque la petite Suzanne, qui n’avait que trois ans, courut au-devant de lui, en lui demandant s’il apportait des bonbons. « Non ma chère, lui répondit-il, je t’ai oubliée. » M. Wilson qui, comme vous le voyez, comprenait le français, crut devoir réparer cet oubli, et il faisait accompagner sa lettre d’une magnifique boîte de nanans.
  17. M. Casgrain était à Québec alors, 14 février 1810.
  18. Il s’agit ici de deux procès, dont l’un s’élevait à plus de £1 000, que nous gagnâmes ; nous perdîmes l’autre où il s’agissait de £2 500.
  19. Voir ces adresses à la fin de l’ouvrage.
  20. Voir à la fin du volume l’adresse du Collège de Sainte-Anne et la réponse de M. Casgrain.
  21. Votre sœur Sainte-Justine était alors au couvent de Berthier.
  22. Voir pages 170 et 172.
  23. Son contrat de mariage fait à Champlain par le notaire Guillaume De la Rue, est daté du 1er juin 1670 : « furent présents, y est-il dit, honorable homme Jacque Babie, fils de deffunt honorable homme Jehan Babie, de la paroisse de Montelon, diocèse d’Aagen, etc., etc. »
  24. Ce ne fut qu’après le rétablissement de la paix, en 1815, qu’il descendit à Québec.