C’était écrit/Chapitre 010

Traduction par Hephell.
Hachette (p. 35-38).

X

C’était une belle journée inondée de soleil et de lumière ; Mme Lewson commençait à recouvrer sa bonne humeur.

« J’ai la superstition du beau temps, disait-elle. J’y ai toujours vu un signe d’heureux augure pourvu, bien entendu, que ce ne soit pas un vendredi. Or, c’est aujourd’hui mercredi… Allons, allons, miss Henley, confiance et courage ! »

Effectivement, l’express rapporta une réponse satisfaisante ; M. Arthur était gai comme pinson.

« Je me suis bien donné de garde, avait-il dit, d’attacher de l’importance à une lettre qui n’était qu’une affaire de chantage. Quant à cette bonne Mme Lewson, c’est une autre affaire, je me conformerai à son avis. Dites-lui que je suis décidé à retarder de deux heures mon départ ; elle peut compter sur moi pour dîner.

— Où donc était M. Arthur, lorsqu’il vous a fait cette réponse ?

— À l’écurie, où j’étais en train de desseller mon cheval. Au même moment, tous les palefreniers causaient et riaient à se tordre. »

Iris était aux regrets qu’Arthur eût donné une réponse de vive voix, plutôt qu’écrite. En cela, elle partageait encore la manière de voir du sauvage lord et sa crainte des mouchards. Le temps marcha lentement, jusqu’à quatre heures ; à ce moment, Iris, n’y tenant plus, proposa à Mme Lewson de profiter de ce bel après-midi, pour aller au-devant de sir Arthur ; la femme de charge opina du bonnet. Toutefois, au bout d’un instant, elle demanda à sa compagne de s’asseoir un moment sur un tronc d’arbre. Iris s’enquit si cette halte n’était pas motivée par une considération particulière. De fait, plusieurs routes bifurquaient à cet endroit, y compris un petit sentier tracé sous bois, que les piétons et les cavaliers prenaient souvent pour couper au plus court. Arthur en profiterait probablement ; cependant, au cas où le hasard lui ferait prendre la grande route, il fallait donc, pour ne pas manquer le cavalier, se placer de façon à commander les deux voies.

Trop agitée pour se soumettre à une attente passive, Iris témoigna le désir de longer pendant un certain temps le sentier sous bois, puis de rebrousser chemin si elle n’apercevait personne.

« Madame Lewson, veuillez m’attendre ici, fit-elle.

— Surtout, ne quittez pas le sentier battu », lui crie la vieille dame.

Iris s’engagea alors sous bois. L’espoir de rencontrer sir Arthur lui fit considérablement prolonger sa promenade, mais dès qu’elle voit la ligne blanche de la grande route, elle rebrousse chemin. Peu après, elle avise, à main gauche, une ruine qu’elle n’avait jamais remarquée ; elle s’en rapproche, et constate que les murs, en partie écroulés, ressemblent, en réalité, à ceux d’une maison ordinaire. Or, si une ruine n’est revêtue de la patine du temps, elle n’offre rien d’agréable à l’œil, au contraire !

Arrivée au tournant de la route, Iris avise un homme qui émerge de l’intérieur des ruines ; elle pousse un cri d’alarme ! Ciel ! Devait-elle croire à son étoile ou à la fatalité du sort ! Le sauvage lord, celui-là même qu’elle s’était juré de ne jamais revoir, le maître de son cœur, pour tout dire d’un mot, peut-être celui de son avenir, était-il donc là, devant elle ?

Tout autre mortel eût demandé à quel heureux hasard il devait cette rencontre inespérée,… mais, lui, tout au bonheur de revoir la femme aimée, s’écrie éperdu : « Mon ange descendu du ciel, que le ciel soit béni ! »

S’approchant d’Iris, lord Harry l’enlace de ses bras caressants ; de son côté, elle cherche à se dégager de son étreinte, pendant qu’il promène un regard investigateur autour de lui. « Je ne vous cache pas, fit-il, que nous sommes environnés de dangers. Je suis venu ici pour veiller sur Arthur. De grâce, Iris, laissez-moi vous embrasser, ou je suis un homme mort ! »

Comme il s’inclinait pour couvrir de baisers le front et les cheveux d’Iris, trois hommes embusqués sortent des branchages ; qui sait, ils ont peut-être reçu le mot d’ordre de le traquer et de le mettre à mort ! Déjà, ils tiennent leurs pistolets braqués droit. Or, voilà qu’à la place du traître qu’on a dénoncé, ils se trouvent en face d’un couple de jeunes amoureux ! Bref, honteux et confus, les trois gaillards s’écrient : « Faites excuse et n’ayez crainte ! » Après quoi, ils pouffent de rire.

Pour la seconde fois, Iris avait sauvé lord Harry d’un péril imminent !

« Laissez-moi, de grâce,… » fit-elle avec l’anxiété vague d’une femme qui perd confiance en elle-même.

Enfin, l’étreignant convulsivement sur sa poitrine, lord Harry reprit :

« Ô ma bien-aimée ! ne me refusez pas la dernière chance de m’amender,… d’être digne de vous !… Je m’y engage pour serment. »

Enfin, les bras du sauvage lord lâchent prise. Une détonation retentit,… puis une seconde,… puis l’on distingue le bruit des pas d’un cheval lancé à bride abattue ; mais bientôt l’on aperçoit la monture sans cavalier. On s’élance à sa poursuite et bientôt on la saisit. Une petite pochette en cuir est attachée à la selle. Lord Harry adjure Iris de s’en emparer. Elle en retire un flacon d’argent ; le nom gravé dessus lui révèle l’horrible vérité.

Alors, poussant un cri aigu, Iris s’écrie d’un ton navré :

« Ils l’ont assassiné ! »