Cœur magnanime/À un petit Oiseau (poésie)

À un petit Oiseau[1]

L’aurore brille : au loin la tempête s’endort.
L’oiseau vole gaiement, sous son léger murmure
La colline s’éveille, et comme un pur accord.
Monte de toutes parts l’hymne de la nature.

Soudain, dans ce concert du jour à son réveil.
Une voix vient frapper mon oreille ravie ;
Son accent est suave, à nul autre pareil.
C’est le tien, bel oiseau, qui célèbres Marie.

Charmant petit chanteur, bel oiseau du bon Dieu,
Ô toi qui, chaque jour, viens redire ma mère.
Quel attrait, dis-le-moi, te retient en ce lieu ?
Quel ange enchaîne ici ton aile si légère ?

Au petit des oiseaux, dans l’espace joyeux
Se jouer, emporté par ses mille caprices ;
Au premier vent jeter ses chants mélodieux.
N’est-ce plus là la vie et les seules délices ?


Ah ! je comprends. Là-bas, sur les verts arbrisseaux,
Qu’un autre aille chercher où reposer son aile ;
Qu’il fasse de sa voix résonner les côteaux.
La tienne en ce lieu trouve objet plus digne d’elle.

Tu dédaignes des bois le charme séducteur :
Chanter la fleur des champs, le lis de la vallée.
Voilà pour ton partage ! Heureux petit chanteur,
Elle est assez belle, la Fleur Immaculée.

Sais-tu pourquoi ton chant à mon cœur est si doux ;
À tout autre pourquoi mon âme le préfère ?
Pourquoi de ton destin je suis presque jaloux ?
C’est que, bien mieux que moi, tu sais chanter ma mère.

Oh ! pourquoi, comme toi, ne puis-je jour et nuit.
Moduler, reposer près de ma mère aimée ?
Près d’elle il fait si bon dormir content, sans bruit,
S’éveiller en chantant avec l’aube embaumée !

Chante, petit oiseau ; du moins à t’écouter
Je ne puis me lasser. De quelle joie intime
Tu pénètres mon cœur ! Pour qui sait la goûter.
Au sentier du labeur comme ta voix anime !

Je dois chanter ma mère aussi, mais autrement,
Mais de pleurs, de sueurs en arrosant ma route.
Oh ! reste près de moi ! Tu chantes si gaiement !
Le travail pèse moins alors que je t’écoute.

Dieu te fit pour chanter, il me fit pour souffrir.
Nos deux rôles sont beaux. Au tien toujours fidèle,
Tu chantes. Moi, hélas ! je ne sais que faiblir.
Ah ! que ta voix du moins au devoir me rappelle !

Mais quel triste penser assombrit mon esprit !
Quoi ! mon front s’est couvert d’un voile de tristesse.
Pauvre petit ! Le temps est proche où dans ton cri
Tout passant pourra lire une grande détresse.


Bientôt la douce image en ce séjour béni
N’aura plus son asile : oui, bientôt le silence
Fera place à nos chants. Sur le rocher bruni
Demeure, toi du moins, et pleure notre absence.

Pleure, oui ! mais Marie, redis son nom encor.
Que sur ces bords déserts ta plainte le soupire.
Pourtant si le péché, plus hideux que la mort,
Devait souiller ces lieux, alors plutôt expire.

Mais ne te mêle point aux cris bruyants du mal.
Où fut la Fleur du Ciel, si jamais l’Enfer règne.
Bel oiseau du bon Dieu, que ton chant virginal
Dise une fois encore Marie, et qu’il s’éteigne !


  1. Dans les cours de ces pensionnats congréganistes, que des Philistins persécuteurs ont fermés avec la brutalité que l’on sait, un des charmes, qui frappaient le visiteur, étaient de ces coquets oratoires en plein air, où l’on venait vénérer quelque madone, la plupart du temps une vierge de Lourdes dans cette attitude extatique qui l’a rendue si populaire. C’est à un de ces oratoires que la pièce suivante fait allusion. On comprendra, par le texte, que l’établissement, où il se trouvait, allait être fermé, et les angéliques femmes, ses hôtesses, allaient être dispersées. Ce sont ces douloureuses circonstances qui ont inspiré la plainte finale.