Césarine Dietrich (RDDM)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 88 (p. 769-808).
II  ►


CÉSARINE DIETRICH

PREMIÈRE PARTIE.


J’avais trente-cinq ans, Césarine Dietrich en avait quinze et venait de perdre sa mère, quand je me résignai à devenir son institutrice et sa gouvernante.

Comme ce n’est pas mon histoire que je compte raconter ici, je ne m’arrêterai pas sur les répugnances que j’eus à vaincre pour entrer, moi fille noble et destinée à une existence aisée, chez une famille de bourgeois enrichis dans les affaires. Quelques mots suffiront pour dire ma situation et le motif qui me détermina bientôt à sacrifier ma liberté.

Fille du comte de Nermont et restée orpheline avec ma jeune sœur, je fus dépouillée par un prétendu ami de mon père qui s’était chargé de placer avantageusement notre capital, et qui le fit frauduleusement disparaître. Nous étions ruinées ; il nous restait à peine le nécessaire, je m’en contentai. J’étais laide, et personne ne m’avait aimée. Je ne devais pas songer au mariage ; mais ma sœur était jolie ; elle fut recherchée et épousée par le docteur Gilbert, médecin estimé, dont elle eut un fils, mon filleul bien-aimé, qui fut nommé Paul ; je m’appelle Pauline.

Mon beau-frère et ma pauvre sœur moururent jeunes à quelques années d’intervalle, laissant bien peu de ressources au cher enfant, alors au collège. Je vis que tout serait absorbé par les frais de son éducation, et que ses premiers pas dans la vie sociale seraient entravés par la misère ; c’est alors que je pris le parti d’augmenter mes faibles ressources par le travail rétribué. Dans une vie de céliPage:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/776 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/777 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/778 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/779 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/780 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/781 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/782 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/783 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/784 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/785 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/786 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/787 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/788 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/789 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/790 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/791 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/792 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/793 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/794 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/795 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/796 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/797 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/798 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/799 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/800 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/801 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/802 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/803 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/804 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/805 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/806 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/807 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/808 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/809 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/810 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/811 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/812 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/813

— Quoi ? s’écria-t-il, faudra-t-il que je raconte à une jeune fille dont la pureté m’est sacrée les vilaines ou folles aventures qu’un garçon raconte tout au plus à ses camarades ?

— Non certes ; mais cette fois-ci vous avez été coupable, m’avez-vous dit…

— Raison de plus pour me taire.

— C’est envers Césarine que vous l’avez été, puisque vous voilà revenu à elle avec une souillure que vous n’aviez pas.

— Eh bien ! soit, dit-il. Je me confesserai quand il le faudra ; mais, pour que j’aie ce courage, il faut que je me voie aimé. Jusque-là, je ne suis obligé à rien. Je suis redevenu libre. Je lui sacrifie un petit amour assez vif : que ne ferait-on pas pour conquérir le sien ?

Césarine l’aimait-elle ? Au plaisir qu’elle montra de le remettre en servage, on eût pu le croire. Elle avait souffert de son absence. Son orgueil en avait été très froissé. Elle n’en fit rien paraître, et le reçut comme s’il l’eût quittée la veille : c’était son châtiment, il le sentit bien, et, quand il voulut revenir à ses espérances, elle ne lui fit aucun reproche ; mais elle le replaça dans la situation où il était l’année précédente : assurances et promesses d’amitié, défense de parler d’amour. Il se consola en reconnaissant qu’il était encore le plus favorisé de ceux qui rendaient hommage à son idole.

Je terminerai ici la longue et froide exposition que j’ai dû faire d’une situation qui se prolongea jusqu’à l’époque où Césarine eut atteint l’âge de sa majorité. Je comptais franchir plus vite les cinq années que je consacrai à son instruction, car j’ai supprimé à dessein le récit de plusieurs voyages, la description des localités qui furent témoins de son existence, et le détail des personnages secondaires qui y furent mêlés. Gela m’eût menée trop loin. J’ai hâte maintenant d’arriver aux événemens qui troublèrent si sérieusement notre quiétude, et qu’on n’eût pas compris, si je ne me fusse astreinte à l’analyse du caractère exceptionnel dont je surveillais le développement jour par jour.

George Sand.

(La seconde partie au prochain numéro.)