Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome IV/Séance du 16 décembre 1833


Séance du 16 décembre 1833.


Présidence de M. de Bonnard.


nouveaux membres.

M. le président proclame membres de la Société :

MM.

Bérard, ingénieur civil des mines, à Briançon ; présenté par MM. de Montalembert et Bertrand Geslin ;

Shepard (Charles), professeur d’histoire naturelle au collège de Yale, à Newhaven ; présenté par MM. Boué et Desnoyers ;

Cleau (Camille), membre de plusieurs Sociétés savantes, à Paris ; présenté par MM. Austin et Desnoyers.


dons faits à la société.

La Société reçoit :

De la part de M. Wafferdin :

1° A. Histoire des phénomènes du Vésuve, par le père Della-Torre ; traduit de l’italien par l’abbé Peton. In-8°, 400 p., 5 pl. Paris, 1760.

B. Recherches sur l’organisation des corps vivans, par Lamarck. In-8°, 216 p. Paris, floréal an x.

C. Description historique et géographique de la ville de Messine, et détails météorologiques du désastre que cette ville a éprouvé en février 1783. In-4°, 26 p., 2 pl. Paris, 1783.

Bulletin de la Société industrielle de Mulhausen, n° 29.

Recueil de la Société libre d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres du département de l’Eure, n° 26 (octobre 1833).

The Athanœum, n° 319.


ouvrages communiqués.

M. Boué présente les ouvrages suivans :

Documens sur la géologie du Brésil, avec un catalogue descriptif des minéraux simples et composés rassemblés dans le Musée brésilien à Vienne (Beytrage sur Gebirgskunde Brasiliens, etc.), 1re part. Vienne, 1832. In-4°, 1 pL lith.

Pluto brasiliensis, ou collection de Mémoires sur les richesses minérales du Brésil, l’or, le diamant ; sur l’histoire de leurs découvertes, leur gisement, l’exploitation, le produit, les règlemens des mines, etc., par W. L. de Eschwege. Berlin, 1833. In-8° avec 4 cart. et 6 pl.

3° Le rapport sur la première et la seconde réunions de l’association britannique pour l’avancement des sciences, York en 1831, et à Oxford en 1832, y compris les procès verbaux, les questions proposées et les Mémoires (Report of the first and second Meetings, etc.) Londres, 1833. In-8° avec une grande coupe géologique depuis Venise jusqu’en Écosse par M. Conybeare.

4° Les volumes 1, 8 et 9 de l’Edinburgh cabinet library (in-12 avec cartes et vignettes), comprenant les découvertes dans les mers et régions polaires, avec des détails sur le climat, la géologie et l’histoire naturelle, par MM. Leslie, Jameson et Murray (1831).

Une description des possessions britanniques dans l’Inde, y compris des détails d’histoire naturelle et de météorologie les mêmes auteurs, et MM. Greville, Ainsli, Rhind et Dalrimple (1832).

Enfin, un résumé historique des découvertes faites dans la partie la plus boréale de l’Amérique, par P. Tyrlet, avec une esquisse concernant l’histoire naturelle, par J. Wilson (1832).


correspondance.

La Société reçoit de la part de M. le baron de Stifft, ministre d’État, dirigeant l’instruction publique supérieure en Autriche, l’assurance qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour seconder dans les états autrichiens la Société géologique de France, vers le but utile qu’elle s’est proposé.

Les directeurs de la Société d’agriculture de la Hesse Électorale annoncent l’envoi de plusieurs années des écrits que leur association a publiés à Cassel depuis 1825, sous le titre de Gazette d’agriculture (Landwirthschastliche Zeitung), Ils demandent que la Société géologique veuille bien leur adresser en échange ce qui a paru du Bulletin, et ils ajoutent qu’ils ont choisi parmi les diverses années de leur collection celles qui renferment le plus de Mémoires minéralogiques, ainsi que des cartes géologiques, Ils espèrent continuer cet échange,

Cette demande est renvoyée au conseil.

M. le conseiller de Hartmann, et M. le docteur Hehl ont écrit, chacun de leur côté, pour offrir de la part de la Société d’agriculture de Wurtemberg, l’échange du Bulletin de la Société géologique (les 3 vol.) contre les trois dernières années du Journal publié par leur association sous le titre de Correspondenzblatt des wurtenbergschen Vereins. Ces messieurs espèrent que cet échange sera agréé, car le Journal contient des Mémoires de géologie et de météorologie, Renvoi au conseil.

M. Hehl ajoute que le roi de Wurtemberg s’est montré très favorable au projet des naturalistes d’Allemagne, de s’assembler l’an prochain à Stuttgard. Les États du Wurtemberg ont déjà voté quelques milliers de florins pour les préparatifs nécessaires cette réunion, et ont offert leur salle de séance pour cette assemblée. On espère à Stuttgart voir réunir un grand nombre de savans, et surtout de géologues, d’autant plus que cette contrée est très intéressante par la variété des formations.

M. Dufrénoy communique la note suivante sur la découverte récente faite par M. Harlan, dans l’Amérique, de plusieurs nouvelles espèces de sauriens fossiles.

M. le docteur Harlan, de Philadelphie, a annoncé à la section de géologie de la réunion de Cambridge, qu’il a examiné un squelette d’ichtyosaure provenant du Missouri, dont la mâchoire supérieure portait encore dix dents. L’étude de ces dents lui a montré que cet Ichtiosaure différait des espèces connues, ce qui l’a engagé à lui imposer le nom d’Ichtiosaurus missuriensïs[1].

Il annonce également à la Société qu’il possède des vertèbres d’un saurien analogue aux Ichtiosaures, mais dont les dimensions relatives sont telles, qu’il est conduit à en faire non seulement une espèce, mais même un genre particulier. Il lui donne le nom de Basilosaurus à cause de ses dimensions, qui surpassent celles de tous les Plésiosaures connus.

Ce que ces ossemens présentent surtout de remarquable, c’est leur gisement ; ils ont été trouvés dans une argile tertiaire contenant des coquilles tertiaires analogues à celles du Plaisantin sur les bords de la petite rivière d’Arkania.


communications verbales et mémoires.

M. Constant Prévost lit la note suivante sur les groupes volcaniques du Cantal et du Mont-Dore.

« Plusieurs membres de la Société m’ayant fait l’observation qu’il était difficile de suivre les discussions orales qui ont occupé la dernière séance, Je me suis décidé à répondre par écrit au principales objections proposées par MM. Dufrénoy, de Beaumont et Burat, contre l’opinion que j’ai soutenue relativement à la formation des cônes volcaniques du Mont Dore et du Cantal.

« Afin de simplifier autant que possible la question, et d’après l’opinion généralement admise qu’il y a identité de formation entre le Cantal, le Mont-Dore et le Mezenc, je me bornerai à ne parler que du Cantal.

« Non seulement, ai-je dit précédemment, soit dans mon dernier mémoire lu à l’académie des sciences, soit dans la dernière séance, je ne vois ni dans la forme générale du cône volcanique du Cantal, ni dans la nature et la distribution relative des matériaux dont il est composé, aucun motif pour lui attribuer une origine différente de celle des cônes de l’Etna et du Vésuve ; mais encore la manière dont le Cantal est sillonné par des vallées divergentes qui, en commençant sur les versans opposés d’une arête circulaire centrale qui les sépare à leur origine, s’écartent en s’élargissant jusqu’à leur débouché sur le sol fondamental, est un fait entièrement inconciliable avec les résultats théoriques calculés, que donnerait l’étoilement d’un sol solide soulevé autour d’un axe.

« De plus, l’épaisseur de matières alternativement compactes, meubles et scoriacées dont les assises apparentes présentent au centre du cône, des coupes verticales de plusieurs centaines de mètres de hauteur, tandis qu’à sa circonférence ces matières volcaniques se réduisent graduellement à rien, forcerait de supposer, si l’on admettait la formation du cône actuel par soulèvement, que les matières volcaniques dont il est composé ont rempli une cavité circulaire dont la profondeur aurait été au moins égale à la hauteur de ce cône au-dessus de sa base, c’est-à-dire de 7 à 800 mètres, et ensuite que l’effort pour soulever ces masses se serait justement exercé sur la partie centrale la plus épaisse ; suppositions bien gratuites, puisqu’il est impossible que des matières semblables à celles dont est composé le Cantal qui sortent d’une manière successive par les ouvertures d’un sol horizontal, puissent se disposer sur ce sol autrement qu’en formant un cône dont les pentes variables pourraient à la rigueur avoir jusqu’à 45°, et celles du Cantal sont de 4° au plus.

« Aux faits et considérations qui précèdent, j’ai ajouté comme preuve, pour ainsi dire surabondante, que l’horizontalité des couches du terrain tertiaire auprès d’Aurillac, éloignait encore toute idée de soulèvement général, croyant que les dérangemens réels de ce même terrain tertiaire, observés dans la vallée de Vie au-dessous de Polminhac (voir la coupe donnée par MM. Lyell et Murchison Ann. des sc. nat. octobre 1829), pouvaient avoir eu lieu depuis le creusement de la vallée, tout comme la présence de fragmens isolés et plus ou moins volumineux de silex et de calcaire d’eau douce au milieu des produits volcaniques à différentes hauteurs, pouvait s’expliquer, ainsi que beaucoup de dislocations locales, par la sortie des matières rejetées lors des premières éruptions, et par les secousses qui agitent fréquemment les contrées volcaniques.

« C’est cependant contre ces explications accessoires et indifférentes au fond de la question principale, que MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont se sont exclusivement élevés avec force sans paraître s’apercevoir que, quelle que soit l’explication des faits, qu’ils admettent comme moi, on ne peut tirer de ceux-ci aucune conséquence favorables à l’hypothèse que la Cantal a été soulevé par les phonolites, après l’épanecemmt des nappes basaltiques.

« Aussi, pour démontrer jusqu’à l’évidence ce que j’ai avancé, je consens à renoncer pour le moment à mes explications de détail relativement aux dépôts calcaires, pour n’employer les faits que comme ils sont exposés par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont eux-mêmes dans leur mémoire, et je n’en tirerai pas moins la conséquence incontestable à laquelle j’étais arrivé : que les dislocations du terrain tertiaire, et les fragmens de calcaire ou de silex que l’on rencontre au milieu des matières volcaniques, n’appuient en aucune manière l’hypothèse du soulèvement du Cantal, après l’épanchement et la solidification des basaltes. En effet, de ce que disent MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, pages 57, 58 et 59 de leur Mémoire[2], il résulte clairement que les dislocations du sol tertiaire ont accompagné l’émission des trachytes et de leurs conglomérats ; que ces dislocations ont par conséquent précédé le dépôt des basaltes, et en définitive qu’elles ne prouvent rien en faveur du soulèvement, qui aurait eu lieu, suivant MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, après la formation des nappes basaltiques.

Peut-être me dira-t-on qu’il y a eu un premier soulèvement produit par les trachytes, et un deuxième après l’épanchement des basaltes ; mais dans ce cas, ceux-ci auraient coulé sur les pentes d’un cône trachytique, et alors s’écroulerait tout l’échafaudage de raisonnemens et de calculs employés avec tant d’art par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, pour arriver à démontrer (page 8 du Mémoire cité) « qu’une pente couverte de basalte est aussi évidemment et même plus évidemment due à un mouvement de l’écorce du globe, qu’une pente formée par une couche de calcaires lymnées, déposée dans les eaux d’un marais, et qu’un cône de basalte est nécessairement un cône de soulèvement : proposition qui au surplus est déjà réfutée en partie par la concession faite par les auteurs dans l’appendice ajouté à la suite de leur premier mémoire, appendice dans lequel ils disent que la surface soulevée était déjà un cône. Pages 91, 92, 93 et 94.

« Si maintenant je voulais revenir à la démonstration de mes premières idées, relativement aux causes de la dislocation des calcaires dans la vallée de Vic, je pourrais facilement prouver que les prétendus fragmens de 40 à 50 mètres de diamètre, que MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont (page 58) disent être enclavés dans le conglomérat trachytique, ne sont que des portions de couches supérieures de calcaire, tombées de l’escarpement des bords de la vallée sur son fond, avec portion des conglomérats trachytiques qui les recouvraient, mais qui dans la chute se sont mêlés avec eux.

« Je ferais voir facilement qu’il n’existait pas sur le sol primaire qu’a recouvert le volcan du Cantal, un seul bassin d’eau douce, mais plusieurs bassins, ainsi que MM. Lyell et Murchison [3] l’ont reconnu entre Aurillac et Mauriac, et que celui de Thiesac était probablement supérieur à celui d’Aurillac, dont il étant séparé par une saillie de micaschiste que l’on voit à découvert après le pont de Thiesac, la un niveau bien supérieur à celui des couches du calcaire d’eau douce de cette localité.

« Si je voulais fortifier encore mon opinion, je rappellerais que ces mêmes bancs de calcaire de Thiesac sont encore horizontaux, qu’ils sont immédiatement dominés par des assises puissantes de cendres et de conglomérats trachytiques et basaltiques, et enfin par une nappe inclinée de basalte compacte, et je demanderais comment le basalte aurait pu être relevé depuis sa consolidation sans que le calcaire qui est au-dessous ait cessé d’être horizontal.

« Je pourrais également trouver dans les ouvrages classiques de MM. Bertrand-Roux et Poulett Scrope, dans les mémoires de MM. Lecoq et Des Genevez, une foule de faits que j’ai vus comme ces observateurs, et qui, contrairement aux idées de MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, démontrent clairement que les phonolites liés intimement aux trachytes n’ont pas soulevé les basaltes, mais que ceux-ci se sont penchés sur le flancs des cônes trachytiques et phonolitiques, en sortant par des ouvertures nombreuses.

« Ce qui peut être si bien constaté au Mezenc, n’est pas moins évident au Cantal, où l’on trouve des galets de phonolite dans les conglomérats inférieures aux basaltes.

« Je ne puis me dispenser de faire au moins une question relativement à la continuité des nappes basaltiques, continuité laquelle on paraît attacher une grande importance ; suppose-t-on par là que le sol était couvert avant le prétendu soulèvement, d’une table basaltique, discoïde, solide, non interrompue, et produite par un seul épanchement ? il y a trop de faits qui prouvent que le basalte est sorti par un grand nombre de points, tantôt du sommet du volcan primitif, tantôt et plus fréquemment de ses flancs, pour que l’on puisse s’arrêter à l’opinion contraire.

« Je me borne pour résumer la discussion à mettre sous les yeux de la Société une figure théorique de la composition du Cantal, et de sa formation tels que je les conçois.

« On y remarquera que j’admets bien la continuité des basaltes mais sur chaque plateau, en supposant que la plupart des vallées actuelles occupent en partie les points où cette continuité n’existait pas ; c’est-à-dire, où les matières meubles et pulvérulentes dont l’éjection a précédé l’épanchement des nombreuses coulées basaltiques, n’avaient pas été recouvertes par celles-ci.

« Quant au système développé par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, dans l’introduction de leur Mémoire, pour montrer que sur un cône volcanique il ne peut se faire que des coulées étroites li texture spongieuse, et que les matières volcaniques fondues ont dû être nécessairement déposées dans des bassins ou sur des surfaces planes et horizontales, pour qu’elles puissent acquérir de la compacité et se diviser en prismes ; je pourrais répéter que l’appendice joint au mémoire original détruit déjà ce système ; et en second lieu, mon expérience m’autoriserait à dire qu’il ne faut pas comparer de la lave fluide à de l’eau qui coule et se gèle, mais bien à du suif ou à de la cire qui se fige en coulant sur un plan quelquefois vertical.

« Je renvoie, à ce sujet, à ce que j’ai dit dans l’une des séances de la Société tenues à Clermont, (bulletin, tome IV, pag. 8 et 20), ajoutant seulement que dans mon rapport à l’Académie sur le voyage à l’île Julia, j’ai cru pouvoir indiquer déjà que l’épanchement des laves en coulées étroites ou en nappes étalés, tient moins à l’inclinaison du sol, qu’aux inégalités de sa surface et surtout à la forme des bouches d’émission de la matière fluide ; si celle-ci sort par une échancrure étroite ou par un trou de petit diamètre, elle coulera comme un ruisseau ; si l’ouverture est une large fente plus ou moins inclinée, ou l’extrémité d’une cheminée verticale dont les bords sont de niveau, alors la lave s’étalera en nappes d’autant plus étendues que l’épanchement se fera plus lentement.

Si ces dernières considérations aussi succinctement exposées ne peuvent être comprises facilement par les personnes qui n’ont vu que des volcans éteints, j’espère qu’elles le seront par celles qui ont eu, comme moi, le grand avantage d’étudier les volcans en activité.

On peut voir au surplus dans la description de l’Etna de l’abbé Ferrara (p. 103, 105) que la coulée de 1669, qui a détruit Catane, avait dans quelques endroits plus de quatre milles de largeur et cinquante à cent pieds d’épaisseur, et cela sur la pente du cône entre les monts Rossi et Catane (à la torre di Grifo) ; et la texture de la lave dont j’ai rapporté des échantillons est aussi serrée que celle de tous les basaltes du Cantal, phénomène que présentent la plupart des coulées de l’Etna jusque dans la région des neiges et sur des pentes de 10 à 15°, où elles ont coulé de mémoire d’homme.

Cette coulée de 1669, qui a mis près d’un mois à venir du monte Rossi à la mer, dont la distance est de 6 lieues environ, a l’apparence cependant d’une nappe continue qui donne une idée des nappes de basalte qui couvrent le pied des volcans de l’Auvergne.

Les figures que je mets sous les yeux de la société feront voir d’une part, qu’il n’est pas exact de dire que les laves ne peuvent pas se diviser en prismes sur des pentes (coulée de Prudelles, près Clermont), et d’un autre côté que si les prismes qui en général sont perpendiculaires aux surfaces de refroidissement, (étaient formés sur un sol horizontal, ils seraient aujourd’hui inclinés vers l’axe du cône soulevé d’une quantité égale à l’inclinaison de la pente, mais en sens contraire ; c’est-à-dire que les lignes de divisions prismatiques feraient des angles droits avec le plan de pente ; ce qui cependant n’est pas, ni au Cantal ni au Mont-Dore ; car les prismes sont ou divergents dans les têtes de colonnes d’épanchement (culots de Desmarets), ou verticaux sur les pentes lorsqu’elles présentent des dépressions tout comme dans la plaine, où la division prismatique est aussi beaucoup plus fréquente.

M. Rozet continue la communication qu’il a commencée dans les précédentes séances, sur les terrains anciens de la chaîne des Vosges.

En parcourant la portion de la chaîne des Vosges comprise entre la vallée du Milbach et Belfort, région presque entièrement composée de roches cristallines, recouvertes ça et la par des dépôts de sédiment, l’observateur remarquera que, d’après leurs formes, les montagnes peuvent être divisées en deux grandes classes.

Au N. d’une ligne brisée, fort irrégulière, qui passerait par Saint-Bresson, Corravillers (Haute-Saône), Ramonchamps, Bussang (Vosges), Odren, le Rotabac, Metzeral, Lautenbach et Guebwiller (Haut-Rhin), toutes les formes sont plus ou moins aplaties, les pentes sont généralement données, les vallées larges, assez régulières ; et la plus grande partie de la surface du sol est couverte de belles forêts de sapins.

Au S. de cette ligne, jusqu’à l’extrémité de la chaîne, les montagnes ont des formes coniques très prononcées, à l’exception cependant du massif des ballons d’Alsace et de Servence, qui présente des formes analogues à celles de la région septentrionale. Les pentes sont très rapides, les vallées étroites et tortueuses ; enfin, dans les forêts, qui couvrent encore la plus grande partie de la surface du sol, les hêtres sont toujours mêlés aux sapins, et souvent ils dominent ; cependant les montagnes de cette région sont généralement plus élevées que celles de la région septentrionale.

Formation des trapps. (Voyez la pl., fig. 8.)

Dans le fond des vallées, au pied des montagnes coniques les plus élevées (sur la route de Bussang à Saint-Amarin, au pied du ballon de Guebwiller, du Rosberg et du Gresson, etc. etc.), se montre une roche noire, compacte, Trapp, Aphanite de M. Brongniart, qui tantôt est massive, et tantôt présente des apparences de stratification, quelquefois assez prononcées pour qu’on puisse la croire divisée en couches verticales ; mais un examen prolongé fait voir que ces fissures ne se continuent pas, et qu’elles sont souvent traversées par d’autres qui déterminent des systèmes de couches coupant le premier sous différens angles. Cette roche est souvent fissile ; elle devient même schisteuse au point qu’on pourrait la confondre avec certaines phyllades ; elle renferme alors des débris de végétaux (equisetum.)

Dans ses parties les plus inférieures, le trapp n’est mélangé avec aucune autre roche ; on y observe quelques filons de quarz blanc et de chaux carbonatée, mais point de filons métalliques. C’est de là que j’ai vu sortir dans les Vosges et dans la forêt Noire plusieurs sources minérales (Bussang, Badenviller, etc.). Je n’ai pu observer la masse de trapp que sur une épaisseur de 20 à 30 mètres, et encore sur quelques points seulement, parce qu’elle s’enfonce au-dessous de toutes les autres roches.

Dans sa partie supérieure, le trapp alterne avec des eurites compactes de différentes couleurs, auxquels on le voit peser par degrés insensibles.

Formation euritique.

Dans toute la région méridionale, au pied des escarpements, dans le fond des vallées, et plus rarement au pied des pentes douces, reposant sur les trapps, et alternant avec eux quand ils existent (route de Bussang à Saint-Amarin, vallée de la Moselle, de la Thur, de Lauch, de la Bruche, etc.), on trouve des eurites compactes, dont la couleur est très variable ; mais dans le voisinage du trapp, auquel ils passent souvent, elle est toujours noirâtre ou gris très foncé.

Ces eurites compactes alternent avec les trapps dans leurs parties inférieures ; ils présentent alors une fausse apparence de stratification ; mais ils sont en même temps coupés par une infinité de fissures, qui leur permet de se diviser en fragmens fort irréguliers sous le choc du marteau. Indépendamment de l’alternance qui a lieu au point de contact entre les eurites et les trapps, ceux-ci poussent des rameaux, qui pénètrent dans la masse euritique en forme de filons ; mais, dans ce cas, il n’y a point passage d’une roche à l’autre. Les eurites compactes renferment des diorites compactes qui y sont plus ou moins abondans, et auxquels on les voit passer par degrés insensibles. Dans certaines localités (environs de Gyromagny, Senones, etc.), les diorites sont si abondans, qu’on pourrait dire qu’ils alternent régulièrement avec les eurites. Ailleurs (vallées de la Moselle et de la Thur), ils ne se montrent plus que comme de gros filons pénétrant au milieu des eurites ; mais ils sont toujours intimement liés à ces roches, et on pourrait dire que le diorite n’est qu’une eurite chargée d’une grande quantité d’amphibole ; souvent l’amphibole domine sur le feldspath, et la roche devient une amphibolite. La surface extérieure des eurites et des diorites présente fréquemment des cavités nombreuses et passant aux spilites ; les cavités sont quelquefois remplies par du spath calcaire, ou des zéolites, et il en résulte des amygdaloïdes qui sont souvent de véritables variolites.

Let eurites compactes et les diorites sont accompagnés de brèches euritiques et dioritiques, composées de fragmens de ces roches réunis par un ciment de même nature, et d’une autre roche arénacées petits grains feldspathiques réunis par un ciment pétrosiliceux. Toutes ces roches sont pénétrées d’une grande quantité de fer oligiste micacé, qui y forme de petites veines et même quelquefois des filons ; ou y voit aussi des veines de chaux carbonatée, des veines et des filons de quarz blanc.

Les eurites compactes et les roches fragmentaires qui les accompagnent renferment des débris de Végétaux, calamites et stygmaria.

A mesure que l’on s’élève sur les lianes des montagnes et dans les escarpements (vallée de la Moselle et de la Thur), on voit les eurites compactes passer aux eurites porphyroïdes et même à de véritables porphyres : quand on marche vers le granite (au N. de la vallée de la Moselle, de celle de la Lauch, etc.), les porphyres sont mal caractérisés ; mais quand on marche vers les siénites (route de Belfort, par le ballon d’Alsace, vallée de la Dolleren, etc.), les eurites compactes passent à des porphyres magnifiques, bruns, rouges, etc., etc. ; les diorites qui les accompagnent deviennent des porphyres verts (ophites).

Dans le voisinage du granite (vallées de la Moselle, de la Lauch du côté N.), les eurites porphyroïdes et les porphyres renfermant presque toujours des cristaux d’amphibole, prennent du mica, et deviennent des eurites granitoïdes, dont la pâte est encore très compacte. Celles-ci renfermant souvent des cristaux de quarz imparfaits, ont été appelées porphyres quarzifères. Au fur et in mesure que l’on monte, on voit les cristaux se développer, et bientôt la roche n’est plus composée que de cristaux de feldspath, de quarz, de mica et de quelques uns d’amphibole, qui adhérent encore fortement ensemble. Enfin on arrive ainsi, par degrés insensibles, à une roche très voisine du granite, mais dans laquelle le feldspath a encore une apparence de compacité. On peut nommer cette roche un granite euritique ou une eurite granitique ; elle est intimement liée au granite, et elle y passe sur tous les points. Dans celui-ci, le feldspath est lamellaire, blanc ou rosâtre, les grains de quarz sont bien distincts, le mica abondant mélangé de quelques cristaux d’amphibole.

Pendant que les eurites porphyroïdes passent au granite par degrés insensibles, les diorites qui les accompagnent perdent leur amphibole, et passent aussi au granite. Quelquefois (champ du Feu) elles passent à la siénite, en se granulant absolument de la même manière que les eurites ; mais cette siénite passe elle-même au granite.

En marchant vers la siénite (S. de la vallée de la Moselle, autour des ballons d’Alsace et de Servance, etc.), on voit les porphyres et les ophites, auxquels sont passés les eurites compactes et les diorites, se granuler ; l’amphibole, au lieu de mica, s’y introduire avec le quarz, ces roches devenir d’abord une siénite à petits grains, puis les cristaux de feldspath et de quarz s’y développer ; on arrive enfin à cette belle siénite à gros cristaux, des ballons d’Alsace et de Servance. Près de Thann, dans le passage du diorite à la siénite, j’ai vu un diorite granitoïde avec des orbicoles mal prononcés, tout-à-fait analogue au diorite orbiculaire de Corse.

Les porphyres et les diorites qui passent à la siénite sont encore accompagnés de conglomérats et de roches arénacées dont le ciment est pétrosiliceux ; ils renferment aussi les mêmes végétaux que les conglomérats des eurites ; leurs surfaces extérieures sont souvent scoriacées, et présentent aussi des amygdaloïdes (Rosberg, Barenkopf, etc.). Les eurites granitoïdes, amphiboliques ou non, ainsi que les diorites granitoïdes, n’offrent jamais de surfaces scoriacées et ne sont point accompagnés de roches fragmentaires ; ils ne renferment point non plus des débris de végétaux.

La masse euritique est coupée par des filons de quarz blanc, très abondans à extrémité méridionale des Vosges, et sur le versant de ces montagnes qui appartient au département de la Haute-Saône ; on y remarque çà et là quelques veines et petits filons de chaux carbonatée. C’est dans cet étage que gisent toutes les richesses minérales des Vosges (les filons de Framont, de Bischwiller, de Giromagny, etc.). C’est surtout dans les eurites granitoïdes que les filons sont le plus riches. La gangue de tous les minerais est ordinairement le quarz blanc, dont la formation renferme tant de veines et de filons. Le quarz contient avec les métaux du spath fluor, du spath calcaire, et de la baryte sulfatée ; cette dernière substance forme aussi à elle seule de grosses veines et même des filons, qui pénètrent dans les granites et les siénites.

La formation euritique occupe tout l’espace situé au S. de la ligne brisée qui sépare nos deux régions ; elle forme presque entièrement le massif du champ du Feu, sur le versant E. dans la région septentrionale. Sur le versant O., elle se montre au pied du Donon, dans les environs de Raon-sur-Plaine, jusqu’à Raôn l’Etape, et dans les environs de Senones. Dans toutes ces contrées, à l’exception des points où les eurites sont recouverts par le granite et la siénite (plateau du champ du Feu, massifs des ballons d’Alsace et de Servance), les montagnes ont toutes des formes coniques très prononcées, et présentent, sur leurs flancs, des dépressions qui sont des surfaces coniques irrégulières, dont le sommet est en bas. Toutes les vallées de ces montagnes commencent par des cirques qui ont absolument la même forme : ce sont des cônes renversés ouverts du côté de la vallée. Quelques uns de ces cônes sont remplis d’eau jusqu’à une certaine hauteur, et il en résulte des lacs dont le trop-plein se décharge dans la vallée (Sternsee, lac de Fondromé, etc.). Les parois de ces cirques sont déchirées, et tout annonce qu’ils sont le résultat d’une explosion ; il existe certaines relations entre les montagnes coniques, dont nous parlerons plus bas. Au moyen du nivellement trigonométrique, j’ai pu calculer sur cinq points différens, dans les escarpemens, la puissance de la masse euritique, et j’ai trouvé 648 mètres pour le minimum, et 710 pour le maximum.

Les sources ne sont pas très abondantes dans la formation euritique : pendant l’été, celles qui ne sont pas minérales ou thermales se tarissent ou diminuent considérablement. Leur température moyenne varie de 9° à 10° centigrades.

On rencontre sur les montagnes et dans les vallées de cette formation, beaucoup de blocs erratiques : dans la région granitique, ces blocs sont des granites, et des siénites dans la régions iénitique.

3o Formation des granites et siénites.

Sur les confins de la région septentrionale, on voit partout l’eurite granitoïde passer à l’eurite granitique, ou au granite euritique ; et celui-ci au véritable granite, qui se développe ensuite sur une longueur de plus de 7 lieues et sur une largeur de 5. Cette roche présente plusieurs variétés, mais qui se sont toutes que des modifications de la masse principale, composée d’un granite commun à mica brun.

La plus remarquable de ces variétés, est un granite siénitique à gros cristaux de feldspath, qui prend un assez grand développement dans les communes de la Bresse et de Cornimont ; il se rencontre au Valtin et dans les environs de Sainte-Marie aux Mines ; les trois massifs qu’il forme se trouvent disposés sur une ligne droite faisant avec le méridien un angle de 140° comptés du N. à l’O. Ce granite siénitique constitue une espèce de filon au milieu de l’autre ; mais il n’en est qu’une modification, car on l’y voit passer insensiblement par la diminution de la grosseur des cris : taux de feldspath et la perte de son amphibole, qui est remplacé par le mica ; en outre, dans ses parties inférieures, il passe aux eurites comme le granite commun.

Toutes les roches des groupes 1 et 2 pénètrent en filons et en grosses masses au milieu du granite ; c’est dans le fend des vallées et sur les flancs des montagnes, jusqu’à une certaine hauteur seulement, que se montrent ces masses anormales. Quand les montagnes sont allongées, la direction des filons est sensiblement perpendiculaire à celle de la montagne.

En pénétrant dans le granite, les eurites et les porphyres ont souvent apporté avec eux les substances métalliques qui sont si abondantes dans la formation inférieure. Les métaux ont quelquefois pénétré dans les fentes même du granite, sans être accompagnés des eurites ; mais les filons et les veines de cette nature ne s’étendent jamais bien loin, et leur richesse va toujours en diminuant. Indépendamment des filons de trapp, d’eurite, et de porphyre, le granite est encore traversé par de puissans filons de quarz blanc, des veines et des filons de baryte sulfatée, les mêmes qui se montrent dans les trapps et les eurites inférieurs.

Le granite prend dans les Vosges un développement considérable ; il occupe tout l’espace compris entre la ligne brisée qui le sépare des eurites, et une autre ligne fort irrégulière, située à 8 lieues au nord.

Nous avons dit que la siénite se trouvait au sud de la vallée de la Moselle, immédiatement au-dessus des eurites siénitiques ; cette roche forme la partie supérieure des massifs des deux ballons d’Alsace et de Servance, qui jettent des ramifications fort étendues au S. à l’E. et à l’O. Dans la ramification qui longe au S.-O. la vallée de la Moselle, la siénite prend du mica, et passe ainsi au granite ; cela a également lieu dans les montagnes du Bonhomme, au champ du Feu, etc., en sorte que je regarde ces deux roches comme appartenant à une seule et même formation : la siénite n’est qu’un granite dans lequel l’amphibole remplace le mica. Les eurites, les porphyres, et surtout les diorites inférieures à la siénite, le montrent aussi en filons et en masses subordonnées dans cette roche, absolument comme leurs analogues dans le granite. La puissance de la Formation granitique varie de 600 à 650 mètres, celle des siénites atteint jusqu’à 630 mètres.

Dans la région des granites et siénites, les montagnes ont toutes des formes aplaties ; on y voit bien quelques sommets arrondis, mais jamais les formes coniques des eurites et porphyres ; les vallées larges et assez régulières commencent presque toutes par un cirque, un grand évasement, mais qui ne peut point être comparé, en général, à une surface conique renversée. Quelques uns de ces cirques sont très profonds, et renferment des lacs : lac Blanc, lac Noir, lac de Retournemer, etc.

Les sources sont beaucoup plus abondantes dans les granites et les siénites que dans les eurites et porphyres ; elles tarissent rarement, quoiqu’elles diminuent beaucoup pendant l’été ; elles sont très froides : leur température moyenne varie de 4° à 6° centigrades. On voit, sur les flancs des montagnes et dans le fond des vallées, beaucoup de blocs erratiques, appartenant aux roches mêmes sur lesquelles ils reposent, et aussi aux roches inférieures.

Formation du leptynite.

Sur toute la limite nord de la formation granitique (dans les environs de Remiremont, du Tholy, de Gérardmer, Granges, Corcieux ; et jusqu’à la Poutroie, en allant vers l’E.), on voit les élémens du granite diminuer très sensiblement, et la roche passera un véritable leptynite, qui prend bientôt un développement considérable. Dans sa partie supérieure, cette roche se charge de mica et passe au gneiss. Les eurites, les porphyres et les quarz pénètrent en filons dans le leptynite comme dans le granite et le gneiss ; on y voit aussi de nombreuses veines et des filons d’hyalomicte, avec cristaux de tourmaline. Sur quelques points, le leptynite se charge d’amphibole, et devient alors un leptynite siénitique qui passe au diorite schistoïde (Rainfin, étang de Fondromé, etc.) ; c’est dans la formation du leptynite que se trouvent intercalés tous les ophiolites des Vosges. Les cultures et les alluvions empéchent très souvent de voir le contact de ces roches avec celle qui les renferme ; mais sur quelques points (montagne du gris Mouton, etc.) on les voit parfaitement sortir du leptynite comme un gros filon.

Les ophiolites ne sont jamais recouverts que par les dépôts diluviens, ce qui me porte à les regarder comme postérieurs aux eurites et porphyres.

Je n’ai point pu calculer la puissance du leptynite ; mais elle est beaucoup moins considérable que celle du granite. Les formes des montagnes sont à peu près les mêmes que celles de la formation précédente ; les eaux sont aussi très abondantes.

Formation du gneiss.

Le gneiss succède au leptynite, et le recouvre partout où ces roches sont en contact ; on les voit passer de l’une à l’autre par degrés insensibles ; mais comme le leptynite renferme des fragmens du gneiss, et pousse des filons dans sa masse, il est évident que sa consolidation est postérieure à celle de cette roche.

Le gneiss des Vosges est le même que celui des autres parties de la France ; on en distingue un grand nombre de variétés qui résultent de la variation de ses principes constituans : tantôt il est très micacé, tantôt il est feldspathique ; la masse est toujours divisée par des fissures très irrégulières en fragmens auxquels on a donné le nom de strates, mais qui probablement n’en sont pas.

Tous les filons que nous avons trouvés dans les granites, les siénites et les leptynites, pénètrent dans les gneiss ; les eurites et les porphyres ont apporté avec eux plusieurs substances métalliques (manganèse, galène argentifère, argent, cuivre, etc.), qui ont été, à différentes époques, l’objet d’exploitations très avantageuses.

Outre les quarz et les roches de la formation euritique, il existe dans le gneiss des amas de calcaire grenu et lamellaire, renfermant presque toujours de la serpentine et du talc, comme parties constituantes de la roche ; c’est alors un Cipolin. Ce calcaire, que je crois être de la même époque que les serpentines, me semble avoir été introduit dans le gneiss de la même manière que les eurites et les porphyres. Le gneiss recouvre le leptynite dans toute la partie septentrionale de la région granitique, et s’enfonce ensuite sous le grès vosgien (nord de la vallée de la Valogne, etc.) ; mais il est très bien développé dans l’espace compris entre la crête des Vosges et les vallées de la Weiss et du Milbach. La vallée de Sainte-Marie-aux-Mines est une localité classique pour la formation du gneiss.

Les montagnes de cette formation affectent des formes ovoïdes très remarquables ; les vallées sont profondes, et commencent souvent par un cirque très évasé.

Je n’ai pas pu calculer la puissance du gneiss ni du leptynite comme je l’ai fait pour les autres formations ; mais je puis assurer que l’épaisseur de ces deux roches réunies ne dépasse pas celle de la masse granitique ; en sorte qu’en prenant les puissances maxima de toutes les formations que nous venons de décrire, on trouve que depuis la surface du gneiss jusqu’aux trapps, dans les Vosges, l’épaisseur de la croûte du globe est au plus de 2,100 mètres.

Les sources sont tout aussi abondantes dans le gneiss que dans le granite ; je n’y ai point remarqué d’eaux minérales ou thermales.

6o Formation du micaschiste.

Dans la vallée qui va de Lubine au pied de la montagne du Climont, on voit le gneiss se charger de plus en plus de mica, prendre du quarz, et passer insensiblement à un micaschiste bien caractérisé. Cette roche, qui se montre sur plusieurs points au pied de la montagne du Climont, passe au phyllade dans ses parties supérieurs. Les eurites et les porphyres y pénètrent encore en filons. Dans la montagne qui domine Lubine au nord, elle renferme une grosse masse de siénite à petits grains, dont les ramifications pénètrent aussi dans le phyllade. Près de cette nasse on a exploité, dans le micaschiste, un filon de cuivre et de galène argentifère.

La formation du micaschiste est très peu développés dans les Vosges, où elle ne constitue point de montagnes.

Formation des phyllades.

Le micaschiste passe par degrés insensibles au phyllade, comme nous venons de le dire ; cette dernière roche, très bien développée dans la vallée du Milbach, depuis la Bruche jusque au-delà de Villé, dont elle occupe le fond, constitue de petites collines au pied des montagnes euritiques, qui sont au nord dans le massif du champ du Feu. Le phyllade est aussi très bien développé à l’extrémité sud de la chaîne, où il forme depuis Soppe-le-Haut jusqu’à Ronchamp, une bande de collines au pied des montagnes euritiques. Cette roche est souvent accompagnée des psammites, qui alternent avec elle ; les eurites, les porphyres et le quarz blanc s’y montrent en filons ; mais ceux d’eurites et de porphyres sont moins abondans que dans les formations précédentes. Les couches de phyllades sont toujours relevées du côté des masses euritiques sur lesquelles on les voit reposer, près de la Bruche ; le phyllade recouvre le granite ; mais je n’ai pas vu cette roche pénétrer dedans comme le font les porphyres.

Dans les environs de Schirmeck et de Raôn sur plaine, où se trouvent deux lambeaux de la formation schisteuse reposant encore sur les eurites, des calcaires sublamellaires, quelquefois presque compactes, occupent la partie inférieure de cette formation. Les masses calcaires sont souvent traversées par des filons d’eurites et de porphyres, sans avoir éprouvé la moindre altération au point de contact ; et, à quelques pas de là, elles sont changées en dolomie sur une assez grande étendue.

Les phyllades des Vosges ne donnent pas de bonnes ardoises ; on avait entrepris de les exploiter dans plusieurs localités, mais on a été obligé d’abandonner les exploitations.

Cette roche, très fissile et coupée par une infinité de fissures, retient mal les eaux, en sorte que les sources sont peu abondantes sur le sol qu’elle occupe.

Formation houillère.

Le terrain houiller parfaitement caractérisé, mais ne contenant pas toujours de la houille, comme dans la vallée de la Meurthe, de Lubine à Provenchères, occupe de petits bassins isolés répandus sur toute la surface des Vosges, dont quelques uns se trouvent à une assez grande hauteur sur les flancs des montagnes, Il existe plusieurs de ces bassins dans les environs de Villé, vallée du Milbach, de Sainte-Croix aux mines, enfin au pied l’extrémité sud de la chaîne. Le terrain houiller repose en stratification discordante tantôt sur le gneiss, et tantôt sur les phyllades. Souvent il est pénétré, et les couches de houille sont dérangées par des masses ou filons d’eurite et de porphyre identiques avec ceux que l’on trouve au-dessous du granite. Les strates de ce terrain sont toujours fortement inclinés et relevés du côté des montagnes au pied ou sur les flancs desquelles ils gisent.

Les petits bassins houillers étant peu étendus, ceux dans lesquels on a entrepris des exploitations il y a déjà plusieurs années, sont à peu près épuisés, et les recherches que l’on a faite ; pour trouver de nouvelles couches de combustible ont presque toujours été infructueuses. La formation houillère est trop peu développée dans les Vosges pour constituer des montagnes.

9o Formation du grès rouge.

Les argiles schisteuses et les psammites de la formation houillère sont partout recouverts à stratification transgressive par des couches d’une roche rouge arénacée (todte liegende des Allemands), les strates du todte liegende sont aussi inclinés, mais moins cependant que ceux de la formation houillère ; cette roche repose, et toujours d’une manière transgressive, sur toutes les masses plus anciennes (phyllades, gneiss, granite, eurite et porphyre),

Quand elle recouvre les granites et les gneiss, elle renferme à sa partie inférieure des Anagénites ; roches composées de fragmens de granite. de gneiss et de leptynite réunis par un ciment qui est tantôt rouge et tantôt blanchâtre ; quand elle repose sur la phyllade, elle en contient des fragmens ; quand c’est sur les eurites et les porphyres, on y trouve les argilotites et des argilophyres, résultant de la décomposition de ces roches ou liquides acide, qui déposait le todte legiende.

Quelquefois (Donon, environs de Provenchères, etc.) le grès rouge a recouvert des masses porphyriques ou euritiques qui présentaient beaucoup d’aspérités leur surface, de sorte qu’au premier coup d’œil, on pourrait croire que les roches ont pénétré dedans, comme cela a en lieu pour les formations inférieures. Mais un examen continué prouve qu’il n’en est point ainsi ; sur aucun point des Vosges je n’ai vu les roches feldspathiques pénétrer en filons ou en masse dans le grès rouge ; tous les observateurs qui ont cité des faits de ce genre ont été trompés par les apparences. Le todte liegende est intimement lié au grès vosgien qui le recouvre ; les couches de celui-ci sont rarement très inclinées et presque toujours horizontales ; il existe des dolomies à la limite entre le grès rouge et le grès vosgien.

Le todte liegende se montre dans le fond des vallées, et forme de petites collines aplaties au pied des montagnes de grès vosgien. Celles-ci, presque toutes formées de couches régulières parfaitement. horizontales, ce qui annonce qu’elles ont été peu ou point soulevées, présentent cependant des cônes bien déterminés, mais dont l’aspect diffère de celui des cônes euritiques : ils sont presque toujours isolés, et jamais liés avec d’autres masses comme les premiers. Ce sont des cônes de dénudation, comme il est facile de le voir par les débris accumulés sur leurs flancs et à leurs pieds.

Les sources qui sortent du grès sont excellentes, mais peu nombreuses ; beaucoup tarissent pendant l’été.

10° Terrain diluvien.

Le grand attérissement diluvien occupe le fond de toutes les vallées, et s’élève même jusqu’à une grande hauteur sur les flancs des montagnes. Ses matériaux appartiennent toujours aux roches qui constituent les montagnes sur les flancs et au pied desquelles il gît, en sorte que sa nature change avec les localités. Il renferme beaucoup de blocs erratiques dont quelques uns sont très gros, qu’on trouve aussi dispersés sur les montagnes de toutes les formations, jusque dans le voisinage des sommets les plus élevés ; ils paraissent avoir été arrachés aux roches qui constituent ces sommets, avec lesquelles ils sont identiques. Un fait de la plus haute importantes, c’est que l’attérissement diluvien se trouve sur les deux versans de la chaîne à peu près à la même hauteur, et qu’il s’étend ensuite jusqu’à une grande distance dans les plaines qui la bordent au sud, à l’est et à l’ouest, les matériaux qui le composent sont partis de la crête, et vont en diminuant de grosseur à mesure qu’on s’en éloigne.

Les éruptions basaltiques de la côte d’Essey, d’autres points des Vosges, et celles du Kaiserstulhz, dans le Brisgau, sont contemporaines de l’attérissement diluvien.

Dans les marnes et les graviers diluviens de la plaine du Rhin, on a découvert des débris de rhinocéros et d’éléphant.

11° Époque actuelle.

Les dépôts des rivières et des ruisseaux sont peu considérables ; les sources minérales (Bussang, etc.) déposent un peu de carbonate calcaire ; je ne connais point de grottes dans lesquelles se forment des stalactites.

Les montagnes critiques s’éboulent encore d’une manière très sensible, et les débris, réduits en fragmens assez petits, forment des talus au pied des escarpements.

La formation de l’époque actuelle qui mérite le plus d’attirer. l’attention de l’observateur, est celle des tourbes ; la tourbe des Vosges est de deux espèces :

Dans les marais, et surtout autour des étangs, qui sont très nombreux sur la rive gauche de la Moselle, il existe des couches de tourbe provenant de la décomposition par l’eau stagnante des végétaux qui y croissent. Quelques unes de ces couches sont très épaisses et donnent un assez bon combustible.

Sur les flancs et les sommets des montagnes, dans des localités qui ne sont point du tout marécageuses, on rencontre également des couches de tourbe d’une grande étendue ; souvent elles recouvrent les sommets en manteau, et descendent jusqu’à une certaine distance sur les flancs (le Fény au-dessus de Gérardmer, les sommets de Thanet, le Bressoir, etc.). Ces tourbes sont le résultat de la décomposition des végétaux (mousses, lichens et graminées), qui croissent encore aujourd’hui sur la surface des montagnes. Cette décomposition est déterminée par les variations de la température, et l’influence des agens atmosphériques.

Cette seconde espèce de tourbe est aussi exploitée pour brûler ; elle renferme des branches, des racines et même des tronc sentiers des sapins qui vivent encore sur les montagnes qu’elle re ouvre. Je n’y ai jamais trouvé d’ossements d’animaux d’aucune espèce.


conséquences.

Il résulte de ce que nous venons d’exposer dans le cours de cette note, que la portion ancienne de la chaîne des Vosges à l’étude de laquelle nous avons consacré quatorze mois entiers, renferme onze grandes formations géognostiques : les produits de l’époque actuelle, le terrain diluvien avec ses basaltes, le grès rouge, le terrain houiller, les schistes phyllades, les micaschistes, le gneiss, le leptynite avec ses ophiolites, le granite et la siénite, les eurites et porphyres de toutes les espèces, enfin les trapps, qui sont, jusqu’à présent, les roches les plus inférieures de la portion connue de l’écorce du globe. Parmi ces formations, trois sont nouvelles (leptynites, eurites et porphyres : et les trapps) ; les roches qui hs composent avaient depuis long-temps été aperçus par les observateurs, et même assez bien décrites ; mais, quant à la place qu’elles occupent dans les série géognostique, et au rôle qu’elles ont joue lors de la formation de notre planète, ils étaient complètement ignorés. Jusqu’à ce jour, on les avait regardées comme des masses anormales, et aucun géologue n’avait en l’idée qu’elles pussent constituer des groupes particuliers, formant des termes de la série géognostique.

Nos observations lèvent tous les doutes à cet égard, et démontrent qu’à partir du gneiss, qui est la roche la plus anciennement consolidée, d’autre dépôts se sont formés au-dessous, qui sont d’autant plus nouveaux qu’ils occupent un niveau plus inférieur : résultat que M. Cordier avait prévu, dans son travail sur la température de l’intérieur de la terre (p. 228). Ces phénomènes sont tout-à-fait semblables à ceux qui se passent dans une masse fondue qui se refroidit au contact de l’air ; en outre, les eurites, les porphyres et les diorites portant des traces évidentes de l’action du feu, et présentant une grande analogie avec la roches volcaniques, ou peut en conclure que la terre était à l’état de fluidité ignée lorsque le gneiss s’est déposé, et que les autres masses qui gisant au-dessous sont le résultat du refroidissement successif de notre planète. Le leptynite a succédé eu gneiss, le granite au leptynite, et ensuite des roches dont le compacité allait toujours en augmentant, jusqu’à la plus inférieure, qui est la plus compacte que nous ayons trouvée, résultat parfaitement d’accord avec les lois de la physique : les molécules des masses minérales fondues se rapprochaient d’autant plus, que la pression qu’elles avaient à supporter devenait plus considérable.

Pendant que les dépôts plutoniens se formaient au-dessous du gneiss, des dépôts neptuniens avaient lieu au-dessus et dans un ordre inverse : c’est-à-dire que les premiers formés étaient recouverts par ceux qui venaient après.

Ces deux espèces de dépôts avaient lieu simultanément :

Le leptynite est contemporain du micaschiste, le granite du phyllade et des calcaires de cette époque, les eurites granitoïdes du terrain houiller ; enfin les eurites compactes et les porphyres de toutes les espèces sont postérieures à la grande formation houillère, mais antérieures à celle du grès rouge, puisqu’ils pénètrent en filons dans la première et non dans la seconde,

Jusqu’au grès rouge, toutes les roches des Vosges ont été soulevées et portées à une grande hauteur, 1,200 à 1,400 mètres au-dessus de la mer, par les granites, les eurites, les porphyres et les trapps, qui s’y montrent en filons, et forment souvent de grosses masses au pied des montagnes.

Le premier soulèvement des Vosges date de la formation du leptynite ; il a pénétré dans le gneiss, et il en renferme des fragmens ; l’action s’est continuée ensuite, mais immédiatement après le dépôt du terrain houiller ; les eurites compactes, les porphyres et les trapps, ont produit un cataclysme qui a détruit en partie les phyllades dont les débris ont servi se matériaux pour la grande formation arénacée. Cette catastrophe est celle qui a déterminé la solution de continuité entre les deux époques géognestiques que l’on nomme terrain de transition et terrain secondaire. Ensuite sont venus deux autres soulève mense celui des ophiolites, qui a brisé les couches du muschelkalk, sans presque des ranger celles du grès vosgien ; celui des basaltes, qui suivant moi, a fait jaillir de l’intérieur de la terre de fortes masses d’eau, lesquelles, entraînant avec elles les débris des montagnes, obnt donné naissance au grand attérissement diluvien.

Je regarde les montagnes de grès rouge (grès vosgien) comme étant des montagnes de dénudation produites, en grande partie par l’action des courans diluviens ; toutes celles fracturées par les roches feldspathiques sont des montagnes de soulèvement ; ces dernières offrent des phénomènes extrêmement curieux.

Les masses relevées, les déchiremens qu’elles présentent et toutes lents vallées commençant par un cirque très évasé, annoncent parfaitement leur mode de formation.

Les soulèvemens ne se sont point effectués suivant des lignes parallèles, comme l’a avancé M. de Beaumont ; mais sur des centres qui sont indépendants les uns des autres, et aucunement disposés suivant des lignes droites ou des arcs de cercle.

Un centre de soulèvement est une masse portée à une grande hauteur, de laquelle divergent des ramifications qui se dirigent dans tous les sens, en s’abaissant à mesure qu’elles s’éloignent du centre jusqu’à ce qu’elles aillent mourir dans les plaines et dans les vallées. Le long de leur cours, ces ramifications en jettent d’autres qui se divisent à leur tour, et ainsi de suite, en sorte que toutes les parties qui dépendent d’un même centre de soulèvement constituent un massif parfaitement distinct, comme on peut le voir sur toutes les cartes topographiques bien faites. Lorsque les productions de deux centres se rencontrent, il y a un point de rebroussement dans la ligne très compliquée, qui, s’appuyant sur les crêtes de ces ramifications, irait d’un sommet à l’autre. Ce point est un col où deux vallées prennent leur origine, et fixe la limite des deux productions qui s’y rencontrent. Dans toute la surface occupée par la formation euritique, les centres de soulèvement sont des cônes, et, sur la crête de leurs ramifications, on voit des cônes plus petits s’élever de distance en distance.

Dans la région granitique et siénitique, ce sont des sommets arrondis et quelquefois des plateaux très étendus ; les ramifications offrent également des plateaux plus ou moins alongés, au pied desquels on voit souvent sortir les eurites et les porphyres qui les ont soulevés. Les montagnes présentent toujours un escarpement d’un côté, et une pente douce de l’autre ; l’escarpement est constamment du côté de la plus grande élévation.

C’est au S. et à l’E. que se trouvent presque tous les escarpements de la masse granitique ; ceux des siénites sont au N. et à l’O,

Les principaux centres de soulèvement de la région siénitique sont les ballons d’Alsace et de Servance ; ceux de la région granitique sont le Drumont, le Grand Ventron, le Honech, le Bressoir, etc. Dans l’espace occupé par la formation euritique, les centres de soulèvement sont plus nombreux que dans l’autre ; parmi eux, le Barenkopf, la grande Bers, le Rosberg, le ballon de Guebviller, sont très remarquables.

Le ballon de Guebviller surtout, qu’on a regardé jusqu’à présent comme une cime placée sur un rameau partant de la crête, est le centre d’un superbe massif dont la principale ramification va rencontrer la crête des Vosges au Rotabac, où il se réunit, par un col, avec une des productions du Honech.

On remarque souvent autour de chaque centre de soulèvement plusieurs autres centres qui en dépendent, et desquels partent des ramifications secondaires. Le centre n’est pas toujours le point le plus élevé du massif, mais bien le sommet de la masse dont partent toutes les ramifications.

La masse du Kaiserstulhz que j’ai aussi étudiée pendant quelque temps, présente de grandes analogies avec les porphyres et les eurites des Vosges : toutes les roches qui la composent ne sont que des modifications d’une grande éruption dolomitique. Il y a deux centres principaux de soulèvement (sommets du Kaiserstulhz, et de Santa-Catharina), et un grand nombre de petits centres d’ordres inférieurs. Les vallées commencent toutes par un cirque conique, et une grande vallée très large sépare les productions des deux centres principaux, dont un grand nombre vient s’y terminer.

M. Des Genevez continue la lecture de son Mémoire sur les deux groupes volcaniques du Cantal et des Monts-Dores.

« Il se borne pour les Monts-Dores à passer rapidement en revue les nombreuses analogies qui unissent sous tous les rapports ce groupe de montagnes au Cantal. Il remarque que si la structure des Monts-Dores est plus compliquée, c’est parce que les filons et les dykes y sont bien plus nombreux et plus puissans.

Puis il développe des considérations sur la composition chimique et minéralogique des roches volcaniques. Suivant lui, la coloration des roches, considérée en grand, est un caractère d’une haute importance, parce qu’elle tient au mode de combinaison des élémens ; elle peut fournir des probabilités précieuses sur le plus ou moins de fluidité des roches.

L’opinion qui considère la solubilité partielle dans les acides comme un caractère distinctif des phonolithes, est une erreur. Il résulte des essais faits par M. Des Genevez, sur les principales variétés de roches volcaniques du Cantal, que toutes, à l’exception des domites, sont composées de silicates solubles et de silicates insolubles. Quelques filons de trachyte, en passant à travers les terrains tertiaires, se sont chargés de carbonate de chaux.

On peut suivre la transformation graduelle des trachytes en phonolites et des phonolites en basaltes, par des changemens peu considérables dans les proportions des élémens. Les minéraux disséminés offrent également une double progression croissante et décroissante.

Des faits énoncés, on est conduit, ajoute M. Des Genevez, à conclure que la nature n’a point procédé par des renouvellemens complets, comme pourrait le faire supposer l’aspect complètement différent des roches épanchées. Des variations de température, le remplacement partiel des alcalis par le protoxyde de fer et la magnésie ; voilà à peu près à quoi se sont bornés les changemens qui ont eu lieu dans le travail des creusets souterrains.

Peut-être ces considérations seraient-elles susceptibles d’être étendues aux roches pyrogènes de tous les Âges, »

M. Fournet lit un Mémoire intitulé : Recherches sur les révolutions qui ont modifié les Monts-Dores.

« M. Fournet établit que les Monts-Dores sont le résultat d’une série de formations qui ont surgi à des époques diverses ; de longs intervalles de temps ont pu les séparer les unes des autres ; ainsi, après une première éruption de conglomérats, il y a eu formation d’un cratère lac, caractérisé par les lignites ; celui-ci a été comblé et nivelé par de nouveaux conglomérats sur lesquels s’est établie la grande nappe de trachyte porphyroïde à grands cristaux qui a été fluide, si l’on en juge par sa disposition et sa texture. Celle-ci a été disloquée et relevée en divers points : d’abord par la sortie des trachytes domitiques, dont le caractère le plus saillant est d’avoir joui de peu de fluidité ; car ils ne présentent pas de coulée, et affectent généralement la forme d’énormes dykes.

Une seconde formation qui a encore influencé les nappes précédentes, est celle des trachytes gris qui ont percé principalement en filons, et donné des coulées à l’instar des volcans modernes ; ils doivent avoir été très fluides, et paraissent passer aux basaltes, vu leur teinte grise, leur solubilité dans les acides, et les péridots qu’ils renferment en beaucoup de points.

Le basalte a agi dans le même sens, et parait avoir produit, entre autres, l’élévation du Puy Gros ; sa sortie a encore donné lieu, au roc Courlande, à la circonstance remarquable de deux fractures dirigées à peu près à angle droit, et qui eussent formé des vallées si, en vertu de sa fluidité, il ne les eût pas comblées ; en sorte que les eaux n’ayant aucune prise sur elles, il n’y eut pas d’élargisement subséquent.

Jusqu’à la fin de ces époques, il a dû y avoir de grandes ondulations dans le sol, mais les vallées actuelles n’existaient pas encore, car toutes les fissures ont été immédiatement obstruées par l’injection des matières volcaniques. Une roche nouvelle, à en juger par son insolubilité comparative dans les acides, par sa forme de dyke et par sa position, dans un centre bien caractérisé vers lequel les couches se relèvent de toutes parts, paraît donc être la cause de ces fractures, par l’effort qu’elle fit pour paraître au jour.

Cette roche, qui est la phonolite, affecte encore en d’autres points la disposition en filons, ce qui pourrait bien en indiquer plusieurs époques ou formations dont quelques unes seraient peut-être antérieures à certains basaltes ; cependant l’obscurité qui enveloppe la plupart de ces derniers gisemens n’a pas permis à M. Fournet de décider la question.

Deux autres roches méritent d’être prises en considération : ce sont les dolérites et les conglomérats récens. Ces derniers paraissent avoir induit quelquefois en erreur les géologues, vu leur disposition en une assise morcelée, située au milieu environ de la grande assise des conglomérats anciens, et qui, vue de loin, affecte la forme d’une grande coulée trachytique bien suivie ; elle n’est que le résultat d’une cimentation de débris divers par les eaux minérales.

Enfin divers trachytes sont rangés par l’auteur dans un seul groupe sous la désignation de trachytes anormaux, parce qu’ils présentent des caractères variés et ne paraissent pas avoir joué de rôle bien important, quant aux effets qui ont modifié la disposition de la grande masse du trachyte en nappes, sont que leur ancienneté ait effacé leurs caractères les plus saillans, soit encore que leur position ne permette guère de les étudier convenablement.

En résumant, M. Fournet observe qu’il envisage la disposition actuelle du Mont-Dore comme analogue à celle des filons métallifères de l’Auvergne ; ceux-ci, dit-il, sont le résultat d’une série de fractures opérées suivant un axe, tandis que dans les Monts-Dores elles se sont établies autour de plusieurs points centraux. »

M. Des Genevez objecte à M. Fournet que la sortie des phonolites ne lui paraît pas plus au Mont-Dore qu’au Cantal, avoir été contemporaine d’un vaste soulèvement. Les phonolites des environs du lac de Guéry ont plus d’extension que ne leur en a donné la carte géologique du Mont-Dore ; il est donc prématuré de tirer des conclusions théoriques de la position de ces roches.

M. Des Genevez n’admet pas non plus la distinction chimique des phonolites et des trachytes, reconnaissant plutôt un passage de l’une de ces roches à l’autre.

M. C. Prévost fait remarquer qu’en considérant l’ensemble du Mont-Dore comme le résultat de l’accumulation de matières volcaniques sorties à de longs intervalles de l’intérieur de la terre, et en attribuant la plupart des anfractuosités du sol à des dislocations successivement produites par diverses éruptions, M. Fournet vient fortifier l’opinion contraire à l’hypothèse d’un soulèvement général postérieur à l’épanchement des basaltes. Cependant le relèvement local des nappes trachytiques, notamment au roc de Cuzeau, et au Cliergue, vers la cavité centrale qui commence la vallée du Mont-Dore, et la manière brusque dont ces masses solides s’arrêtent au bord de cette cavité, semblent à M. Fournet ne pouvoir s’expliquer qu’en admettant que la vallée du Mont-Dore n’existait pas lors de l’épanchement des trachytes, et qu’elle a été produite par un soulèvement postérieur dont l’effet a été d’incliner en sens opposé les portions d’une même nappe disloquée.

Sans prétendre résoudre définitivement la difficulté qui a engagé M. Fournet à avoir recours à l’explication qu’il propose, M. C. Prévost expose les faits suivans, comme pouvant jusqu’à un certain point présenter des analogies avec la position des massifs du roc Cuzeau et du Cliergue, au bord du cirque de la vallée du Mont-Dore.

1° Lorsqu’en novembre 1831 M. C. Prévost, ainsi que M. de Montalembert, montèrent au sommet de l’Etna, ils suivirent depuis la base du cône terminal jusqu’au bord du cratère, dont la profondeur et l’étendue leur parurent égaler celles de la vallée du Mont-Dore, une petite coulée de lave qui, au mois de mars précédent, était évidemment sortie de cette vaste bouche.

2° Au Monte-Nuovo, près de Pouzzole, on voit sur le bord sud du cratère un massif de lave en partie compacte et en partie scoriacée, qui du côté intérieur semble comme suspendu au-dessus d’un abîme, et qui du côté extérieur se prolonge en une coulée qui descend rapidement jusque dans le lac Lucrin.

3° Au Cantal, à l’origine de la vallée de Brezons, le cirque à bords escarpés qui commence cette vallée, et qui a tous les caractères d’une bouche d’éruption, est surmonté au S.-O. par un massif basaltique irrégulièrement prismé qui s’étale en pente douce vers la vallée de la Gère.

Dans ces trois exemples, il est impossible de supposer que les cavités ne préexistaient pas à la formation des masses solides que l’on voit sur leurs bords.

M. Fournet fait remarquer que les massifs du roc Cuzeau et du Cliergue ne lui paraissent pas être l’origine d’un épanchement de lave qui aurait eu lieu par-dessus les bords d’un cratère, ainsi que le suppose M. C. Prévost ; mais la tête de filons qui n’auraient sans doute pas traversé plusieurs centaines de pieds de matières solides, si le trachyte qui les compose avait trouvé à s’épancher dans une cavité latérale préexistante.

M. C. Prévost répond qu’à la Somma, dans l’intérieur du cratère du Vésuve, ainsi que dans celui de l’Etna, et dans le Val del Bove, on voit, comme dans la vallée du Mont-Dore, de nombreux filons qui s’élèvent verticalement d’une très grande profondeur, jusqu’aux bords supérieurs des cavités circulaires, et que l’on pourrait se demander également comment la matière de ces filons ne s’est pas plutôt épanchée dans le cratère.

Pour lever cette difficulté, il faut se rappeler que dans certains momens les cratères des volcans sont remplis de lave jusqu’à leurs bords ; qu’alors celle-ci déverse par un ou plusieurs points, jusqu’à ce qu’il se fasse sur les flancs du cône des ouvertures par lesquelles s’épanche la matière accumulée dans son intérieur, qui bientôt se vide ou s’affaisse. C’est ainsi que le cratère du Vésuve, qui, en mars 1832, était presque comble, avait plus de 700 pieds de profondeur quelques années avant.

En second lieu, M. C. Prévost pense que la matière des filons n’a pas pénétré de force dans le sol qu’elle traverse ; mais que cette matière a rempli des vides produits par les secousses, les retraites ou autres causes analogues ; et dans le cas particulier des filons verticaux qui tapissent les parois des cratères, on peut supposer que la lave dont ils sont formé s’est introduite latéralement, et quelquefois de haut en bas, plutôt que de bas en haut, dans les fissures qu’elle remplit.

La même chose n’a-t-elle pas eu lieu au Mont-Dore, si l’on regarde cette montagne comme un vaste volcan dont le foyer principal d’éruption existait au point où commence la vallée des Bains ?

M. Fournet pense que la dernière explication ne satisfait pas à la question, attendu que les diverses coulées du plateau de Champ-Bourquet auraient dû devenir de plus en plus épaisses et puissantes en allant du sud au nord, et même se confondre quelquefois, puisqu’il y a abaissement de la bordure du cratère dans ce sens, tandis qu’elles sont sensiblement égales.

Bien plus, le plateau de Rigolet est à un niveau encore bien inférieur ; c’est donc sur lui que le débordement principal aurait dû s’effectuer, et une énorme assise de trachyte gris devrait le recouvrir, tandis qu’on n’y trouve qu’un faible lambeau, dont les filons de même nature, qui traversent le pied du plateau, sont plus que suffisans pour rendre compte.

Dans les volcans que cite M. Constant Prévost, on voit de puissantes coulées résulter de ce trop-plein ; ici, où sont-elles ? Il reste des masses de ces mêmes laves dans les cratères et contre leurs parois ; on n’en voit point dans le cirque du Mont-Dore, ou bien elles sont toujours réglées en filons prenant leur origine dans la profondeur.



  1. Les ossemans de l’Ichtiosaurus missuriensis sont empâtés dans des calcaires argileux bleuâtres, qui ont de l’analogie avec le lias.
  2. Sur les groupes du Cantal et du Mont Dore, etc. (Extrait, des Annales des Mines, 3e série, tome III.).
  3. Ann. des sc. nat. Octobre 1829.