Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome III/Séance du 4 mars 1833


Séance du 4 mars 1833.


Présidence de M. de Bonnard.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, M. le président proclame membres de la Société :

S. A. R. Christian Frédéric, prince de Danemark ; présenté par MM. Brongniart, Boue, et Desnoyers ;

MM.

Greenough (G.-B.), président de la Société géologique de Londres ; présenté par MM. Boué et Desnoyers ;

Guidotti (Jean-Baptiste), professeur de chimie et d’histoire naturelle à l’université de Parme ; présenté par MM. Desnoyers et Boué ;

Berthier, membre de l’Institut, professeur de docimasie à l’Ecole des Mines, etc. ; présenté par MM. Desnoyers et Boué ;

Hisinger (W.) membre de l’Académie des sciences et de plusieurs autres Sociétés savantes, à Stockholm, en Suède ; présenté par MM. Boué et Desnoyers ;

Noel Desvergers (Adolphe), membre de la Société de géographie ; présenté par MM. Cordier et Boubée ;

Revenaz (Amédée), ancien élève de l’École polytechnique ; présenté par MM. Boubée et Virlet.

Correspondance. — S. A. R. Christian Frédéric, prince de Danemark (Copenhague, 8 février 1833), écrit qu’il se verra avec plaisir inscrit parmi les membres d’une Société fondée dans le but de concourir à l’avancement d’une science à laquelle il prend le plus vif intérêt.

M. Greenough, nommé récemment président de la Société géologique de Londres (Londres 20 février 1833), en demandant à faire partie de la Société géologique de France, ajoute que l’un des devoirs qui lui seraient le plus agréables à remplir pendant les deux années de sa présidence, serait de recevoir les géologues étrangers, et particulièrement les membres de la Société géologique française qui visiteraient pendant ce temps l’Angleterre.

M. Guidotti, professeur de chimie et d’histoire naturelle à l’université de Parme (Parme, 18 février 1833), annonce que la collection de coquilles fossiles de l’Apennin parmesan et plaisantin, contient trois ou quatre fois plus d’espèces qu’il n’en est indiqué dans la Conchyliologie fossile subapennine de Brocchi ; il possède plusieurs espèces de genres fort rares, tels que des ombrelles, hyales, haliotides, licornes, etc., beaucoup de cypricardes, d’hiatelles, de pholades, etc., inédites. M. Guidotti offre d’enrichir la collection de la Société d’une suite nombreuse de ces fossiles, et d’y joindre des ossemens de mammifères des mêmes terrains.

M. de Lehmann (Londres, 24 février) annonce que M. de Kerneyef, directeur général des mines de Russie, échangera volontiers contre le Journal des mines russes, le Bulletin de la Société géologique de France. L’ordre est donné d’expédier régulièrement ce recueil à Paris.

M. le secrétaire de la Société royale des sciences de la Bohème (Prague 20 février), accepte, au nom de cette Société, l’échange de ses Mémoires contre le Bulletin. Une nouvelle série de mémoires a commencé depuis 1827 ; il en a paru 4 volumes, que la Société recevra.

M. Voltz prie de communiquer à la Société la publication prochaine d’un ouvrage de M. Bronn de Heidelberg, intitulé Lethœa Geologica, qui contiendra la description et les figures bien exécutées de tous les fossiles caractéristiques des terrains. Cet ouvrage aura 28 planches représentant près de 300 espèces en plus de 800 fig., in-4o, avec un texte de 12 feuilles en français et en allemand. Pour assurer spn utilité, il sera livré au public à bas prix,

La Société reçoit les ouvrages suivans :

1° De la part de l’Académie royale des sciences, inscriptions ei belles lettres de Toulouse (en échange du Bulletin de la Société), les 2 premiers tomes de ses Mémoires, 4 vol. in-8o, Toulouse, 1827-1830.

2° De la part de MM, J. Esquerra del Bayo, P. Bauza, R. Amar de la Torre et F. Garcia, un rapport sur les mines de charbon de pierre des Asturies, relevé fait par l’ordre du roi avec la description des divers caractères de ce minéral, des coupes et un examen analytique des projets présentés pour faciliter le transport du charbon dans les ports. (Minas de charbon de piedra de Asturias, etc.), par M. Ezquerra ; in-folio de 69 p. avec une carte et quatre coupes, Madrid 1831.

Cet ouvrage contient une introduction, ou exposé de la direction générale des mines de l’Espagne sur les travaux de la commission, le rapport de cette commission sur des mines de charbon des Asturies, la description géognostique du terrain charbonneux, une table présentant les localités des couches de houille, leur direction, leur inclinaison, leur puissance et leur qualité. Le reste de l’ouvrage présente des plans de routes pour amener le charbon dans un port de mer.

3° De la part de M. Jean Steininger, la collection de tous les ouvrages qu’il a publiés jusqu’ici, excepté son Mémoire géologique sur la province du Luxembourg (Bruxelles 1829), dont il n’a pas d’exemplaires à donner. Savoir :

A. Etudes géognostiques sur les bords moyens du Rhin (Geognostische Studien im Milletrheine), in-8o de 222 p. — Mayence 1819.

B. Les volcans éteints de l’Eifel et des bords inférieurs du Rhin (Die erloschenen Vulkane in der Eifel, etc.), in-8o de 180 p. avec 2 pl. — Mayence 1820.

C. Nouvelles remarques pour l’histoire des volcans du Rhin (Neue Beîtrage tur Geschichte des rheinischen Vulkane) in-8o de 116 p. avec 2 pl. — Mayence 1821

D. Carte géologique des contrées entre le Rhin et la Moselle (Gebirgskarte der Lander, etc.), in-8o de 82 p. aveu une carte coloriée. — Mayence 1822.

E. Les volcans éteints de la France Méridionale (Du erloschenen Vulkans in Sudfrankreick), in 8" de 239 p. avec une carte et une coupe. — Mayence 1823.

F. Observations sur l’Eifel et l’Auvergne (Bemarkungen uber die Eifel u : die Auvergne), in-8o de 48. p. — Mayence 1824.

M. Steininger demande si la Société ne pourrait pas lui faire la faveur de lui adresser en échange les deux premiers volumes de son Bulletin. Renvoi au conseil.

M. Boué fait hommage à la Société, 1o d’une quarantaine d’échantillons de roches et de fossiles des environs de Narbonne.

2o De 134 échantillons de roches et de fossiles de Rocoaro dans le Vicentin, offrant les types de tous les dépôts secondaires et des masses ignées de ce pays.

3o De 50 échantillons de roches et de fossiles de diverses localités de la Carinthie, de l’illyrie, et des impressions de fougères du sommet des Alpes de Frauenock, près de Turrach, dans la partie N.-O. de la Styrie.

4o 6 fossiles d’eau douce (Planorbis carinata et Palvuta spirorbis de Kreng, à une lieue de Saint-Veit, près de Klagenfurt, en Carinthie.

M. Virlet fait aussi hommage à la Société de 82 échantillons de roches, de différentes localités de la Grèce. Savoir :

22 échantillons de l’île de Syra ; 8 des îles Délos et Rhenée ; 3 de Paros et Antiparos ; 15 de Mycone ; 8 de Naxie ; 17 de Cyne ; 9 de l’Attique.

M. Domnando présente le premier cahier de la nouvelle série du Jahrbuch fur Mineralogie, Geologie, etc., de MM. Léonhard et Bronn pour 1831. On remarque une seconde coupe des Alpes du Salzbourg (y compris un joli profil), par feu M. Lill de Lilienbach ; une notice sur les cavernes ossifères de Liège, par M. Schmerling, une lettre de M. Édouard Schwarz à M. de Beaumont, relative à la théorie des soulèvemens, etc., etc.

M. Boué présente, 1o de la part de M. Voltz, un morceau de gneiss de la Forêt-Noire, renfermant des cailloux quarzeux.

2o Des échantillons de plusieurs espèces d’insectes (diptères) fossiles dans des marnes, accompagnant le gisement de soufre de Radeboy, en Croatie (Voy. Bull. t. V. 3, p. 92).

Il y joint deux espèces de fucoïdes de la même localité, dont l’une n’a pas encore été décrite.

M. Rozet soutient que le fragment présenté comme un granite par M. Voltz, est un leptinite passant au granite et au gneiss, et que l’observation des débris quarzeux dans cette roche se rattache à un fait de même nature qu’il a précédemment annoncé.

M. Audouin, présent à la séance, fait remarquer que les insectes impressionnés de Radeboy sont des larves d’insectes aquatiques.

M. Rozet communique à la Société, de la part de M.Bérard, lieutenant de vaisseau chargé de la reconnaissance des côtes de Barbarie, une vue des environs du cap Cavallo (baie de Bougie), près duquel existent plusieurs îlots (D. et E.) situés dans la mer, à une petite portée de canon de la côte, entièrement formés par un porphyre trachytique, offrant une structure prismatique bien prononcée. Les mêmes roches paraissent aussi exister au pied des montagnes sur plusieurs points du littoral ; mais il est impossible de mettre pied à terre dans ces parages, et M. Bérard n’a pu juger que par analogie ; il assure avoir trouvé les mêmes porphyres formant des îlots à une petite distance du rivage jusqu’au-delà de Stara, à 80 lieues à l’est d’Alger.

Dans ses excursions sur la côte Alger, M. Rozet a vu, près du cap Matifou, les porphyres trachytiques percer le terrain tertiaire et former plusieurs îlots dans la mer à une petite distance du rivage. Le même fait se représentant sur plusieurs points jusqu’à une distance de 75 lieues du cap Matifou, le porte à avancer que l’éruption des porphyres trachytiques, à laquelle il attribue le redressement des couches du terrain tertiaire subatlantique, a eu lieu tout le long de la côte, depuis Alger jusqu’à Boué, et probablement jusqu’au cap Bon, à l’est de Tunis, où la côte prend brusquement une direction perpendiculaire à celle qu’elle suit depuis ce point jusqu’au détroit de Gibraltar.

M. Rozet, en réponse à une communication faite par M. de Bonnard dans une précédente séance, développe aussi quelques considérations sur le terrain houiller du bas Boulonais, et rappelle l’opinion qu’il a émise sur les rapports de cette formation avec le calcaire intermédiaire. Selon lui, le terrain houiller est postérieur au terrain calcaire, avec quelques alternances aux points de contact.

M. Boubée fait plusieurs propositions relatives au régime intérieur de la Société et à l’impression du Bulletin. Ces propositions sont renvoyées au conseil.

M. Virlet donne les détails suivans sur les roches de l’Archipel grec dont il vient de faire don à la Société.

« Parmi les îles de l’Archipel grec, qui appartiennent presque toutes aux terrains les plus anciens, l’île de Syra est particulièrement composée de gneiss, de micaschistes et de calcaires grenus, roches auxquelles sont subordonnées un grand nombre d’autres roches offrant avec la structure la plus cristalline les plus belles variétés : ce sont des euphotides, des amphibolites nombreuses, de belles éclogites, beaucoup de roches amphibolifères et grenatifères, des roches de diallage, et, ce qui est assez remarquable, des roches de Disthène, dont M. Virlet a joint des échantillons à sa collection. Cette substance est non seulement associée à la plupart de ces roches cristallines, mais elle forme, tantôt seule, tantôt mélangée, soit avec quelques grenats, soit avec du mica nacré argental ou de la diallage, des bancs assez puissans et très étendus. Le disthène y est presque toujours fibreux, à teintes quelquefois d’un bleu noirâtre, en sorte qu’on pourrait très bien le confondre avec certaines amphibolites, auxquelles il est même quelquefois associé ; mais les teintes d’un beau bleu qu’il présente aussi, et ses alternances avec l’éclogite et la diallage, l’ont facilement amené à l’en distinguer. Cette circonstance, quoique locale, ne m’en paraît pas moins assez importante, ajoute M. Virlet, car c’est la première fois, du moins à ma connaissance, que l’on rencontre cette substance minérale en roche. L’ile de Syra renferme en outre du fer en grande abondance qui s’y trouve à tous les états ; il y a quelques filons-couches, qui ont jusqu’à un mètre de puissance, en fer oligiste et fer carbonate spathique, ou simplement en fer carbonaté grenu, offrant absolument le même grain que les calcaires au milieu desquels ils sont intercalés parallèlement au plan des couches.

Les trois îles voisines de Mycone, de Délos et de Rhénée, qui forment un petit groupe à part qu’il a nommé Délien, sont principalement granitiques et siénitiques ; entre les roches granitoïdes et les gneiss, et micaschistes qui leur sont subordonnés, on trouve, dans la première de ces îles, des pegmatites qui passent par décomposition au kaolin, et une formation d’arkose grossière qui constitue aux environs du port Panormos, plusieurs collines élevées. Cette île présente en outre un fait fort singulier, qui a surtout attiré l’attention de M. Virlet ; c’est un gisement de fer oxidé hydraté, présentant l’aspect d’une coulée qui envelopperait d’une espèce de calotte la partie supérieure de la montagne de Mavrospilia, formée par les nombreuses assises de l’arkose grossière, comme l’indique la coupe ci-jointe.

Coupe de. la montagne de Mavrospilia, dans l’île de Mycone.

1 Filons de baryte sulfaté et de fer hydraté.
2 Dépôts de fer oxydé hydraté.
3 Arkose grossière, en couche nombreuses.
4 Calcaire noir à nombreux filons calcaires.
5 Pegmatite blanche décomposée (kaolin).
6 Granite et syénite.
7 Débris récens.

« Ce dépôt se lie à plusieurs filons de fer hydroxidé et de baryte sulfatée qui coupent la montagne de l’est à l’ouest, direction de la montagne elle-même. Quelle que soit la manière dont s’est fait ce dépôt de fer, ou peut considérer les fontes que ces filons ont remplies comme des espèces de cratères alongés par où s’est fait le dépôt, soit par épanchement, toit par suite de la condensation du fer qui s’est volatilisé par ces sortes de cheminées.

« La montagne ne paraît pas avoir subi le moindre dérangement depuis la formation de ce dépôt ; les filons n’occupent qu’un seul revers de la montagne, et le plus considérable, celui par lequel s’est formé l’épanchement principal, court tout le long de la crête plus ou moins sinueuse de la montagne ; il n’a pas moins d’un demi-pied à un pied de puissance en baryte ; elle forme comme un second filon entre deux espèces de sallebandes de fer hydraté, chacune d’environ un demi-pied, en sorte que la puissance totale du filon est d’environ deux pieds. Il y a continuité parfaite entre le minerai de fer des filons et celui de la surface du sol, circonstance qui permettrait difficilement de concevoir qu’il fit le résultat de concrétions de sources thermales ferrugineuses, car, pour expliquer par ce moyen la parfaite continuité du dépôt, il faudrait supposer que les sources sortaient par les points culminans de la crête, ce qui n’est guère probable.

« D’un autre côté, les lois de la chimie ne pourraient expliquer la formation d’un tel dépôt de fer oxidé hydraté, par suite d’un épanchement et d’une fusion pâteuse quelconque, à moins de supposer que le fer n’ait passé postérieurement à l’état d’hydrate, et que sa fusion ait été facilitée pur la présence de quelque flux fondant, comme la baryte, alliée à quelque autre base terreuse, telles que le feldspath, la chaux ou la silice.

« Quoi qu’il en soit, ce dépôt est venu se modeler exactement sur la surface qu’il recouvre en partie, a pénétré dans toutes les fissures, enveloppé la tranche des couches, et leur a donné l’apparence d’autant de bancs de fer massif ; mais, en le brisant, on voit qu’il n’y a simplement qu’une croûte de 2 à 6 pouces, rarement plus épaisse, qui recouvre toute la surface. Cette croûte ferrifère présente des parties mamelonnées, semblables à certaines boursouflures de laves. Le fer a plus ou moins altéré le grès ; celui-ci est devenu ferrugineux et rouge de brique, de gris-jaunâtre qu’il était, et la baryte sulfatée l’a aussi quelquefois pénétré de nombreuses petites lames qui lui communiquent une structure subcristalline. Les filons se prolongent au-delà dans le granite.

L’ile de Naxos est composée de granite, de gneiss, de pegmatite, de protogine, de micaschistes et de calcaires grenus : c’est dans cette île que se trouve, le principal gisement de l’émeril que l’on tire du Levant. M. Virlet a reconnu que c’était une substance en filons : il y forme d’abord deux filons-couches assez puissans, intercalés entre les assises du calcaire, qui paraissent parfaitement identiques, par leur position et leur manière d’être, aux filons-couches de fer oligiste et de fer carbonaté grenu de Syra ; puis on le trouve disséminé par toute l’île, au milieu des granites, des gneiss et des micaschistes, presque toujours associé au fer oligiste ou au fer oxidulé. Il est ou brun, ou d’un gris bleu métallique ; les fissures présentent souvent du mica doré en petites lames, qui paraît s’y être sublime, et il est même quelquefois traversé par de petits filons de mica nacré argental à grandes lames. Parmi les échantillons de l’ile de Naxos que M. Virlet offre aujourd’hui à la Société, il y a six morceaux d’émeril appartenant à autant de variétés différentes. »

M. de Bonnard annonce à la Société, d’après une lettre de M. Karsten, professeur à l’école des mines de Freyberg en Saxe :

1o Qu’on a trouvé dernièrement, à une lieue de Freyberg, une si grande quantité de titane oxidé (Butile) en fragmens roulés, qu’on veut établir dans cette localité une exploitation de titane par lavage (Seifenwerk), et qu’on fait des essais pour employer ce minéral à la teinture des étoffes de coton ;

2o Que près de Schwarzenberg, en Saxe, on exploite maintenant, en grand, le corindon-émeril, qui a été reconnu depuis long-temps dans cette localité, en grains plus ou moins agglomérés ou disséminés dans une roche talqueuse, laquelle constitue un banc (Lager) dans un terrain de micaschiste primordial ; la qualité de cet émeril est, dit-on, aussi bonne que celle de l’émeril de Naxos.

M. de Beaumont communique à la Société des extraits de deux lettres de M. de La Bèche.

Dans la première, M. de La Bèche annonce que, d’après ses dernières observations, le granite du Dartmoor (Devonshire) est postérieur à la grauwacke, attendu qu’il l’altère lorsqu’il se trouve en contact avec elle, et produit par là une série de roches assez singulières qui ressemblent au gneiss, au micaschiste, etc. ; en outre ce granite pousse des veines dans la grauwacke.

Dans une autre lettre, M. de La Bèche fait connaître que par le moyen de sections délicates, ou a découvert une grande quantité de bois dicotylédones dans le corps des couches de houille du Northumberland et du Durham.

M. Desnoyers communique des extraits d’une lettre de M. de Gerville. M. de Gerville annonce la découverte qu’il vient de faire dans le département de la Manche, d’un nouveau terrain d’eau douce, et d’une couche épaisse de galets calcaires percés par des coquilles perforantes d’une grande taille.

M. Dufrénoy continue la lecture du Mémoire qu’il a rédigé en commun avec M. Élie de Beaumont, ayant pour titre : Des Groupes du Cantal et du Mont-Dore, et du soulèvement auquel ces montagnes doivent leur relief.

Déjà les conclusions de ce mémoire ont été insérées dans le Bulletin de la Société, vol. 2, p. 400, lors d’une discussion qui eut lieu sur les cratères de soulèvement à propos d’une lettre écrite à la Société par M, de Montlosier.

Nous ne reproduirons pas ces conclusions, mais nous croyons devoir rappeler que MM. Dufrénoy et M. de Beaumont attribuent la forme actuelle du Cantal et du Mont-Dore à un soulèvement plus moderne que l’épanchement des basaltes ; qu’ils indiquent dans ces deux groupes de montagnes l’existence de véritables cratères de soulèvement et de plusieurs vallées profondes qui leur paraissent devoir leur première origine à un déchirement produit par l’élévation brusque du sol. Le Mémoire signale la différence qui existe entre ces vallées profondes et d’autres vallées des mêmes groupes de montagnes qui paraissent dues presque uniquement l’érosion des eaux.

Un membre, M. Prévost, demande si les vallées signalées dans ce travail comme de déchirement vont en s’élargissant ou en se rétrécissant à partir du point soulevé. Une discussion s’engage sur ce sujet. MM. Dufrénoy et de Beaumont reconnaissent Mont-Dore les deux sortes de vallées, par déchirement et par érosion ; généralement elles sont plus larges à la partie inférieure, mais des circonstances postérieures ont dû convertir les vallées produites par le soulèvement en vallées d’érosion.

Un membre, M. Burat, fait remarquer que la valide des Bains est, vers le sommet, au val de la Cour, large de 800 mètres ; que, plus bas, au village des Bains, elle ne l’est plus que de 400 ; et que sa longueur est de 3 mille mètres.

M. le comte de Montlosier fait une communication verbale,

1o Sur les trois périodes et les différend ordres de phénomènes qu’il a distingués dans les éruptions et dans les produits volcaniques ;

2o Sur le mode de formation de la plupart des lacs, par un barrage dû à des matériaux d’alluvion, dont il a reconnu un très grand nombre d’exemples en France, en Suisse et en Italie ;

3" Sur certains cratères qu’il nomme cratères-lacs, tels que le lac de Pavin, la plupart des lacs des environs de Naples et de Rome, ceux de l’Eifel, etc. ; sorte de cratères d’explosion, dont il n’est jamais sorti de laves, et qui aujourd’hui présentent une très grande profondeur d’eau et des bords extrêmement rapides.

On lit les trois notices suivantes de M. Eugène Robert :

Suite d’observations géologiques, faites en 1830, en allant presque directement de Genève à l’embouchure de la Gironde.

En traversant la France de l’est à l’ouest, entre le 46 et le 45 degré de latitude, j’ai fait les remarques suivantes :

1o Le calcaire jurassique, après avoir clos le vaste canton de Genève, vient mourir près de Mecimieux et Montluel, où apparaît alors le granite.

2o Avant de sortir de Lyon, à Pierre-Cise, sur la rive droite de la Saône, on remarque une exploitation de cette roche granitique, dont le profil, bien tranché, permet de voir qu’elle est immédiatement recouverte par un terrain de transport puissant, qui domine la ville, et dans lequel on a déjà recueilli (à la Boucle, faubourg Saint-Clair) plusieurs ossemens d’éléphant.

3o Le calcaire jurassique reparaît à droite en sortant de Lazbrelle, près de Roanne.

4o Relativement aux montagnes granitiques de Saint-Just, Noiretable, etc., qui forment le prolongement des Cévennes, du sud au nord, je ne puis m’empocher de faire remarquer, à l’occasion de cette chaîne, un rapport qui m’a semblé frappant entre sa largeur et celle d’autres systèmes de montagnes, tels que les Vosges, le Jura, etc. ; ces trois systèmes différens, par exemple, ayant environ 15 à 18 lieues de traversée, il semblerait qu’ils ont été soulevés par des forces égales ou en vertu de mêmes lois.

5o Vu de Thiers, l’ancien bassin de la Limagne, dont les eaux ont déposé autrefois un calcaire lacustre jusqu’aux pieds des volcans de l’Auvergne, semble avoir occupé une large vallée, bornée d’un côté par les Cévennes, et de l’autre par les terrains volcaniques de l’Auvergne ; ce qui rappelle un peu la disposition des lacs de Ncuchâtel ou de Genève, à l’égard des montagnes qui les bornent.

6o Ayant observé avec beaucoup d’attention la vallée des Enfers au Mont-Doré, je crois pouvoir émettre mon avis, qu’elle n’a pu appartenir u un ancien cratère igné, mais qu’elle est bien le résultat d’un grand soulèvement, lequel paraît sensible en allant de Clermont-Ferrand à cette localité par le chemin de traverse, car il faut toujours monter pour y parvenir, et ensuite descendre brusquement à Routegarde.

7o Depuis le Mont-Doré, ou les confins de l’Auvergne, vers Bourglastie, jusqu’à Egletons, le granite, qui a repris ses caractères, ne s’élève guère que près de Tulles, sans jamais offrir d’escarpemens. Il ne forme dans le département de la Corrèze, comme dans les Cévennes, que de petites montagnes à sommet arrondi, ce qui est dû sans doute à la facile désagrégation de ses élémens, à tel point, que, dans les environs de Tulles, il est recouvert sur ses pentes d’un subie blanc micacé assez pur. C’est ce qui permet sans doute aux châtaigniers de ce pays de pouvoir y croître avec une vigueur remarquable.

8o Avant d’entrer dans Tulles, on rencontre à gauche de la route, taillée dans la montagne, une roche primitive quarzeuse avec des zones noires, qui produirait le plus bel effet si elle était polie. Elle présente des couches tordues et inclinées de 45 degrés au milieu du terrain granitique.

9o Entre Tulles et Brives le même granite renferme des filons très riches en feldspath, quarz et mica formant des lames épaisses, en tourmalines et grenats qui ont cristallisé indifféremment au milieu du mica ou dans la pâte du granite.

10o Après avoir suivi assez exactement le granite qui, depuis Mezimieux jusqu’à Brives, occupe, comme on voit, une bonne partie du centre de la France, on rencontre le calcaire oolithique à la sortie de Brives, où il paraît adossé au granite. Ce calcaire, entièrement analogue à celui du Jura, ne forme que de petites éminences au milieu de la grande vallée d’Azarac, éminences qui cependant paraissent dues à des soulèvemens ; mais les couches sont bien moins inclinées que dans le Jura.

11o Depuis Saint-Crépin jusqu’à Périgueux, ce calcaire est recouvert par la craie, dont la partie inférieure renferme près de Limoges beaucoup d’hippurites d’une petite espèce.

12o À Libourne, la craie cesse, et est recouverte par un terrain de transport, analogue à celui du bois de Boulogne, et qui règne ainsi jusqu’à Bordeaux.

13o Avant d’entrer dans cette ville, on remarque un calcaire grossier recouvert par le même terrain de transport, et qui, aux fossiles près, a la plus grande analogie avec celui des environs de Paris. Il doit être puissant, puisque dans Bordeaux on l’a déjà sondé à plus de 600 pieds de profondeur (1830), dans l’espérance d’avoir de l’eau fournie par la couche d’argile plastique de ce bassin, dans laquelle M. Billaudel a recueilli, comme on sait, une mâchoire de Paleotherium.

14o Depuis le Bec d’Ambez jusqu’à Royan, reparaît la craie à hippurites des environs de Limoges. Elle forme des rives assez escarpées à la droite de l’embouchure de la Gironde.

Observations géologiques faites en 1830, à la presqu’île de Quiberon, et dans la baie de Brest, par M. Robert.

1o À l’extrémité de la presqu’île de Quiberon, entièrement formée de granite, j’ai remarqué un amas considérable de galets, qui, très au-dessus du niveau actuel de la mer, et probablement des plus fortes marées, est recouvert de valves inférieures d’huîtres et de balanes.

2o Sur un autre point de la côte, et presque à la marne hauteur, où les eaux n’arrivent plus, j’ai rencontré au milieu du sable et de coquilles marines, beaucoup d’ossemens humains, entre autres des mâchoires et des dents, qui proviennent sans doute des émigrés français qui ont péri sur ces côtes, et dont les cadavres, rejetés par la mer, couvraient le rivage, au dire des habitans qui ont été témoins de ces évènemens.

Ces faits que je signale, ressemblent d’ailleurs à beaucoup d’autres de ce genre qui ont été constatés sur les côtes de France ; mais le dernier prouverait qu’il ne s’est pas écoulé un trop long espace de temps, depuis que la mer a abandonné le niveau qu’elle atteignait alors à Quiberon.

3o Sur le bord de la mer, près le Fort-Neuf, où Sombreuil capitula, existe une source d’eau douce, d’autant plus extraordinaire, que le sol granitique desséché de la presqu’île est très peu élevé, de ce côté, au-dessus du niveau de l’Océan.

4o Au fond de la baie de Brest, devant Comaret, on remarque à droite et à gauche d’une plage assez grande des falaises élevées, formées de micaschiste à couches inclinées, vers le continent et à l’est, de 45 degrés. Elles offrent un aspect singulier, étant déchiquetées par l’effet des eaux de la mer, qui viennent battre contre le profil de cette roche. Ce terrain est recouvert par une espèce de grès, tantôt très blanc, tantôt ferrugineux, au point même d’être remplacé quelquefois par de l’hydroxide de fer, qu’on rencontre en rognons disséminés sur le rivage, et qui mériterait peut-être par son abondance d’être exploité. Il se forme aussi abondamment d’ocre jaune au pied de ces falaises.

5o Le fond de ce même rivage est formé de galets ou de débris de roches non roulées, maintenus par de l’argile et du sable, au milieu desquels existe un dépôt de végétaux, presque entièrement passés à l’état de terreau, mais offrant encore quelques gros débris assez bien conservés pour les rapporter aux dicotylédons.

D’après la disposition de cette plage, d’après les matériaux qui la forment, et la vallée sablonneuse qui lui succède, jusqu’à la rade de Brest, environ une lieue de l’autre côté où elle peut être facilement submergée, je serais porté à croire fortement que la mer occupait jadis en cet endroit un canal analogue au goulet de Brest, mais plus étroit.

Observations géologiques faites en Picardie et en Normandie (côtes de la Manche), pendant l’année 1831, par M. E. Robert.

1o En allant de Beauvais à Amiens, un peu avant d’arriver à Bonneuil, on traverse une côte assez rapide, qui porte le nom de côte à Galets dans le pays, parce qu’en effet la craie en cet endroit est recouverte d’un terrain de transport, ou plutôt de cailloux roulés, ayant presque tous la même forme aplatie et le même volume. Ces circonstances réunies donneraient volontiers à penser qu’il y eut autrefois un rivage marin sur ce point, plutôt que d’attribuer ce dépôt au grand cataclysme.

2o Les érosions qu’on remarque dans les falaises de la Normandie, et qui ressemblent à de petites vallées parallèles entre elles, et remplies de terrains de transport, ont, il m’a semblé, une singulière analogie avec les érosions actuelles du rivage de la mer là où elle descend le plus bas dans les marées d’équinoxe. En faisant ce rapprochement à cette distance de la falaise, et mieux, en se plaçant dans ces nombreux canaux que la mer creuse constamment, on peut observer que les érosions du haut et du bas semblent se correspondre, et surtout qu’elles affectent la même direction.

Tirerons-nous de ce fait la conséquence que c’est la mer qui a sillonné la surface des falaises de la Normandie, après quoi le terrain de transport aurait rempli toutes les érosions ?

3o Dans un des éboulis de ces mêmes falaises, qui se font toujours à pic, près de Fécamp, j’ai mesuré sur un gros monceau de craie, un Catillus Cuvieri presque entier, et dont le diamètre était au moins de 2 pieds.

4o Dans le grès ferrugineux, évidemment situé entre la glauconie crayeuse et l’argile weldienne, au cap de la Hêve, j’ai recueilli un morceau de bois fossile, qu’il est impossible de ne pas rapporter aux dicotylédons. Cet échantillon est d’autant plus curieux, qu’il paraît avoir été roulé long-temps, et percé par des tarets, avant de se pétrifier.

5o Parmi les nombreux corps roulés que j’ai recueillis sur les côtes de la Manche, depuis l’embouchure de la Somme jusqu’à celle de la Seine, je citerai, indépendamment des ananchites, spatangues, alcyons, cailloux géodiques avec calcédoine ou agate, pyrites qu’on rencontre à chaque instant sur le rivage, surtout depuis le Bourguedau, où commencent les falaises de craie jusqu’à Fécamp, où elles changent de nature, je citerai, dis-je :

1o Calcaire d’eau douce gris de fumée, roulé, à Saint-Valéry sur Somme (galets rares) ;

2o Fragment de la charnière d’un Catillus Cuvieri ayant 18 lignes de longueur, 14 de largeur et 6 d’épaisseur ;

3o Caillou roulé granitique, en un petit échantillon, à Fécamp ;

4o Ananchite passé entièrement à l’état de pyrite ;

5o Fer pyriteux rayonné, cristallise, sur une surface plane d’un quarz pyromaque ;

6o Pleurotomaire Rhodani et Astrœa plicata roulés, près de Honfleur ;

7o Lumachelle rouge, au même endroit ;

8o Près de Caudebec, sur la rive droite de la Seine, on voit les lits de la craie s’incliner brusquement à l’ouest, tandis qu’à droite et à gauche de cette espèce de faille, ils restent parfaitement horizontaux.

Ne pourrait-on pas comparer cette inclinaison inaccoutumée de la craie, à celle que prend quelquefois le calcaire grossier, sur le versant de nos vallées, lorsque sa partie inférieure et chloritée, dégradée par les eaux, a déterminé l’affaissement des couches supérieures ?