Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome III/Séance du 10 juin 1833
Présidence de M. de Bonnard.
Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, M. le comte de Montlosier offre à la Société tous ses bons offices pour les courses et le séjour que la Société doit faire en Auvergne au commencement de septembre ; il témoigne combien il se félicite du choix fait de cette province pour les séances extraordinaires de 1833.
M. de Montlosier, au sujet du mémoire sur les cratères de soulèvement, lu par M. Virlet dans la dernière séance, donne de nouveaux détails sur les espèces de cratères différens des cratères ordinaires d’éruption, qu’il a nommés cratères d’explosion, cratères-lacs. (Voir Bulletin, t. II p. 395.)
M. le président proclame M. Hippolyte Victor Pinondel, propriétaire ; présenté par MM. Boué et Constant Prévost.
La Société reçoit :
1o Expédition scientifique de Morée, section des sciences physiques, géologie et minéralogie, par MM. Boblaye et Virlet. 1re livraison in-4o, 48 p. (don des auteurs).
2o Le no 120 (avril 1833) du Bulletin de la Société de géographie.
3o Le no 27 du Bulletin de la Société industrielle de Mulhausen.
4o Le no 4 de l’Institut : Journal des Académies et Sociétés scientifiques de la France et de l’étranger.
M. Virlet fait aussi hommage d’une suite de 57 échantillons de roches du terrain de craie inférieure de la Morée. Cette collection est relative aux communications qu’il a faites dans les précédentes séances sur cette formation. (Voyez Bulletin, tom. III, pag. 148 et 251.)
M. Boué fait hommage à la Société, pour sa collection d’autographes, de 14 lettres des savans dont les noms suivent :
MM. Moritz de Mandelslohe ;
Albin Heinrich, professeur à Teschen en Moravie ;
Aloïs Maier, conseiller des mines à Pzibram en Bohème ;
Schindler, conseiller supérieur des mines en Autriche ;
P. Partsch, de Vienne ;
J. J. Prechtl, directeur de l’Institut polytechnique de Vienne ;
Le comte Gaspard Sternberg, à Brzezina en Bohème ;
Ad. Schneider, directeur des mines à Opatow, dans le cercle de Sandomir en Pologne ;
L. Zeuschner, professeur de minéralogie à Cracovie ;
L. Voltz, à Strasbourg, etc., etc.
M. César Moreau, directeur général des travaux de l’Académie d’industrie (Paris, 10 juin), écrit que M. Antoine Morot, propriétaire à Molène, Côte-d’Or, est parvenu à découvrir une terre qui, cuite au feu et pulvérisée, produit un cimens romain préférable à tous ceux employés jusqu’à ce jour. Cette terre est la seule propre à cet usage que M. Morot ait découverte dans un espace de 30 lieues autour de son habitation ; il demande à soumettre à la Société géologique les résultats de son expérience.
M. Sedgwick, président de l’Association Britannique pour l’avancement des sciences, invite tous les membres de la Société, et particulièrement le bureau, à assister à l’assemblée générale qui se tiendra le 24 de ce mois à Cambridge.
M. de Rosthorn promet d’envoyer, cet automne, des profils et des roches des montagnes de la Carinthie et de la Carniole, et il annonce l’envoi très prochain d’une description des environs de Radeboy en Croatie.
Le terrain tertiaire y est bordé de roches anciennes, se succédant dans l’ordre suivant de bas en haut : grauwacke coquillière, calcaire noir avec schiste et quelquefois avec grauwacke, des roches verdâtres ayant tantôt l’aspect d’un porphyre et tantôt celui d’un Schaalstein, des schistes rouges et quelquefois des grès de la même couleur, enfin le calcaire secondaire des Alpes souvent à l’état de dolomie. Ce dernier dépôt forme les plus grandes éminences du bassin tertiaire, et offre fréquemment des couches verticales. Le sol tertiaire est composé de bas en haut :
1° D’un grès à Cérithes, Huîtres, Vénus, avec de l’argile à lignites ;
2° D’un calcaire grossier, et d’une marne calcaire à Échinites, Spatangues, Peignes, etc. Ces masses forment des éminences assez grandes ;
3° D’une marne bleue à Échinidées et dents de poissons avec le gîte de soufre qui est accompagné d’insectes, de poissons et de plantes fossiles. Des alluvions recouvrent le tout.
M. de Rosthorn ajoute qu’il n’a pas encore trouvé dans les Alpes de véritable cratère de soulèvement, quoiqu’il ait souvent observé des soulèvemens très considérables, et des formations très récentes de granite et de gneiss au milieu des Alpes centrales.
M. Boué communique la note suivante relative aux mémoires inédits qu’a laissés feu M. Lill de Lilienbach, et qui lui ont été remis par sa veuve, afin quilles fasse connaître, selon le vœu du défunt.
Pendant les six années que M. Lill a cultivé la géologie, ce savant a montré une activité étonnante, comme le prouvent ses beaux travaux déjà publiés sur les Carpatbes et les Alpes[1], et ses nombreux mémoires inédits et laissés dans un ordre parfait, comme si cet homme estimable avait pressenti sa mort.
Sans parler de plusieurs notices technologiques ou métallurgiques, on remarque parmi ses manuscrits les travaux suivans :
1° Une Notice sur les exploitations cuprifères et ferrifères de Libethen en Hongrie, avec une carte géographique des environs, un plan des filons et une esquisse d’une partie des environs de Schemnitz ;
2° Un Rapport géologique sur les montagnes schisteuses et calcaires du Tyrol (72 pages.) ;
3° Une Description orographique des environs du gîte salifère de Hallein en Tyrol, avec des cartes et des coupes (16 p.) ;
4° Une Description minéralogique des Alpes septentrionales de la Styrie (72 p.) ;
5° Une Description des exploitations du Mont-Eisenberg près de Neuberg dans la Styrie supérieure ; (12 p.).
6° Le Parallèle géologique des formations salifères des Alpes et des Carpathes septentrionales (60 p.), mémoire dont des fragmens sont insérés dans le numéro d’octobre du Zeltschriftf. f. Mineralogie pour 1828 ;
7° Un Coup d’œil géognostique sur les chaînes calcaires du
Salzbourg et du pays de Berchtolsgaden ;
8° Un Mémoire sur la distribution et le gisement des dépôts salifères sur la surface terrestre (65 p.) ;
9° Une Note sur le dépôt de lignite de Wolfsegg en Haute-Autriche (4 p.) ;
10° Deux volumes d’observations locales et détachées sur le Salzbourg et l’Autriche supérieure ;
11° Deux volumes d’un Journal de voyages dans la Moravie, les Sudètes, la Silésie méridionale et le territoire de la république de Cracovie ; ses observations sur la Moravie et les Sudètes sont le plus souvent inédites ou intéressantes ;
12° Cinq volumes du Journal d’un voyage fait par ordre du gouvernement autrichien à travers toute la chaîne des Carpathes, depuis Presbourg jusqu’en Gallicie, et de là, jusqu’à la Wallachie. Ce journal, accompagné de nombreuses coupes et d’une ébauche de carte, renferme une quantité innombrable d’observations locales inédites. D’abord, c’est le seul recueil qui décrive en détail le dépôt salifère du Marmarosh, et celui si considérable qui borde le pied septentrional des Carpathes, de la vallée de Stry jusqu’à celle de Czeremoscz et jusqu’en Bukowine. Ensuite, on y trouve la description des dépôts primaires et secondaires de la Bukowine, celle des chaînes primaires et trachytiques de la Transylvanie orientale, celle de la chaîne primaire qui sépare la Transylvanie de la Wallachie. Enfin, il y a des détails circonstanciés sur les montagnes aurifères de Zalathna, de Vorospatak, de Felsobanya et de Kapnik, et sur les terrains salifères de la Transylvanie.
Les notes recueillies dans ce dernier pays par M. Lill sont d’autant plus précieuses, qu’elles sont souvent relatives à des contrées non visitées par M. Partsch ou par M. Boué, et, en réunissant les trois journaux de notes de ces observateurs, l’on aurait une idée assez complète de la géologie de la Transylvanie.
M. Lill comptait, dans une monographie du grès des Carpathes, résumer toutes les observations qu’il avait faites sur cette formation dans ses divers voyages ; mais n’étant pas satisfait de l’exécution de ce mémoire, il l’a détruit avant sa mort, et il n’en reste que les têtes des chapitres.
Enfin il a déposé aux archives du conseil des mines à Vienne, un grand atlas de 76 coupes, avec deux cartes géologiques de la Hongrie et de la Transylvanie, et une table de hauteurs dont une partie a été mesurée par lui-même.
M. Boué possède quelques fragmens de ces dessins.
Parmi tous ces travaux, les derniers sont, sans contredit, les plus importans ; et comme il sera facile d’avoir une copie de tout l’atlas géologique, M. Boué consacrera ses premiers loisirs à la traduction des journaux de voyage de M. Lill, et en donnera, s’il est possible, un résumé accompagné des coupes, ce qui ne pourra manquer d’intéresser vivement la Société et le public.
M. César Moreau annonce la découverte que le prince de Hesse vient de faire, après plus de vingt ans de recherches, d’un alliage métallique, imitant plus qu’aucun autre les propriétés de l’or et de l’argent. M. C. Moreau fera connaître l’analyse de ce nouveau composé métallique aussitôt que l’essai en aura été fait à l’hôtel des Monnaies.
M. Morrot entre dans quelques détails à l’appui de sa découverte d’un nouveau ciment hydraulique : le gisement de cette substance est à la base d’une montagne de 120 pieds de hauteur, près des Riceys, à 7 lieues de Tonnerre, 4 lieues de Châtillon dans le département de la Côte-d’Or ; il paraîtrait appartenir, suivant la remarque de M. de Bonnard, à la partie supérieure du terrain jurassique.
M. Morrot demande à pétrir, séance tenante, une petite quantité de poussière de cette terre argileuse cuite. À la fin de la séance, la pâte pétrie avait effectivement acquis dans l’eau une grande consistance.
M. Bertrand Geslin annonce l’indication récemment publiée par quelques journaux français de la découverte à Bleatdon en Angleterre, par le docteur Williams, d’une nouvelle caverne à ossemens ; elle contient des os de mammouths, de chevaux, de porcs, d’éléphans, et d’hyènes.
M. Virlet achève la lecture de son Mémoire intitulé : Examen de la théorie des cratères de soulèvement de M. Lèopold de Buch.
« On a vu dans la première partie de ce mémoire, dit M. Virlet, que non seulement Santorin et Palma ne remplissaient pas les conditions de la théorie des cratères de soulèvement à laquelle ces îles ont particulièrement donné lieu, mais que si l’on veut soumettre aux calculs la surface extérieure de leurs cônes surbaissés, l’on trouve que pour que ces cratères, avec les conditions qu’ils présentent, aient jamais pu exister, il faudrait supposer des soulèvemens tellement considérables que les plus hautes montagnes de la terre ne leur seraient point comparables.
« L’application du calcul aux données que présente l’île de Ténériffe fournit des résultats analogues ; il est facile d’ailleurs de reconnaître à l’aide d’une coupe faite d’après les données que fournit la carte de M. de Buch, que le pic de la Teyde et le grand escarpement semi-circulaire qui se dessine à sa base, vers le sud-est, ont entre eux exactement les mêmes rapports que le Vésuve avec la Somma et l’Etna avec le Val-di-Bove, et qu’il y a eu là, anciennement, ou engloutissement d’une partie d’un grand cône, dont le pic de los Adulejos faisait partie comme cela paraît avoir eu lieu au Vésuve lors de l’éruption de 79, à l’Etna en 1444 ; et, comme M. Lyell rapporte que cela eut également lieu en 1772 au pic de Papandanyand dans l’île de Java, qui, de 9,000 mètres fut réduit à 5,000, en sorte qu’un massif à peu près de la hauteur de la cavité de Palma fut totalement englouti. Le cône de la Teyde et les autres pics qui l’accompagnent, de même que les cônes actuels de l’Etna et du Vésuve, se sont reformés depuis lors ; mais ne s’étant pas replacés aux mêmes points, ils n’ont pu se confondre entièrement avec les cratères d’enfoncement, et il en est résulté ces parties circulaires que l’on a regardées comme des restes de cratères de soulèvement. Le même phénomène parait avoir eu lieu à l’île de Barren-Island, l’une des îles de Nicobar, dans le golfe de Bengale, qui passe pour le type le plus parfait de ces sortes de cratères.
« On pourrait encore objecter à M. de Buch, d’après la carte de Ténériffe, qu’il a fait graver avec tant de soin, que cette île ne présente aucun des caractères des cratères de soulèvement, et entre autres que les nombreux barancos qui existent dans sa partie méridionale, depuis Punta-Roza jusqu’à Gumar et Candellaria, qui ne sont que de véritables vallées d’érosion, ne sont pas divergentes du centre à la circonférence, comme cela devrait avoir lieu pour des vallées d’écartement ; mais comme on sait positivement que ni M. de Buch, ni M. de Humboldt n’ont visité cette partie si étendue de l’île, on pourrait supposer que la carte est fautive.
« Je ne puis donc voir, dit M. Virlet, dans les iles de Ténériffe, de Palma, de Santorin, autre chose que les restes de grands cônes qui ont été plusieurs fois modifiés. À Ténériffe, les cônes d’éruption se sont surtout établis suivant deux lignes de fractures du sol, l’une N. 45° E., principale direction de l’île, et l’autre E. 5 à 6° S., de même que la plupart des îles Canaries paraissent elles-mêmes en rapport avec la partie sénégambique de la chaîne de l’Atlas. En adoptant donc avec M. de Buch que les îles Canaries sont autant de cratères de soulèvement. on a abandonné l’hypothèse si rationnelle des dislocations rectilignes dont ces divers volcans paraissent être l’une des conséquences ordinaires, pour en adopter une tout-à-fait spéculative, et qui ne reposait sur aucune observation précise.
« Ainsi, suivant l’auteur du Mémoire, non seulement les descriptions de M. de Buch fournissent des argumens contraires à sa propre théorie, mais encore ses cartes elles-mêmes lui paraissent tout-à-fait en opposition avec elle, ce qui semble indiquer, ou que M. de Buch n’a pas bien compris les conséquences de sa propre théorie, ou bien que c’est une de ces idées spécieuses nées après coup dans le cabinet.
« Si, au lieu de considérer, ainsi que je l’ai fait dans les calculs précédens, l’écorce de la terre comme inflexible, on tient compte au contraire de sa flexibilité, qui doit être assez considérable lorsqu’il s’agit de surfaces très étendues, ou des accidens qui ont pu modifier un soulèvement, le problème reste toujours le même ; les données seules changent : ainsi, à mesure que R, le rayon de soulèvement, diminue, l’angle Θ augmente proportionnellement ; c’est-à-dire que, pour produire un même cratère, plus l’action soulevante s’exercera moins loin, plus l’inclinaison des couches relevées sera grande.
« Il est facile de réduire théoriquement le phénomène à des proportions telles, que, en tenant compte de l’épaisseur de la croûte terrestre, l’on puisse considérer la partie de cette écorce soulevée comme inflexible, et de déterminer par le calcul les conditions que le cône de soulèvement devra présenter pour un cratère d’une dimension donnée avec une base également donnée.
« Soit supposé, par exemple, qu’une base de 24,000 mètres de diamètre a produit un cratère de 4,000 mètres, il est facile de déterminer la hauteur et l’inclinaison que le plan étoile a dû atteindre pour produire un cratère qui réponde à ces données. Le problème se réduit à calculer un triangle rectangle dont on a R, l’hypothénuse = 12,000 mètres, X demi-diamètre du cratère = 2,000 mètres, et R - X l’un des côtés de l’angle droit = 10,000 mètres ; d’où l’on tire la valeur de Θ = 33°33′, et la valeur de H ou l’autre côte du triangle = 6,632 mètres. Ainsi, pour qu’un soulèvement circulaire d’une base de 24,000 mètres puisse produire un cratère de 4,000 mètres de diamètre, il faudrait un soulèvement de la surface, plus considérable que le Chimboraço, l’une des plus hautes montagnes du globe. Si l’on suppose maintenant qu’une base de 17,000 mètres de diamètre seulement, dimension qui correspondrait à peine à la base d’un grand cône d’éruption, ait pu produire un cratère de 5,000 mètres, plus de moitié moins grand que celui de la Caldera, l’on trouve qu’il faudrait encore dans ce cas une élévation de 6,021 mètres, avec une inclinaison 45° 06′, ce qui est incompatible avec tout ce qui existe, car ce simple relief serait une fois et quart plus élevé que le Mont-Blanc, la plus haute montagne de l’Europe[2].
« Cependant tous les cratères de soulèvement cités jusqu’à présent ont des dimensions bien plus grandes que celles qui ont été supposées dans les deux cas précédens, et ils sont loin de présenter une inclinaison aussi considérable ; ainsi nous avons vu que Santorin n’avait qu’une inclinaison de 3° 52′ ; Palma de 8° 52′ ; le Cantal et le Mont-Dore ne présentent pas une inclinaison de plus de 5 à 6° ; en appliquant les calculs aux données que fournissent ces cratères, et considérant leurs surfaces comme inflexibles, c’était prendre des données favorables à l’hypothèse de M. de Buch, puisque dans le cas où l’on voudrait faire entrer la flexibilité comme une des données nécessaires au problème, ce serait évidemment augmenter la surface soulevée, qu’indique le calcul, de toute la quantité qui correspond au degré de flexibilité que l’on suppose, à la surface. Comme il est évident qu’aucune force suffisante pour produire des soulèvemens tels que ceux qu’indiquent les calculs ait jamais pu exister sur notre planète, il faudrait, pour que l’hypothèse des cratères de soulèvement fût applicable à Palma, que l’inclinaison de sa surface conique fût six fois plus grande, et à Santorin qu’elle fût quinze à vingt fois plus considérable.
« On voit par toutes les considérations qui précèdent que les conditions qu’exigeraient les plus petits cratères de soulèvement en rendent l’existence impossible ; et que s’il existe à la surface de la terre des reliefs présentant des formes que l’on pourrait comparer à ce que l’on a si gratuitement appelé cratères de soulèvement, elles sont dues à des causes bien différentes de celles auxquelles on a voulu attribuer l’origine de ces cratères.
« Dans tous les cas, il conviendrait de leur donner un tout autre nom que celui de cratère, qui entraîne toujours avec lui l’idée d’actions volcaniques, puisque devant résulter de soulèvemens circulaires, ils seraient dus aux mêmes causes qui ont élevé les différentes chaînes de montagnes. Le nom de vallées circulaires de soulèvement, ou celui de vallées d’élévation, donné par M. Buckland, leur conviendrait beaucoup mieux.
Nous avons cité, M. Boblaye et moi, dans notre travail sur la géologie de la Grèce (chap. 1er, et pl. 1re), un exemple bien remarquable des soulèvemens ; que nous avons appelés circulaires, c’est celui du mont Ziria. Il y en a d’autres en Morée, qui semblent remplir comme celui-ci une partie des conditions des cratères de soulèvement, sans pour cela présenter autre chose que des montagnes en dômes. On pourrait sans-doute citer encore beaucoup d’autres exemples analogues, sans pouvoir en inférer que les cratères de soulèvement, tels que les a supposés M. de Buch, puissent exister. Par exemple, M. Amédée Burat, l’un de nos collègues, nous a lu un Mémoire[3] sur une localité intéressante du Haut-Vivarais, qui présente près du village du Pal, situé aux environs de Mont-Pezat, une enceinte circulaire formée de granite et au milieu de laquelle s’élèvent trois petites montagnes coniques d’inégale hauteur, composées de déjections basaltiques. Il serait impossible, avec une idée préconçue, de ne pas y voir un cratère de soulèvement des plus parfaits, et ici les fentes ou fractures divergentes du centre à la circonférence ne sont pas même indispensables, car la masse granitique qui forme le cirque, pouvant être considérée comme une masse incohérente, ces fentes ont pu s’y résoudre en fendillemens ou plutôt en déplacemens des blocs de granite, comme le ferait un tas de galets ou de pierres détachées qui viendrait à être soulevé ; mais si la nature du granite permet de répondre à toutes les objections, il est aussi très naturel de penser que, par cela même que c’est une roche fragmentaire de peu de résistance, elle a pu être en partie projetée et soulevée, comme une soupape de sûreté, par la force puissante et expansive qui a poussé à la surface les roches volcaniques qui occupent aujourd’hui le centre du cirque granitique. Les granites projetés avec violence, se sont naturellement disposés en forme d’entonnoir, comme cela a toujours lieu dans les éruptions des matières incohérentes. On pourrait citer comme exemples bien remarquables de cas analogues, la formation des iles Julia et Sabrina.
« MM. de Beaumont et Dufrénoy ont avancé à l’appui de cette théorie, que les grandes nappes si régulières de basaltes qui forment la surface inclinée de certains cratères n’avaient pu se former qu’horizontalement ; et, invoquant à ce sujet les lois de l’hydrostatique, ils ont dit : « qu’une pente couverte de basalte était plus évidemment due à un mouvement de l’écorce du globe, qu’une pente formée par une couche de calcaire à lymnées, déposée par les eaux d’un marais ; et qu’un cône de basalte était nécessairement un cône de soulèvement. » (Voir le journal de l’Institut du 8 juin.)
« Il est certain qu’avec notre habitude de ne comparer tout qu’à ce que nous voyons journellement se passer sous nos yeux, si, comme l’a fait M. de Humboldt, on met en parallèle les bandes étroites de laves qui coulent des cratères des volcans permanents, avec les nappes basaltiques qui constituent de larges plateaux, l’on ne pourrait, en effet, expliquer la position inclinée des nappes basaltique que par un soulèvement ; mais de ce que nous n’avons jamais rien observé de comparable dans les volcans modernes, s’ensuit-il que l’on doive regarder comme impossible la formation des coulées basaltiques, telles qu’elles existent aujourd’hui à Palma, à Ténériffe, au Mont-Dore et au Cantal, ainsi que le soutient avec tant de raison un géologue célèbre, M. Cordier ? Toutes les observations tendent à démontrer qu’à une époque plus ancienne les actions volcaniques s’exerçaient avec plus d’énergie ; il n’est donc pas contraire à la raison de supposer que les coulées basaltiques s’étant faites avec plus d’abondance et d’intensité que les coulées, modernes, aient pu se faire de manière à couvrir exactement, ou au moins en grande partie, leurs cônes d’éruption.
« On ne conçoit bien, suivant l’auteur, de dépôts horizontaux possibles que pour les roches neptuniennes de sédiment, tandis qu’il est difficile de comprendre comment un grand nombre de couches ignées auraient pu se déposer horizontalement et pourquoi les basaltes et les trachytes, plutôt que les autres roches volcaniques, auraient dû s’épancher horizontalement ; car de quelque manière que se soit faite leur sortie, soit par une fente ou une ouverture de cratère, cela suppose toujours une certaine inclinaison du sol. On pourrait encore admettre qu’une ou deux coulées aient pu se faire horizontalement dans le fond d’une plaine fermée, de manière à présenter un lac enflammé, après leur sortie ; mais, lorsqu’il y a un très grand nombre d’alternances de couches basaltiques ou trachytiques avec des assises d’agglomérat de même nature, comme cela se présente la Palma, à Ténériffe, au Mont-Dore, et c’est là dessus qu’il importe surtout d’appuyer ; alors un ne conçoit plus de formation horizontale possible, et le résultat pour M. Virlet, d’une telle accumulation successive de roches serait toujours la formation d’un cône ou d’une crête quelconque, si l’on suppose que la sortie des matières ignées s’est faite suivant une fente rectiligne.
« D’après l’examen que je viens de faire de la théorie de M. de
Buch, dit l’auteur en terminant, je crois devoir la rejeter entièrement,
et surtout la regarder comme inapplicable aux différens
exemples qu’on a cités jusqu’ici comme types des cratères de soulèvement,
tels que Palma, Ténériffe, les autres Canaries et les
Açores ; le Cantal, le Mont-Dore, le Vésuve, l’Etna et Santorin ;
le cirque de Gavarnie, dans les Pyrénées ; ceux de Bérarde, dans
les montagnes d’Allevard (Isère) ; de Kandy, dans l’ile de Ceylan ;
de Barren Island, l’une des îles du Bengale ; du Pal, dans le
Haut-Vivarais, etc. ; et enfin comme étant également inapplicable
aux nombreuses parties annulaires qu’offre la surface
de la lune ; car il faudrait d’abord démontrer qu’il y a eu des
volcans dans ce satellite, ce qui n’est rien moins que prouvé ;
et comme elle n’a ni atmosphère, ni mers, elle ne doit pas avoir
par conséquent de causes dénudantes, en sorte que ces parties annulaires,
si elles étaient autant de cratères de soulèvement,
devraient montrer dans leur intégrité leurs vallées d’écartement,
ce qui, d’après l’inspection dm belles cartes sélénographiques de
Lohrmann et de Cassini, ne paraît nullement avoir lieu. »
Il Dufrénoy répond au Mémoire de M. Virlet :
Il croit que la discussion relative aux cratères de soulèvement lui paraît tenir en grande partie à une erreur de mots ; il est convaincu que la belle théorie de M. de Buch ne rencontrerait aucun adversaire si la valeur des mots était bien connue.
Il commence par faire observer que la question peut se diviser en deux : l’une pour ainsi dire purement théorique, l’autre qu’il appellera d’application.
La première consiste à examiner à priori s’il doit exister des cratères de soulèvement. Il dit qu’un cratère de soulèvement est produit par une force intérieure qui, pressant sur les couches formant la surface de la terre, devient supérieure à la résistance qu’opposent ces couches, les soulève et les fait rompre ; il résulte de cette action une montagne conique présentant au centre une dépression dont les pentes extérieures sont douces, tandis que vers l’intérieur il existe un escarpement abrupte ; les couches qui composent cette surface conique ont une inclinaison constante vers la ligne de plus grande pente ; ces soulèvemens sont presque toujours accompagnés de grandes fentes qui aboutissent au cirque et qui donnent naissance aux vallées de déchirement. D’après cette définition, on voit qu’il doit exister des cratères de soulèvement dans tous les terrains ; car il suffit pour qu’ils soient produits, de deux conditions, une pression intérieure et une résistance ; or, tous les terrains possibles peuvent offrir cette dernière condition ; effectivement, il n’est point de terrains dans lesquels il n’existe des cratères de soulèvement ; ils sont très fréquens dans le Jura ; le cirque de Gavarnie, dans les Pyrénées, formé de couches des terrains de craie, nous fournit également un exemple remarquable des cratères de soulèvement ; mais si ces cratères sont fréquens dans les terrains secondaires, ils paraissent l’être également dans les terrains volcaniques.
Suivant la résistance du terrain soulevé, on conçoit que les cratères produits varient dans des proportions infinies ; il est deux limites entre lesquelles ils sont tous compris : c’est, 1o lorsque le terrain forme une masse qui se soulève d’une seule pièce ; le soulèvement devrait alors s’étendre à une longueur considérable, et la hauteur des cratères atteindrait plusieurs lieues ainsi que M. Virlet l’indique ; mais, dans ce cas, la résistance est telle que le soulèvement n’a pas lieu, et le calcul de M. Virlet, fondé sur ce principe, quoique juste mathématiquement, ne peut pas s’appliquer à ce qui se passe dans la nature ; 2o la seconde limite a lieu lorsque le terrain ne présente aucune résistance et que la matière soulevante arrive au jour comme une gerbe, sans produire d’autre dérangement qu’une simple fente ; les dykes basaltiques sont dans ce dernier cas. Entre ces deux extrêmes, il doit exister des soulèvemens de toutes grandeurs. Les montagnes d’Allevard, dans le Dauphiné, nous présentent un cratère d’un grand diamètre, et d’une élévation correspondante, tandis que Santorin est un cratère de soulèvement en miniature.
Ce peu de mots suffisent, suivant M. Dufrénoy, pour démontrer qu’il existe nécessairement des cratères de soulèvement. Peut-être que, forcé d’admettre le fait, critiquera-t-on l’expression de cratère de soulèvement ; cependant elle est juste et en rend parfaitement l’idée ; en effet, la forme de ces cratères de soulèvement est la même que celle des cratères d’éruption, et la cause qui les produit l’un et l’autre est analogue ; seulement, dans un cas, il y a déjection, tandis que dans l’autre la cause agissante n’arrive pas jusqu’au jour.
Les moyens de distinguer les cratères d’éruption des cratères de soulèvement dérivent d’abord de leur forme ; et la disposition des coulées nous offre un autre caractère très prononcé ; en effet, dans les cratères de soulèvement, les couches ou nappes sont continues dans toute la longueur ; dans les cratères d’éruption, au contraire, la lave forme des bandes étroites. qui se congèlent et se recouvrent continuellement, de sorte que leur surface présente une réunion de petites nappes irrégulières.
Il reste maintenant à traiter la question d’application, qui est entièrement de détail ; il faut examiner chaque cratère isolément, et en étudier les caractères pour pouvoir prononcer avec certitude. Dans le mémoire qu’il a publié conjointement avec M. Élie de Beaumont, M. Dufrénoy donne les raisons qui les portent à regarder le Cantal et le Mont-Dore comme des cratères de soulèvement ; les descriptions de M. de Buch, ainsi que ses différentes cartes, conduisent M. Dufrénoy à regarder Santorin, Palma et Ténériffe comme des cratères du même genre.
M. Virlet répond à M. Dufrénoy qu’il n’a en effet distingué qu’une espèce de montagnes volcaniques, résultant des cratères d’éruption ; et que c’est par suite de l’idée qu’il a aussi émise que les cratères de soulèvement doivent se trouver indifféremment dans tous les terrains, qu’il ne regarde pas l’île de Palma, le Mont-Dore et le Cantal, si toutefois ces montagnes pouvaient être des cratères de soulèvement, comme des montagnes volcaniques, c’est-à-dire dont le relief soit dû à l’accumulation de matières rejetées, puisqu’elles résulteraient, selon lui, de soulèvemens circulaires ou coniques qu’il attribue à une cause bien différente de celle qui produit les actions volcaniques proprement dites. Ainsi ces montagnes seraient bien pour lui de constitution volcanique ; mais leur relief actuel n’aurait pas la même origine.
À la seconde objection de M. Dufrénoy, M. Virlet répond qu’il reconnaît la nécessité de tenir compte de la flexibilité des couches dans l’action soulevante, et des causes accidentelles et multipliées qui peuvent modifier à l’infini un soulèvement ; mais que les conditions du problème n’en sont aucunement modifiées, en ce sens que si l’action s’exerce sur une moindre étendue, il faut nécessairement alors, pour arriver au même résultat, supposer une plus forte inclinaison de la surface, qui soit en rapport avec la diminution du rayon du plan soulevé. Il ajoute qu’il n’a pas établi ses calculs pour prouver l’existence des cratères de soulèvement, mais au contraire pour en démontrer l’impossibilité, et que c’est autant sur les résultats absurdes qu’ils lui ont fournis, que sur l’observation des faits, qu’il s’appuie pour rejeter la théorie de M. de Bucb.
Si les cratères de soulèvement étaient admissibles, il y aurait, suivant M. Virlet, non seulement de ces sortes de cratères dans tous les terrains, mais encore il y en aurait qui correspondraient à tous les âges des terrains volcaniques, puisqu’ils sont regardés par les auteurs de la théorie comme l’opération indispensable qui aurait dû précéder l’établissement de toutes espèces de volcans ; ainsi il en résulterait qu’on pourrait déterminer leur âge relatif, et qu’on pourrait dire qu’un cratère de soulèvement est de telle ou telle époque, comme on dit qu’une dislocation ou soulèvement de montagne s’est fait entre telle et telle formation.
M. de Montlosier prend également part à la discussion et il entre dans de nouveaux détails sur les différentes sortes de cratères qu’il a reconnues ; il a constaté des passages des uns aux autres, et a observé certains cratères d’explosion sans traces de coulées, ni de matières torréfiées. Des cratères de l’Eifel lui ont paru être en partie torréfiés, en partie intacts et formés de roches primitives.
M. Boubée s’élève contre l’opinion favorable à la théorie des cratères du soulèvement, et contre celle de ses adversaires.
« Selon lui, ceux qui admettent les cratères de soulèvement comme évidens et bien démontrés sont dans l’erreur, parce qu’ils appellent cratères de soulèvement ce qui ne l’est en aucune manière. Ceux qui refusent d’admettre les cratères de soulèvement sont également dans l’erreur, parce qu’ils les rejettent en principe, et cependant ils existent, dit-il, ou du moins il peut en exister, quoique les exemples qu’on a proposés ne puissent être admis pour tels.
« M. Boubée cherche donc d’abord à démontrer que les prétendus cratères n’en sont pas. Il invoque pour cela plusieurs preuves : 1o Les pentes, l’élévation, en un mot les circonstances géométriques des prétendus cratères, devraient être bien différentes de ce qu’elles sont en réalité ; 2o dans l’état actuel de la science la croûte solide du globe étant considérée comme ayant une épaisseur moyenne d’environ 25 lieues, et le siège de l’action soulevante étant supposé au-dessous de cette épaisse enveloppe, on ne conçoit pas un effort qui, ayant pu réagir sur cette épaisseur de roches de 25 lieues, ne produirait, à la surface, qu’un effet circonscrit dans un petit rayon, à moins que ce fût une simple fissure dans le terrain, sans redressement de couches. Or, les localités désignées comme exemptes de cratères, surtout celles qui appartiennent à des contrées non volcaniques, aux Alpes, aux Pyrénées, etc., présentent le phénomène du contournement et du redressement des couches au plus haut degré.
« Ces cratères et ces prétendues vallées de soulèvement qui les accompagnent ne sont, pour M. Boubée, que l’effet de grandes érosions ; et il ajoute que plus on multipliera les exemples de cratères et de vallées de fendillemens au milieu des chaînes de montagnes, plus on rendra le fait invraisemblable et inadmissible. En effet, si telle était l’origine des vallées, comment expliquerait-on ces quantités immenses de débris et de cailloux roulés, et cette abondance des matières précieuses qu’on a exploitées, telles que l’or, le platine, les corindons, les diamans, les topases, etc., matières qui n’existent dans leurs gîtes originaires qu’en très petits filons ? Cette circonstance sera, selon lui, l’objection la plus forte contre la théorie des cratères, telle qu’elle est proposée. Il renvoie pour plus de développemens à sa Géologie élémentaire.
« En second lieu, M. Boubée cherche à démontrer qu’en théorie les cratères doivent être admis, qu’ils sont une conséquence des soulèvemens ; mais que les soulèvemens auxquels on attribue les grandes chaînes, n’ayant exercé qu’un même effort pour élever de grandes étendues de terrain, n’ont pu produire que d’immenses cratères, tels que la séparation des roches secondaires par l’axe granitique central ; de même que le plus souvent les roches stratifiées des contrées soulevées ont dû être contournées et fendillées dans tous les sens par l’effet du soulèvement, et que dès lors elles ont pu être réduites en fragmens et entraînées au loin par des eaux plus ou moins puissantes, ce qui a dû produire de mille manières toutes les circonstances que présentent les prétendus cratères de soulèvement. M. Boubée propose de les désigner par le mot de cratères de dénudation. »
M. de Bonnard fait observer que dans sa description des terrains de la Bourgogne il a expliqué de la même manière la dénudation des contrées granitiques.
M. Boblaye croit que, pour soumettre à l’analyse une question comme celle des cratères de soulèvement, il faut se garder de faire abstraction de circonstances essentielles au problème, et il pense que cela a été fait dans cette circonstance ; que, notamment, on n’a pas tenu compte de l’épaisseur de la croûte terrestre.
M. de Beaumont annonce se renfermer dans le calcul des relations entre les pentes et les bases comparées comme principal élément de la théorie sous le point de vue où il l’a envisagée.
- ↑ Voyez Jahrbuch des polytechn. Institut, vol. VI. Zeitsch. für Mineralogie, septembre 1827, octobre 1828, cah. 2 de 1830, et cah. 1 de 1833, etc. ; et Journal de Géologie.
- ↑ On pourrait encore envisager le problème différemment et dire qu’un cratère de soulèvement quelconque ne peut dépasser, par exemple, une hauteur de 5,000 mètres ; et 15° étant à peu près le maximum d’inclinaison des flancs de ces cratères, l’on a , et d’où mètres, ou bien différemment et = 18,660 mètres, donc R = 18,660 + 658. Ainsi, dans cette hypothèse, le rayon de soulèvement sera de 19,318, et le cratère aura seulement 1,316 mètres de diamètre.
- ↑ Voyez Description des terrains volcaniques de la France centrale, par M. Amédée Burat. In-8°, 1833, pag. 266.