Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome II/Séance du 20 février 1832

Bulletin de la société géologique de France1re série - 2 - 1831-1832 (p. 327-335).


Séance du 20 février 1832.


M. Brongniart occupe le fauteuil.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, le président proclame membres de la Société : MM.

Grateloup, docteur en médecine, à Bordeaux, présenté par MM. Boué et Deshayes.

Bonet (Gatien-François), étudiant en médecine, à Paris, présenté par MM. Eugène Robert et Michelin ;

Levy, professeur à l’école normale de Paris, présenté par MM. Cordier et Brongniart.

Reynaud, ingénieur des mines, à Paris, présenté par MM. Dufresnoy et Élie de Beaumont.

La Société royale de littérature de Londres adresse à la Société ses remerciemens pour le premier volume du Bulletin.

La Société reçoit le prospectus d’une nouvelle société fondée par M. Spurzheim, sous le titre de Société anthropologique.

La Société reçoit les ouvrages suivans :

1° De la part de M. Herman de Meyer, son Mémoire sur des pétrifications. (Extrait des actes de l’Académie des curieux de la nature, Tom. XV, part. 2. Bonn, 1829.) In-4°, avec 8 planches lithographiées.

2° De la part de M. Alcide d’Orbigny, son Tableau méthodique de la classe des Céphalopodes, et le Rapport fait sur cet ouvrage à l’Académie des sciences, par MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Latreille.

3° De la part de M. Underwood, un ouvrage intitulé : Association impériale des mines du Brésil : Rapports des directeurs adressés à leurs commettans (Reports of the directors, Londres, 1826, in-8o de 128 pages, avec une planche.

4° Les n" 11 et 12 de l’Européen, journal des sciences morales et économiques. Paris, 1832.

5° Les n° 10 à 13 du Journal de l’Académie de l’industrie, fondé à Paris, par M. César Moreau. 1832.

6° Le n° 14, du Mémorial encyclopédique et progressif des connaissances humaines, sous la direction de M. Bouilly de Merlieux. Paris, in-8o.

7° De la part de M. Defrance, un exemplaire de son portrait gravé.

Il est fait hommage à la Société géologique de France, par souscription, des sept années (de 1824 à 1830 inclusivement) du Bulletin universel des Sciences et de l’Industrie (section des sciences naturelles et de géologie), par MM. de Blainville, de Bonnard, Boubée, Boué, Brochant de Villiers, Clément Mullet, Cordier, Defrance, Delpon, Desnoyers, Fleuriau de Bellevue, La Joye, Michelin, de Pâris, Puzos, Régley, Robin Massé, de Roissy, Vemard, de Verneuil, Underwood.

M.Lehmann offre à la Société deux échantillons de grès des Carpathes, altérés et prismatisés par la chaleur des hauts fourneaux.

Le secrétaire à l’étranger présente le quatrième cahier, pour 1831, du Jahrbuch fur mineralogie, geologie, etc., qui contient en particulier un mémoire sur le gisement géologique de quelques Monotis, par M. le comte Munster ; un article sur la température de l’intérieur du globe, par M. Kloden ; une esquisse du système géognostique de M. Keferstein ; une note sur les fossiles du cabinet d’histoire naturelle de Carlsruhe, par le docteur Bronn ; une lettre de M. de Meyer sur le genre Cœlodonta, et une autre de M. le comté Munster sur certains fossiles jurassiques.

Il annonce que quatre nouveaux cahiers du Monthly American journal of Geology and natural history, sont arrivés à Paris ; mais il n’y a que peu d’articles géologiques, savoir : une description des mâchoires et dents du Mégalonyx laqueatus, par R. Haplan (n° 2) ; un voyage aux cavernes de Virginie avec une liste proportionnelle des espèces de mammifères dont on y a découvert les ossemens (n° 3) ; et une notice sur des fossiles trouvés à Ann, comté d’Arundel, dans le Maryland (n° 3).

— M. Virlet lit une notice géologique sur l’île de Thermia, suivie d’un essai sur une nouvelle théorie de la formation des cavernes :

L’île de Thermia, la Cythnos des anciens, fait partie du groupe des Cyclades proprement dites, et se trouve sur les lignes de prolongemens sous-marins des chaînes de la Livadie et de la Thessalie. Son sol très montagneux est essentiellement composé de roches primordiales ; ce sont des gneiss talcifères avec pyrites de fer et quelques grenats, des micaschistes grenatifères et amphiboleux, des phyllades satinés à filons et noyaux de quarz, traversés par des filons de fer oligiste ; (c’est la roche dominante de l’ile), des stéachistes et des calcaires grenus, qui sont très peu développés et très subordonnés aux tachistes.

Dans la partie septentrionale de l’ile, dans un lieu appelé Loutro (bains), la quelques mètres au-dessus du niveau de la mer et à peu de distance du rivage, se trouvent plusieurs sources thermales, salées, un peu amères, sans odeur sensible, et contenant peu de gaz ; elles sourdent du sol d’une petite plaine, en produisant de petits bouillons, qui se réunissent pour former un ruisseau qui va se jeter à la mer : quoique très rapprochées., elles diffèrent cependant de température ; la source principale, qui sert encore aujourd’hui de bains, n’a élevé le thermomètre qu’ 40°, tandis qu’une autre le fait monter à 50°, et une troisième, la plus chaude de toutes, à 57° centigrades.

Au village de Sillaka, situé dans la partie centrale de l’île, à environ 450 mètres au-dessus du niveau de la mer, existe une caverne immense qui a son entrée dans le village même ; elle est entièrement creusée dans des micaschistes et des phyllades souvent très durs.

L’existence d’une semblable caverne dans des roches de cette nature, est un fait nouveau et intéressant pour la géologie, qui n’avait pas encore été signalé ; elle est d’une étendue considérable, et ses caractères sont parfaitement conformes à tout ce qu’on observe dans les cavernes à ossemens. Des parois arrondies et irrégulières, divers embranchemens dans lesquels règnent d’autres petites cavités latérales sans issues, une suite de salles nombreuses, plus ou moins vastes, communiquant entre elles par des couloirs souvent fort étroits, sont les principaux de ces caractères ; ils sont d’autant plus faciles à saisir que, par la nature des roches et l’absence du calcaire dans les environs, elle est dépourvue de stalactites et stalagmites.

Toutes ces circonstances ne permettent pas à M. Virlet de douter qu’elle n’ait servi de passage à un courant souterrain, auquel est dû le dépôt limoneux et argileux bleuâtre qui en forme le sol. Il exprime ses regrets de ce que la fièvre, qu’il avait contractée depuis long-temps en Morée, ne lui ait pas permis de faire faire, dans la grotte de Sillaka, des fouilles pour s’assurer, comme il en est persuadé, que c’est une véritable caverne à ossemens ; et il cite à l’appui de cette opinion un fait, que M. Boblaye et lui ont eu souvent l’occasion d’observer en Morée, et dont ils parleront à l’article de la configuration générale de cette contrée ; ne sont des espèces de gouffres ou canaux souterrains, appelés dans le pays Katavotrons, par où s’écoulent les eaux des grandes plaines fermées, si remarquables, qui donnent à la Grèce un aspect tout particulier. Ces katavotrons, comme il a eu occasion de le vérifier plusieurs fois, sont de véritables cavernes à ossemens, dont le dépôt limoneux ossifère se forme encore tous les jours.

M. Virlet passe ensuite en revue toutes les hypothèses par lesquelles on a cherché à expliquer la formation des cavernes, et il reconnaît que si elles ne sont pas même admissibles pour le cas de roches solubles, comme les calcaires, elles le seront encore bien moins pour des roches phylladiques anciennes de la nature de celles de Sillaka. En effet, dit-il, comment concevoir que les eaux d’un lac, d’un torrent, etc., etc., de quelque nature qu’elles fussent, auraient pu se creuser un passage à travers des montagnes d’une épaisseur immense, comme ces canaux souterrains qui existent en grand nombre en Morée et dans la Grèce continentale, si ces canaux n’avaient pas existé préalablement ?

Pour arriver à une explication probable de la formation de la caverne de Sillaka, et expliquer cette préexistence, M. Virlet a recours à un autre ordre de phénomènes ; il suppose que la plupart des cavernes ont bien pu n’être dans le principe que des fractures ou fissures occasionnées par quelques actions volcaniques, telles que de violentes secousses de tremblemens de terre ; que ces fissures, dans quelques circonstances, sont devenues des espèces de cheminées par où se dégageaient les gaz produits par l’action intérieure des volcans. Ces gaz, soit qu’ils aient été muriatiques, fluoriques, sulfureux, etc., etc., élevés à une très haute température par le fait seul de leur propre formation, ont très bien pu, par une action plus ou moins prolongée, altérer les roches qu’ils avaient à traverser, quelle que fût d’ailleurs leur nature.

M. Virlet rapporte à ce sujet un fait qu’il a eu occasion d’observer dans l’isthme de Corinthe, et qui prouve très bien la possibilité de ces altérations pour des roches autres que les calcaires ; des jaspes et des silex y sont journellement corrodés et dénaturés par l’action prolongée de gaz souterrains, arrivant à la surface avec une température encore très élevée. Il regarde ces gaz comme le résultat d’une action volcanique qui se manifeste depuis long-temps dans le voisinage, et à laquelle sont sans doute dus les trachytes d’Égine, de Méthana et de Paros ; cette action continuerait à se manifester aujourd’hui d’un côté par ces dégagemens de gaz, de l’autre par la production des eaux chaudes de Loutro[1], situées aussi dans l’isthme, et par les eaux thermales sulfureuses de Méthana.

M. Virlet admettant ensuite que ces fentes corrodées ou non corrodées par des gaz, ont été relevées ensuite par des actions volcaniques plus violentes qui ont donné naissance à quelque chaîne de montagnes, ou ont exhaussé celles qui existaient déjà ; alors plusieurs de ces fentes ou fissures planes ou peu inclinées, ont pu fournir passage aux eaux de la surface, qui ont eu d’autant moins de peine à s’y introduire que les roches qu’elles traversaient avaient été plus corrodées.

Telle est l’origine qu’il suppose à la plupart des cavernes, surtout de celles qui ont servi ou qui servent encore, comme en Morée, de passage aux eaux de la surface ; mais là il n’y a eu aucune action corrodante, tandis que la grotte de Sillaka, aussi bien que le canal qui sert encore aujourd’hui de conduit aux eaux thermales de Thermia, ont été très probablement de ces cheminées ou fissures par où s’échappaient les produits gazeux de l’intérieur.

Une circonstance fort importante qui à Sillaka vient surtout à l’appui de cette hypothèse, et qui semble se lier à la formation de la caverne, c’est la présence des nombreux filons de fer qui courent dans tous les sens au milieu des micaschistes et des phyllades, en se rapprochant toutefois de la perpendiculaire au plan des couches qu’ils traversent. On peut donc supposer raisonnablement qu’ils sont contemporains de la fissure ou cheminée principale qui a donné naissance ensuite à la caverne, et que c’était par cette grande fissure que s’échappaient et les gaz et le fer qui, en se sublimant, est venu remplir toutes les petites fissures latérales du terrain, et donner naissance aux nombreux filons qu’on y remarque.

Enfin, M. Virlet pense, d’après son hypothèse, que si les cavernes sont plus nombreuses dans les roches calcaires que dans les autres roches, cela ne tient pas seulement à leur nature plus soluble, mais bien aussi à leur nature plus cassante et peu flexible ; circonstances qui font qu’elles ont dû se fracturer bien plus souvent que les roches schisteuses, au moindre soulèvement, quelque faible qu’il ait été, et donner lieu à de nombreuses crevasses, élémens d’autant de cavernes ; tandis que les roches schisteuses, naturellement plus flexibles et plus tenaces, en résistant à de faibles soulèvemens, ont éprouvé, au lieu de se fracturer, une certaine extension qui a été quelquefois assez considérable, si l’on doit en juger par les nombreuses ondulations et plis, ou refoulement de la roche sur elle-même, qu’on y observe souvent, et qui se seront formés lorsque ces roches momentanément soulevées ont repris ensuite leur position première.

Il termine son mémoire en annonçant que la fameuse grotte d’Antiparos, ainsi que celle de Jupiter à Naxos, appartiennent, comme celle de Thermia, aux mêmes roches primordiales ; mais que celle-ci sont creusées, non dans les phyllades comme à Sillaka, nais bien dans les calcaires grenus, qui dans ces deux îles ont acquis un bien plus grand développement qu’à Thermia, où ils n’ont fait pour ainsi dire qu’apparaître.

Plusieurs membres objectent à l’auteur de ce mémoire, que la cause première de l’excavation de la grotte de Thermia pourrait bien être l’exploitation du minerai de fer ; que le défaut de trace d’altérations des parois rend difficile à explisquer l’élargissement de la grotte par des éruptions gazeuses, qui modifient superficiellement plutôt qu’elles ne dissolvent les roches ; que l’action d’eaux acides souterraines aurait pu plus aisément dissoudre ces roches phylladiques.

Mais M. Virlet est bien convaincu, d’après tous les caractères que présente cette grotte, qu’elle n’a pu être formée par d’anciennes exploitations de fer ; il n’a reconnu sur les roches aucune trace d’eaux érosives, et ce qui semblerait le prouver, c’est la plus grande conservation des filons de fer. L’altération produite par des émanations gazeuses aurait été, selon lui, entièrement effacée par les courans qui se sont introduits postérieurement dans cette grotte. Quant à la légère croûte altérée qu’on trouve cependant à la surface, il la croit simplement le résultat des actions atmosphériques, et de l’humidité constante de la grotte.

M. Cordier annonce que M. Tournal vient de découvrir, près de Saint-Pont, dans le département de l’Aude, au milieu d’un terrain primordial et à 400 mètres au-dessus de la Méditerranée une fente remplie de brèches osseuses.

M. de Bonnard observe que les grottes du Harz sont aussi creusées dans un terrain de transition, mais seulement dans les roches calcaires.

─ M. Nérée Boubée présente une nouvelle espèce de coquille terrestre provenant du calcaire lacustre, qui limite au sud-est le terrain du bassin de Toulouse qu’il a décrit sous le nom de Postdiluvium toulousain (v. Bull., Tom. 1, p. 146).

On se rappelle que ce dépôt, faisant partie du terrain tertiaire lacuste supérieur, a déjà fourni à M. Boubée sept espèces nouvelles (voy. Bull., Tom. 1, pag. 212). Il donne le nom de Cyclostoma formosum à la nouvelle espèce caractérisé oar l’épaisseur de son test, par sa bouche supérieurement anguleuse fortement rebordée, et à peu près dans un même plan que l’axe de la coquille, ce qui, joint à l’allongement de la spire et au peu de convexité des tours, donne à cette coquille le port d’une Paludine. Mesurée au conchyliomètre de M. Boubée, cette espèce offre les caractères géométriques suivans : angle de la spire 27°, angle d’ouverture 78°, angle latéro-dorsal 120°, angle de direction 73°, longueur 52 millim., largeur 23 millim.

M. Boubée fait remarquer que le plus grand nombre des coquilles trouvées par M. Viala et par lui dans ce calcaire, sont des espèces terrestres, et que, dans leur ensemble, elles diffèrent de celles qui vivent aujourd’hui dans les mêmes lieux, autant que les coquilles d’Égypte par exemple diffèrent de celles qui vivent dans les environs de Paris.

De plus, M. Boubée annonce qu’après un nouvel examen du bassin de Toulouse, il conserve la même opinion sur le terrain qui le remplit, et il présentera incessamment des preuves qui devront fixer la place du Postdiluvium toulousain dans la série géognostique.

M. Desnoyers présente à la Société des ossemens de bœuf, de mouton et de cheval, trouvés dans les fouilles du nouvel égout de la rue Saint-Denis. Les os ont perdu une partie de leur matière animale ; ils répandent une odeur argileuse par insufflation, et ils gisaient, dans un limon sableux noir presqu’au contact du limon blanc de la rivière, à 8 ou 10 pieds au-dessous du pavé actuel, à plusieurs pieds sous l’ancien, formé de gros blocs de calcaire grossier et de grès, qu’on regarde comme de l’époque de Philippe-Auguste. Ces os étaient également au-dessous du chemin antérieur encore à ce dernier, et que quelques personnes considèrent, mais probablement à tort, comme la voie romaine, qui de l’île des Parisii se dirigeait au nord de Lutèce, en passant à travers des marécages.

M. Desnoyers fait remarquer que dans cette partie de la ville le sol se serait exhaussé depuis le douzième siècle, par des remblais successifs, de 6 ou 8 pieds, fait analogue à ce qui s’observe sur plusieurs autres points de Paris, particulièrement sur la place de Notre-Dame, puisque autrefois on montait par plusieurs degrés à l’église qui est maintenant de près de 4 pieds au-dessous du sol environnant. Sur plusieurs autres points de Paris les fouilles ont souvent présenté des ossemens à demi fossiles ; mais ce n’est que dans le gravier blanc inférieur qu’ont été trouvés des restes d’espèces véritablement fossiles et détruites.

Le sol de la ville de Londres a présenté, dans les fouilles d’un égout pratiqué, il y a environ quarante-quatre ans, dans le Lombard-Street, à seize pieds au-dessous de la surface du pavé actuel ; une quantité de blé qui avait évidemment subi l’action du feu, du bois brulé, des poteries celtiques et autres objets qui paraissent dater de l’an 59 de notre ère, époque du saccage de la cité de Londres par Buodicea, reine de l’Icénie. Ce fait a été communiqué à M. Desnoyers par M. Underwood. Il serait facile de citer un grand nombre d’autres exemples de ces exhaussemens rapides du sol dans les villes populeuses, d’ancienne date surtout, pour les époques où un pavé continu ne fixait point encore de niveau régulier. Nulle part ils ne sont plus remarquables qu’à Rome.

La Société procède à la discussion du projet de traité avec un libraire pour la publication de ses mémoires. Elle adopte, après quelques modifications, le projet, arrêté par la commission avec M. Levrault libraire. Il en sera fait une dernière lecture à la Société pour qu’elle en adopte l’ensemble.



  1. Le mot Loutro est un mot générique, employé en Grèce pour indiquer toute espèce de sources thermales