Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome II/Séance du 19 décembre 1831

Bulletin de la société géologique de France1re série - 2 - 1831-1832 (p. 81-92).


Séance du 19 décembre 1831.


M. Cordier occupe le fauteuil.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la précédente séance, le président proclame membre de la Société :

M. Ravergie, naturaliste-voyageur du Muséum, présenté par MM. Brongniart et Michelin.

La Société reçoit les ouvrages suivans :

1° De la part de M. de Férussac, le cahier de mai du Bulletin des Sciences naturelles et de Géologie.

2° De la part de M. Bailly de Merlieux, le numéro 12 du Mémorial encyclopédique.

3° De a part de la Société de géographie, le cahier d’octobre 1831 de son Bulletin.

4° De la part de la Société d’histoire naturelle de Marbourg. dans la Hesse électorale, la seconde partie du premier volume de ses Mémoires (Schriften der Gesellschaft zur Beforderung der gesammten Naturwissenschaften zu Marburg. In-8°. 1831.)

5° De la part de la Société industrielle de Mulhouse, les numéros 2, 3, 4, et 5 de la Statistique générale du département du Haut-Rhin, publiée par cette Société et mise en ordre par M. Achille Penot. In-4°. Mulhouse, 1831.

6° De la part de M. Rozet, son Cours élémentaire de Géognosie. In-8°. Paris, Levrault, 1830.

7° De la part de M. Boué, les Voyages minéralogiques en Calabre et la Pouille (Mineralogische Reisen durch Calabrien u. Apulien), par Albert Fortis. In-8°. Weimar, 1788.

Il est présenté par le secrétaire les ouvrages suivans :

1° L’Itineraire géologique et minéralogique dans les départemens de la Moselle, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, des Vosges, de la Meurthe et dans des contrées voisines, par M. Victor Senion. In-8° de 18 pages ; extrait des Mémoires de l’Académie de Metz. 1831.

2° Les deux dernières parties du premier volume des Transactions de la Société d’histoire naturelle du Northumberland, de Durham et de Newcastle sur la Tyne. 2 vol. in-4o, formant 237 p. et accompagnés de 15 planches, de coupes ou de cartes géologiques. Newcastle et Londres, 1831.

Ou y trouve les mémoires géologiques suivans : Remarques sur la géologie des bords de la Tweed de Caruham dans le Northumberland jusqu’à la mer à Berwick, par M. Winch ; la Description d’un groupe de filons trappéens dans les houillères de Witehaven, par M. Williamson Peile ; une Notice sur les mines de charbon de Gilmerton, dans le Mid Lothian, par M. Dunn ; un Mémoire sur les grès rouges du Berwickshire, en particulier sur ceux de l’embouchure de la Tweed, par M. Witham ; une Description des troncs fossiles trouvés dans les mines de houille de Killingworth, à 48 toises de profondeur, par M. Nicolas Wood ; un Synopsis des lits de houille dans le district de Newcastle et des coupes détaillées des houillères de ce lieu, par M. Buddle ; la Description d’un arbre fossile trouvé à Craigleith près d’Édimbourg, par M. Witham ; et un Mémoire sur la géologie d’une partie du Northumberland et du Cumberland, par M. Wood.

3° Deux cahiers du vingtième volume du Journal américain des Sciences et des Arts, de M. Silliman.

On y remarque un Mémoire sur les roches intermédiaires du Cataraqui, par le capitaine Bonnycastle ; une Notice sur les traces d’érosion observées à la surface des rochers de grauwacke dans les Alleghany, par M. W. Thompson ; une notice sur les régions volcaniques de l’ile de Owyhée, par M. Goodrich ; et un Rapport de MM. Cooper, Smith et de Kay, sur les ossemens fossiles de Big-Bone Lick, dans le Kentucky.

Le secrétaire donne quelques détails sur la première grande réunion des naturalistes et physiciens d’Angleterre, tenue à York du 26 au 29 septembre 1831, et sur les Mémoires géologiques lus dans ces assemblées.

Le but de cette association est de donner une impulsion plus forte et une direction plus systématique aux recherches scientifiques, de mettre les savans de la Grande-Bretagne plus fréquemment en rapport avec les naturalistes étrangers, et en général de faire avancer les sciences en tâchant de lever les obstacles qui retardent leurs progrès.

Outre les réunions annuelles, cette Société a établi des sous-comités et des comités locaux ; un droit d’entrée d’une livre sterling couvrira les frais de correspondance et l’impression des Mémoires lus.

M. Philipps a fait un discours sur la géologie du Yorkshire et a discuté la détermination zoologique d’un fossile trouvé dans le charbon de West-Riding. Ce serait peut-être un poisson.

M. Hutton a lu un Mémoire sur le grand filon trappéen de l’Angleterre septentrionale.

MM. Murchison et Philipps ont ajouté des observations sur les filons semblables du Durham, et M. Witham a présenté une Notice sur la végétation et la formation des houillères.

La Société s’occupe pendant quelques instans d’un puits foré par M. Degouzée dans le faubourg St-Antoine, rue de la Roquette. L’eau ascendante a été trouvée à 150 pieds de profondeur, après avoir traversé 30 pieds de sable, 30 pieds de marnes, 48 pieds de calcaire et de marne, 30 pieds d’argile pyriteuse, puis des sables verts et des grès.

On parle ensuite d’un puits semblable exécuté près du Jardin des Plantes, et dans lequel on a trouvé, a 400 pieds de profondeur, de l’eau s’élevant à un pied au-dessous du niveau du sol.

M. Rouet fait hommage à la Société et met sous ses yeux une suite de roches d’Alger, de l’Atlas et d’Oran, consistant en 300 échantillons de roches et 96 fossiles.

M. Teissier d’Anduze envoie Z1 la Société le dessin de la figurine et de la lampe antique trouvées dans la caverne du Fort près de Mialet. Il y joint le dessin d’une tête humaine et d’une mâchoire inférieure. L’angle facial, pris avec un équerre mobile, est de 70°. C’est la tête d’un vieillard, tandis que la mâchoire inférieure appartient à un jeune sujet.

Les deux molaires qui sont en place sont sans mamelons, usées, à couronne plate, et creusées chacune de cinq petits enfonce mens. Cette forme n’est, selon l’auteur, l’effet ni du temps, ni de l’ensevelissement, mais de la mastication de corps durs : ce qui indique un état frugivore, une civilisation peu avancée, et une nourriture au moyen de racines, de glands et de fruits acres et durs.

Il promet de procurer à la Société quelques débris de poterie.

Depuis son dernier Mémoire, on a découvert dans la grotte de grosses dents d’hyène, mais en petit nombre ; des fragmens de Jade et de silex effilés, mais petits, qui peuvent avoir servi de petits couteaux ou d’instruments de chirurgie ; un crâne de ruminant surmonté d’un fragment de grosse corne ayant environ huit pouces de longueur, et qu’il croit avoir appartenu au genre Antilope ; enfin, une énorme patte d’ours entière, dont tous les os, même les sésamoïdes, étaient en connexion et empâtés dans de l’argile durcie.

Tous ces objets, et la plupart de ceux décrits dans les précédentes communications de M. Tessier, appartiennent à M. Julien, ex-étudiant en médecine, demeurant maintenant à Mialet. Ce dernier offre, à la Société d’en faire l’acquisition, proposition qui est renvoyée à l’examen du conseil.

On lit la note suivante de M. Teissier :

« Ayant pour quelques jours à ma disposition une tête entière d’ours, que je rapporte à l’ursus spelœus de M. Cuvier, je l’ai exactement mesurée dans tous les sens et dans toutes les parties, et j’adresse la Société le tableau de ces dimensions. J’espère qu’elle le recevra avec intérêt. Les dimensions sont en général plus fortes que celles de l’ursus spelœus d’Iserlohn et de Lunel-Viel ; d’ailleurs, ces dimensions sont complètes, tandis que les tableaux cités offrent beaucoup de lacunes, sans doute à cause de l’imperfection des échantillons.

1. Longueur de la tête depuis l’épine ou protubérance occipitale jusqu’aux incisives supérieures (plus grande longueur de la tête) 0,535
2. Largeur du crâne entre les apophyses post-orbitaires du frontal, ces apophyses non comprises 0,130
3. Distance de l’extrémité postérieure de l’épine occipitale à une ligne qui couperait en travers les apophyses post-orbitaires du frontal d’un côté à l’autre (en suivant les courbures 0,300
4. Distance de la même ligne aux incisives (en suivant les courbures) 0,270
5. Distance de cette ligne à la réunion des crêtes qui viennent des apophyses post-orbitaires du frontal pour former la crête sagittale 0,220
6. Plus grande longueur des arcades zygomatiques 0,200
7. Distance de l’apophyse post-orbitaire de l’os molaire d’un côté à celle du côté opposé (les apophyses comprises) 0,150
8. Longueur d’une incisive latérale du troisième supérieure, portion saillante hors de l’alvéole 0,025
9. La même incisive incrustée à la partie la plus épaisse de sa racine 0,020
10. L’auteur de la portion émaillée de cette incisive prise à sa face postérieure 0,025
11. Pénultième molaire supérieure, mesurée dans son diamètre antéro-postérieur 0,030
12. La même, mesurée dans son diamètre transversal 0,020
13. Dernière molaire supérieure, mesurée dans son diamètre antéro-postérieur 0,050
14. La même, mesurée dans son diamètre transversal 0,023
15. Condyle du maxillaire inférieur, d’une extrémité à l’autre 0,070
16. Diamètre antéro-postérieur du demi-cylindre ou surface articulaire 0,035
17. Hauteur du maxillaire inférieur, prise dans l’intervalle entre la canine et la première fausse molaire. 0,070
18. Épaisseur de ce maxillaire, mesuré en arrière du trou mentonnier 0,023
19. Hauteur de la couronne d’une troisième incisive ou latérale inférieure, prise en dehors 0,018
20. Canine inférieure isolée, mesurée en ligne droite. 0,130
21. Hauteur de la portion émaillée de la même canine. 0,045
22. La même canine, mesurée à la partie la plus large de sa racine 0,038
23. Anté-pénultième molaire inférieure, longueur antéro-postérieure 0,030
24. La même, mesurée transversalement 0,017
25. Longueur antéro-postérieure de la pénultième molaire inférieure 0,033
26. Même dent mesurée dans le sens transversal. 0,019
27. Longueur antéro-postérieure de la dernière molaire inférieure ou tuberculeuse 0,031
28. Diamètre transversal de la même dent 0,021
29. Hauteur du maxillaire inférieur en arrière de la tubeculeuse 0,083
30. Distance du condyle de la mâchoire inférieure aux incisives 0,350
31. De l’angle de la mâchoire inférieure au sommet de l’apophyse coronoïde 0,220
32. De la voûte palatine au sinciput, hauteur du crâne., 0,190
33. De la face externe d’un condyle de la mâchoire inférieure à l’autre 0,250
34. De la face externe d’une canine supérieure à l’autre 0,120
35. Plus grande largeur de la face externe d’une arcade zygomatique à l’autre 0,300
36. Distance des incisives supérieures à l’extrémité postérieure des condyles de l’occipital 0,480
37. De l’angle de la mâchoire inférieure au sinciput 0,330
38. Du bas de l’apophyse mastoïde à la crête occipitale 0,200
39. De la base d’une apophyse coronoïde à l’autre, antérieurement 0,150
40. D’un angle de la mâchoire inférieure à l’autre, postérieurement 0,200
41. D’une apophyse mastoïde à l’autre 0,230
42. Plus grande distance de l’arcade zygomatique au sphénoide 0,130
43. Plus grande largeur de l’ouverture des nazeaux 0,090
44. Plus grande hauteur de l’ouverture des nazeaux 0,080
45. De l’angle inférieur et antérieur de l’orbite à l’extrémité de la protubérance occipitale 0,330
46. De l’angle antérieur et inférieur de l’orbite à la racine de l’incision supérieure médiane 0,200
47. Plus petite largeur du front d’un orbite à l’autre 0,105
48. Hauteur depuis le bord de l’alvéole de la dernière molaire supérieure jusqu’à la naissance du front 0,130

On remarquera que supérieurement il y a cinq incisives ; et qu’inférieurement il n’y en a que quatre ; mais le nombre normal paraît être de six, ce qui fait qu’on observe souvent de petites dents hors de place, qui percent antérieurement sous les autres, à la mâchoire inférieure surtout, car je ne l’ai pas observé à la supérieure. Inférieurement, la distance de la première molaire à la canine est de 0 m 065 ; supérieurement, de 0,052.

D’une pointe de canine à l’antre, il y a supérieurement 0 m 090, et inférieurement 0,080.

Quoique la tête et la mâchoire inférieure se raccordent assez bien, il est probable cependant qu’elles n’ont pas appartenu au même individu.

M. Boué achève la lecture du Mémoire commencé dans la précédente séance.

Ce mémoire est divisé en quatre parties ; dans la première, l’auteur soumet à M. Deshayes quelques doutes sur ses conclusions géologiques déduites d’observations conchyliologiques ; dans la seconde, il examine par quelles inductions le classement des diverses formations est entré petit à petit dans le domaine de la science ; dans la troisième, il compare les résultats de classification obtenus jusqu’ici par la méthode géologique et par la paléontologie, appliquées chacune isolément ; enfin, dans la quatrième, il oppose les unes aux autres les conséquences géogéniques qu’on peut tirer, d’un côté, de la géologie proprement dite, et, de l’autre, de la paléontologie appliquée à cette science.

L’auteur conclut, comme M. de Beaumont, 1° que l’observation de la continuité des couches est encore jusqu’à présent la règle la plus sûre pour la détermination géognostique des dépôts.

2° Que la géologie sans la paléontologie possède assez de données pour amener à tous les grands résultats et à toutes les divisions et subdivisions importantes adoptées dans la science actuelle.

3° Qu’on ne peut pas encore faire de la géologie sur toute la surface terrestre simplement avec les données paléontologiques, toute la terre n’étant pas encore étudiée ; néanmoins, connaissant bien un bassin ou un grand continent, l’observation de la distribution géologique des fossiles deviendra un guide assuré et quelquefois commode.

4° Que les indications données par les pétrifications peuvent, jusqu’à un certain point et dans des cas particuliers, être très-utiles, lorsque la superposition est obscure ou incertaine.

5° Que l’on peut déduire isolément des observations géologiques ou paléontologiques des idées géogéniques d’un intérêt égal, mais quelquefois d’une nature différente.

M. Deshayes fait observer que M. Boué, dans le mémoire qu’il vient de lire, mémoire qui soulève la plus grave question que la science géologique puisse mettre en discussion, n’est point parti d’une base fondamentale pour appuyer son opinion. Il est donc nécessaire de ramener la question sur son véritable terrain, et l’on verra que par ce moyen on arrive rationnellement à des conclusions toutes contraires.

Pour éviter toute espèce de malentendu dans la discussion, il est convenable de donner des définitions rigoureuses des diverses choses qui seront discutées.

Puisqu’il est question de décider si la géologie doit être minéralogique ou zoologique, il faut d’abord se demander qu’est-ce que la géologie ? C’est la science qui s’occupe des couches de la terre dans leur nature et leurs rapports.

Lorsque l’on a sous les yeux un grand nombres de couches de la terre ou quand on les à toutes réunies dans un tableau figuratif, l’idée simple qui naît de l’inspection de leur masse, c’est celle d’un espace de temps écoulé.

Les couches de la terre ne représentent donc à l’esprit, en dernière analyse, qu’un long chronomètre dont nous cherchons à connaître l’étendue.

En examinant, en étudiant avec soin les couches de la terre, on s’est bientôt aperçu qu’elles n’avaient pas toutes été déposées sous l’influence des mêmes phénomènes ; on entrevit en même temps que les mêmes phénomènes avaient présidé en quelque sorte à la formation d’un certain nombre de couches : on les groupa dès lors, on brisa par la pensée la grande période, on la décomposa en périodes plus petites, à chacune desquelles on a donné le nom de formation.

S’il est vrai que les couches de la terre représentent un long espace de temps ; s’il est vrai que toutes les couches n’ont pas été déposées sous l’influence d’un même phénomène, mais que les phénomènes se sont succédé à mesure que des groupes de couches ont été formés, il faudra en conséquence que la définition la plus simple d’une formation soit celle-ci : Un espace de temps représenté par un certain nombre des couches de la terre, déposées sous l’influence des mêmes phénomènes.

Si cette définition simple d’une formation découle naturellement de ce qui précède, si elle en est la conclusion, il devient de toute évidence qu’on ne peut limiter une formation, sans avoir apprécié préalablement avec le plus grand soin les phénomènes et leur valeur respective : c’est là la conclusion logique.

Dès lors on doit se demander qu’est-ce donc que ces phénomènes, et d’abord sur quoi ont-ils agi ?

Il est évident qu’ils n’ont en d’action que sur deux sortes de choses : de la matière inorganique et de lai matière organisée.

La matière inorganique ou minérale des couches est extrêmement variable ; c’est un fait incontestablement prouvé et établi par l’observation de tous les géologues : ainsi une même couche pourra être marneuse, calcaire, cristalline, siliceuse ou de sable ; elle sera tantôt blanche ou de tout autre couleur, selon les circonstances locales qui l’auront modifiée, etc. Les élémens chimiques sont également variables. On ne peut donc pas dire que deux couches que l’on ne voit pas en continuité sont du même âge parce qu’elles ont la même composition minérale.

Lorsque l’on examine avec quelque attention les corps organisés contenus dans les couches terrestres, on voit leurs espèces passer d’une couche à l’autre, quoique par leur nature ces couches soient très-différentes ; ces espèces restent les mêmes ou subissent peu d’altération, quoique la composition des couches qui les recèlent ait été considérablement modifiée.

En admettant ces deux faits comme incontestables, et ils le sont, c’est-à-dire que la composition minérale des couches est très-variable, tandis que les débris d’êtres organisés qu’elles renferment ne le sont qu’infiniment moins, on peut conclure évidemment que, si l’on veut trouver un moyen, une mesure pour déterminer les limites d’une formation, on doit les chercher dans ce qui est le moins variable, on doit les prendre aussi dans ce qui présente quelque chose à l’esprit.

Qu’est-ce qu’une période minéralogique ? On ne peut le concevoir, tandis que tout le monde comprendra ce que c’est qu’une période zoologique. Cela sera d’autant plus facile, que nous avons sous les yeux une de ces périodes, et que nous pouvons la comparer avec une période de la nature ancienne, que nous pouvons par approximation nous figurer cette nature ancienne, parce que nous avons avec elle un point fixe de comparaison.

Dès lors une formation est une période zoologique ; conçue rationnellement, elle est représentée par un certain nombre des couches de la terre recélant un ensemble d’êtres organisés qui ne se trouvent que dans ces couches.

Il faut donc connaître les corps organisés pour décider les limites des formations ; cette conclusion est de toute rigueur.

Ainsi une formation ne sera pas limitée par le changement subit de la nature de la roche, par la position contrastante des couches, par des phénomènes de soulèvement, de dislocation, etc. Tout cela peut fort bien n’être que des accidens locaux ; tous ces accidens ont pu survenir sans que les êtres vivans aient éprouvé d’altération, et c’est en effet ce que l’observation démontre. Mais quand on pourra dire : Un tel ensemble d’êtres organisés a commencé à telle couche et a fini à telle autre couche, et à cet ensemble en a succédé un autre qui ne lui ressemble pas, on aura fixé définitivement la longueur d’une période de vie ou d’une formation ; et il n’en faut pas douter, dans l’ensemble des couches de la terre il y a plusieurs de ces périodes.

Si ce qui précède est fondé en raison, en logique, que devient donc l’opinion de ceux des géologues qui croient pouvoir soutenir, avec M. Boué, que la géologie peut se passer de l’étude des corps organisés fossiles ? Il est évident que cette opinion n’a point de base. On peut bien dire que quelques personnes ont introduit dès erreurs dans la géologie, en mettant en œuvre des matériaux paléontologiques incomplets ; mais peut-on raisonnablement conclure de la que la science des fossiles ne doit jamais donner que de tels résultats ; que, plus parfaite et appliquée convenablement, elle ne deviendra pas de première importance ? Cette conclusion est trop évidemment fausse pour avoir besoin d’être sérieusement réfutée.

En dernière analyse, tout l’important de la question consiste à décider si les caractères zoologiques auront la prédominance sur les caractères minéralogiques dans l’étude de la géologie. Sans diminuer en rien l’importance des caractères minéralogiques, nous avons l’intime conviction qu’ils ne sont, relativement aux premiers, que d’une valeur secondaire.

La manière d’envisager la question n’est point une chose indifférente ; elle touche à ce que la science a de plus fondamental, à son avenir ; car elle décide si la géologie restera une science pratique, ou si, à l’égal des autres sciences, elle aura aussi sa haute philosophie. Ce que l’on peut dire, c’est que la géologie minéralogique conduit à la seule pratique matérielle de la science, la recherche des substances utiles : c’est l’art du mineur perfectionné ; tandis que la géologie paléontologique peut également conduire au même résultat, mais elle atteint un but plus élevé, la philosophie de la science. Quelle est en effet cette philosophie ? La comparaison de l’état ancien du globe avec l’état actuel ; l’appréciation des changemens successifs que sa surface a subis. Comment pourra-t-on arriver à ce but, si l’on se borne à l’étude de la matière inorganique diversement modifiée ? Ces modifications sont d’ailleurs d’une faible valeur. Quel que soit l’âge d’une argile, d’un calcaire, etc., n’est-ce pas toujours un calcaire, de l’argile, etc. ? Ce qu’il y a actuellement d’important à la surface de la terre, c’est la matière organisée soumise aux lois de la vie ; ce qui est important, c’est de comparer cette nature vivante actuelle avec la nature ancienne ; c’est de reconnaître si les lois de la nature n’ont point subi de modifications ; c’est enfin de pouvoir conclure quelque jour l’état de la surface de la terre, d’après la nature des êtres dont nous étudions les restes fossiles. Voilà ce qui doit exciter l’attention des géologues et leur faire sentir toute l’importance, toute la nécessité de l’étude des fossiles ; en se livrant à cet égard à de nombreuses recherches, ils donneront à la science une nouvelle impulsion dans une route toute philosophique, dans laquelle elle ne fait à peine que d’entrer. Ce n’est donc pas sans quelque raison que j’ai pu dire ailleurs, et que je répète ici avec la plus grande conviction : Point de géologie sans zoologie. » M. Dufresnoy fait observer qu’en géologie le nom de formation est donné à une série de couches déposées dans les mêmes circonstances ; comme, par exemple, entre deux soulèvemens. Il est persuadé que la manière dont M. Deshayes propose d’établir les formations donnerait des résultats analogues à ceux obtenus par la différence de stratifications, parce que les révolutions qui ont suivi les soulèvemens ont nécessairement donné naissance à des groupes zoologiques. Il ajoute que l’étude des superpositions lui parait la base actuelle de la séparation des terrains, et que, depuis 20 à 25 ans, on n’a fait autre chose que grouper les dépôts décrits dans les formations établies des long temps par la seule observation des superpositions. Du reste, il regarde comme impossible, dans l’état actuel de la science, de se passer de la considération des fossiles, ce caractère étant souvent le plus facile à constater, et dans beaucoup de cas le seul que la nature offre au géologue.