SOUVENIRS MILITAIRES DE LA RÉPUBLIQUE ET DE L’EMPIRE, par le baron Berthezène[1]. — Les documens historiques sur les guerres du consulat et de l’empire abondent en ce moment. L’Histoire de la Campagne de 1800, par le duc de Valmy, les extraits d’une Histoire des Guerres de l’empire, par le duc de Bellune, les Mémoires de Masséna, du maréchal Soult, la Campagne de 1812, par le lieutenant-général Fezensac, les Sowenirs militaires du baron Berthezène, tiennent le premier rang parmi ces travaux. Ce dernier ouvrage, qui est aussi le plus récent, est peut-être également le plus utile à consulter, pour le côté stratégique qui s’y trouve amplement développé et pour la franchise dont l’auteur fait preuve en toutes circonstances. Ces Souvenirs militaires comprennent les campagnes d’Italie 1797-1800, de Prusse 1806-1808, d’Autriche 1809, de Russie 1812, d’Allemagne 1813, de Belgique 1815. Le général Berthezène a été acteur dans toutes ces campagnes, acteur important dans quelques-unes, et il fait défiler devant nos yeux tous les menus détails, le côté intime et vulgaire, stratégiquement parlant, de ces grandes guerres que nous voyons dans le lointain comme une masse confuse, et qui sont déjà devenues pour nous l’histoire, cette sorte d’histoire généralisée par une vague tradition. Le général expose avec concision, avec netteté, les grands mouvemens de guerre, les manœuvres qui amènent les armées en présence, et les combinaisons qui décident la victoire sur le champ de bataille. Ses narrations de la campagne de Russie et de la bataille de Waterloo peuvent être, sous ce rapport, rangées au nombre de nos meilleures pages d’histoire militaire. Dans un tel cadre, on comprend que la personnalité de l’auteur apparaisse rarement. Pourtant quelques considérations politiques et sociales sur les pays où il a fait la guerre, sur l’état de la France pendant l’empire, des observations sur les rivalités des généraux, sur l’arbitraire, l’incurie et les rapines de l’administration, quelques discussions des plans ou de la politique de Napoléon, nous ont permis d’apprécier la sincérité du narrateur. Ses jugemens sont généralement sévères et formulés en peu de mots ; ses réflexions indiquent un esprit sérieux et observateur. Nous sommes loin néanmoins d’adopter toutes ses idées. Dans ce livre, c’est presque toujours le soldat qui parle ; de là proviennent les qualités et les défauts. — l’utilité, l’autorité pour tout ce qui touche à la stratégie, à l’art, à l’histoire purement militaire, — la bonne foi, mais la partialité incontestable pour ce qui est la philosophie de l’histoire. Le général Berthezène jette sur la France de l’empire le regard de l’officier supérieur heureux et victorieux ; on comprend qu’il y a place pour d’autres points de vue qui ne mènent ni aux mêmes éloges, ni à la même satisfaction. Après l’empire, c’est encore le même regard qu’il jette autour de lui, le regard de l’officier supérieur, mais passionné, exaspéré par les défaites, se préoccupant uniquement d’une partie glorieuse de la France, l’armée. Nul ne peut l’en blâmer ; mais nos pères, si vivement attaqués, ont pu penser que la gloire achetée au prix de tant de sang et de misères n’est pas tout pour une nation. La possibilité de la vie physique et morale, la paix après une telle dépense de vies humaines, la liberté après une telle contrainte, le large développement de l’intelligence, de la littérature et de l’art, entrent pour quelque chose aussi, ce nous semble, dans l’existence, le bonheur et la dignité d’un peuple.


C.-D. D’HERICAULT.


V. DE MARS.


  1. 2 vol. in-8o. Dumaine, 1855.