THE ENGLISH PRISONERS IN RUSSIA, A PERSONAL NARRATIVE OF THE FIRST LIEUTENANT of H. M. S. Tiger, by Alfred Royer, lieut. R. N.[1].

Le type du touriste admiratif qui n’écrit jamais une phrase sans points d’exclamation, se croit tenu de trouver tous les monumens sublimes, tous les paysages enchanteurs et toutes les auberges excellentes, ce type est connu depuis longtemps ; mais il n’était pas jusque présent sorti de la classe des badauds à prétentions sentimentales. Le lieutenant Royer s’est chargé de démontrer qu’il pouvait se rencontrer dans certaines classes plus sensées et plus honorables. Qu’un dandy, une actrice, un dilettante s’extasient à froid sur les pays qu’ils visitent, rien n’est plus naturel ; mais qu’un officier de marine prisonnier de guerre pousse l’impartialité jusqu’au point d’oublier que le pays dont il fait l’apologie est en lutte armée avec sa propre patrie, voilà ce qui ne s’était pas encore vu. M. Royer a été bien reçu par les autorités russes, il n’a qu’à se louer du général Osten-Sacken, il a contemplé l’auguste figure de l’empereur, il a visité la Russie aux frais de l’état ; les voitures étaient comfortables, les déjeuners et les dîners irréprochables, et M. Royer a conservé de la Russie un souvenir plein de reconnaissance : rien de plus naturel. Il a donc voulu rendre politesse pour politesse, rien de plus juste encore. Seulement nous devons lui dire qu’il a mal choisi son temps et ses moyens. Il pouvait ajourner jusqu’à la paix la publication de son journal, et certes le monde n’y eût rien perdu. En second lieu, il pouvait rendre dans son propre pays à quelque officier ennemi prisonnier le bon accueil qu’il avait reçu en Russie. Il a préfère publier ce petit livre. L’empereur de Russie sera certainement touché de cette galanterie très chevaleresque sans doute, mais fort peu patriotique.

Le livre n’est curieux que par ce parti pris de tout admirer ; les renseignemens qu’il nous fournit sur la Russie sont maigres, insignifians, ou même tout à fait nuls. L’empereur a adressé la parole à M. Royer en français, et lui a gracieusement demandé quelle route il désirait prendre pour retourner en Angleterre. Le grand-duc Constantin se connaît fort bien en marine, et lui a fait les plus grands éloges du fameux vaisseau russe les Douze Apôtres. Le général Oslen-Sacken est un homme fort religieux, qui prenait le plus grand plaisir à voir quelques-uns des matelots prisonniers lire leur Bible, et Mme Osten-Sacken a poussé la délicatesse du sentiment jusqu’à faire entourer d’une grille et de quelques arbustes la tombe d’un jeune mousse anglais mort de ses blessures. Tels sont quelques-uns des faits intéressans que l’indulgent et poli lieutenant Royer livre aux méditations de ses compatriotes et de l’Europe entière. Cette relation, sans faire de scandale, (chose dont elle n’est pas capable), a blessé cependant quelques susceptibilités patriotiques ; il y a des gens qui ont vraiment l’épidémie bien chatouilleux. Il ne faut pas en vouloir à M. Royer. Il appartient évidemment à cette classe d’hommes qui ont la superstition du rang et du titre. Le titre de baron caresse doucement leurs oreilles, celui de prince les jette dans l’enthousiasme ; mais il n’y a plus de mots pour exprimer le délire dans lequel les plongent les noms d’empereur et de roi. Nous craignons fort que son admiration pour la Russie, ne soit fondée sur un fait de ce genre. On lui a souri, ce peuple est le plus aimable du monde ! On lui adresse la parole, quelle condescendance ! quelle absence d’orgueil ! On lui rend la liberté, quel désintéressement !

Il y a aussi dans ce livre une autre tendance non moins détestable que le patriotisme forcené qu’on a baptisé du nom de chauvinisme : c’est cette rage d’impartialité qui s’est emparée de tout le monde, et qui n’est qu’un masque commode servant à recouvrir des opinions tièdes, beaucoup de scepticisme, des sentimens glacés et l’amour du repos. Nous admettons volontiers l’impartialité, mais non pas indistinctement chez tout le monde. Un philosophe peut être, impartial, mais un homme sans éducation ne peut l’être ; un feld-maréchal, un général en chef peuvent l’être tout à leur aise, mais tout officier, depuis le lieutenant jusqu’au général de division inclusivement, doit être partial, partial à outrance, sans quoi il faut se défier de lui, comme on se défie des gens qui n’ont pas les vertus de leur métier. Un militaire impartial envers ses ennemis est comme un ouvrier poète, une excentricité. émile montegut.

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V. de Mars.


  1. London, 1854, chez Chapman et Hall.