M. Rouard ; il en est de même de la question archéologique, qui fait le principal objet du mémoire. Évidemment le plateau d’Entremont a été occupé par une ville gauloise ; il est probable que les débris trouvés sur ce plateau appartiennent aussi à la civilisation gauloise. L’une des preuves de leur origine peut se tirer du sol même dont ils ont été extraits, et c’est pour établir cette preuve que l’auteur est remonté jusqu’aux Saliens. Les débris dont il s’agit consistent en fragmens de bas-reliefs, et ces fragmens doivent acquérir une grande importance s’il est démontré qu’ils soient réellement gaulois, puisque jusqu’ici, à l’exception des dolmen, des men-hir, des instrumens de pierre et des poteries, on ne connaît rien de l’époque celtique proprement dite, et qu’un monument figuré de cette époque peut être considéré comme un monument unique. Les bas-reliefs trouvés à Entremont sont au nombre de neuf, sculptés sur trois pierres de même espèce, qui ont appartenu à la même construction, et qui, rapprochées entre elles, forment un sujet, incomplet aujourd’hui, mais qu’il est facile encore de restituer dans son ensemble.

Ces bas-reliefs représentent des têtes et des cavaliers. L’un des cavaliers est vêtu d’une tunique écourtée qui s’arrête sur le haut des cuisses ; il porte à droite une longue épée, et tient à la main un long javelot ; il marche au pas tranquillement, et l’on distingue suspendu au cou du cheval un objet qu’il est aisé de reconnaître pour une tête humaine. Les autres cavaliers sont au galop dans l’attitude du combat. Quant aux têtes, elles sont toutes séparées du tronc, et l’artiste barbare qui les a sculptées a eu soin, pour indiquer que ce n’étaient pas des effigies vivantes, mais des débris de cadavres, de laisser leurs yeux fermés. La plupart ont une expression féroce ; quelques-unes portent moustache. Leur chevelure tressée forme autour du visage une espèce d’encadrement, et vient s’unir à la barbe, qui paraît aussi tressée ou frisée. Or, en rapprochant les divers types reproduits sur les bas-reliefs de nombreux passages des historiens de l’antiquité, tels que Diodore, Strabon, Polybe et Tite-Live, il est impossible de ne pas reconnaître que ce que ces historiens ont dit de l’équipement ou de la parure des Gaulois se rapporte exactement aux cavaliers et aux têtes des bas-reliefs. Strabon nous apprend, sur le témoignage de Polidonius d’Agamie, qui avait voyagé dans la Gaule peu de temps après la défaite des Cimbres par Marius, « que les Gaulois ont des coutumes étranges annonçant leur barbarie et leur férocité ; tel est, par exemple, l’usage de suspendre au cou de leurs chevaux, en revenant de la guerre, les têtes des ennemis qu’ils ont tués, et de les exposer ensuite en spectacle attachées au devant de leurs portes. M. Rouard se demande avec raison si ce cavalier des bas-reliefs qui porte suspendue au poitrail de son cheval une tête humaine, et qui marche paisiblement au petit pas, n’est point un Gaulois victorieux revenant de la guerre. Il compare avec les textes des historiens les figures du bas-relief d’Entremont, et de déduction en déduction il arrive à conclure que ces bas-reliefs ont fait primitivement partie d’un monument gaulois élevé en guise de trophée, que ce trophée ornait la ville des Salyes, détruite par Sextius, et que les figures qui le décorent offrent dans toute leur rudesse barbare le type le plus ancien ou plutôt le seul type connu de l’art celtique. Il y a là, on le voit, pour l’archéologie des renseignemens d’autant plus précieux qu’ils sont basés sur des données rationnelles, et nous souscrivons pleinement, pour notre part, aux conclusions du savant bibliothécaire de la ville d’Aix.


CH. LOUANDRE.

THE DAUGHTER OF NIGHT (la Fille de la Nuit), par M. W.-S. Fullom[1]. — Si l’Angleterre est le pays où se produisent chaque année le plus d’œuvres d’imagination, c’est aussi celui où de pareilles œuvres relèvent le moins du système de l’art pour l’art. Chez nos voisins d’outre-Manche, pas de roman qui n’ait son but politique, religieux ou philanthropique, et la plupart du temps ces trois volumes si proprets, dont le papier est si fin, la reliure si coquette et dont toute l’apparence semble trahir quelque chose d’élégant et presque de frivole, ces trois volumes renferment une plaidoirie ardente, une sorte de prêche. Vous croyez à une histoire, à un conte qui vous doit distraire pendant un certain nombre d’heures, et vous rencontrez ou un sermon ou une thèse. C’est peut-être cette prétention philosophique ou religieuse qui a perdu le roman proprement dit en Angleterre, car à l’heure qu’il est, malgré le déluge de novels dont le public de Londres est encore journellement assailli, le novel traditionnel, créé par miss Burney, miss Austin et tant d’autres, porté à sa suprême puissance et entraîné en même temps hors de sa voie pour la première fois par Walter Scott, — le novel traditionnel est mort. Pour que Bulwer, Disraëli et d’autres écrivains d’un talent incontestable se soient reconnus impuissans à le relever comme genre, il faut qu’il soit bien radicalement frappé, — ce qui du reste n’empêche nullement, ainsi que chacun peut le constater, le succès très légitime et très grand de certaines productions isolées, de certains individus échappés à la ruine d’une espèce qui semble à jamais éteinte. La faveur avec laquelle on a accueilli le nouveau livre de M. Fullom prouve une fois de plus la vérité de ce que nous disons, et certes il ne nous viendra point à l’esprit de nier, quelle que soit la forme choisie par un homme de talent, par un esprit distingué, qu’il ne sache, — à titre d’exception surtout, — la faire agréer.

L’ouvrage de M. Fullom, dont jusqu’ici nous ne connaissons que le roman intitulé : the King and the Countess, repose sur une donnée très simple ; ce n’est, à vrai dire, que l’odyssée d’une jeune fille orpheline née au fond d’une mine de charbon du Durham, et dont toute la jeunesse a langui dans l’atmosphère empoisonnée d’une houillière. De là son nom de Fille de la Nuit, de là aussi son originalité. Au milieu de détails infiniment curieux en eux-mêmes sur l’existence des mineurs, et de plus servant à merveille aux incidens du drame, cette pauvre Millicent a je ne sais quelle grace qui vous charme. Il va sans dire que l’ouvrage de M. Fullom renferme aussi sa thèse, et lui-même, dans sa préface, se charge d’en prévenir ses lecteurs ; mais le récit dans lequel il enchâsse ses plus sérieuses tendances a tant d’attrait, les incidens par lesquels il cherche à appuyer ses convictions sont si émouvans, que les esprits les moins préoccupés de la solution de certaines questions sociales et politiques s’y laisseront prendre, et, dût-on moins goûter la partie plus grave de ce livre, on gardera toujours le souvenir de Millicent Kennel, de sa beauté, de ses infortunes et de son intéressante destinée.


A. DUDLEY.


V. de Mars.

  1. 3 vol. Londres, chez Henry Colburn.