BRUTUS

TRAGÉDIE EN CINQ ACTES

REPRÉSENTÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, LE 11 DÉCEMBRE 1730.

AVERTISSEMENT


POUR LA PRÉSENTE ÈDITION.
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Brutus avait été ébauché en Angleterre, et l’on dit même que le premier acte avait été d’abord écrit en anglais. C’est en Angleterre, où il venait de passer plusieurs années, que Voltaire puisa, dans le spectacle et la société d’un peuple libre en politique, le sentiment républicain qui anime cette pièce. Il se pénétra, pendant le séjour qu’il fit chez les Anglais, de cette haine du pouvoir arbitraire, et de cet amour de la liberté qui forment le caractère de Brutus et balancent dans son fils les passions fougueuses de la jeunesse.

En décembre 1729, Voltaire rassemblait à diner chez lui les comédiens et leur lisait sa pièce. Quelques jours après il écrivait à Thiériot, qui avait probablement assisté à cette lecture où La Faye était également convié : « Mon cher ami, je vous dis d’abord que j’ai retiré Brutus. On m’a assuré de tant de côtés que M. de Crébillon avait été trouver M. de Chabot (le chevalier de Rohan) et avait fait le complot de faire tomber Brutus, que je ne veux pas leur en donner le plaisir. D’ailleurs je ne crois pas la pièce digne du public. Ainsi, mon ami. si vous avez retenu des loges, envoyez chercher votre argent. »

« Nous ne croyons guère, dit M. G. Desnoiresterres, à l’accusation dont l’auteur de Rhadamiste est ici l’objet. Nature indolente, paresseuse, inhabile à l’intrigue. Crébillon n’était pas homme à enchevêtrer, en dehors de ses tragédies, des trames aussi noires. Et puis, extérieurement, les deux rivaux étaient loin d’en être à couteaux tirés. Quelques jours plus tard ils font ensemble une démarche auprès de Lamotte…. En somme, la cause déterminante du retrait de la pièce fut moins l’appréhension des menées de Crébillon et du chevalier de Rohan que le peu d’effet qu’elle avait produit sur Messieurs de la Comédie-Française. Lui-même avait senti la nécessité de la remanier…. et il convient ailleurs que les défauts de sa pièce la lui firent refuser constamment un an entier aux comédiens. Dès la fin de novembre 1730, Brutus était en pleines répétitions et prêt à être joué. Le poëte avait plus d’un souci ; il estimait l’œuvre bonne, mais il fallait faire goûter cette terrible donnée à un public de caillettes et de petits-maitres. Il n’avait plus la Lecouvreur pour l’aider de son magique talent, et c’était à un talent inexpérimenté encore qu’il avait dû confier le rôle de Tullie. MM. Clogenson et Beuchot veulent que ce soit Mlle Gaussin, qui devait débuter un peu plus tard (28 avril 1734) dans le personnage de Junie, de Britannicus. Il nous a été facile de constater l’erreur dans les registres de la Comédie-Française, qui portent le nom de Mlle Dangeville, à laquelle reviendraient alors de droit la lettre et les vers adressés à Tullie, et dont Mlle Gaussin a bénéficié jusqu’à ce jour.

« La jeune actrice, sentant toute la responsabilité qu’elle assumait en se chargeant de ce rôle, n’était rien moins que rassurée ; et il y parut. Voltaire, le lendemain matin, lui écrivit une lettre charmante où il lui donnait toutes les exhortations et tous les encouragements capables de lui rendre cette confiance en soi dont l’acteur a plus besoin que tout autre : « Ne vous découragez pas, lui marquait-il, songez que vous avez joué à merveille aux répétitions ; qu’il ne vous a manqué hier que d’être hardie. Votre timidité même vous fait honneur. Il faut prendre demain votre revanche. J’ai vu tomber Mariamne et je l’ai vue se relever. »

« Au reste, Mlle Dangeville ne démentit pas ses prévisions : « Mon valet de chambre arrive dans le moment, mandait le poëte à Thiériot dans un de ces billets rapides que son besoin d’expansion lui faisait griffonner à tout instant, qui me dit que Tullie a joué comme un ange. » Malgré l’émotion de l’actrice, Brutus obtint un grand succès à la première représentation (11 décembre). Mais ce succès ne se soutint pas ; la recette tomba à la deuxième représentation, de cinq mille soixante-cinq à deux mille cinq cent quarante livres. La pièce eut quinze représentations. La recette de la dernière (17 janvier 1731) ne s’éleva pas à plus de six cent soixante livres. Le chiffre n’était que trop éloquent ; on se le tint pour dit. »

Les accusations ordinaires de vol, de plagiat, s’élevèrent contre l’auteur. Les rivaux, les ennemis, prétendirent que Voltaire avait fait des emprunts à une tragédie de Brutus, de Mlle Bernard, à laquelle Fontenelle avait collaboré, et qui avait été représentée quarante ans auparavant (18 déc. 1690). Piron affirme même que Fontenelle se fâcha : « Cet illustre prend la chose en très mauvaise part, écrit-il au marquis d’Orgeval, l’autre s’en moque ; l’habit est recousu de beau fil blanc et raccommodé avec de belles pièces de pourpre ; la friperie triomphe, et malheur aux curieux ! »

Il est bien entendu que la tragédie de Noltaire n’était pas la première que l’histoire du premier Brutus, condanuiani à mort ses enfants, eût inspirée. La première que les annalistes nous signalent est intitulée : La Mort des enfants de Brute. Elle est de La Calprenède. Elle obtint un grand succès à l’hôtel de Bourgogne en 1647, et eut deux éditions. En voici la donnée :

« Tullie, fille de Tarquin, est aimée de Tite et de Tibère, fils de Brutus. On croit qu’elle a péri le jour où son père a perdu la couronne, mais c’est une erreur : elle a été sauvée par l’adresse de Vitelle, son beau-frère. Elle est donc dans Rome, à portée par conséquent d’appuyer la conjuration en faveur de Tarquin. Cette conjuration est découverte au troisième acte. Brutus apprend avec indignation que ses deux fils, séduits par les discours de Vitelle et plus encore par la passion qu’ils ont pour Tullie ont tenté de rétablir le tyran sur le trône. Il ne s’agit, dans les deux derniers actes, que de décider du sort des coupables. L’amour de la patrie, étouffant tout autre sentiment dans le cœur de Brutus, il refuse la grâce que le sénat veut accorder à ses fils : et Tullie, par un coup de poignard, prévient ses reproches et va rejoindre ses adorateurs.

On trouve dans cette pièce quelques vers assez beaux. Apres avoir condamné ses fils, Brutus dit :

Laisse-moi soupirer, tyrannique vertu ;
Je t’ai donné mes fils, Rome, que me veux-tu ?
J’ai donné tout mon sang à tes moindres alarmes ;
Souffre qu’à tout mon sang je donne quelques larmes.

JUNIE.
Qu’as-tu fait de ton sang, Brutus ?

BRUTUS.
Je l’ai versé.
Femme, viens achever ce que j’ai commencé.

JUNIE,
Rends-moi mes fils, cruel.

BRUTUS.
Ils ont perdu la vie

Fuis de moi, femme, fuis ; et, cachant tes douleurs,
Souviens-toi qu’un Romain punit jusques aux pleurs.

Souffre que mes neveux adorent ma mémoire ;
Et qu’ils disent de moi, voyant ce que je fis :
Il fut père de Rome, et plus que de ses fils.

Mlle Catherine Bernard, parente des Corneille et de Fontenelle, donna, en 1690, un Brutus avec l’aide de Fontenelle. Il réussit également et n’eut pas moins de vingt-cinq représentations, ce qui était considérable en ce temps-là. « Cet ouvrage, dit Laharpe, n’a pas été inutile à Voltaire : il en a pu emprunter son personnage d’ambassadeur, et il a évidemment imité quelques endroits. »

On y trouve une double intrigue d’amour. Les deux fils de Brutus sont amoureux d’une Aquilie, fille d’Aquilius, chef de la conspiration en faveur des rois bannis : et une Valérie, sœur du consul Valérius, est amoureuse de Titus qui ne l’aime point. On se doute bien qu’au milieu de tous ces amours traités dans la manière des romans, le génie de Rome et le ton du sujet ont entièrement disparu. L’idée qu’a eue Voltaire de rendre Titus amoureux d’une fille de Tarquin est bien supérieure. Il n’y a pas moins de distance entre l’audience solennelle donnée dans le sénat romain à l’envoyé de Porsenna, et la scène où les deux consuls reçoivent Octavius, qui joue dans la pièce de Mlle Bernard le même rôle qu’Arons dans celle de Voltaire. Mais ces deux personnages commencent leur discours à peu près de même pour le fond des idées :

OCTAVIUS.

……… Consuls, quelle est ma joie
De parler devant vous pour le roi qui m’envoie,

Et non devant un peuple aveugle, audacieux,
D’un crime tout récent encore furieux,
Qui, ne prévoyant rien, sans crainte s’abandonne
Au frivole plaisir qu’un changement lui donne.

Arons dit de même :

Consuls, et vous, sénat, qu’il m’est doux d’être admis
Dans ce conseil sacré de sages ennemis !
De voir tous ces héros dont l’équité sévère
N’ont jusques aujourd’hui qu’un reproche à se faire ;
Témoin de leurs exploits, d’admirer leurs vertus ;
D’écouter Rome enfin par la voix de Brutus !
Loiu des cris de ce peuple indocile et barbare,
Que la fureur conduit, réunit et sépare,
Aveugle dans sa haine, aveugle en son amour,
Qui menace et qui craint, règne et sert en un jour…

On ne peut nier que l’un de ces deux morceaux n’ait pu fournir l’idée de l’autre : mais l’obligation est assez légère et l’intervalle est immense. On peut observer le même rapport et la même distance entre ces quatre vers de Brutus à son fils, qu’il va condamner :

Reçois donc mes adieux pour prix de ta constance ;
Porte sur l’échafaud cette mâle assurance.
Ton père infortuné tremble à te condamner ;
Va, ne l’imite pas, et meurs sans t’étonner.

et ceux que Voltaire lui prête dans la même circonstance :

Lève-toi, triste objet d’horreur et de tendresse, etc.

Acte V, scène VII (in fine).

Il faut mentionner encore un Brutus latin du P. Porée, joué au collège de Louis-le-Grand. Le dialogue, quoique semé d’antithèses, ne manque ni de vivacité ni de noblesse, mais le plan est d’un homme qui n’a aucune connaissance du théatre. Cette pièce ressemble à toutes celles du même auteur qui ne sont que des espèces de pastiches, des copies maladroites de nos plus belles tragédies françaises. Les trois derniers actes de son Brutus sont calques sur l’Héraclius de Corneille. Les deux fils de Brutus se disputent, comme les deux princes, à qui mourra, et chacun d’eux n’accuse que lui-même et veut justifier et sauver l’autre. Cependant cette pièce du P. Porée a fourni à son élève deux beaux mouvements. Titus, condamné, dit à son père : « Je vais mourir, mon père ; vous l’avez ordonné. Je vais mourir. et je donne volontiers ma vie en expiation de ma faute ; mais ce qui m’accable d’une juste douleur, je meurs coupable envers mon père. Ah ! du moins, que je ne meure pas haï de vous, que je n’emporte pas au tombeau ce regret affreux : accordez à un fils qui vous aime les embrassements paternels : que j’obtienne de vous cette dernière grâce, ouvrez les bras à votre fils, etc. »

Voltaire a imité ce morceau :

Terminez mes forfaits, mon désespoir, ma vie, etc.

Acte V, scène VII.

mais combien l’élève surpasse le maitre ! Cela n’empêche pas qu’il ne lui ait obligation. Il lui doit aussi ce dernier vers qui termine si bien la tragédie de Brutus :

Rome est libre, il suffit… Rendons gràces aux dieux !

Mais il enchérit toujours sur le modèle. Le Brutus latin dit seulement, lorsqu’on lui annonce la mort de son fils : « Je suis content. Rome est vengée. » La beauté consiste dans ce premier sentiment donne tout entier à la patrie, et c’est là ce que Voltaire a emprunté ; car d’ailleurs « Rome est libre » a bien une autre étendue et une autre force d’idée que « Rome est vengée », et « Rendons gràces aux dieux ! » est sublime.

Enfin, il parait que Crébillon avait fait aussi dans sa jeunesse une tragédie de la Mort des enfants de Brutus, et c’est la ce qui explique peut-être les projets de cabale que nous avons vu Voltaire prêter à ce poëte. Nous lisons du moins dans les Annales dramatiques : « Le jeune Crébillon, sur les conseils du procureur Prieur chez qui il était clerc, tenta de faire une tragédie : il choisit pour son coup d’essai le sujet de la Mort des enfants de Brutus. Les comédiens à qui il alla la présenter la refusèrent ; et pour ne rien dissimuler, non-seulement elle n’était pas bonne, mais encore quoiqu’on y découvrit assez de talent pour la versification, elle n’annonçait pas que son auteur pût devenir un jour un très-grand poëte. Cette pièce existait encore il y a trente ans (ceci est écrit en 1775) ; on l’avait retrouvée tout entière dans des papiers qu’il avait mis au rebut ; et comme on prévoyait ce qu’il voudrait en faire, si on lui eut annoncé la découverte, on se garda bien de l’en instruire ; mais le hasard la lui ayant fait rencontrer sous sa main, il la brûla. » Il est donc bien peu probable qu’il ait pu éprouver du mecontentement à voir Voltaire traiter le même sujet.

On s’est étonné que Brutus, à l’origine. ne produisit aucune sensation politique. C’est qu’il était, à l’époque où il parut, entièrement dépourvu d’actualité. Le culte monarchique n’était nullement entamé, et ce n’était que par un effort d’intelligence historique que l’on pouvait comprendre et admirer les vertus républicaines de l’ancienne Rome. Brutus, au contraire, devint une pièce de circonstance quand la lutte entre les idées républicaines et les idées monarchiques commença.

« Depuis longtemps. une partie du public, racontent Étienne et Martainville[1], sollicitait vivement la reprise de Brutus, tragédie de Voltaire, et les comédiens se rendirent enfin à ses vœux le 17 novembre 1790. La crainte que cette représentation ne fût très-orageuse détermina les officiers municipaux de Paris à prendre des mesures de sûreté, et on lut l’annonce suivante sur les affiches pour la première fois :

« Conformément aux ordres de la municipalité, le public est prévenu que « l’on entrera sans cannes, batons, épées, et sans aucune espèce d’armes « offensives. »

« La représentation fut extrêmement tumultueuse : le public ayant aperçu MM. de Mirabeau et de Menou, députés célèbres de l’Assemblée constituante, les couvrit d’applaudissements ; et le premier étant place aux troisièmes loges, une députation du parterre alla l’inviter à descendre aux galeries pour que chacun put le contempler à son aise.

« La toile fut à peine levée que l’on applaudit les maximes révolutionnaires avec transport. Quelques sifflets s’étant fait entendre, le parterre s’écria avec force : A bas les aristocrates ! à la porte ! à la porte ! Le moment le plus remarquable de cette représentation fut celui où l’on prononça cet hemistiche : « Vivre libre et sans roi. » Un grand silence ne fut interrompu que par quelques applaudissements honteux ; mais tout à coup les loges se leverent spontanément en s’écriant : Vive le roi ! et ce cri retentit à l’instant dans toutes les parties de la salle : les chapeaux, les mouchoirs furent agités : en un mot, l’enthousiasme public se manifesta de la manière la plus touchante.

« Après la pièce, le parterre avant demandé à voir le buste de Voltaire. tous les acteurs s’empressèrent d’aller le chercher dans le grand foyer, et l’apportèrent sur le theatre au milieu des applaudissements et des cris de Vive Voltaire ! Comme il était impossible que ce buste tint solidement sur un théâtre qui va en pente. et que le public voulait constamment l’avoir sous les yeux, deux grenadiers le soutinrent pendant tout le temps que dura la Feinte par amour, qu’on joua après Brutus. »

La deuxième représentation attira encore un concours nombreux de spectateurs. On avait placé sur chaque côté du theatre les deux bustes de Brutus et de Voltaire. Au lever de la toile un papier ayant été jeté des loges, M. Vanhove le ramassa et lut au public les deux vers suivants :

Ô buste révéré de Brutus, d’un grand homme !
Transporté dans Paris, tu n’as pas quitté Rome !

La représentation fut un peu moins bruyante que la première à la fin du cinquième acte, les acteurs mirent en action le superbe tableau de David représentant le corps de Titus porté sur un brancard par des licteurs et l’attitude sombre de Brutus immobile dans sa douleur. Cette innovation produisit un très-grand effet, et le public en témoigna sa satisfaction par de vifs applaudissements.

Le 21 mai 1791, une reprise très-remarquable de Brutus eut lieu au theatre de la rue Richelieu, où Monvel et Talma réunirent tous les suffrages dans les rôles de Brutus et de Titus.

Il est constant que Brutus fut une des pièces qui eurent le plus de succès pendant la Révolution. On lit toutefois dans le Lycée de Laharpe cette note singulière : « N’oublions pas, en finissant cet article de Brutus, de rappeler que cette tragédie a été depuis écartée du theatre comme étant contre-révolutionnaire. »

Serait-il venu un moment où Brutus lui-même aurait été dépassé ? Laharpe était à même de le savoir. Nous n’avons pas toutefois rencontré ailleurs la preuve de cette assertion. Nous voyons seulement que par l’arrêté du 22 ventose an II (février 1794) la représentation de Brutus n’est plus autorisée qu’avec des changements que nous ne connaissons pas, sauf deux vers que M. Villemain avait pu recueillir de la tradition, à moins qu’il ne les ait inventés (voy. page 371. note 1). AVERÏISSEMENT’

Cotte tragédie fut jouée pour la première fois en 1730. C’est de toutes les pièces de l’auteur celle qui eut en France le moins de succès aux repré- sentations : elle ne fut jouée que seize fois (quinze] ; et c’est celle qui a été traduite en plus de langues, et que les nations étrangères aiment le mieux. VMc est ici fort difTérenle des premières éditions.

1. Cet Avertissement est dans l’édition des Œuvres de Voltaire, 1738-39, en quatre volumes in-8", et peut-être do Lamare, qui doima cette édition eu Hollande. Brittiis, reçu en 1729, fut retiré par l’auteur la même année, avant d’avoir été rei)résentc, et ne fut joué pour la première fois que le il décemljre 1730, puis imprimé sous ce titre : Le Bnitus de M. de Voltaire, avec un Discours sur la tra- ijedie, 1731, in-8" ; 1736, ia-8° (au titre près, c’est peut-être la même édition). \oici les écrits auxquels il donna naissance :

I. Le Bolus, parodie du Brutus, par Dominique et Romagnési, représentée sur lo théâtre italien, le ’2i janvier 1731, imprimée la même année, in-8".

II. Le Sénat académique : cette parodie des deux premières scènes de Brutus est imprimée dans le Glaneur des 2 et 5 avril 1731. Les interlocuteurs sont Bou- dard de Lamotto, FontencUe et Tliiériot.

JII. Lettre à l’auteur da Mercure (dans le Mercure de mars 1731). Cette lettre t^st de rabl)é Pellegrin.

IV. Réflexions sur la tragé lie d : Brutus (dans le Nouvelliste du Parnasse, iv lettre).

V. Réflexions à Foccasion du Brutus de M. de Voltaire, et de son Discours sur la tragédie (dans le Mercure d’avril 1731). L’auteur est Jean SouLeiran de Scopon, avocat de Toulouse, né en 1099, mort en 1751.

\\. Jugement en dernier ressort rendu par Momus, conseiller d’État d’Apollon, lieutenant-général de police du Parnasse. Cette prétendue facétie a été réimprimée en grande partie dans le tome III de l’Histoire littéraire de Voltaire, par Luchet. (B.) DISCOURS

SUR LA TRAGÉDIE

A MYLORD BOLINGBROKE

Si je dédie à un anglais un ouvrage representé à Paris, ce n’est pas. mylord. qu’il n’y ait aussi dans ma patrie des juges très-éclairés, et d’excellents esprits auxquels j’eusse pu rendre cet hommage : mais vous savez que la tragédie de Brutus est née en Angleterre. Vous vous souvenez que, lorsque j’étais retiré à Wandsworth, chez mon ami M. Falkener, ce digne et vertueux citoyen, je m’occupai chez lui à écrire en prose anglaise le premier acte de cette pièce, à peu près tel (|n"il est aujourd’hui en vers français. Je vous en parlais ([uel([uel()is, et nous nous étonnions ([u’aucun Anglais n’eût traité ce sujet, qui, de tous, est peut-être le plus convenahle à votre théâtre*, ^ous m’encouragiez à conti- nuer un ouvrage susceptihle de si grands sentiments. Souffrez donc que je vous présente Brutus, (pioi(iue écrit dans une autre langue, docte sermonis utriusque linguæ’-, à vous qui me donneriez des leçons de français aussi hien que d’anglais, à vous qui m’ap- prendriez du moins à rendre à ma langue cette force et cette énergie qu’inspire la nohle liherté de penser : car les sentiments vigoureux de l’âme passent toujours dans le langage, et qui pense fortement parle de mèuîe.

Je vous avoue, mylord, qu’à mon retour d’Angleterre, où j’avais passé près de deux années dans une étude continuelle de votre langue, je me trouvai embarrassé lorsque je voulus composer une tragédie française. Je m’étais presque accoutumé à penser en anglais : je sentais que les termes de ma langue ne venaient plus se présenter à mon imagination avec la même abondance qu’auparavant : c’était comme un ruisseau dont la source avait été

1. Il y a un Brutus d’un auteur nomme Lee ; mais c’est un ouvrage ignoré, qu’on ne représente jamais à Londres. (1748.)

i. Horace, livre III, ode vin, 3. (B.) (l(’l()iii-ii((’ ; il me fallut du tciupscl de la ijoiuopour le faire couler (laus son ])i’eiiiier lit. Je coiMijris bien alors que, pour n’-ussir dans un art, il le faut cultiver toute sa vie.

De la rime, et de la difficulté de la versificationn française.

Ce qui m’effraya le plus en nMitrant dans cette cai’rirre, ce fut la sévérité de notre poésie, et Fesclavaj^e de la rime. Je regrettais cette heureuse liherti’ que vous avez d’écrire vos tragédies en vers non rimes ; d’allonger, et surtout d’accourcir presque tous vos mots ; de faire enjamber les vers les uns sur les autres, et de créer, dans le besoin, des termes nouveaux, qui sont toujours adoptés chez vous lorsqu’ils sont sonores, intelligibles, et nécessaires. Lnpoëte, disais-je, est un homme libre qui asservit sa langue à son génie ; le Français est un esclave de la rime, obligé de faire quehjuefois quatre vers pour exprimer une pens(’e qu’un Anglais peut rendre en une seule ligne. L’Anglais dit tout ce qu’il veut, le Français we dit que ce qu’il peut ; l’un court dans une carrière vaste, et l’autre marche avec des entraves dans un chemin glissant et étroit.

Malgré toutes ces réflexions et toutes ces plaintes, nous ne pourrons jamais secouer le joug de la rime ; elle est essentielle à la poésie française. Notre langue ne coiu|)orte que peu d’inversions ; nos vers ne souffrent point d’enjambement, du moins cette liberté est très-rare ; nos syllabes ne i)euvent produire une harmonie sensible par leurs mesures longues ou brèves : nos césures et un certain nombre de pieds ne suffiraient pas pour distinguer la prose d’avec la versification : la rime est donc nécessaire aux vers français. De plus, tant de grands maîtres qui ont fait des vers rimes, tels que les Corneille, les Racine, les Despréaux, ont tellement accoutumé nos oreilles à cette harmonie que nous n’en pourrions pas supporter d’autres ; et, je le répète encore, quiconque voudrait se (h’iivrer d’un fardeau (pi’a porté le grand Corneille serait regardé avec raison, non pas comme un génie hardi qui s’ouvre une route nouvelle, mais comme un homme très-faible qui ne peut marcliei’ dans rancieiiiie cari-ièi-e.

Tragédies en prose.

On a tenté de nous donner des tragédies en prose ; mais je ne crois pas que cette entreprise puisse désormais réussir : qui a le

1. Houdard de Lamotte. SIH I.A ’riiA(ii : i)IE. 313

plus IIP sniirait se rniitciiter du moins. On sora toujours mal venu à (lii’c an public : Je a ions diniinuor votre plaisir. Si, au milieu (les tal)loan\ ûo lUibons on de Paul ^ rronôso, (luchju’iin venait placer ses dessins au crayon, n"anrait-il pas tort de sï’galer à ces peintres ? On est accoutume dans les fêtes à des danses et à des (•hauts : serait-ce assez de marcher et de parler, sons prétexte (pTou marchei’ait et (fn"on parlerait bien, et ([ue cela serait plus ais(’ et plus naturel ?

Il y a j ; rande apparence qu’il faudra toujours des vers sur tous les théâtres tragi(|ues, et, de plus, toujours des rimes sur le nôtre. C’est même à cette contrainte de la rime et à cette sévérité extrême de notre versification que nous devons ces excellents ouvrages que nous avons dans notre langue. Nous voulons que la rime ne coûte jaiuais rien aux pensées, qu’elle ne soit ni triviale ni trop recherchée ; nous exigeons rigoureusement dans un vers la même pureté, la même exactitude que dans la prose. Nous ne permettons pas la moindre licence : nous demandons qu’un auteur l^orte sans discontinuer toutes ces chaînes, et cependant qu’il paraisse toujours lihre ; et nous ne reconnaissons pour poêles que ceux qui ont rempli toutes ces conditions.

Exemple de la dif/icultc des vers français.

Voilà pounpioi il est plus aisé de faire cent vers en toute autre langue ([ue ({uatre vers en français. L’exemple de notre abbé Régnier Desmarais, de l’Académie française et de celle de la Crusca, en est une preuve hien évidente : il traduisit Anacréon en italien avec succès, et ses vers français sont, à l’exception de deux ou trois quatrains, au rang des plus médiocres. Notre Ménage était dans le même cas. Combien de nos beaux esprits ont fait de très- beaux vers latins, et n’ont pu être supportables en leur langue !

La rime plait aux Français, même dans les comédies.

Je sais combien de disputes j’ai essuyées sur notre versifica- tion en Angleterre, et quels reproches me fait souvent le savant évêque de Rochester^ sur cette contrainte puérile, qu’il prétend

1. Atterbury (François), né en 166-2, évêque de Rochester en 1713, banni d’An- gleterre en 1723, mourut à Paris le 15 février 1732. Cliaufepié |J.-G. ; , qui a publié à Amsterdam Attefbury’s epistolary Correspondence, avait parlé assez longuement 31i DISCOURS

(|iie nous nous imposons do t^aiotô do cœur. Mais soyez persiiadô, iiiylord, ([110 plus un (Hrangcr connaîtra notre langue, et plus il se ivconcilicra avec cette riino ([iii rollVaic (fahord. Xon-seuleinent elle est. nécessaire à notre tragédie, mais elle embellit nos comé- dies mômes. Un l)on mot en vers en est retenu plus aisément : les |)ortraits de la vie liumaiiie seront toujours plus frappants on vers <[u’en prose ; et ({ui dit vers, eu français, dit nécessairement des vers rimes : en un mot, nous avons des comédies en prose du <*élol)re AFolièro, ([ue Ton a (Hé obligé de mettre en vers après sa mort’, et (jui no sont plus jou(es ([ue do cotte maiii^’i'O nouvelle.

CnractiTe (Ut tlirâlrc iiiu/lais.

Ne pouvant, mylord, liasarder sur le théâtre fran( ; ais des \ers non riinés, tels cju’ils sont en usage en Italie et en Angleterre, j’aurais du moins voulu transporter sur notre scène certaines beautés de la vôtre. Il est vrai, et je l’avoue, que le théâtre anglais est bien défectueux. J"ai entendu de votre bouche que vous n’aviez pas une bonne tragédie : mais en récompense, dans ces pièces si monstrueuses, \(tus a\oz dos scc’uos admirables. \l a uuukiih’ jusqu’à présent à ])ros(|uo tous les autours tragiques de votre nation cotte pui’ot(, cette conduite r(’guli(’ro, ces bienséances de l’action et du stylo, cette élégance, et toutes ces tinessos de l’art qui ont établi la réputation du théâtre franç-ais depuis le grand (lor- neille ; mais vos pièces les plus irréguli(’ros ont un grand m(’rite, <(^st celui do l’action.

Défaut (hi thrâlff frannih.

Nous avons en France des tragédies estimées, qui sont plut(jt des conversations qu’olk^s ne sont la représentation d’un événe- ment. Un auteur italien m’écrivait dans une lettre sur les tlu’à- tres : « Un critico dol iu)stro P/isioi- Fido disse che qiud componi- mento era un riassiinlo di bollissimi madrigali : credo, scaIacsso, che direbi)e délie tragédie tVancosi cbo sono un riassunto di belh ; olegie e souluosi epilalami-. ».l’ai bien pour ([ue cet Italien

(le cos lettres, et en avait iiiriii ; ’ tradiiil <l(’s passades dans une note, jtage 3.")i’ de la lettre A de son Nouveau Dictionnaire liistoriqne.

1. Il n’y a que le Festin de Pierre, mis en vers par T. (^(HMKMlle, (lui soit joué. Mais les autres tentatives de mettre en vers la jjroso de Molière n’ont point en di’ succès. (lî.)

’2. H Un critique de notre Vastor fulo dit que cette composition est une réunion SI H I.A THA(JÏ : i)lJi. : ji : i

n’ait Irop raison. Noire dcliratcssc cxcesslNe iiuub lurce (jii(’l(]ii(’- Ibis à iiicltic en iccil <•(■ (|ii(’ nous voudrions exposer aux yeux. Aoiis crait^noiis de liasaidcr sur la scène des spectacles noincaux de\ant une nation accoutumée à tourner en ridicule tout ce (|ui n’est pas d’usage.

L’endroit où l’on joue la comédie, et les ahus (jui s’y sont glis- sés, sont encore une cause de cette séciieresse ([u’on |)eut repro- cher à quelques-unes de nos pièces. Les bancs qui sont sur le théâtre, destinés aux spectateurs, rétrécissent la scène, et rendent toute action presque impraticable’. Ce défaut est cause que les décorations, tant recommandées par les anciens, sont rarement convenables à la pièce. Il empêche surtout que les acteurs ne passent d’un appartement dans un autre aux yeux des spectateurs, comme les Grecs et los lîomains le prati([uaient sagement, pour conserver à la fois l’unité de lieu et la vi’aisemblance.

Exemple (ht Catox {iiu/hil^y.

Comment oserions-nous, sur nos théâtres, faire paraître, par exemple, l’ombre de Pompée, ou le génie de Brutus, au milieu de tant de jeunes gens (jui ne regardent jamais les choses les plus sérieuses que comme l’occasion de dire un bon mot ? Comment apporter au milieu d’eux sur la scène le corps de Marcus devant Caton son père, ([ui s’écrie : « Heureux jeune homme, tu es mort pour ton pays ! 0 mes amis, laissez-moi compter ces glorieuses blessures ! Qui ne voudrait mourir ainsi pour la patrie ? Pourquoi n’a-t-on qu’une vie à lui sacrifier ?… Mes amis, ne pleurez point ma perte, ne regrettez point mon fils : pleurez Rome : la maîtresse du monde n’est plus. liberté ! ô ma patrie ! ù vertu ! etc. » Voilà ce que feu [M. Addison ne craignit point de faire représenter à Londres : vdjilà ce qui fut joué, traduit en italien, dans plus d’une \ille d’Italie’. Mais si nous hasardions à Paris un tel spectacle, n’entendez-vous pas déjà le parterre qui se récrie, et ne voyez- \ (MIS pas nos femmes qui détournent la tête ?

d’admirables madrigaux ; je crois qu’on peut dire de la tragédie française qu’elle est aussi une réunion de belles élégies et de pompeux épitlialames. »

1. Enfin ces plaintes réitérées de Voltaire ont opéré la réforme du théâtre en France, et ces abus ne subsistent plus. — Cette note est de 17G4. Voltaire s’était aussi plaint de l’état de la scène, dans sa Dissertation en tète de Sémiramis. Ce ne fut qu’en 1760 que le théâtre fut enfin débarrassé des bancs qui l’obstruaient : vojez la dédicace à M. de Lauraguais, en tète de VÉcossaise. (B.) fonip/nriison du Manlhs de M. de La Fo^se avec la Venise sauvée (/(’.1/. Olway.

^ons iriina.^inorioz pas à ([tiol point va rotto délicatosso. L"autenr (lo notre tragédie de Maidias prit son sujet de la pièce anglaise de M. Otway, intitulée Venise saavée. Le sujet est tiré de l’iiistoirc de la conjuration du luanjuis de Cedniar, écrite par ral)l)é de Saint-lîéal ; et permettez-moi de dire en passant que ce morcean d’histoire, égal peut-être à Sallnste, est fort au-dessus de la pièce (rotway et de notre Ma)dius. Premièrement, vous remarquez le |)réjiig( qui a forcé Fauteur français à déguiser sous des noms romains une aventure connue, que l’anglais a traitée naturellement sous les noms véritables. On n’a point trouvé ridicule an théâtre de Londres qu’un ambassadeur espagnol s’appelât IJedmar, et que des conjurés eussent le nom de JalTier, de Jacques-Pierre, d’Elliot ; cela seul en France eût pu faire tomber la pièce.

Mais voyez qu’Otway ne craint point d’assembler tous les conjurés. Renaud prend leur serment, assigne à chacun son poste, prescrit l’heure du carnage, et jette de temps en temps des regards inquiets et soupçonneux sur Jaffier, dont il se défie. Il leur fait à tous ce discours pathétique, traduit mot pour mol de l’abbé de Saint-Réal : « Jamais repos si profond ne précéda un trouble si grand. Notre bonne destinée a aveuglé les plus clairvoyants de tous les hommes, rassuré les plus timides, endormi les plus soupçonneux, confondu les plus subtils : nous vivons encore, mes chers amis ; nous ^ ivons, et notre vie sera bientôt funeste aux tyrans de ces lieux, etc. »

Qu’a fait l’auteur français ? 11 a craint de hasarder tant de personnages sur la scène ; il se contente de faire réciter par Renaud, sous le nom de Rutile, une faible partie de ce même discours, qu’il vient, dit-il, de tenir aux conjurés. Ne senlez- vous pas, pai" ce seul exj)os(, coml)ieii cette scène anglaise est au-dessus de la française, la pièce d’Otwa} fût-elle d’ailleurs monstrueuse ?

Examen du Jules-César, de Shakespeare.

Avec quel plaisir n’ai-je point vu à Londres votre tragédie de Jules-César, qui, depuis cent cinquante années, fait les délices de votre nation ! Je ne prétends pas assurément approuver les irrégularités barbares dotd elle est reniolie : il csl seidemcnt « ’tonSUR i.A THA( ; i’- : i)ii- : . 317

naiil (|iril ne s’en Iroinc pas daNatila^c dans un oini’n^c com- pos(’ dans tm sirc.lc di^noi’ancc, par un lionmic (|iii iiumiic no savait pas lo latin, et ([ni n’ent de inaîlrc que son f^rnic. Mais, au milieu de tant do fautes grossières, avec <]uel ravissenu’nt je voyais lînitns, tenant encore un poignard teiid du sang de C<sar, asseiuhier le peuple romain, et lui parler ainsi du liaut de la, trihune au\ liarangiies :

(( lîomains, compatriotes, amis, s’il est (jnelipTun de \ous (|ui ait été attaché à César, qu’il sache (jne Brutus ne l’était |)as moins : oui, je l’aimais, Romains ; et si ^ous me deuuiudez pour- quoi j’ai versé son sang, c’est que j’aimais Rome davantage. Voudriez-vous voir C-ésar vivant, et mourir ses esclaves, plutôt que d’acheter votre liberté ])ar sa mort ? César était mon ami, je le pleure ; il était heureux, j’applaudis à ses triomphes ; il était vaillant, je l’honore : mais il était ambitieux, je l’ai tué. Y a-t-il quelqu’un parmi vous assez lâche pour regretter la servitude ? S’il en est un seul, ([u’il parle, qu’il se montre ; c’est lui que j’ai offensé ; y a-t-il quelqu’un assez infâme pour oublier qu’il est Romain ? ([u’il parle ; c’est lui seul qui est mon ennemi.

CHOEUR DES nOMAIXS.

Personne, non, Brutus, personne.

BRUTUS.

Ainsi donc je n’ai offensé personne. Voici le corps du dicta- ’# teur qu’on ^ous apporte ; les derniers devoirs lui seront rendus par Antoine, par cet Antoine qui, n’ayant point eu de part au chàfiinent de César, en retirera le même a\antage que moi : et (|ue chacun de vous sente le J)onlieur inestimable d’être libre 1 Je n’ai plus qu’un mot à vous dire : j’ai tué de cette main mon meilleur ami pour le salut de Rome : je garde ce même poignard pour moi, (juand Rome demandera ma vie.

LE CHOELR.

Vivez, Brutus, vivez à jamais ! »

Après cette scène, Antoine ^ient émouvoir de pitié ces mêmes Romains à qui Brutus avait inspiré sa rigueur et sa barbarie. Antoine, par un discours artificieux, ramène insensiblement ces esprits superbes ; et quand il les voit radoucis, alors il leur montre le corps de César ; et, se servant des figures les plus pathé- tiques, il les excite au tumulte et à la vengeance. Peut-être les \ Français ne souffriraient pas que l’on fit paraître sur leurs théâtres un chœur composé d’artisans et de plébéiens romains ; que le 318 DISCOURS

corps sanglant de César y fût exposé aux yeux du jK’uple, et ({u’on excitât ce peuple à la vengeance, du haut de la tribune aux harangues : c’est à la coutume, qui est la reine de ce monde, à changer le goût des nations, et à tourner en plaisir les objets l de notre aversion.

SpccUuics horrihics chez les Grecs.

Les Grecs ont hasardé des spectacles non moins révoltants pour nous. Hippolyte, brisé par sa cliute, vient compter ses bles- sures et pousser des cris douloureux. IMiiloctète tondje dans ses accès de souflfrance ; un sang noir coule de sa plaie. OEdipe, cou- vert du sang qui dégoutte encore des restes de ses yeux qu’il vieid d’arracher, se plaint des dieux et des hommes. On entend les cris de Clytemnestre que son propre hls égorge ; et Electre crie sur le théâtre : « Fi’appez, ne l’épargnez pas, elle n’a pas épargné notre père. » Prométhée est attaché sur un rocher avec des clous qu’on hii enfonce dans l’estomac et dans les bras. Les furies répondent à rond)re sanglante de Clytemnestre par des hurlements sans aucune articulation. Beaucoup de tragédies grecques, en un mot, sont remplies de cette terreur portée à l’excès.

Je sais bien que les tragiques grecs, d’ailleurs supérieurs aux anglais, ont erré en prenant souvent l’horreur pour la terreur. V et le dégoûtant et l’incroyable pour le tragique et le merveilleux. L’art était dans son enfance du temps d’Eschyle, connue à Londres du tenq)s de Shakespeare ; mais, parmi les grandes fautes des poètes grecs, et même des vôtres, on trouve un vrai pathétique et de singulières beautés ; et, si quelques Français qui ne conuaissenf les tragédies et les mœurs étrangères (|ue par des traductions et sur des oui-dire les condamnent sans aucune restriction, ils sont. ce me send)le, comme des aveugles (pii assureraient ([u’une rose ne peut ; i\oir de couleurs vives |)arce qu’ils en compterai(Mil les épines à tâtons. Mais si les Grecs et vous, vous passez les bornes de la bienséance, et si les Anglais surtout ont donné des spectacles ellroNables, voulant en donner de terribles, nous autres Fran- çais, aussi scrupuleux que vous a\(’z été téméraires, nous nous arrêtons trop, de peur de nous enq)orter : et ([uel([uefois nous n’arrivons |)as au tragi(iue. dans la crainte d’en passer les bornes.

Je suis bien loin de proposer (pu’ la scène devienne un lieu de carnage, comme elle l’est dans Sliakes|)eare et dans ses succes- seurs, ([ni, n’ayant pas son génie, n’ont inuté (]ue ses défauts ; mais j’ose croire (pi’il \ a des situations ([ui neparaissent encore

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sri5 LA TUA(ii : i)ii : . •■i>

que (l.-oùtaiil.’s et horrihlrs ; iii\ rnui. ; iis. et (|iii, l)ioM m."ii ; i- <rées rcprcsciiUrs ave- ail. et siirtoiil adourics par le cliarnio dcsbcaiix vers, poiinai.’iil nous faire une sorte de plaisir dont nous ne nous doiilmis i)as.

Il n’est point de serpent, ni de monstre odieu\. Oui. pnr l’iirt iiiiit(\ ne puisse plaire aux yeux.

BoiLKAUj Alt pocl., III, i--i-

Binishinces et intitra.

Dm Hioius ([iio l’on me dise pourquoi il est permis à nos héros et à nos héroïnes de théâtre de se tuer, et quil leur est défenthi de tn.T personne. La scène est-elle moins ensanglantée par la mort.l\tali(h’. qui se poignarde pour son amant, quelle ne le serait par le meurtre de César, et si le spectacle du fils de Caton, (pii parait mort aux veux de son père, est l’occasion d’un discours admirahle de ce vieux Romain ; si ce morceau a été applaudi en Ano-leterre et en Italie par ceux qui sont les plus grands partisans de îa hienséance française ; si les femmes les plus délicates n’en ont point été choquées, pourquoi les Français ne s’y accoutumeraient- ils pas ? La nature n’est-elle pas la même dans tous les hommes.^ Toutes ces lois, de ne point ensanglanter la scène, de ne point faire parler plus de trois interlocuteurs, etc., sont des lois qui, ce me semhle, pourraient avoii’ quehpies exceptions parmi nous, comme elles en ont eu chez les Grecs. Il n’en est pas des règles • de la hienséance. toujours un peu arhitraires, comme des règles fondamentales du théâtre, qui sont les trois unités : il y aurait de le faihlesse et de la stérilité à étendre une action au delà de 1 es- pace de temps et du lieu convenahle. Demandez à quiconque aura inséré dans une pièce trop d’événements la raison de cette faute • s’il est de bonne foi, il vous dira qu’il n’a pas eu assez de génie pour remplir sa pièce d’un seul lait ; et s’il prend deux jours et deux villes pour son action, croyez que c’est parce qu’il n’au- rait pas eu l’adresse de la resserrer dans l’espace de trois heures et dans l’enceinte d’un palais, comme l’exige la vraisemhlance. Il en est tout autrement de celui qui hasarderait un spectacle hor- rible sur le théâtre : il ne choquerait point la vraisemblance : et rt-tte hardiesse, loin de supposer de la faihlesse dans l’auteur, demanderait au contraire un grand génie pour mettre, par ses >(’rs, de la véritable grandeur dans une action qui, sans un style sublime, ne serait qu’atroce et dégoûtante.

Cinquième acte de Rodogune.

Voilà ce, qu’a osé tenter une fois notre grand Corneille, dans sa Rodogune. Il fait paraître une mère qui, en présence de là cour et d’un ambassadeur, veut empoisonner son fils et sa belle-fille, après avoir tué son autre fils de sa propre main. Elle leur présente la coupe empoisonnée ; et, sur leurs refus et leurs soupçons, elle la boit elle-même, et meurt du poison qu’elle leur destinait. Des coups aussi terribles ne doivent pas être prodigués, et il n’appartient pas à tout le monde d’oser les frapper. Ces nouveautés demandent une grande circonspection, et une exécution de maître. Les Anglais eux-mêmes avouent que Shakespeare, par exemple, a été le seul parmi eux qui ait su évoquer et faire parler des ombres avec succès :

Within that circle none durst move but he.

Pompe et dignité du spectacle dans la tragédie.

Plus une action théâtrale est majestueuse ou effrayante, plus elle deviendrait insipide si elle était souvent répétée ; à peu près comme les détails des batailles, qui, (’tant par eux-mêmes ce qu’il y a de plus terrible, deviennent froids et ennuyeux à force de reparaître souvent dans les histoires. La seule pièce où M. Racine ait mis du spectacle, c’est son chef-d’œuvre dWlIudic. On y ^oil un enfant sur un trône, sa noui’rice et des i)rêtres (pii ren^ironneiit, une reine qui commande à ses soldats de le massacrer, des lévites armés qui accourent ])0ur le (h’I’endre. Toute cette action (>st patliétique : mais, si le stjle ne l’était pas aussi, elle ne serait ([ue pui-i’ilc.

Plus on veut frapper les yeux par un appareil éclatant, plus on s’impose la nécessité de dire de grandes choses ; autrement on ne serait qu’un décorateur, et non un poète tragi([ue. H y a près de trente années qu’on représenta la tragédie de Moniczimic, à Paris ; la scène ouvrait par un spectacle nouveau, c’était un i)alais d’un goiît nuigniti(|ue et barbare : Montezume ])araissait avec un habit singulier ; des esclaves armés de flèches étaient dans le fond : autour de lui étaient huit grands de sa cour, prosternés le visage contre terre : Monlezume commençait la pièce en leur disant :

Levez-vous ; votre roi sous [uM’inct aujouid’luii ^
El (le i"eiivis ; ii,’(’r, et de [uirlci’ ii lui.

1. Ces vers de la tragédie de Monlezume, par Forrier, jouoe on 170’2, et non SUR LA THAGEDIK. : i2\

Co spoctnclo rliai’iiia : mais voilà tout ce qu’il veut de l)eaii I ’-Otto tragédie.

. ’Hir moi, j’avoue que ce n’a pas été sans ([uelqiie crainte que j"ai introduit sur la scène française le s(nat d( ; Home, en robes i-()u,ti,-es. allant aux oi)inions. Je me souvenais (|ue lorsque j’inlrodiiisis aulrefois dans OlùHjic un clia’ur de Tli(l)ains qui disait ’ :

O niorl, nous iiii|)l()roiis Ion fïuicsti’ secours !

nioit. viens nous sauver, viens terminer nf)s jours !

le parterre, au lieu d’être lVapp(’ du patli(’li(|ii(’ ipii |)ouvait être en cet endroit, ne sentit d’abord que le prétendu ridicule d’avoir mis ces vers dans la Louche d’acteurs peu accoutumés, et il fit un éclat de rire. C’est ce qui m’a empêché, dans B)-utus, de faire parler les sénateurs quand Titus est accusé devant eux, et d’aug- menter la terreur de la situation, en exprimant l’étonnement et la douleur de ces pères de Rome, qui sans doute devaient mar- ([uer leur surprise autrement (fue i)ar un jeu muet, qui même n’a pas été exécuté’.

Les Anglais donnent beaucoup plus à l’action que nous, ils

imprimée, sont cités de deux autres manières différentes par Lcris, dans son Dic- tionnaire portatif des théâtres, seconde édition, page 30’2.

1. Voyez page 65, acte V, scène ii d’OEdipe.

2. Dans les éditions de 1731 à [’o2, on lisait ici ce qui suit :

(i Au reste, mylord, s’il y a quelques endroits passables dans cet ouvrage, il faut que j’avoue que j’en ai l’obligation à dos amis qui pensent comme vous. Ils m’encourageaient à t’^mpcrer l’austérité de Brutus par l’amour paternel, afin qu’on admirât et qu’on plaignit l’effort qu’il se fait on condamnant son fils. Ils m’exhor- taient à donner à la jeune Tullie un caractère de tendresse et d’innocence, parce que si j’en avais fait une héroïne altière qui n’eût parlé à Titus que comme à un sujet qui devait servir son prince, alors Titus aurait été avili, et l’ambassadeur eût été inutile. Ils voulaient que Titus fût un jeune homme furieux dans ses passions, aimant Rome et son père, adorant Tullie, se faisant un devoir d’être fidèle au sénat même dent il se plaignait, et emporté loin de son devoir par une passion dont il avait cru être le maître. En effet, si Titus avait été de l’avis de sa maîtresse, et s’était dit à lui-même de bonnes raisons en faveur des rois, Brutus alors n’eût été regardé que comme un chef de rebelles, Titus n’aurait plus eu de remords, son père n’eût plus excité la pitié.

« Gardez, me disaient-ils, que les deux enfants de Brutus paraissent sur la scène ; vous savez que l’intérêt est perdu quand il est partagé. Mais surtout que votre pièce soit simple ; imitez cette beauté des Grecs, croyez que la multiplicité des événements et des intérêts compliqués n’est que la ressource des génies stériles qui ne savent pas tirer d’une seule passion de quoi faire cinq actes. Tâchez de tra- vailler chaque scène comme si c’était la seule que vous eussiez à écrire. Ce sont les beautés de détail, etc., etc. »

Le texte actuel est de 1736. (B.)

Théatue. I. 21 m DISCOURS

I parlent plus aux yeux : les Français donnent plus h l’élégance, à j l’harmonie, aux charmes des vers. Il est certain qu’il est plus dif- ficile de hien écrire que de mettre sur le théâtre des assassinats, des roues, des potences, des sorciers, et des revenants. Aussi la tragédie de Caton, qui fait tant d’honneur à M. Addison, votre suc- cesseur dans le ministère, cette tragédie, la seule hien écrite d’un bout à l’autre chez votre nation, à ce que je vous ai entendu dire à vous-même, ne doit sa grande réputation qu’à ses beaux vers, c’est-à-dire à des pensées fortes et vraies, exprimées en vers har- monieux. Ce sont les beautés de détail qui soutiennent les ouvrages en vers, et qui les font passer à la postérité. C’est souvent la 1 manière singulière de dire des choses communes ; c’est cet art I d’embellir par la diction ce que pensent et ce que sentent tous ’ les hommes, qui fait les grands poètes. Il n’y a ni sentiments recherchés, ni aventure romanesque dans le quatrième livre de Virgile ; il est tout naturel, et c’est l’effort de l’esprit humain. M, Racine n’est si au-dessus des autres qui ont tous dit les mêmes choses que lui que parce qu’il les a mieux dites. Corneille n’est véritablement grand ([ue (juand il s’exprime aussi bien ((u’il pense. Souvenons-nous de ce précepte de Despréaux {Art poêt., ill, 157-58) :

Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,

De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.

Voilà ce que n’ont point tant d’ouvrages dramatiques, que l’art d’un acteur, et la figure et la voix d’une actrice ont fait valoir sui- nos théâtres. Combien de pièces mal écrites ont eu plus de repré- sentations que Ciniia et Britaiviicusl Mais on n’a jamais retenu deux vers de ces faibles poèmes, au lieu qu’on sait une [)ai’tie de Britannicm et de Ciiuia par cœur. En vain le Régiilus de Pradon a fait verser des larmes par quelques situations touchantes ; cet ouvrage et tous ceux (fui lui ressiMublenf sont méprisés, tandis (|ue leurs auteurs s’ap|)lau(lisseid dans leurs pi-(faces.

De Cnniniir.

Des critiques judicieux pourraient me demander pourquoi j’ai parlé d’amour dans une tragédie dont le titre cstJmuus Brutun ; pounpioi j’ai mêlé cette passion avec l’austère vertu du sénat romain et la politi([ue d’un ambassadeur.

Ou reproche à notre nation d’avoir amolli le tbéàtre par trop SIK l.A TKAiiKDli ; . 323

<l(’ tciidrcssc, cl les Anglais iiK’ritriii bien ! <■ iikmiic rcjjroche depuis pK’s diiii sirclo, car vous avez toujours un |)(’u pris nos niodos ft nos vices. Mais nio pennottoz-vous de vous dire niofi sentiment sur cette matière ?

\ouloir de l’amour dans toutes les tragédies me j)araît un goût (•nV’nn’rif : l’en jjroscrire toujours est une mauvaise humeur hien d(’raisonnal)le.

Le théâtre, soil tragi(iue, soit conii(|ue, r>,[ la peiiitui’e vivante des passions humaines. L’ambition d’un prince est représentée dans la tragédie : la comédie tourne en ridicule la vanité d’un bourgeois. Ici, vous riez de la coquetterie et des intrigues d’une citoyenne ; là, vous pleurez la malheureuse passion de Phèdre : de même, l’amour vous amuse dans un roman, et il vous trans- porte dans la Didon de Mi’gile. L’amour dans une trag(die n’est pas plus un défaut essentiel (|ue dans rÉnéi.cle : il n’est à reprendre ([ue quand il est amené mal à propos, ou traité sans art.

Les Grecs ont rarement hasardé cette passion sur le théâtre d’Athènes : premièrement, parce que leurs tragédies n’ayant roulé d’abord que sur des sujets terribles, l’esprit des spectateurs était plié à ce genre de spectacles ; secondement, parce que les femmes menaient une vie beaucoup plus retirée que les nôtres, et qu’ainsi, le langage de l’amour n’étant pas, comme aujourd’hui, le sujet de toutes les conversations, les poètes en étaient moins ii^vités à traiter cette passion, qui de toutes est la plus difficile à repré- senter, par les ménagements délicats qu’elle demande. Une troi- sième raison, qui me paraît assez forte, c’est que l’on n’avait point de comédiennes ; les rôles des femmes étaient joués par des hommes masqués : il semble que l’amour eût été ridicule dans leur bouche.

C’est tout le contraire à Londres et à Paris : et il faut avouer que les auteurs n’auraient guère entendu leurs intérêts, ni connu leur auditoire, s’ils n’avaient jamais fait parler les Oldfield, ou les Duclos et les Lecouvreur, que d’ambition et de politique. i Le mal est que l’amour n’est souvent chez nos héros de théâtre I que de la galanterie ; et que chez les vôtres il dégénère quelque- fois en débauche. Dans notre Akibiadc, pièce très-suine, mais faiblement écrite, et ainsi peu estimée S on a admiré longtemps

1. Ce jugement sur Campistron blessa M. Gourdou de Bach, qui écrivit à ce sujet une Lettre au Nouvelliste du Parnasse (1731, II, 39, ou 1734, I, 366"). Voltaire y répondit, quelque temps après, par une Lettre qui fut insérée dans le même recueil, et qu’on trouvera dans la Correspondance, juin 1731. (B.) 324 DISCOURS

cos mauvais vers que récitait d"iiii tou séduisant l’Esoi)iis’ du dernier siècle :

Ah ! lorsque, pénétré d’un amour véritable.
Et gémissant aux pieds d’un objet adorable,
J’ai connu dans ses yeux timides ou distraits
Que mes soins de son cœur ont pu troubler la paix ;
Que, par l’aveu secret d’une ardeur mutuelle,
La mienne a pris encore une force nouvelle :
Dans ces moments si doux, j’ai cent fois éprouvé
Qu’un mortel peut goûter un bonheur achevé-.

Dans votre Venise saucée, le vieux Renaud veut violer la femme de Jaffier, et elle s’en plaint en termes assez indécents, jusqu'à dire qu’il est venu à elle unbutton'd, déboutonné.

Pour que l’amour soit digne du théâtre tragique, il tant (uril soit le nœud nécessaire de la pièce, et non qu’il soit ameiu’ |)ar force, pour remplir le vide de vos tragédies et des nôtres, (jiii sont toutes trop longues ; /il faut que ce soit une passion véritablement tragique, regardée comme une faiblesse, et combattue par des remords. Il faut, ou que l’amour conduise aux malheurs et aux crimes, pour faire voir combien il est dangereux ; ou que la vertu en triomphe, pour montrer qu’il n’est pas invincible : sans cela, ce n’est plus qu’un amour d’églogue ou de comédie.

C’est à vous, mylord, à décider si j’ai rempli quelques-unes de ces conditions ; mais que vos amis daignent surtout ne point juger du génie et du goût de notre nation par ce discours et par cette tragédie que je vous envoie. Je suis peut-être un de ceux qui cultivent les lettres en France avec moins de succès ; et si les sentiments que je soumets ici à votre censure sont désapprouvés, c’est à moi seul qu’en appartient le blâme.

Au reste ^ je dois vous dire qne dans le grand nombre de fautes dont cette tragédie est pleine, il y en a quelques-unes contre l’exacte pureté de notre langue. .Te ne suis point un autenr assez considérable ponr qu’il me soit permis de passer (fiudipiefois |)ar- dessiis les règles sévères de la grammaire.

Il \ a lin endroit ’ où ïnilie dit :

Home cl nidi dans un jour on ! vu clianger leur soi’t.

1. Lo, comédien Haron. Il venaitdo mourir (3 sept. lliO). ’2, Alcibiade, do Campistron, I, ni.

3. Toute cette fin se trouve dans l’édition do 1731, et fut conservée dans rédi- lion de 173G, mais supprimée dans celle de 1738. (13.)

i. Acte II, scène i"’. Voyez les variâmes.
SUR LA TRGÈDIE. 323

Il fallait dire, pour parler purement :

Rome et moi dans un jour avons change de sort.

J’ ai fait la mème faute en deux ou trois endroits : et c’ est beaucoup trop dans un ouvrage dont les défauts sont rachetés par si peu de bautés. PERSONNAGES^

JUNIUS BRUTUS. /

VALÉRIUS PUBLICOLA, i TITUS, fils de Bruliis. TULLIE, fille de Tarquin. ALGINE, confidente de Tullio. ARONS, ambassadeur de l’orseï MESS AL A, ami de Titus. PROCULUS. tribun militaire. ALBIN, confid(Mit d’Arons.

SÉNATIv URS. L 1 C T K U R S.

I

La scène est à nome.

\. ? \oms des acteurs ciiii jouèrent dans Drulus, et dans Crispin bel esprit, de La Tliuillerie, cjui l’accompagnait : Dangeville, Ddciiemin, La. Thorillière fils, Armand, Poisson, DuisREuiL, Montmém’, Bercy, Sarrazin (Brutus), Grandval (Valc- rius Publicola), QuinaijLt-Dlifresne (Titus), Legrand ; M""^’ Dangeville, Jouvenot (Algine), La Batii, Dangeville la jeune (Tullie). — Recette : 5,005 livres. (G. A.).


BRUTUS


TRAGÉDIE


ACTE PREMIER.



Scène I.

Le théâtre représente une partie de la maison des consuls sur le mont Tarpéien ; le temple du Capitole se voit dans le fond. Les sénateurs sont assemblés entre le temple et la maison, devant l’autel de Mars. Brutus et Valérius Publicola, consuls, président à cette assemblée : les sénateurs sont rangés en demi-cercle. Des licteurs avec leurs faisceaux sont debout derrière les sénateurs.

BRUTUS. VALÉRIUS PUBLICOLA, les sénateurs.


BRUTUS.

Destructeurs des tyrans, vous qui n’avez pour rois
Que les dieux de Numa, vos vertus et nos lois,
Enfin notre ennemi commence à nous connaître.
Ce superbe Toscan qui ne parlait qu’en maître,
Porsenna, de Tarquin ce formidable appui,
Ce tyran, protecteur d’un tyran comme lui,
Qui couvre de son camp les rivages du Tibre,
Respecte le sénat et craint un peuple libre.
Aujourd’hui, devant vous abaissant sa hauteur.
Il demande à traiter par un ambassadeur.
Arons, qu’il nous députe, en ce moment s’avance :
Aux sénateurs de Rome il demande audience :
Il attend dans ce temple, et c’est à vous de voir
S’il le faut refuser, s’il le faut recevoir.

VALÉRIUS PUBLICOLA.

Quoi qu’il tienne annoncer, quoi qu’on puisse en attendre,
Il le faut à son roi renvoyer sans l’entendre :
Tel est mon sentiment. Rome ne traite plus
Avec ses ennemis que quand ils sont vaincus.
Votre fils, il est vrai, vengeur de la patrie,
À deux fois repoussé le tyran d’Étrurie ;

328 BRUTUS.

Je sais tout ce qu’on doit à ses vaillantes mains ;

Je sais qu’à votre exemple il sauva les romains :

Mais ce n’est point assez ; Rome, assiégée encore,

Voit dans les champs voisins ces tyrans qu’elle abhorre.

Que Tarquin satisfasse aux ordres du sénat ;

Exilé par nos lois, qu’il sorte de l’État ;

De son coupable aspect qu’il purge nos frontières.

Et nous pourrons ensuite écouter ses prières.

Ce nom d’ambassadeur a paru vous frapper ;

Tarquin n’a pu nous vaincre, il cherche à nous tromper.

L’ambassadeur d’un roi m’est tonjours redoutable ;

Ce n’est qu’un ennemi, sous un titre honorable.

Qui vient, l’empli d’orgueil ou de dextérité,

Insulter ou trahir avec inpunité.

Rome, n’écoute point leur séduisant langage :

Tout art t’est étranger ; combattre est ton partage :

Confonds tes ennemis de ta gloire irrités ;

Tombe, ou punis les rois : ce sont là tes traités.

BRUTUS.

Rome sait à quel point sa liberté m’est chère : Mais, plein du même esprit, mon sentiment diffère. Je vois cette ambassade, au nom des souverains. Comme un premier hommage aux citoyens romains. Accoutumons des rois la fierté despotique A traiter en égale avec la république ; Attendant que, du ciel remplissant les décrets. Quelque jour avec elle ils traitent en sujets. Arons vient voir ici Rome encore chancelante, Découvrir les ressorts de sa grandeur naissante. Épier son génie, observer son pouvoir : Romains, c’est pour cela qu’il le faut recevoir. L’ennemi du sénat connaîtra qui nous sommes, Et l’esclave d’un roi va voir enfin des hommes. Que dans Rome à loisir il porte ses regards : Il la verra dans vous : vous êtes ses remparts. Qu’il révère en ces lieux le dieu qui nous rassemble ; Qu’il paraisse au sénat, qu’il écoute, et qu’il tremble,

(Les sénateurs se lèvent, et s’approchent un moment pour donner leurs voix.)

\. Voici un vers bien dur. M. G. Desnoiresterres le reproduit ainsi, d’après un recueil du temps : Toutartéstétrang—batrestonparta. ACTl- : I. SCK.NK II. : i2’.i

V ALLUIl S l’LBLICOLA,

.le vois tout le sénat passer à votre avis ; lîoinc et \(iiis roidoiiiicz : à rof^rot j"v souscris. Lictcui’s. (iiToii riiilrodiijsc : et puisse sa présoiico .\"a|)|)(iilei’ en ces iien\ rien dont lionie s’olleiisc !

A Bruliis.)

(l’est sur vous seul ici (jue nos \en\ sont ouverts : C’est vous ({ui le premier avez rompu nos fers : De notre liberté soutenez la (juerelle : IJrutus en est le père et doit parler pour elle.

SCENE IL

Le Sénat. ARONS. ALBIN, suite.

Arons entre par le côté du théâtre, précédé de deux licteurs et d’Albin, son conlident ; il passe devant les consuls et le sénat, qu’il salue ; et il va s’asseoir sur un siège préparé pour lui sur le devant du théâtre. )

ARONS.

Consuls, et vous, sénat, ({u’il m’est doux d’être admis Dans ce conseil sacré de sages ennemis, De voir tous ces héros dont l’équité sévère N’eut jusques aujourd’hui tpi’un reproche à se faire ; Témoin de leurs exploits, d’admirer leurs vertus ; D’écouter Rome enfin par la voix de Brutus : Loin des cris de ce peuple indocile et barbare, Que la fureur conduit, réunit et sépare, Aveugle dans sa haine, aveugle en son amour, Qui menace et c|ui craint, règne et sert en un jour : Dont l’audace…

BIILTLS.

Arrêtez ; sachez qu’il faut qu’on nomme Avec plus de respect les citoyens de Rome. La gloire du sénat est de représenter Ce peuple vertueux que l’on ose insulter. Quittez l’art avec nous : quittez la flatterie ; Ce poison qu’on prépare à la cour d’Étrurie N’est point encor connu dans le sénat romain. Poursuivez.

ARONS.

Moins piqué d’un discours si hautain  : m BRU TUS.

Que toucliô dos malliours où cet État s’oxposc, Comme un de ses enfants j’eml)rasse ici sa cause.

Vous voyez quel orage éclate autour de vous ; C’est en vain que Titus en détourna les coups : Je vois avec regret sa valeur et son zèle N’assurer aux lîomains qu’une chute plus belle. Sa victoire affaiblit vos remparts désoh’s ; Du sang qui les inonde ils semblent ébranlés. Ali ! ne refusez plus une paix nécessaire ; Si du peuple romain le sénat est le père, Porsenna l’est des rois que vous persécutez.

Mais vous, du nom romain vengeurs si redoutés, Vous, des droits des mortels éclairées interprètes. Vous, qui jugez les rois, regardez où vous êtes. Voici ce Capitole et ces mêmes autels Où jadis, attestant tous les dieux immortels, J’ai vu chacun de vous, brûlant d’un autre- zèle, A Tarquin votre roi jurer d’être fidèle. Quels (lieux ont donc changé les droits des souverains ? Quel pouvoir a rompu des nœuds jadis si saints ? Qui du front de Tarquin ravit le diadème ? Qui peut de vos serments youh dégager ?

BRUTUS.

Lui-même. N’alléguez point ces nœuds rfue le crime a rompus, Ces dieux qu’il outragea, ces droits qu’il a perdus. Nous avons fait, Arons, en lui rendant hommage, Serment d’o])éissance et non point d’esclavage ; Et i)uis(pril vous souvient d’avoir vu dans ces lieux Le sénat à ses pieds faisant pour lui des vœux. Songez qu’en ce lieu même, à cet autel auguste, l)e^ant ces mêmes dieux, il jura d’être juste. De son peuple et de lui tel était le lien : 11 nous rend nos serments lorsqu’il trahit le sien ; Et dès qu’aux lois de Rome il ose être iniidèle. Home n’est |)lus sujette, et lui seul est rebelle.

\ Il ON s.

Alil (juaud il sei’ait vrai (pic l’absolu pou\oir

Eût eiiti-aîué Tar([uiu par-delà sou devoir.

Qu’il eu eût trop suivi l’auiorce enchanteresse.

Quel lioninie est sans erreur ? cl (|ucl roi sans faiblesse ?

Est-ce à \()us (le pr(’tcM(lrc au (lr( »it (\v le piiuii’ ? ACTK 1. Si.KM- 11. .131

Nous, ijc’s tous SCS sujets ; ^■uus, iails pour obéir 1

I M fils ne s’arme point contre un coiipahle père ;

II (h’totirne les yeux, le ])laiiit, et le l’évère.

Les droits des sou\(M"ains sout-ils uioius pircieux ?

î\ous sojiinies leurs enfants ; leurs ju^es sont les dieux.

Si le riel (juel([uelbis les donne en sa colère,

A’allez pas mériter un présent plus sévère.

Trahir toutes les lois en voulant les venger,

Et renverser l’État au lieu de le changer.

Instruit par le malheur, ce grand maître de Tliomme,

Tarquin sera plus juste et plus digne de Rome.

Vous pouvez rafTermir, par un accord heureux,

Des peuples et des rois les légitimes nœuds,

Et faire encor fleurir la liberté pul)lique

Sous l’ombrage sacré du pouvoir monarchique.

BRUTUS.

.\rons, il n’est plus temps : chaque État a ses loisS Qu’il tient de sa nature, ou qu’il change à son choix. Esclaves de leurs rois, et même de leurs prêtres. Les Toscans semblent nés pour servir sous des maîtres. Et, de leur chaîne antique adorateurs heureux, Voudraient que l’univers fût esclave comme eux. La Grèce entière est li])re. et la molle lonie Sous un joug odieux languit assujettie. Rome eut ses souverains, mais jamais absolus ; Son premier citoyen fut le grand Romulus : Nous partagions le poids de sa grandeur suprême. Auma, qui fit nos lois, y fut soumis lui-même. Rome enfin, je l’avoue, a fait un mauvais choix : Chez les Toscans, chez vous, elle a choisi ses rois : Ils nous ont apporté du fond de l’Étrurie Les vices de leur cour avec la tyrannie.

(Il se lève )

1. Imitation de ces vers de Cintm (acte II, scène i") :

et par tous les climats

Ne sont pas bien reçus toutes sortes d’états.

Chaque peuple a le sien conforme à sa nature,

Qu’on ne saurait changer sans lui faire une injure.

Telle est la loi du ciel, dont la sage équité

Sème dans l’univers cette diversité.

Les Macédoniens aiment le monarchique,

Et le reste des Grecs la liberté publique :

Les Parthes, les Porsans, veulent des souverains,

Et le."^eul consulat est bon pour les Romains. (K.) (

333 BRU TU S.

Pardonnez-nous, grands dieux, si le peuple romain

A fardé si longtemps à condamner Tarquin !

Le sang qui regorgea sous ses mains meurtrières

De notre obéissance a rom))u les barrières.

Sous un sceptre de fer tout ce peuple abattu

A force de malheurs a repris sa vertu.

Tarquin nous a remis dans nos droits légitimes ;

Le bien public est né de l’excès de ses crimes,

Et nous donuons l’exemple à ces mêmes Toscans,

S’ils pouvaient à leur tour être las des tyrans.

(Les consuls doscendont vers l’autel, et le sénat se lève.)

Mars ! dieu des héros, de Rome, et des batailles. Qui combats avec nous, qui défends ses murailles, Sur ton autel sacré. Mars, reçois nos serments Pour ce sénat, pour moi, pour tes dignes enfants. Si dans le sein de Rome il se trouvait un traître, Oui regrettât les rois et qui voulût un maître. Que le perfide meure au milieu des tourments ! Que sa cendre coupable, abandonnée aux vents, lAle laisse ici qu’un nom plus odieux encore Que le nom des tyrans que Rome entière abhorre’ !

ARONS, avançant vers l’autel.

Et moi, sur cet autel qu’ainsi vous profanez. Je jure au nom du roi que vous abandonnez, Au nom de Porsenna, vengeur de sa querelle, A vous, à vos enfants, une guerre immortelle.

(Les sénateurs font un pas vers le Capitule.)

1. Kn 1701, le lendemain delà fuite du roi, c’est-à-diro le i’ ! juin, le Club îles Corileliers allicha dans Paris la déclaration suivante :

Songez qu’au Champ de Mars, à cet autel auguste,

Louis nous a juré d’être fidèle et juste ;

Ue son peuple et do lui tel était lo lien,

Il nous rend nos serments lorsqu’il trahit le sien.

Si parmi les Français il se trouvait un traître

Qui regrettât ses rois et qui voulût un maître,

Que le perlidc meure au milieu des tourments ;

Que sa cendre coupable, abandonnée au.x vents,

Ne laisse ici qu’un nom jiliis odieux encore

Que le nom des tyrans (pie l’homme libre abliorre !

t( Les Français libres, conii)osant la société des Amis des droits de riiomme et du citoyen, le club des Cordeliers, déclarent à tous leurs concitoyens f[u’clle ren- ferme autant de tyrannicidcs que de membres, qui ont tous juré imUviituellement de poignarder les tyrans qui oseront attaquer nos frontières, ou attenter ; \ notre liberté et à notre constitution, de quelque manière que ce soit, et ont signé : Le-

(jendre, président ; Co/// », Clidinpion, secrétaires. » (G. A.)

Sénateurs, arrêtez, ne vous séparez pas :
Je ne me suis pas plaint de tous vos attentats.
La fille de Tarquin, dans vos mains demeurée,
Est-elle une victime à Rome consacrée ?
Et donnez-vous des fers à ses royales mains
Pour mieux braver son père et tons les souverains ?
Que dis-je ! tous ces biens, ces trésors, ces richesses,
Que des Tarquins dans Rome épuisaient les largesses.
Sont-ils votre conquête, ou vous sont-ils donnés ?
Est-ce pour les ravir que vous le détrônez ?
Sénat, si vous l’osez, que Brutus les dénie.

BRUTUS, se tournant vers Arons.

Vous connaissez bien mal et Rome et son génie.
Ces pères des Romains, vengeurs de l’équité.
Ont blanchi dans la pourpre et dans la pauvreté :
Au-dessus des trésors, que sans peine ils vous cèdent,
Leur gloire est de dompter les rois qui les possèdent[2].
Prenez cet or, Arons ; il est vil à nos yeux.
Quant au malheureux sang d’un tyran odieux.
Malgré la juste horreur que j’ai pour sa famille,
Le sénat à mes soins a confié sa fille :
Elle n’a point ici de ces respects flatteurs
Qui des enfants des rois empoisonnent les cœurs :
Elle n’a point trouvé la pompe et la mollesse
Dont la cour des Tarquins enivra sa jeunesse :
Mais je sais ce qu’on doit de bontés et d’honneur
À son sexe, à son âge, et surtout au malheur.
Dès ce jour, en son camp que Tarquin la revoie :
Mon cœur même en conçoit une secrète joie :
Qu’aux tyrans désormais rien ne reste en ces lieux
Que la haine de Rome et le courroux des dieux.
Pour emporter au camp l’or qu’il faut y conduire,
Rome vous donne un jour : ce temps doit vous suffire :
Ma maison cependant est votre sûreté :
Jouissez-y des droits de l’hospitalité.
Voilà ce que par moi le sénat vous annonce.
Ce soir à Porsenna rapportez ma réponse :
Reportez-lui la guerre, et dites à Tarquin

Ce que vous avez vu dans le sénat romain,.

(Aux sénateurs.)

Et nous, du Capitole allons orner le laîle Des lauriers dont mon fils vient de ceindre sa tête ; Suspendons ces drapeaux et ces dards tout sanglants Que ses heureuses mains ont ravis aux Toscans. Vins ! puisse toujours, plein du même courage. Mon sang, digne de vous, vous servir d’âge en âge ! Dieux, protégez ainsi contre nos ennemis Le consulat du père et les armes du fils !

SCÈNE IH.

ARONS, ALBIN

l^qui sont supposés être entrés de la salle d’audience dans un autre ai)partcmont de kl maison de Brutus).

AU ON s.

Vs-tii !)ien remanpu’ cet oi-gueil inllexible, Cet esprit d’un sénat qui se croit invincible ? Il le serait,.ilbin, si Rome avait le temps D’afTermir cette audace au cœur de ses enfants.

._. ; M]rois-moi, la liberté, que tout mortel adore,

_--^ue je veux leur ôter, mais que j’admire encore.

^^"Donne à l’homme un courage, inspire une gnuxlcnr.

^_„---Qu"il n’eût jamais trouvés dans le fond de son civnv. Sous le joug des Tanjuins, la cour et l’esclavage Amollissaient leurs mœurs, énervaient leur courage-. Leurs rois, trop occupés à dompter leurs sujets, De nos heureux Toscans ne troublaient point la paiv : Mais si ce fier sénat réveille leur génie, Si Rome est libre, Albin, c’est fait de l’Italie. "Ces lions, que leur maître avait rendus plus doux. Vont reprendre leur rage et s’élancer sur nous. Étouffons dans leur sang la semence féconde Des maux de l’Italie et des troubles du monde ; MTranchissons la terre, et donnons aux Romains Ces fers qu’ils destinaient au reste des humains. Messala viendra-t-il ? Pourrai-je ici l’entendre ? Osera-t-il ?

ALBIN.

Seigneur, il doit ici se rendre ; ACTE I, set M- IV. xv/y

\ tonlo liotiro il y \i(’til : Titus est son ; i| »|)iii.

ARO-NS.

\s-iii |)ii lui |) ; ii’lci’ ? |)iiis-je coniplci’ siii" lui ?

\ 1. 1 ! I \.

S(’i,i ; ii<Mir, on je nw Iroiiipc, ou Mcssala conspire l’oiii- cliaii^cr SOS destins pins (pic cciiv de TcnipiiT : Il est Icrnic, iii ! r(pi(l(\ mitant ipic si flioiiiiciir On j’ainoni’ dn pa\s excitait sa Nalonr : Maître do son secret, et maîtic de Ini-mènie, hnpiMK’trable, et calme en sa fiirenr extrême.

AliO\S.

Tel autrefois dans Rome 11 parut à mi^s xeiix. Lorsque Tarquln régnant me reçut dans ces lieux : Et ses lettres depuis… Mais je le vols paraître.

SCENE rv.

ARONS, MESSALA. ALBIN.

AROXS.

Généreux Messala, l’appui de votre maître, Eh bien ! l’or de Tarquln, les présents de mon roi, Des sénateurs romains n"ont pu tenter la loi ? Les plaisirs d’une cour, l’espérance, la crainte, A ces cœurs endurcis n’ont pu porter d’atteinte ? Ces fiers patriciens sont-ils autant de dieux. Jugeant tous les mortels et ne craignant rien d’eux ? Sont-Ils sans passions, sans Intérêt, sans vice ?

MESSALA.

Ils osent s’en vanter : mais leur feinte justice,

Leur âpre austérité que rien ne peut gagner,

N’est dans ces cœurs hautains que la soif de régner.

Leur orgueil foule aux pieds l’orgueil du diadème :

Ils ont brisé le joug pour l’imposer eux-même.

De notre liberté ces illustres vengeurs.

Armés pour la défendre, en sont les oppresseurs.

Sous les noms séduisants de patrons et de pères.

Us affectent des rois les démarches altières.

Rome a changé de fers ; et, sous le joug des grands,

Pour un roi qu’elle avait, a trouvé cent tyrans. 386 BRUTUS.

AROXS.

Parmi vos citoyens, on est-il d’assez sage Pour détester tout bas cet indigne esclavage ?

M ES s AL A.

Peu sentent leur état ; leurs esprits ("garés De ce grand cliangenient sont encore enivivs ; _^,^Le plus vil citoven, dans sa bassesse extrême,

. -Ayant cliassé les rois, pense êti-e roi lui-même.

Mais, je vous Tai mandé, seigneur, j’ai des amis Oui sous ce joug nouveau sont à regret soumis ; Qui, dédaignant l’erreur des peuples imbéciles. Dans ce torrent fougueux restent seuls immobiles : Des mortels éprouvés, dont la tète et les ])ias Sont faits pour ébranler ou cbanger les États.

ARONS.

De ces braves Romains que faut-il que j’espère ? Serviront-ils leur prince ?

M E 3 S A L A.

Ils sont prêts à tont faire ; Tout leur sang est à vous : mais ne pi’étendez pas Qu’en aveugles sujets ils servent des ingrats ; Ils ne se piquent point du devoir fanatique’ De servir de victime au pouvoir despotique. Ni du zèle insensé de courir au trépas l’our venger un tyran (|ui n<^ les connaît pas. Tarquin promet beaucoup : mais, devenu leur maître Il les oubliera tous, ou les craindra peut-être. Je connais trop les grands : dans le malheur amis, ingrats dans la fortune, et bientôt ennemis : Nous sommes de leur gloire un instrument ser\ile. Rejeté par dédain dès qu’il est inutile, Et brisé sans pitié s’il devient dangereux. A des conditions on peut compter sur eux : Ils demandent un chef digne de leur courage. Dont le nom seul impose à ce peuple volage : Ln chef assez puissant pour obliger le roi.

1. Imita ion di- ces vors d’Acomat daiii /hijdzet (aclo I"’, scène i

Je sais rendre aux sultans de lidèlos services. Mais je laisse au vulgaire adorer leurs caprice ? , Et ne me pique point du scrupule insensé De bénir mon trépas, quand ils l’ont prononcé. ACTH I. sec NE IV. 337

Même après le succès, à nous tenir sa loi : Ou, si de nos desseins la trame est découverte, lii chef assez hardi pour venger notre perte.

Ali ON s.

Mais vous meniez écrit que l’orgueilleux Titus…

M ES s A LA.

Il est lappui de Home, il est fils de Brutus ; Cependant…

ai ; ON s. JJe (|uel œil voit-il les injustices Dont ce sénat superhe a payé ses sen ices ? Lui seul a sauvé Home, et toute sa valeur En vain du consulat lui mérita Thonneur ; Je sais qu’on le refuse.

MESSALA.

Et je sais qu’il murmure ; {5on cœur altier et prompt est plein de cette injure ; Pour toute récompense il n’obtient qu’un vain bruit, Qu’un triomphe frivole, un éclat qui s’enfuit. J’observe d’assez près son âme impérieuse, Et (le ^on fier courroux la fougue impétueuse : Dans le champ de la gloire il ne fait que d’entrer ; Il y marclie en aveugle, on l’y peut égarer. —La bouillante jeunesse est facile à séduire : —Mais que de préjugés nous aurions à détruire ! Rome, un consul, un père, et la haine des rois. Et riiorreur de la honte, et surtout ses exploits. Connaissez donc Titus ; voyez toute son âme, Ee courroux qui l’aigrit, le poison qui l’enflamme : ^ 11 brûle pour Tullie.

arons. Il l’aimerait ?

M ES s AL a.

Seigneur, A peine ai-je arraché ce secret de son cœur : Il en rougit lui-même, et cette àme inflexible N’ose avouer qu’elle aime, et craint d’être sensible. Parmi les passions dont il est agité. Sa plus grande fureur est pour la liberté.

A BONS.

C’est donc des sentiments et du cœur d’un seul homme Qu’aujourd’hui, malgré moi, dépend le sort de Rome !

Théâtre. I. 22 338 BRUT US.

(A Albin.)

l\e nous rel)utons pas. Préparez-vous, Albin,

A vous rendre sur l’heure aux tentes de Tarqiiin.

(A Messala. )

Entrons chez la princesse. Un peu d’expérience M’a pu du cœur humain donner quelque science : Je lirai dans son àme, et peut-être ses mains Vont former l’iieureux piège où j’attends h’s Romains,

m DU PREMIER ACTE. ACTE DEUXIÈME.

SCENE I.

(Le théâtre représente ou est supposé représenter un appartement du palais des consuls )

TITLS, MESSALA. ^

MESSALA,

i\on, c’est trop offenser ma sensible amitié :

Qui peut de son secret me cacher la moitié,

En dit trop et trop peu, m’offense et me soupronne.

TITLS.

Va, mon cœur à ta foi tout entier s"a])andoiine : Ne me reproche rien.

—MESSALA.

Quoi ! vous dont la douleur Du sénat avec moi détesta la rigueur, Qui versiez dans mon sein ce grand secret de Rome, Ces plaintes d’un héros, ces larmes d’un grand homme ! Comment avez-vous pu dévorer si longtemps Une douleur plus tendre, et des maux plus touchants ? De vos feux devant moi vous étouffiez la flamme. Quoi donc I l’ambition qui domine en votre âme Éteignait-elle en vous de si chers sentiments ? Le sénat a-t-il fait vos plus cruels tourments ? Le haïssez-vous plus que vous n’aimez Tullie ?

TITUS.

Ah ! j’aime avec transport, je hais avec furie : Je suis extrême en tout, je l’avoue, et mon cœur Voudrait en tout se vaincre, et connaît son erreur.

MESSALA.

Et pourquoi, de vos mains déchirant vos blessures, Déguiser votre amour, et non pas vos injures ?

TITLS,

Que veux-tu, Messala ? J’ai, malgré mon courroux, 340 BRUTUS.

Prodigué tout mon sang pour ce sénat jaloux : Tu le sais, ton courage eut part à ma victoire. ^Je sentais du plaisir à parler de ma gloire ; Mon cœur, enorgueilli du succès de mon bras, Trouvait de la grandeur à venger des ingrats ; On confie aisément des mallieurs qu’on surmonte : Mais qu’il est accablant de parler de sa bonté !

MESSALA.

Quelle est donc cette bonté et ce grand repentir ? Et de quels sentiments auriez-vous à rougir ?

TITUS.

^ ! Je rougis de moi-même et d’un feu téméraire, Inutile, imprudent, à mon devoir contraire.

MESSALA.

Quoi donc ! l’ambition, l’amour, et ses fureurs, Sont-ce des passions indignes des grands cœurs ?

TITUS.

L’ambition, l’amour, le dépit, tout m’accable ; De ce conseil de rois l’orgueil insupportable Méprise ma jeunesse et me refuse un rang Brigué par ma valeur, et payé par mon sang. Au milieu du dépit dont mon âme est saisie. Je perds tout ce que j’aime, on m’enlève Tullie : On te l’enlève, bêlas ! trop aveugle courroux ! Tu n’osais y prétendre, et ton cœur est jaloux. Je Tavouerai, ce feu, que j’avais su contraindre. S’irrite en s’échappant, et ne peut plus s’éteindre. Ami, c’en était fait, elle partait ; mon cœur De sa funeste flamme allait être vainqueur ; Je rentrais dans mes droits, je sortais d’esclavage : Le ciel a-t-il marqué ce terme à mon courage ? Moi, le fils de Brutus ; moi, fennemi des rois ; C’est du sang de Tarquin que j’attendrais des lois ! Elle refuse encor de m’en donner, l’ingrate ! Et partout dédaigné, partout ma boute éclate. Le d(|)it, la vengeance, et la bonté, et l’amour, De mes sens soulevés disposent tour à loiir.

MESSALA.

Puis-je ici vous parler, mais avec confiance ?

TITUS.

Toujours de tes conseils j’ai chéri la prudence. Kb bien ! fais-moi rous ; ir de mes égarements. ACTl- : II. SCENE I. 341

MESSALA.

J’appi’Dinc cl \()tr(’ amour ot vos ressoiiliincuts.

Fau(lra-t-il i\t)\]r loujoiirs (|(i(’ Tiliis aiilMi-isc

Co sénat de t\raiis dont l’orgueil nous maitrisu ?

\on ; s’il vous faut rougir, rougissez en ce jour

De votre patience, et non de votre amour.

Ouoi : pour prix de vos feux et de tant de vaillance,

Citoyen sans pouvoir, amant sans espérance.

Je vous verrais languir victime de TÉtat,

(Jubiié de Tullie, et bravé du sénat ?

Ali 1 peut-être, seigneur, un cœur tel que le votre

\iii-ail pu gagner Tune, et se venger de l’autre.

TITUS.

De (juoi viens-tu flatter mon esprit éperdu ? Moi, j’aurais pu ilécliir sa haine ou sa vertu ! N’en parlons plus : tu vois les fatales barrières Qu’élèvent entre nous nos devoirs et nos pères : Sa haine désormais égale mon amour. Elle va donc partir ?

MESSALA.

Oui, seigneur, dès ce jour.

TITl s.

Je n’en murmure point. Le ciel lui rend justice ; Il la fit pour régner.

MESSALA.

Ah ! ce ciel plus propice Lui destinait peut-être un empire plus doux ; Et sans ce fier sénat, sans la guerre, sans vous… Pardonnez : vous savez quel est son héritage ; Son frère ne vit plus, Rome était son partage. Je m’emporte, seigneur ; mais si pour vous servir. Si pour vous rendre heureux il ne faut (pie périr : Si mon sang…

TITLS.

Non, ami, mon devoir est le maître. ._>Non, crois-moi, l’homme est libre au moment qu’il veut l’être. Je l’avoue, il est vrai, ce dangereux poison A pour quelques moments égaré ma raison ; Mais le cœur d’un soldat sait dompter la mollesse. Et l’amour n’est puissant que par. notre faiblesse.

MESSALA.

^ ous vovez des Toscans venir l’ambassadeur ; ut BRUTUS.

Cet honneur qull vous rend…

TITUS.

\h ! ([uel funeste honneur ! Que nie veut-il ? C’est hii (|iii m’enlève Tullie : C’est lui qui met le comble au malheur de ma vie.

SCÈNE IL

TITUS, ARONS.

AUOXS.

Après avoir en vain, près de votre sénat,

Tenté ce que j’ai pu pour sauver cet État,

Soutirez qu’à la vertu rendant un juste hommage,

.ra<lmire en liberté ce généreux courage.

Ce bras qui venge Rome, et soutient son pays

Au bord du précipice où le sénat l’a mis.

Ah ! que vous étiez digne et d’un prix plus auguste,

Et d’un autre adversaire, et d’un parti plus juste !

Et que ce grand courage, ailleurs mieux employé,

D’un plus digne salaire aurait été payé !

Il est, il est des rois, j’ose ici vous le dire.

Qui mettraient en vos mains le sort de leur empire.

Sans craindre ces vertus qu’ils admirent en vous,

Dont j’ai vu Rome éprise, et le sénat jaloux.

Je vous plains de servir sous ce maître farouche,

Que le mérite aigrit, qu’aucun bienfait ne touche ;

Qui, né pour obéir, se fait un lâche honneur

D’appesantir sa main sur son lilx’rafeur ;

Lui (|ui, s’il n’usurpait les droits de la couronne,

Devrail preiidi-e de \()iis les oi’drcs qu’il vous donne.

Ti ri s. Je rends grâce à vos soins, seigneur, el mes soupçons De vos bontés pour moi respectent les raisons. Je n’examine point si votiv politi(jue Pense armer mes chagrins contre ma républi([ue. Et porter mon dépit, avec un art si doux, Aux indiscrétions (pil suivent le courroux. Perdez moins d’artifice à tromper ma franchise ; Ce cfpur est font ouvert, et n’a rien t\u"\\ déguise. Outragé’ dn siMial, j’ai droit de le liaïr : Je le bais : mais mon bras est prêt à le servir. ACTK II, S ci : M- II. }’>.{

<hi ; iii(l la cause cominuuc au combat nous appelle, lîoiiic au cœur de ses fils éteint toute (luerellc ; \ain(iueurs de nos débats, nous marclions ivuriis ; VA nous ne connaissons que vous pour ennemis. Voilà ce ([ue je suis, et ce que je veux être. Soit -^Tandeur, soit vertu, soit préjuti,é |)eul-élre, \^éj)a^rnii^ le^s Romains, je périrai pour eux : J’aime encor mieux, seigneur, ce sénat rigoureux, Tout injuste pour moi, tout jaloux qu’il peut être, Que l’éclat d’une cour et le sceptre d’un maître. Je suis fils de Brntus, et je porte en mon cœur La liberté grav(e, et les rois en hori’eur.

.\RO\S.

j\e vous llattez-vous point d’un cliarme imaginaire ?

Seigrteur, ainsi qu’à vous la liberté m’est chère :

Quoique né sous un roi, j’en goûte les appas ;

Vous vous perdez pour elle, et n’en jouissez pas.

Est-il donc, entre nous, rien de plus despotique

Que l’esprit d’un État qui passe en république" ?

Vos lois sont vos tyrans : leur ])arl)are rigueur

Devient sourde au mérite, au sang, à la faveur :

Le sénat vous opprime, et le peuple vous brave ;

Jl faut s’en faire craindre, ou ramper leur esclave.

Le citoyen de Rome, insolent ou jaloux.

Ou hait votre grandeur, ou marche égal à vous.

Trop d’éclat l’effarouche ; il voit d’un œil sévère.

Dans le bien qu’on lui fait, le mal (j[u’on lui peut faire :

Et d’un bannissement le décret odieux

Devient le prix du sang qu’on a versé pour eux.

Je sais bien que la cour, seigneur, a ses naufrages ; Mais ses jours sont plus beaux, son ciel a moins d’orages. Souvent la liberté, dont on se vante ailleurs. Étale auprès d’un roi ses dons les plus flatteurs ; Il récompense, il aime, il prévient les services : La gloire auprès de lui ne fuit point les délices. Aimé du souverain, de ses rayons couvert, Vous ne servez qu’un maître, et le reste vous sert. Ébloui d’un éclat qu’il respecte et qu’il aime. Le vulgaire applaudit jusqu’à nos fautes même : >ious ne redoutons rien d’nn sénat trop jaloux ; Et les sévères lois se taisent devant nous. Ah : que, né pour la cour, ainsi (jue pour les armes. 344 BIIUTUS.

Des faveurs de Tarquin vous goûteriez les charmes ! Je vous l’ai déjà dit, il vous aimait, seigneur ; Il aurait avec vous partagé sa grandeur : Du sénat à vos pieds la fierté prosternée Aurait…

TITLIS.

J’ai vu sa cour, et je l’ai dédaignée. Je pourrais, il est vrai, mendier son appui. Et, son premier esclave, être tyran sous lui. Grâce au ciel, je n’ai point cette indigne fail)lesse ; Je veux de la grandeur, et la veut sans bassesse ; Je sens que mon destin n’était point d’oljéir : Je combattrai vos rois, retournez les servir.

AU ON s.

Je ne puis qu’approuver cet excès de constance ; --* Mais songez que lui-même éleva votre enfance. Il s’en souvient toujours : hier encor, seigneur. En pleurant avec moi son fils et son malheur, Titus, me disait-il, soutiendrait ma famille, Et lui seul méritait mon empire et ma fille.

TITUS, L-n so détournant.

Sa fille ! dieux ! Tullie ! vœux infortunés !

A I\ N s, en regardant Titus.

Je la ramène au roi que vous abandonnez ; Elle va, loin de vous et loin de sa patrie. Accepter pour époux le roi de Ligurie : Vous cependant ici servez votre sénat, Pei’séciitez son père, opprimez son État. J’es})ère (]ue iuentôt ces voûtes endtrasées. Ce Capitole en cendre, et ces tours écrasées, Du sénat et du peuple éclairant les tondx’aux, A cet hvmen heureux vont servir de iland)eaux.

SCENE m.

TITUS, MESSALA.

TITl’S.

Ah ! mon cher Messala, dans (|ii(’i trouble il me laisse ! Tar(|iiin me l’eût donnée, ù douleur quiTme presse ! ! \loi, j’aurais pu !… mais non ; ministre’dangereux, Tu venais épier le secret de mes feux. ACTE II. SCÈNE IV. 34u

II(las ! en mo voyant se peut-il qu’on lignore ? ]| a lu dans mes yeux l’ardeur qui nie df’vore. Certain de ma faiblesse, il retourne à sa cour Insulter aux projets d’un téméraire amour, .l’aurais [ui l’épouser, lui consacrer ma vie ! Le ciel à mes désirs eût destiné TuUie ! Malhourenx que Je suis !

MESS.\L.\,

\ ous pourriez être heureux ; .Vrons pourrait servir vos légitimes feux. Croyez-moi.

TITLS.

bannissons un espoir si frivole : Rome entière m’appelle aux murs du Capitole ; Le peuple, rassemblé sous ces arcs triompliaux Tout chargés de ma gloire et pleins de mes travaux. M’attend pour commencer les serments redoutables, De notre liberté garants inviolables.

MESSALA.

Allez servir ces rois.

TITLS.

Oui, je les veux servir ; Oui, tel est mon devoir, et je le veux remplir.

.\IESSALA.

Vous gémissez pourtant !

TITUS.

I\Ia victoire est cruelle.

MESSALA.

Vous l’achetez trop cher.

TITUS.

Elle en sera plus belle. Ne m’abandonne point dans l’état où je suis.

MESSALA.

Allons, suivons ses pas ; aigrissons ses ennuis ; Enfonçons dans son cœur le trait qui le déchire.

SCÈNE lY.

BRUTUS, MESSALA.

BRUTUS.

Arrêtez, Messala ; j’ai deux mots à vous dire.  ; }4(i BRUT US.

MESS AL A.

V moi, seigneur ?

BliUTUS.

A vous. Ln funeste poison Se répand en secret sur toute ma maison. Tilx’rinus, mon iils, aigri contre son Irère, Laisse éclater déjà sa jalouse colère : Et Titus, animé d’un autre emportement. Suit contre le sénat son fier ressentiment. [/am])assadeur toscan, témoin de leur faiblesse, En profite avec joie autant qu’avec adresse ; Il leur parle, et je crains les discours séduisants D’un ministre vieilli dans l’art des courtisans. 11 devait dès demain retourner vers son maître -. Mais un jour quelquefois est beaucoup pour un traîti’e Messala, je prétends ne rien craindre de lui ; \llez lui commander de partir aujoui’d'luii : Je le veux.

—MESSALA,

C’est agir sans doute avec prudence. Et vous serez content de mon obéissance.

BRUTUS.

(ïe n’est pas tout : mon fils avec vous est lié ; .Je sais sur son esprit ce que peut l’amitié. Comme sans artifice, il est sans défiance : Sa jeunesse est livrée à votre expérience. 14us il se fie à vous, plus je dois espérer Qu’habile à le conduire, et non à l’égarer. Vous ne voudrez jamais, abusant de son àg<\ Tirer de ses erreiii’s un indigne a\antage, Le rendre and)itieux, et corrompre son coMir.

MESSALA.

(^est de (|n()i dans l’instant je lui parlais, seigneur. 11 sait vous iniilei-, sei’\ir liome. et lui plaire : II aime a\(’ngl(’nient sa pali’ie et son père.

i ! i ; I Ti s. Il le <l( »il : mais siirloiil il doil aimer les lois ; Il doil en être eschne, en porter lont le pciids. (Jui veut les violer n’aime poiiH sa patrie.

mi : s s \i. \. Nous a\( »ns \n lou.^ ; deux si son bras l’a sei", ie. A(.TK II. SCKM- ; V. : U7

BKLTLS.

Il a lait son devoir.

MESS Al. \.

VA Roino cill lail le sion Kii l’ciidaiil plus (riioiineurs à ce dicr citojcii.

BKLTLS.

\oii, non : le consulat n’est point lail ponr son àgc ; J’ai inoi-mêine à mon fils refusé mon suflrage. Croyez-moi, le succès de son and)ition Serait le prenuer pas vers la corruption. Le prix de la \(’rtn sei’ait iK’iv’ditaire : ’ Bieidôt riiidif^iie lils du plus vertueux père, Trop assuré d’un rang d’autant moins mérité, L’attendrait dans le luxe et dans l’oisiveté : Le dernier des Tarquins en est la preuve insigne. Qui naquit dans la pourpre en est rarement digne. \ous préservent les cieux d’un si funeste abus. Berceau de la mollesse et tombeau des vertus 1 Si vous aimez mon fils, je me plais à le croire. Représentez-lui mieux sa véritable gloire : Étouffez dans son cœur un orgueil insensé : C’est en servant l’État qu’il est récompensé. De toutes les vertus mon fils doit un exemple : C’est l’appui des Romains que dans lui je contemple ; Plus il a fait pour eux, plus j’exige aujourd’hui. Connaissez à mes vœux l’amour que j’ai pour lui : Tempérez cette ardeur de l’esprit d’un jeune homme : Le flatter, c’est le perdre, et c’est outrager Rome.

MESS.VL.V.

Je me bornais, seigneur, à le suivre aux combats ; J’imitais sa valeur, et ne l’instruisais pas. J’ai peu d’autorité ; mais s’il daigne me croire, Rome verra bientôt comme il chérit la gloire.

BRUTLS.

Allez donc, et jamais n’encensez ses erreurs : "Si je bais les tyrans, je hais plus les flatteurs.

SCÈNE Y.

MESS AL A.

11 n’est point de tyran plus dur, plus haïssable, 348 iJ II UT US.

Oue Ja sévérité (k » ton cœur intraitable. Va, je verrai peut-être à nies i)ie(ls a])attii Cet orgueil insultant de ta fausse vertu. Colosse, qu’un vil peuple éleva sur nos tètes, Je pourrai t’écraser, et les foudres sont prêtes.

FIN DU DEUXIEME ACTE. ACTE TROISIÈME.

SCE.NE 1.

ARONS. ALBIN. MESSALA.

ARONS, une lettre à la main.

Je commence à goûter une juste espérance ; Vous nravez bien servi par tant de diligence. Tout succède à mes vœux. Oui, cette lettre, Albin, Contient le sort de Rome et celui de Tarquin, Avez-vous dans le camp réglé l’heure fatale ? A-t-on bien observé la porte Quirinale ? L’assaut sera-t-il prêt, si par nos conjurés Les remparts cette nuit ne nous sont point livrés ? Tarquin est-il content ? crois-tu qu’on l’introduise Ou dans Rome sanglante, ou dans Rome soumise ?

ALBIX.

Tout sera prêt, seigneur, au milieu de la nuit. Tarquin de vos projets goûte déjà le fruit : 11 pense de vos mains tenir son diadème ; Il vous doit, a-t-il dit, plus qu’à Porsenna même.

AROXS.

Ou les dieux, ennemis d’un prince malheureux. Confondront des desseins si grands, si dignes d’eux ; Ou demain sous ses lois Rome sera rangée ; Rome en cendres peut-être, et dans son sang plongée. Mais il vaut mieux qu’un roi, sur le trône remis, Commande à des sujets malheureux et soumis, Oue d’avoir à dompter, au sein de l’abondance, D’un peuple trop heureux l’indocile arrogance.

(A.\lbin.i

Allez ; j’attends ici la princesse en secret.

’ A Messala. )

Messala, demeurez. 330 BHUTUS.

SCÈNE II.

ARONS, MESSALA.

ARONS.

EIi bien ! qu’aA ez-vous fait ? Avoz-voiis de Titus fléchi le fier coiii’age ? Dans le parti des rois pensez-vons (jifiJ s’engage ?

MESSALA.

Je vous l’avais prédit ; l’inflexible Titus

Aime troj) sa patrie, et tient trop de lîriitiis.

Il se plaint du sénat, il brûle pour Tullie ;

L’orgueil, l’ambition, l’amour, la jalousie,

Le feu de son jeune âge et de ses passions,

Semblaient ouvrir son âme â mes séductions.

Cependant, qui l’eût cru ? la liberté l’emporte ;

Son amour est au comble, et Rome est la plus forte.

J’ai tenté par degrés d’effacer cette horreur

Que pour le nom de roi liome imprime en son cœur.

En vain j’ai combattu ce préjugé sévère ;

Le seul nom des Tanjnins irritait sa colère.

De son enti’etien même il m’a soudain privé ;

Ht jo hasardais trop, si j’avais achevé.

AHONS.

Ainsi de le fléchir Messala désespère.

MESSALA.

J’ai trouvé moins d’obstacle à vous donner son frère, Kt j’ai du moins séduit un des fils de lîrutus.

ARONS.

(juoi ! vous auriez déjà gagné Tibérinus ?

l’ar quels ressorts secrets, par queUe heureuse intrigue ?

MESSALA.

Son ambition seule a fait toute ma brigue. Avec un œil jaloux il voit, depuis longtemps, De son frère et de lui les honneurs différents ; Ces drapeaux suspendus ù ces voûtes fatales. Ces festons de lauriers, ces pompes triomphales, Tous les coMirs des lîomaius et celui de lîrutus Dans ces solcntdtés \()lant d(’\atd Titirs, Sont pour lui (\os alfronts (|iii. dans son Ame aigrie, KchaufTent le j)oison de sa secrète en\ie. ACTi : III. SCKM- : II. : {il

Kl (•(’|)<’ii(l ; iiit Tiliis. sjiiis liniiic cl s ; iiis coiiri’oiix.

Troj) ; iii-(l(’ssii.s de lui poiii’ en r\\’r j ; il(Ui\.

Lui tend oiicor la main de son char (\i’ \ict()ire,

Et semble en rembrassant ]"accabler de sa gloire.

J’ai saisi ces moments ; j’ai su peindre à ses yeu.v

Dans une coni" l)rillante un rann’ plus glorieux :

J’ai [)ressc, j’ai promis, au nom de TaiNpiin mr-mc.

Tous les lion tien rs de Home après le l’ani ; ’ suprême :

Je l’ai vu s’chlouir, je l’ai \n s’ébranler :

Il est à vous, seigneur, et cberclie à vous parler.

AIIONS,

lN)urra-l-il nous livi’er la ])orte Onirinale ?

M ! • : s s A 1. A. Titus seul y commande, et sa vertu fatale N’a que trop arrêté le cours de vos destins : C’est un dieu qui préside au salut des Romains, (iardez de hasarder cette attaque soudaine. Sûre avec son appui, sans lui trop incertaine.

.4R0XS.

Mais si du consulat il a brigué l’honneur. Pourrait-il dédaigner la sui)réme grandeur, ¥A Tullie, et le troue, oflerts à son courage ?

MESSALA.

Le trône est un affront à sa vertu sauvage.

A II G X s.

Mais il aime Tullie.

—MESSALA.

11 l’adore, seigneur : 11 iaime d’autant plus qu’il combat son ardeur. 11 brûle pour la fille en détestant le père : 11 craint de lui parler, il gémit de se taire : Il la cherche, il la fuit : il dévore ses pleurs, Et de l’amour encore il n’a que les fureurs. Dans l’agitation d’un si cruel orage, lu moment quelquefois renverse un grand courage. Je sais quel est Titus : ardent, impétueux, S’il se rend, il ira plus loin que je ne veux. La flère ambition qu’il renferme dans l’àme Au flambeau de l’amour peut rallumer sa flamme. Avec plaisir sans doute il verrait à ses pieds Des sénateurs tremblants les fronts humiliés : Mais je ^ous tromperais, si j’osais vous promettre 352 BRUTUS.

Qu’à cet amour fatal il veuille se soumettre. Je peux parler encore, et je vais aujourd’hui…

ARONS.

Puisqu’il est amoureux, je compte encor sur lui. Un regard de ïullie, un seul mot de sa l)Ouclie, Peut plus, pour amollir cette vertu l’arouclie, Que les subtils détours et tout l’art séducteur D’un chef de conjurés et d’un aml)assadeur.

^N’espérons des humains rien (jue par leur faiblesse.

L’ambition de l’un, de l’autre la tendresse.

Voilà des conjurés qui serviront mon roi ;

C’est d’eux que j’attends tout : ils sont plus forts (pie moi.

rTuUie enlrc. Mossala se retire.)

SCENE III.

TULLIE\ ARONS, ALGINE.

ARONS.

Aladame, en ce moment je reçois cette lettre

Qu’en vos augustes mains mon ordre est de remettre.

Et que jusqu’en la mienne a fait passer Tarquin.

TULLIE,

Dieux ! protégez mon père, et changez son destin !

(Elle lit.1

(( Le trône des Romains peut sortir de sa cendre : Le vainqueur de son roi peut en être l’appui :

1. Dans toutes les éditions antcriourcs à la nôtre, on fait jouor à M"*^^ Gaussin le rôle de Tullie. D’après les registres de la Comédie-Française, nous l’avons rendu à M" Danpievillc, qui n’était âgée que de quatorze ans, et à laquelle Voltaire adressa, après la première représentation, une jolie lettre d’encouragement qu’on trouvera dans la Correspondance. Ce fut Voltaire lui-même qui alla porter le rôle de Tullie

\ M" Dangeville, qui venait de débuter dans Hermione. Celle-ri dut l’accepter

au préjudice d’une camarade plus ancienne qu’elle, M"’= de Seine. Le rôle de Tullie était mauvais ; mais, comme il y eut cabale, on imputa le peu de succès de la pièce à la nouvelle arti-icc, qui, (léi)itée, renonça pour toujours au tragique. On lui adressa ces vers :

Mais quelle erreur vient vous livrer

Tout entière à Tlialio Pour n’avoir pu faire admirer

Les défauts de Tullie ? Quiconque jupe sainement

Vous a rendu justice ; C’était le rôle seulement

Qui manquait à l’actrice. (G. A.) ACTl : ; m. SCI : ;. NE IJl. 3iJ3

Titus est lin Iktos : (-"(’st ; ’i lui de (Icl’ondre L ti sceptre (|ii(’ je \(mi\ pîirtiii^cr a\ec lui. Vous, souL^cz (juc Tar([uiii vous a donné la vie ; Songez que mon destin va dépendre de \ous. \"ous pourriez refuser le roi de Ligurie ; Si Titus vous est cher, il sera votre époux. »

Vi-je i)i(’ii lu ?… Titus ?… seigneur… est-il ])ossil)le ? Tarquin, dans ses malheurs jus([u"alors inflexible. Pourrait ?… Mais d’où sait-il ?… et comment ?… Ah, seigneur ! Ne veut-on ([u’arracher les secrets de mon cœur ? Épargnez les chagrins d’une triste princesse ; Ne tendez point de piégc à ma faible jeunesse.

AROXS.

Non, madame ; à Tar([uin je ne sais qifobéir,

Écouter mon devoir, me taire, et vous servir ;

Il ne m’appartient point de chercher à comprendre

Des secrets ({uen mon sein vous craignez de répandre.

Je ne veux point lever un œil présomptueux

Vers le voile sacré que vous jetez sur eux ;

Mon devoir seulement m’ordonne de vous dire

Que le ciel veut par vous relever cet empire,

Que ce trône est un prix qu’il met à vos vertus.

TLLLIE.

’.Je servirais mon père, et serais à Titus ! Seigneur, il se pourrait…

ARONS.

N’en doutez point, princesse. Pour le sang de ses rois ce héros s’intéresse. De ces républicains la triste austérité De son cœur généreux révolte la fierté ; Les refus du sénat ont aigri son courage : Il penche vers son prince : achevez cet ouvrage. Je n’ai point dans son cœur prétendu pénétrer ; Mais puisqu’il vous connaît, il vous doit adorer. Quel œil, sans s’éblouir, peut voir un diadème Présenté par vos mains, embelli par vous-même ? Parlez-lui seulement, vous pourrez tout sur lui ; --

De l’ennemi des rois triomphez aujourd’hui ; Arrachez au sénat, rendez à votre père Ce grand appui de Rome et son dieu tutélaire ; Et méritez l’honneur d’avoir entre vos mains Et la cause d’un père, et le sort des Piomains.

Théâtre. I. 23 354 BRI TUS.

SCÈNE IV.

TULLIE, ALGINE.

TULLIE.

Ciel ! (iiio jo (lois d’encens à ta bonté propice ! Mes pleurs font désarmé, tout change, et ta justice. Aux feux dont j’ai rougi rendant leur pureté, PiU les récompensant, les met en liberté.

(A Algine.’i

Va le chercher, va, cours. Dieux ! il m’évite encore : Faut-il qu’il soit heureux, hélas ! et qu’il l’ignore ? Mais… ii’écouté-je point un espoir trop flatteur ? Titus pour le sénat a-t-il donc tant d’horreur ? Que dis-je ? hélas ! devrais-je au dépit qui le presse Ce ([ue j’aurais voulu devoir à sa tendresse ?

ALGINE.

.le sais (|ue le sénat alluma son courroux, (uril est amlutieux, et qu’il brûle pour vous.

’JTLLIE.

11 fera tout pour moi, n’en doute point ; il m’aime.

(Alginc sort.)

Va, dis-je… Cependant ce changement extrême…

Ce billet !… De ([uels soins mon cœur est combattu !

Éclatez, mon amour, ainsi que ma \ertul

La gloire, la raison, le devoir, tout l’ordonne.

Ouoi ! mon père à mes feux va devoir sa couronne !

De Titus et de lui je serais le lien !

Le boidieur de l’État va donc naître du mien !

Toi que je peux aimer, quand pourrai-je t"a|)|)reudre

Ce changement du sort où nous n’osions prétendre ?

Quand ])ourrai-je, Titus, dans mes justes transpoi-ts,

T’enteudie sans regrets, te parler sans remords ?

Tous mes maux sont finis : Home, je te pai’donne ;

rionic. lu \as servir si Titus l’ahandonne :

Sénat. In \as lond)er si Titus est à nu)i :

Ton liéios m’aime ; trendjle, et reconnais ton roi. ACÏIi III. S ci : M- V. .35o

scèm : V.

TITUS. Tll.I.IH.

ÏITLS.

Madame, est-il Ijien vrai ? daignez-vous voir encore Cet odieux Romain que votre cœur abhorre, Si jnstenient liai, si coupable envers vous, Cet ennemi ?…

TLLLIE.

Seigneur, tout est changé pour nous. Le destin uic permet… Titus… il faut me dire Si j’avais sur \otre ànu’ un véritable empire.

TITLS,

Eh ! pouvez-\ous douter de ce fatal pouvoir. De mes leu\, de mon crime, et de mon désespoir ? \ous ne Tavez que trop cet empire funeste ; L"amour vous a soumis mes jours, que je déteste : Commandez, épuisez votre juste courroux ; Mon sort est en vos mains.

TLLLIE.

Le mien dépend do vous.

TITLS.

De moi 1 Titus tremblant ne vous en croit qu’à peine ; Moi. je ne serais plus l’objet de votre haine ! Ml ! princesse, achevez ; quel espoir encliauteur M’élève en un moment au faîte du bonheur !

TLLLIE, en donnant la lettre.

Lisez, rendez heureux, vous, Tullie, et mon père.

(Tandis qu’il lit.)

Je puis donc me flatter… Mais quel regard sévère ! D’où vient ce morne accueil, et ce front consterné ? Dieux !…

TITLS.

Je suis des mortels le plus infortuné ; Le sort, dont la rigueur à m’accaliler s’attache. M’a montré mon l)onheur, et soudain me l’arrache ; Et. pour combler les maux que mon cœur a soufï’erts. Je puis vous posséder, je vous aime, et vous perds. 356 RRUTUS.

TLLLIE.

Vous, Titus ?

TITUS.

Ce moment a condamné ma vie Au comlilc des horreurs ou de rignomiuie, A trahir Rome ou vous ; et je n’ai désormais Que le choix des malheurs ou celui des forfaits.

TLLLIE.

Que dis-tu ? quand ma main te donne un diadème,

Quand tu peux m’obtenir, quand tu vois que je faime !

Je ne m’en cache plus ; un trop juste pouvoir,

Autorisant mes Aoeux, m’en a lait un devoir.

Hélas ! j’ai cru ce jour le plus heau de ma vie ;

Et le premier moment où mon âme ravie

Peut de ses sentiments s’expliquer sans rougir,

Ingrat, est le moment qu’il m’en faut repentir !

Que m’oses-tu parler de malheur et de crime ?

Ah ! servir des ingrats contre un roi légitime,

M’opprimer, me chérir, détester mes bienfaits ;

Ce sont là mes malheurs, et voilà tes forfaits.

Ouvre les yeux, Titus, et mets dans la balance

Les refus du sénat, et la toute-puissance.

Choisis de recevoir ou de donner la loi.

D’un vil peuple ou d’un trône, et de Rome ou de moi.

Inspirez-lui, grands dieux ! le parti qu’il doit prendre.

TITUS, en lui rendant la lettre.

Mon choix est fait,

TULLIE.

Eh bien ! crains-tu de me l’apprendre ? Parle, ose mériter ta grâce ou mon courroux. Quel sera ton destin ?…

TITUS.

D’être digne de vous. Digne encor de moi-même, à Rome encor Jidéle ; Hrùlant d’amour pour vous, de combath-e pour elle ; D’adorer vos vertus, mais de les imiter : De vous perdre, madame, et de vous mériter.

Ti i.Lii : . Ainsi (loue pour jamais…

TITl s.

Ah ! pardonnez, princesse : Oubliez ma fureur, épargnez ma faiblesse ; ACTI- III. SCBNK V. 337

Ayoz |)ili(’ diiii cœur de soi-inêiuo ennemi, Minus malheureux cent fois quand vous l’avez liaï. Pardonnez, je ne puis vous quitter ni vous suivre : Ni pour vous, ni sans vous, Titus ne saurait vivre ; Et je mourrai plutôt qu’un autre ait votre loi.

TLLLIE.

Je te pardonne tout, elle est encore à toi.

ÏITLS.

Eh hien ! si ^ous m’aimez, ayez l’àme romaine, Aimez ma république, et soyez plus que reine ; Apportez-moi pour dot, au lieu du rang des rois. L’amour de mon pays, et l’amour de mes lois. Acceptez aujourd’hui Rome pour votre mère. Son vengeur pour époux. Bru tus pour votre père : Que les Romains, vaincus en générosité, A la fille des rois doivent leur liberté.

TL LLIE.

Qui ? moi, j’irai trahir ?…

TITUS.

Alon d(’sespoir m’égare. /^ ’Sou, toute trahison est indigne et barbare. Je sais ce qu’est un père, et ses droits absolus ; Je sais… que je vous aime… et ne me connais plus.

TLLLIE.

Écoute au moins ce sang qui m’a donné la vie.

TITUS.

Eh ! dois-je écouter moins mon sang et ma patrie ?

TULLIE.

Ta patrie ! ah, barbare en est-il donc sans moi ?

TITUS.

Xous sommes ennemis… La nature, la loi \ous impose à tous deux un devoir si farouche,

TULLIE,

Nous ennemis ! ce nom peut sortir de ta bouche !

TITUS.

Tout mon cœur la dément.

TULLIE.

Ose donc me servir ; Tu m’aimes, venge-moi. 358 BRU TUS.

SCENE YI.

BKUTUS. ARONS, TITUS, TULLIH. MESSALA ALBIN

l’ROCULUS, LICTKURS. BRU TU s, à TuUie.

Madame, il faut partir. Dans les premiers éclats des tempêtes publiques, Rome n’a pu vous rendre à vos dieux domestiques : Tarquin même en ce tenqis, pronqit à vous oublier. Et du soin de nous perdre occupé tout entier, Dans nos calamités confondant sa famille. N’a pas même aux Romains redemandé sa fille. Soutirez que je rappelle un triste soutenir : Je vous privai d’un père, et dus vous en servir. Allez, et que du trône, où le ciel vous appelle. L’inflexible équité soit la garde éternelle. Pour qu’on vous obéisse, obéissez aux lois ; Tremblez en contemplant tout le devoir des rois ; Et si de vos flatteurs la funeste malice Jamais dans votre cœur ébranlait la justice, Prête alors d’abuser du pouvoir souverain. Souvenez-vous de Rome, et songez à Tar([uin : Et que ce grand exemple, où mon espoir se fonde, Soit la leçon des rois et le bonbeur du monde.

I A Arons. )

Le sénat vous la rend, seigneur ; et c’est à vous De la remettre aux mains d’un père et d’un époux. Proculus va vous suivre à la porte Sacrée.

TITUS, éloi ; ,’ni’.

<) de ma ])assion fureur désespérée !

(Il va vers Arons.)

Je ne soulfrirai point, non… permettez, seigneur…

I Urutus et TuUiu sortent avec leur suite ; Aruns et Mrssahi restent, i

Dieux ! ne moiii’rai-jc poiiil de houle et de douleur !

I A Arons. )

Pourrai-je vous parler ?

AltONS.

Seigneur, le temps me presse. ACTK III. SCKM- ; VN. ^i^W

il me r.iiit suivre ici r.i’iiliis cl l ; i pi’iiicosse ; .le |)iiis (riiiic liciirc ciicor rctanler son drpart : < ; r ; ii,t ; ii(’/. sciiiiiciir, (•nii.i,Mi(’z de me |) ; irlor trop t ; inl. Dans son apparlcnicnt nous pouvons l’un et l’antr*^ |>arl(’|- (le ses (Icstiiis, et pciit-rlrc (In vnirç.

n sort.)

SCENE VIT.

r I T r s. .M I- : s s a l a.

TITl s.

Sort (jui nons as rejoints, et ([ni nous désunis ! Sort, ne nous as-tu l’aits ({ue poui’ être ennemis ? Ml ! raclie, si tn i)fni\, ta fureur et tes Jaruies.

MESSALA.

Je plains tant do vertus, tant d"amour et de charmes : l II ca-ur tel (jne le sien méritait d’être à \ ons.

TITUS.

Non, c’en est fait : Titus n’en sera point re|)on : >v-

MESSALA.

I »oiir(|iioi ? Quel vain scrupule à vos désirs soppose ?

TITL S.

\l)ominahles lois ({ue la cruelle impose ! T\rans ([ue j’ai vaincus, je pourrais vous servir ! Peuples (|ue j’ai sauvés, je pourrais vous trahir ! L’amour dont j’ai six mois vaincu la violence, L’amour aurait sur moi cette affreuse puissance ! J’exposerais mon père à ses tyrans cruels ! Kt ([nel père ? un héros, l’exemple des mortels, L’appui de son pays, ({ni m’instruisit à l’être, (jne j’imitai, qu’un jour j’eusse égalé peut-être. \pr(’s tant de vertus (|uel horrible destin !

MESSALA.

\ ous eûtes les vertus d’un citoyen romain : Il ne tiendra qu’à vous d’avoir celles d’un maître : Seigneur, vous serez roi dès que vous voudrez l’être. Le ciel met dans vos mains, en ce moment heureux, La vengeance, l’empire, et l’objet de vos feux. Que dis-je ? ce consul, ce héros que l’on nomme Le père, le soutien, le fondateur de Rome, 360 BRUÏUS.

Qui s’enivre à vos yeux de l’encens des liumains.

Sur les débris d’un trône écrasé par vos mains,

S’il eût mal soutenu cette grande querelle,

S’il n’eût vaincu par vous, il n’était qu’un rehelle.

Seigneur, emhellîssez ce grand nom de vainqueur

l)u nom plus glorieux de pacificateur ;

Daignez nous ramener ces jours où nos ancêtres

Heureux, mais gouvernés, libres, mais sous des maîtres.

Pesaient dans la balance, avec un même poids.

Les intérêts du peuple et la grandeur des rois.

Rome n’a point pour eux une haine immortelle ;

Home va les aimer, si vous régnez sur elle.

Ce pouvoir souverain que j’ai vu tour à tour

Attirer de ce peuple et la haine et l’amour.

Qu’on craint en des États, et qu’ailleurs on désire,

Est des gouvernements le meilleur ou le pire ;

Affreux sous un tyran, divin sous un bon roi.

TITCS.

Messala, songez-vous que vous parlez à moi ?

Que désormais en vous je ne vois plus qu’un traître.

Et qu’en vous épargnant je commence de l’être ?

MESSALA.

Eh bien ! apprenez donc que Ton au vous ra\ir L’inestimable honneur dont vous n’osez jouir ; Qu’un autre accomplira ce que vous pouviez faire.

TITUS.

Un autre ! arrête ; dieux ! parle… ([ui ?

MESSALA.

A otre frère.

TITl s.

Mon frère ?

MESSALA.

A Tarquin ménu’ il a donné sa foi.

TITLS.

Mon frère Irahil Home ?

MESS AL \.

11 sert Home et son, roi. Et Tarquin, malgré vous, n’acceptera pour gendre Que celiii des iJoiuains (|iii l’aura pu (h’fcudi’e.

rni s. (liel !… pci’lidc !… (’coulcz : nu)n ctriir longiemps scduil \ méconnu raliinic (u’i \ous ni"a\(’z conduil. ACTK III. SCKNli Vill. 30 1

\()iis poiisoz me rf’diiirc ; iii iiinliiciii’ inVossairo DT’tro ou le d(l ; il(Mir, on coiuplicc (riiti i’vvro : Mais plutôt Yotrc sang…

MESSALA.

Vous pouvoz iiron punir ; Frappez, jo le inrritc on voulant vous ser\ir. Du sang do voti’o ami (\\\o cotto uiain fumante Y joigne encor Je sang d’un frère et d’une amante ; Kt, leur tète à la main, demandez au sénat. Pour prix de vos vertus, l’honneur du consulat ; Ou moi-même à l’instant, déclarant les complices. Je m’en vais commencer ces affreux sacrifices.

TITUS.

Demeure, malheureux, ou crains uion désespoir.

SCENE YIII.

TITUS, MESSALA, ALBIN.

ALBIN,

L’ambassadeur toscan peut maintenant vous voir ; Il est chez la princesse.

TITLS.

… Oui, je vais chez Tullie… J’y cours. dieux de Rome 1 ô dieux de ma patrie ! Frappez, percez ce cœur de sa honte alarmé, Qui serait vertueux, s’il n’avait point aimé. C’est donc à vous, sénat, que tant d’amour s’immole ?

(A Mcssala. ]

A vous, ingrats !… Allons… Tu vois ce Capitole Tout plein des monuments de ma fidélité.

MESSALA.

Songez qu’il est rempli d’un S(nat détesté.

TITUS.

Je le sais. Mais… du ciel qui tonne sur ma tète ^ J’entends la voix qui crie : Arrête, ingrat, arrête ! / Tu trahis ton pays… Aon, Rome ! non, Rrutusl Dieux qui me secourez, je suis encor Titus. La gloire a de mes jours accompagné la course ; Je n’ai point de mon sang déshonoré la source ;  : Wi BRU TUS.

Votre victime est pure ; et s’il tant qu’anjoiinlliiii Titus soit aux forfaits entraîné malgré lui ; S’il faut que je succombe au destin ([ui m’op])rime ; Dieux ! sauvez les Romains ; frappez avant le crime !

FIX DU TH01S1EME ACTE, ACTE OIATRIÈME.

sgem : I.

TITUS. ARONS, MESSALA.

TITLS.

Oui. j"y suis irsolu. partez ; c’est trop attendre ; .

Ilontpu^, (irsosporr, je ne veux rien entendre ; /

Laissez-moi ma vertu, laissez-moi mes malheurs.

Fort contre vos raisons, faible co-ntre ses pleurs,

Je ne la verrai plus. Ma fermeté trahie

Craint moins tous vos tyrans qu’un regard de Tullic

Je ne la verrai plus ! oui, qu’elle |)arte… \li. dieux :

AP.ONS.

Pour vos intérêts seuls arrêté dans ces lieux.

J’ai bientôt passé l’heure avec peine accordfV’

Que vous-même, seigneur, vous m’aviez demandée.

TITLS.

Moi. je l’ai demandée !

ARONS.

Hélas ! que pour vous deux J’attendais en secret un destin plus heureux ! J’espérais couronner des ardeurs si parfaites ; Il n’y faut plus penser.

TITLS.

Ah ! cruel que ^ ous êtes ; Vous avez vu ma honte et mon abaissement ; \ ous avez vu Titus balancer un moment. /^ Allez, adroit témoin de mes lâches tendresses, \llez à vos deux rois annoncer mes faiblesses ; (vontez à ces tyrans terrassés par mes coups Que le fds de Brutus a pleuré devant vous^

1. Ces vers ont été imités par Laharpe dans Wanv’ick :

Et s’il faut encor plus pour réveiller leur foi,

Dis que le lier Warwick a pleuré devant toi ! ’K.i 364 BRUÏUS.

Mais ajoutez au moins que, parmi tant de larmes, Malgré vous et Tullie, et ses pJeurs et ses charmes, \aiiiqueur eucor de moi, libre, et toujours lîomain, Je ne suis point soumis par le sang de Tarquin ; Que rien ne uie surmonte, et (jue je jure encore Lue guerre éternelle à ce sang que j’adore.

AR0.\S.

J’excuse la douleur où vos sens sont plongés ; Je respecte en pai’tant vos tristes préjugés. Loin de vous accabler, avec vous je soupire : Elle en mourra, c’est tout ce que je peux vous dire. Adieu, seigneur.

.MESSAL A.

ciel !

SCENE II.

TITUS, MESSALA.

TITUS.

Non, je ne puis soufï’rir Que des remparts de Rome on la laisse sortir : Je veux la retenir au péril de ma vie.

MESSALA.

Vous voulez…

TITUS.

Je suis loin de trahir ma patrie. Rome l’emportera, je le sais ; mais enfin Je ne puis séparer Tullie et mon destin. Je respire, je vis, je périrai pour elle. Prends pitié de mes maux, courons, et (|ue Ion zèle Soulève nos amis, rassemble nos soldats : En dépit du sénat je retiendrai ses pas ; Je ])rétends que dans Rome elle reste en otage : Je le veux.

MESSALA.

Dans (|U(’ls soius votre amour vous engage I El (|ue |)rél<’udez-\()iis |)ar ce coiii) dangereux, Que (ra\ou(’r sans IViiil un amour uiallieureux ?

TITUS.

Kli liicu ! c’est au sénat qu’il faut que je m’adresse.

\a de ces rois de lîonie adoucir la rudesse ; ACTi ; i\. sckm : ni. 36-3

Dis-leur (|iic riutOrèt de l’Elat, de Uriitiis… Hélas ! que je m’emporte en desseins superflus :

MESSALA.

Dans la juste douleur où votre àme est en proie, Il laut. pour \ous sei-\ir…

ÏITL’S. Il faut que je la \oio ;

Il faut que je lui parle. Elle passe en ces lieux : Mlle eidendi’a du moins mes éternels adieux.

MESSALA.

Parlez-lui, croyoz-nuji.

TITUS.

Je suis perdu, c’est elle.

SCENE m.

TITUS. MESSALA. TULLIE. AKiIXE

ALGIXE.

On ^ous attend, madame.

TULLIE,

Ah ! sentence cruelle ! L’ingrat me touche encore, et Brutus à mes yeux Paraît un dieu terrible armé contre nous deux, .l’aime, je crains, je pleure, et tout mon cœur s’égare. \llons.

TITUS.

Non, demeurez.

TULLIE.

Que me veux-tu, barbare ? Me tromper, me braver ?

TITUS.

Ahl dans ce jour afïVeux .le sais ce que je dois, et non ce que je veux ; .le n’ai plus de raison, vous me l’avez ravie. Kh l)ien : guidez mes pas, gouvernez ma furie ; Régnez donc en tyran sur mes sens éperdus ; Dictez, si vous l’osez, les crimes de Titus. Non, plutôt que je livre aux flammes, au carnage. Ces murs, ces citoyens qu’a sauvés mon courage ;  : m ; BRU TU S.

Oiriiii pôro abaiidoMiK’ pai" im fils fiii’ioiix’, Sous le l’or de Tarquiii…

Tl lAAK.

M’en préservent les dieux ! \a\ nature te parle, et sa voix m’est trop chèi’e : Tu m’as trop bien appris à trembler pour un jjèrc : lîassure-toi ; Brutus est désormais le mien : Tout mon sang est à toi, qui te répond du sien ; Notre amour, mon hymen, mes jours en sont le <^i\<^(’ Je serai dans tes mains sa fille, son otage. Peu\-tu délibérer ? Penses-tu qu’en secret Brutus te vît au trône avec tant de regret ? Il n’a point sur son front placé le diadème : Mais, sous un autre nom, n’est-il pas roi lui-même ? Son règne est d’une année, et bientôt… Mais, lu-lasl Oue de faibles raisons, si tu ne m’aimes pas I Je ne dis plus qu’un mot. Je pars… et je t’adoi’e. l’u pleures, tu frémis ; il en est temps encore : Achève, parle, ingrat ! que te faut-il de plus ?

TITUS.

Aotre haine : ehe man([ue au malheur de Titus.

Tl’LLIE.

Ah ! c’est trop essuyer tes indignes murniures,

Tes vains engagements, tes })laintes, tes injures ;

Je te r(Muls ton amour dont le mien est confus.

Et tes trompeurs serments, pires que tes refus.

Je n’irai i)oint chercher au fond de l’Italie

U-es fatales grandeurs que je te sacrifie.

Et pleurer loin de Bome, entre les bras d’un roi.

Cet amour malheureux que j’ai senti pour toi.

J’ai réglé mon destin ; Romain dont la rudesse

A’afiecte de vertu que contre ta maîtresse.

Héros pour m’accabler, timide à me servir :

Incertain dans tes vœux, apprends à les i’<'niplir.

Tu verras qu’une femme, à tes \eu\ mépiisahle.

Dans ses projets au moins était iiu’hranlable ;

Et par la rcrnieh’ dont ce comii" est aiMué,

Titus, tu connaîtras comme il faiirait aimé.

Au pied de ces murs même où r(’gîiaient mes anc("’tres.

De ces mnrs que la main (h-feiid conire leiii’s mailres,

Où tu m’oses trabir, et m’oulrager connue eux.

Où ma foi fut séduite, où tu tronq^is mes feux. AcTi : i\. si ; i ; \i : m.

.le jure ; ’i Ions les dieux (|iii \(’iij ; (’iit les i)arjiiros, (Jiic moti hras, dans mon sang (’(laçant mes injures, l*his juste (|ue le tien, mais moins irrésolu. Ingrat, va me [)unir de favoir mal connu : Kt je vais…

TITLS, Tarn" tant.

Non, nuidame. il faut -^ous salislaii-c : .le le \(’ii\. j"eu l’n'niis : cl j"\ cours [jour \ous plaire : l)"autant plus malheureux (|ue, dans ma passion, Mon cœur n’a pour excuse aucutu^ illusion : Que je ne goûte point, dans mon désordre extrême, Le triste et Aain plaisir de me tromper moi-même : (Jue l’amour aux forfaits me force de voler : Que vous m’avez vaincu sans pouvoir m’aveugler : Et qu’encore indigné de l’ardeur qui m’anime. Je chéris la vertu, mais j’emhrasse le crime. Haïssez-moi, fuyez, quittez un malheureux Qui meurt d’amour pour vous, et déteste ses feux : / Qui va s’unir à vous sous ces affreux augures. Parmi les attentats, le meurtre, et les paijui-es.

Tl LLIE.

Nous insultez, Titus, a ma funeste ardeur ; Vous sentez à quel point vous régnez dans mon cœur. Oui, je vis pour toi seul, oui, je te le confesse : Mais malgré ton amour, mais malgré ma faihlesse. Sois sûr que le trépas m’inspire moins d’effroi Que la main d’un époux qui craindrait d’être à moi : Qui se repentirait d’avoir servi son uiaître, Que je fais souverain, et qui rougit de l’être. Voici l’instant affreux qui va nous éloigner. Souviens-toi que je t’aime, et que tu peux régner. L’amhassadeur m’attend ; consulte, délibère : Dans une heure avec moi tu reverras mon père. Je pars, et je reviens sous ces murs odieux Pour y rentrer en reine, ou périr à tes yeux.

TITLS,

Nous ne périrez point. Je vais…

TLLLIE.

Titus, arrête ; En me suivant plus loin tu hasardes ta tête : On peut te soupçonner : demeure : adieu : résous D’être mon meurtiier ou d’être mon (-poux. 368 BRUTUS.

SCÈNE IV.

TITUS.

Tu l’emportes, cruelle, et lîome est asservie ; Reviens régner sur elle ainsi que sur ma vie ; Reviens : je vais me perdre, ou vais te couronner : Le plus grand des forfaits est de t’abandonner. Qu’on cherche Messala ; ma fougueuse imprudence A de son amitié lassé la patience. Maîtresse, amis, Romains, je perds tout en un jour.

SCÈNE V.

TITUS. MESSALA.

TITUS,

Sers ma fureur enfin, sers mon fatal amour ; Viens, suis-moi.

MESSALA.

Commandez ; tout est prêt ; mes cohortes Sont au mont Quirinal, et livreront les portes. Tous nos braves amis vont jurer avec moi De reconnaître en vous Théritier de leur roi. Ne perdez point de temps, déjà la nuit plus sombre Voile nos grands desseins du secret de son ombre,

Titus.

L’heure approche ; Tullie en compte les moments… ■ Et Tarquin, après tout, eut mes premiers serments.

(Le fond du théâtres s’ouvre.)

Le sort en est jeté. Que vois-je ? c’est mon père ! SCÈNE VI.

BRUTUS, TITUS. MKSSALA, mctiîurs,

BKUTUS,

Viens, Rome csl en danger ; c’est en toi que j’espère. ACTK IV. SCÈNK VI. 369

I » ; ir iiii avis socrot le sriiat est instniil

OiToii doit atta(iiior Uoiuc au luilioii de la iiiiil.

J’ai brigué pour mon sang, pour le Iktos ([uc jaimc,

i/houuour (le ronimaudfr dans ce ix-ril cxtirnif’ :

Le sénat te l’accorde ; arme-toi, mon cher (ils ;

Une seconde fois va sauver ton ])ays ;

Pour notre liberté va prodiguer ta vie ;

Va, mort ou triomphant, tu feras mon envie.

TITUS.

Ciel :…

BKLTUS.

Mon (ils :…

TITUS.

Remettez, seigneur, en d’autres mains Les faveurs du sénat et le sort des Romains.

MESSALA.

Ah : quel désordre affreux de son âme s’empare :

BRU TU s.

Vous i)ourriez refuser l’honneur qu’on vous prépare ?

TITUS.

Oui ? moi. seigneur :

BIU TUS.

Eh ([uoi : votre cœur égaré Des refus du sénat est encore ulcéré : De vos prétentions je \ois les injustices. Ah ! mon fils, est-il temps d’écouter vos caprices ? Vous avez sauvé Rome, et n’êtes pas heureux ? Cet immortel honneur n’a pas comhlé vos vœux ? Mon fils au consulat a-t-il osé pnHendre Avant l’âge où les lois permettent de l’attendre ? Va, cesse de briguer une injuste faveur ; La place où je t’envoie est ton poste d’honneur ; Va, ce n’est qu’aux tyrans que tu dois ta colère : De l’État et de toi je sens que je suis père. ’DoimeJon_sang_cj JiQmc. et Ji’fiu exige rien ; >ois_ toujours un héros, sois plus, sois citoyen. Je touche, mon cher fils, au bout de ma carrière ; Tes triomphantes mains vont fermer ma paupière ; Mais, soutenu du tien, mon nom ne mourra plus ; Je renaîtrai pour Rome, et vivrai dans Titus. Que dis-je ? je te suis. Dans mon âge débile Les dieux ne m’ont donné qu’un courage inutile ;

Théâtre. I. 24 370 BRU TUS.

Mais je te verrai vaincre, ou mourrai, comme toi. Vengeur du nom romain, libre encore, et sans roi.

TITUS.

Ah, Messala !

SCENE Vil.

BRUTUS, YALÉRIUS, TITUS, MESSALA.

VALÉRIUS.

Seigneur, faites qu’on se retire.

BRUTUS, à son fils.

(iOurs, vole…

(Titus et Messala sortent.) VALÉRIUS.

On trahit Rome.

BRUTUS.

Ail ! qu"eiitends-je ?

VALÉRIUS.

On conspire. Je n’en saurais douter ; on nous trahit, seigneur. De cet alïreux com|)lot j’ignore encor rauteiir ; Mais le nom de Tarquin vient de se faire entendre. Et d’indignes Romains ont parlé de se rendre.

BUUTIS.

Des citoyens romains ont demandé des fers !

VALÉRIUS.

Les perfides m’ont fni par des chemins divers ; On les suit. Je soupçonne et Mt’iias et Léh’e, Ces partisans des rois et (\o la t\i-annie, Ces secrets ennemis du honlieur de l’État, Ardents à désunir le ])euple et le sénat. Messala les protège ; et, dans ce trouble extrême, J’oserais soupçonner jusqu’à Messala même. Sans l’étroite amitié dont l’iionore Titus.

Bi ; i ri s. OI)ser\()iis tous leurs pas ; je ne puis rien de plus : La liberté, la loi, dont nous sommes les pères. Nous (l(feiid des rigu<’Ui’s peut-être nécessaires : — — Arrêter un Romain sur de simples soupçons,

I ACTK IV. SCEM- : VIII. ; {7I

—("/ost agir on tyrans, nous (|iii los punissons’. MIons jiarlor au pouplo, enhardir Jos timides, Kncouragor los bons, étonner les perfides. Que les pères de IJonie et de la liberté \iennent rendre aux Romains leur intn’jjiditc : Quels cœurs en nous voyant ne reprendront courage ? Dieux ! donnez-nous la mort phitiM (jue resclavage ! Ouc le sénat nous suive.

SCENE VIll. BRUTus. vali- : rius. proculus.

PROCLLUS.

Un esclave, soigiieui’, I)"un entretien secret implore la faveur.

BULTLS.

Dans la nuit ? à cette heure ?

PROCLLUS.

Oui, d"un a\is fidèle Il apporte, dit-il. la pressante nouvelle.

BRLTLS,

Peut-être des Romains le salut en tlépend : Allons, c’est les trahir que tarder un moment.

A Proculus.1

Vous, allez vers mon fils : qu’à cette heure fatale Il défende surtout la porte Quirinale, Et que la terre avoue, au hruit de ses exploits, Que le sort de mon sang est de vaincre les rois.

I. M. Villemain, dans son Cours de littérature, raconte quo, sous la Terreur, on remplaçait ces deux vers par ceux-ci :

Arrêter un Romain sur un simple soupçon, Ne peut être permis qu’on révolution.

(Tableau de la littérature au xvni siècle, tome I, p. 192.)

FIN DL QUATRIEME ACTE. ACTE CINQUIEME.

SCENE I.

BRUTUS, LES SÉNATEURS, PROCULUS. LICTEURS,

l’esclave VIXDEX.

BRUTl s.

Oui, lîomo n’était plus ; oui, sous la tyrannie

L’auguste lil)erté toni])ait anéantie ;

Vos tombeaux se rouvraient ; c’en était fait : Taiïfuiii

Rentrait dès cette nuit, ta vengeance à ]a main.

C’est cet ambassadeur, c’est lui dont l’artifice

Sous les pas des Romains creusait ce précipice.

Enfin, le croirez-vous ? Rome avait des enfants

Qui conspiraient contre elle, et servaient les tyrans ;

Messala conduisait leur aveugle furie,

A ce perfide Arons il vendait sa patrie :

Mais le ciel a veillé sur Rome et sur vos jours ;

(En montrant l’osclave. )

Cet esclave a d’Arons écouté les discours ;

11 a pré^u le crime, et son avis fidèle

A réveillé ma crainte, a ranimé mon zèle.

Messala, par mon ordre arrêté cette nuit.

Devant vous à l’instant allait être conduit ;

J’attendais que du moins l’appareil des supjdices

De sa bouche in/idèle arrachât ses complices ;

Mes licteurs l’entouraient, ([iiand Messala soudain.

Saisissant un ])oignard (|u’il cacbait dans sou sein.

Et qu’à vous, sénateurs, il destinait peut-être :

(( Mes secrets, a-t-il dit, ([ue l’on cherche à connaître.

C’est dans ce co’ur sanglant qu’il faut les découvrir ;

Et qui sait conspirer sait se taire et mourir. »

On s’écrie ; on s’avance : il se frap|)e, et le traître

Meurt encore en Romain, (juoi(iue indigne de l’être. ACTi’ V. S CE XI- II. 37.)

])(’j ; i dos iiiiirs de lloiiic \roiis (-tait paili : Assez loin vers le caiiii) nos jaunies Tout siii\i ; On arrête à l’instant Arons avec Tullic Bientôt, n’en dontez point, de ce coiiiplnl iinpir Le ciel va déconvrir tontes les profondeurs : ]>nl)licola partout en cherche les auteurs. Mais quand nous connaîtrons le nom des parricides, Prenez f^arde, Romains, point de grâce aux perfides ; Fu.ssent-ils nos amis, nos frères, nos enfaiiti># Ne voyez que leur crime, et gardez vos serments, lome, la liherté, demandent leur supplice ; —fit qui pardonne au crime en devient le complice.

’.Y l’esclavo. )

Et toi, dont la naissance et l’aveugle destin

\’avait fait qu’un esclave et dut faire un Romain,

Par qui le sénat vit, par qui Rome est sauvée,

Reçois la liberté que tu m’as conservée :

Et prenant désormais des sentiments plus grands,

Sois l’égal de mes fils, et l’effroi des tyrans.

Mais qu’est-ce que j’entends ? quelle rumeur soudaine ?

PliOCL LL s.

Arons est arrêté, seigneur, et je l’amène.

BRLTUS.

De quel front pourra-t-il ?…

SCENE II.

BRUTUS, LES SÉNATEURS, ARONS, licteurs.

AROXS.

Jusques à quand, Romains, Voulez-vous profaner tous les droits des humains ? D’un peuple révolté conseils vraiment sinistres, Pensez-vous abaisser les rois dans leurs ministres ? \ os licteurs insolents viennent de m’arrêter : Est-ce mon maître ou moi que l’on veut insulter ? Et chez les nations ce rang inviolable…

BRUTUS.

Plus ton rang est sacré, plus il te rend coupable ; Cesse ici d’attester des titres superflus. 374 BRLTUS.

ARONS.

L’aiiihassiulonr d’un roi ! ..,

BRITLS.

Traître, tu ne l’es plus ; Tu n’es (ju’un conjura parô d’un nom sul)limo. Que l’impunité seule enhardissait au ciimc.

^…..J^-lies vrais ambassadeurs, interprètes des lois, ^^-—Sans les déshonorer savent servir leurs rois ; „,— -De la foi digs humains discrets dépositaires,

.,_ — La paix seule est le fruit de leurs saints ministères ;

_^..,_--— Des souverains du monde ils sont les nœuds sacrés,

_--— ilt, partout hienfaisants, sont partout révérés, A ces traits, si tu peux, ose te reconnaître : Mais si tu veux au moins rendre compte à ton nuu’tre Des ressorts, des vertus, des lois de cet État, Comprends l’esprit de lîome, et connais le sénat. Ce peuple auguste et salut sait respecter encore Les lois des nations (pie ta main déshonore : Plus tu les méconnais, plus nous les protégeons ; Et le seul châtiment qu’ici nous t’imposons. C’est de voir expirer les citoyens perfides Qui liaiejit avec toi leurs complots parricides. Tout couvert de leur sang répanchi devant toi. Va d’un crime inutile entretenir ton roi ; Et montre en ta personne, aux peuples d’Italie, La sainteté de Rome et ton ignominie. (Jn’cMi l’emmène, licteurs,

SCÈNE III.

LES SÉNATEURS. BHUTUS, V A LK U 1 1" S. I’ HOCCt.rS.

l’.lil Tl S.

Eh bien ! \alérius. Ils sont saisis sans doiile. ils son ! au moins connus ? (Mh’I sonihi’c cl noir chagrin, coMNranI voire \isage. De maii\ encor pins grands semble être le piH’sage ? Vous IVémisse/.

VALÉRIl s.

Songez (\[\o \o\\s ét(>s l’riilus. ACTK V, S Ci : XI- : m. m : \

BHLTLS.

Kxpliqnoz-Aous…

VAI.KRUS.

Je tremble à \oiis on dire plus.

(Il lui donne des tablettes.)

\oyoz, seigneur ; lisez, connaissez les coi]pal)ie.s.

BI’.LTUS, prenant les tablettes.

Me trompez-vous, mes yeux ? jours al)oniiiKil)los ! <) père infortuné ! Tihérinus ? mon fils ! Sénateurs, pardonnez… Le perfide est-il pris ?

VALÉRIUS.

Avec deux conjurés il s’est osé défendre ;

Ils ont choisi la mort plutôt que de se rendre :

Percé de coups, seigneur, il est tombé près d’eux :

Mais il reste à vous dire un malheur plus affreux,

Pour vous, pour Rome entière, et pour moi plus sensible.

BRLTLS.

(Juentends-je ?

V ALÉniL s.

Reprenez cette liste terrible Oue chez Messala même a saisi Proculus.

BllLTl s.

Lisons donc… .le frémis, je tremble. Ciel ! Titus !

{1\ se laisse tomber entro les bras de Proculus.) VALÉRIUS.

Assez près de ces lieux je l’ai trouvé sans armes, Errant, désespéré, plein d’horreur et d’alarmes. Peut-être il détestait cet horrible attentat.

BRUTUS.

Allez, pères conscrits, retournez au sénat :

11 ne m’appartient plus d’oser y prendre place :

Vllez, exterminez ma criminelle race :

Punissez-en le père, et jusque dans mon flanc

Recherchez sans pitié la source de leur sang.

Je ne vous suivrai point, de peur que ma présence

\e suspendît de Rome ou fléchît la vengeance. 376 BRUTUS.

SCÈNE lY.

BRUTUS.

(Grands dieux ! à vos décrets tous mes vœux sont soumis !

Dieux vengeurs de nos lois, vengeurs de mon pays,

C’est vous qui par mes mains fondiez sur la justice

De notre liberté l’éternel édilice :

Voulez-vous renverser ses sacrés fondements ?

Et contre votre ouvrage armez-vous mes enfants ?

Ali ! que Tibérinus, en sa lâche furie,

Ait servi nos tyrans, ait trahi sa patrie,

Le coup en est affreux, le traître était mon fils !

Mais Titus ! un héros ! l’amour de son pays !

Qui dans ce même jour, heureux et plein de gloire,

A vu par un triomphe honorer sa victoire !

Titus, qu’au Capitole ont couronné mes mains !

L’espoir de ma vieillesse, et celui des Romains !

Titus ! dieux !

SCÈNE Y.

BRUTUS, VALt : RIUS, suite, licteurs.

VALÉiurs. Du sénat la volonté suprême Est que sur votre fils vous prononciez vous-même.

BRUTUS.

Moi ?

VALÉlilUS.

Vous seul.

mu TUS. Et du reste en a-t-il ordonné ?

VA LÉ Ul US.

Des conjurés, seigneur, le reste es ! condamné ; Au mouiciit où je parle, ils ont \écii peut-être.

lilU Ti s. Et (In sort de mon (ils le s(’nal me l’eiid maître ?

V M.KIUI s.

Jl croit à vos vertus de\oir ce rare honneur. ACTE V. SCENE V. 3-

BRt TLS.

patrie !

VAI.hlill s.

Au sénat qiio dirai-je, seigneur ?

BKLTLS.

Que iJiiitiis \oit le priv de cette grâce iii.sifi,ne,

Quil ne la clierchait pas… mais qu’il s’en rendra dicrne…

Mais mon lils s’est rendu sans daigner résister ;

Il pourrait,.. Pardonnez si je cherche à douter ;

C’était l’appui de l« ome, et je sens que je l’aiine.

VALÉIIILS.

Seigneur, Tiillie…

BRI TLS.

Eh bien ?…

VALÉRILS.

Tullie, au mnniont même, \’a que trop conlirmé ces soupçons odieu.\.

BRLTLS.

Comment, seigneur ?

VALÉRILS.

A peine elle a rem ces lieux, A peine elle aperçoit l’appareil des supplices, Que, sa main consommant ces tristes sacrifices, Elle toml)e, elle expire, elle immole à nos lois Ce reste infortuné de nos indignes rois. Si l’on nous trahissait ; seigneur, c’était pour elle. Je respecte en Brutus la douleur paternelle : Mais, tournant vers ces lieux ses yeux ai)pesantis, Tullie en expirant a nommé ^otre fils.

BKLTLS,

Justes dieux !

VALÉRILS.

C’est à vous à juger de son crime. Condamnez, épargnez, ou frappez la victime ; Rome doit approuver ce qu’aura fait Brutus,

BKLTLS.

Licteurs, que devant moi l’on amène Titus,

VALÉRILS.

Plein de votre vertu, seigneur, je me retire ; Mon esprit étonné vous plaint et vous admire ; Et je vais au sénat apprendre avec terreur La grandeur de votre âme et de votre douleur. ■MH BRUT US.

SCÈNE VI.

BRUTUS, PROCULUS.

BRUTUS.

Non, [)liis j’y pense encore, et moins je m’imagine (Jiic mon iils des Romains ait tramé la ruine : l’oiir son père et pour Rome il avait trop d’amour ; On ne peut à ce point s’oublier en un jour. Je ne le puis penser, mon fils n’est point coupal)le.

PROCULUS.

Mcssala, (jui forma ce complot détestable,

Sons ce grand nom peut-être a voulu se couvrir ;

l*eut-ètre on hait sa gloire, on cherche à la flétrir.

BRUTUS.

IMùt au ciel !

l’KOCULUS.

De vos fils c’est le seul (jui vous reste. Ou’il soit coupable ou non de ce complot l’iineste, l.e sénat indulgent vous remet ses destins : Ses jours sont assurés, puisqu’ils sont dans vos mains Vous saurez à l’État conserver ce grand homme. —^Vous êtes père enfin.

BRLTUS.

yic suis consul de Rome. SCÈNE VIT.

R R U TUS. ]’ R C U L U S. T I T U S, dans le fond du lli.àtro, avec des licteurs.

IMSOC.l LUS,

Le voici.

TITUS.

C’est lîrntus ! doidourenv moments ! (erre, enlr’ou\ re-loi sous mes pas chancelants ! Seigneur, soullrcz ([u’im (ils… liHl lis.

Arrête, téméraire ! ACTK V. S ci : M- Vil. 37’.)

De (l(’ii\ (ils (|ii(’ i’ ; iiiii ; ii les diciiv iir ; i\ ; ii(’iit r ; iil priv : .lui perdu Jiiii ; (|ii(’ dis-jc ? iili. lunllifiiiciix Titus ! Parlo : ai-jc oiiror un /ils ?

TITLS.

Non, vous uVri ; noz plus’.

BRUTIS.

l’i'poiids doiir à ton jiij^o. opjjrohi’c de nia vie !

(Il s’assied. I

\\His-tu i’(S( »lii d’oppiMincr ta p ; iti’ie ? D’ahandonnei’ ton père au poinoir absolu ? De trahir tes serments ?

TIïLS. *

.Je n’ai rien résolu/ Plein d’un mortel poison dont Tliorreur me dévore, .le nrif^norais moi-mènH’. et je me cherche encore ; Mon cœur, encor surpris de son égarement. Emporté loin de soi, fat coupable un moment : Ce moment m’a couvert d’une honte éternelle ; A mon pays que j’aime il m’a fait infidèle : Mais, ce moment passé, mes remords infinis Ont égalé mon crime et vengé mon pays. Prononcez mon arrêt. Rome, qui vous contemple, A besoin de ma perte et veut un grand exemple ; Par mon juste supplice il faut épouvanter Les P »omains, s’il en est qui puissent m’imiter. Ala mort servira Rome- autant qu’eût fait ma vie :

¥A ce sang, en tout temps utile à sa patrie,

— — ^)ont je n’ai (qu’aujourd’hui souillé la puret(’. . — N’aura coulé jamais (jue pour la liberté.

BRLTLS.

Quoi 1 tant de [)erJidie avec tant de courage ! De crimes, de vertus, quel horrible assemblage 1 Quoi ! sous ces lauriers même, et parmi ces drapeaux. One son sang à mes yeux rendait encor plus beaux ! Oiiel démon t’inspira cette horrible inconstance ?

TITLS.

Toutes les passions, la soif de la vengeance. L’ambition, la haine, un instant de fureur…

1. Cette demande et cette réponse, admirables toutes deux, sont empruntées au Brutus de M"’ Bernard, pièce à laquelle avait travaillé Fontenellc. (G. A.)

BRUTUS.

Achève, malheureux !

TITUS.

Une plus grande erreur, lii feu qui de mes sens est même encor le maître, (Mii lit tout mon forfait, qui raugmente peut-être. C’est trop vous offenser par cet aveu honteux, Inutile pour Rome, indigne de nous deux. Mon malheur est au comble ainsi que ma furie : Terminez mes forfaits, mon désespoir, ma vie, ^ otre opprobre et le mien. Mais si dans les combats J’avais suiw la trace où m’ont conduit vos pas, Si je vous imitai, si j’aimai ma patrie. D’un remords assez grand si ma faute est suivie,

(Il se jette à genoux.)

A cet infortuné daignez ouvrir les bras : Dites du moins : Mon fils, Brutus ne te hait pas ; Ce mot seul, me rendant mes vertus et ma gloire. De la honte où je suis défendra ma mémoire : On dira que Titus, descendant chez les morts. Eut un regard de vous pour prix de ses remords. Que vous l’aimiez encore, et que, malgré son crime. Votre fils dans la tombe emporta votre estime.

BRUTUS.

Son remords me l’arrache. Rome ! ô mon pays ! Proculus… à la mort que Ton mène mon fils. Lève-toi, triste objet d’horreur et de tendresse ; Lève-toi, cher appui qu’espérait ma vieillesse ; Viens embrasser ton père : il t’a du condamner : Mais, s’il n’était Brutus, il fallait pardonner. Mes pleurs, en te parlant, inondent ton visage : Va, porte à ton supplice un plus mâle courage ; Va, ne t’attendris point, sois plus Romain que moi, Et que Rome t’admire en se vengeant de loi.

TITUS.

Adieu : je vais périr digne encor de mon père.

(On l’emmène.) ACTH V, SCKXK FX. 381

SCÈNE Mil.

BRUT us, l’ROCULUS.

PROCLLLS.

Seigneur, tout le.s(’Mat. dans sa douleur sincère. Eu fn’Uiissaut du ni[\\) i\\n doit vous accal)ler…

BUl TLS.

\ous connaissez Briitus, et l’osez consoler ! Songez qu’on nous i)répare une attaque nouvelle : — Rome seule a mes soins^j mon cœur ne connaît (luelle. Allons, que les Romains, dans ces moments affreux, Me tiennent lieu du fds que j’ai perdu pour eux : Que je finisse au moins ma déplorable vie Comme il eût dû mourir, en vengeant la patrie.

SCÈNE IX.

BKUTUS. PROCULUS. un sénatelr.

LE SÉXATEUR,

Seigneur…

. BRLTLS.

Mon fils n’est plus ?

LE SÉNATEUR.

C’en est fait… et mes yeux…

BRLTLS.

Rome est libre : il suffit… Rendons grâces aux dieux.

FIN DE BRLTLS. VARIANTES

DE LA TRAGÉDIE DE BRfJTUS.

Page 340, vers 14. — Dans les éditions de 1731 et 173(i. i’aclc (leuxiciiu- ("onimonrait par trois scènes, que l’auteur a supprimées en 1738 1 1 que voici :

scÈ^E I.

TLLLIF, ALGINE.

A I. (, I > E.

Oui, vous allez régner ; le destin, moins sévère, Vous rend tout ce qu’il ôte à Tarquin votre père ; Un liymcn glorieux va ranger sous vos lois Un peuple obéissant, et fidèle à ses rois. Un grand roi vous attend ; Tlieureuse Ligurie Va vous faire oublier cette ingrate patrie.

Cependant votre cœur ouvert aux déplaisirs, Dans ses prospérités s’abandonne aux soupirs ; Vous accusez les dieux qui pour vous s’attendrissent. Vos yeux semblent éteints des pleurs qui les remplissent. Ah ! si mon amitié, partageant vos malheurs, X’a connu de tourments que vos seules douleurs ; Si vous m’aimez, parlez ; quel chagrin vous dévore ? Pourriez-vous en partant regretter Rome encore ?

T U I, L 1 E.

Rome ! séjour sanglant de carnage et d’horreur ! Rome ! tombeau du trône et de tout mon bonheur ! Lieux où je suis encore aux fors abandonnée ! Demeure trop funeste au sang dont je suis née ; Rome ! pourquoi faut-il qu’en cet affreux séjour Un héros vertueux, Titus, ait vu le jour ?

A If. I NE.

Quoi ! de ’l'itus encor l’àmc préoccupée. Vous en gémissiez seule, et vous m’aviez trompée ? Quoi ! vous qui vous vantiez do ne voir en Titus Que l’ennemi des rois, que le fils de Brutus ; Qu’un destructeur du trône, armé pour sa ruine ; Vous qui le haïssiez…

TLI. I. lE.

Je le croyais, Algine. V.\|{IA\Ti : S l)i : liMUTUS. W.i

Honteuse de moi-même et de ma folle ardeur, Je chercliais à douter du crime de mon cœur. Avec toi renfermée, et fuyant tout le monde, Me livrant dans tes bras à ma douleur profonde. Hélas ! je me flattais de pleurer avec toi. Et la mort de mon frère, et les malheurs du roi. Ma douleur quelquefois me semblait vertueuse ; Je détournais les yeux de sa source honteuse ; Je me trompais ; pardonne, il faut tout avouer. Ces pleurs que tant de fois tu daignas essuyer. Que d’un frère au tombeau me demandait la cendre. L’amour les arracha, Titus les fit répandre. Je sens trop à son nom d’où partaient mes ennuis ; Je sens combien je l’aime, alors que je le fuis ; ( ; et ordre, cet hymen, ce départ qui me tue, jSrarrachent le bandeau qui me couvrait la vue ; Tu vois mon âme entière, et toutes ses erreurs.

ALGINE. !

Fuyez donc à jamais ces fiers usurpateurs ;

Pour le sang des Tarquins Rome est trop redoutable.

TL LLIE.

Hélas ! quand je l’aimai, je n’étais point coupable ;

C’est toi seule, c’est toi, qui, vantant ses vertus,

Me découvris mes feux à moi-même inconnus.

Je ne t’accuse point du malheur de ma vie ;

Mais lorsque dans ces Houx la paix me fut ravie,

Pourquoi démêlais-tu ce timide embarras

D’un cœur né pour aimer, qui ne le savait pas ?

Tu me peignais Titus, à la cour de mon père.

Entraînant tous les cœurs empressés à lui plaire ;

Digne du sang des rois, qui coule avec le sien ;

Digne du choix d’un père, et plus encor du mien.

Hélas ! en t’écoutant ma timide innocence

S’enivra du poison d’une vaine espérance.

Tout m’aveugla. Je crus découvrir dans ses yeux.

D’un feu qu’il me cachait l’aveu respectueux ;

J’étais jeune, j’aimais, je croyais être aimée.

Chère et fatale erreur qui m’avez trop charmée !

O douleur ! 6 revers plus affreux que la mort !

Rome et moi dans un jour ont vu changer leur sort.

Le fier Brutus arrive ; il parle, on se soulève ;

Sur le trône détruit la liberté s’élève ;

Mon palais tombe en cendre, et les rois sont proscrits.

Tarquin fuit ses sujets, ses dieux, et son pays ;

Il fuit, il m’abandonne, il me laisse en partage.

Dans ces lieux désolés, la honte, l’esclavage,

La haine qu’on lui porte ; et, pour dire encor plus,

Le poids humiliant des bienfaits de Drutus.

La guerre se déclare, et Rome est assiégée ;

Rome, tu succombais, j’allais être vengée ;

Titus, le seul Titus, arrête tes destins !

Je vois tes murs tremblants, soutenus par ses mains ;

Il combat, il triomphe ; ô mortelles alarmes !

Titus est en tout temps la source de mes larmes. 3« l VARIANTES DE BRUTUS.

Entonds-tii tous cos cris ? voii^-tu tous ces honneurs Que ce peuple décerne à ses triomphateurs ? (^os aigles à Tarquin par Titus arrachées, Ces dépouilles des rois à ce temple attaciiées, Ces lambeaux précieux d’étendards tout sanglants, Ces couronnes, ces chars, ces festons, cet encens, Tout annonce en ces lieux sa gloire et mon outrage. Mon cœur, mon lâche cœur l’on chérit davantage. Par ces tristes combats, gagnés contre son roi. Je vois ce qu’il eût fait s’il combattait pour moi ; Sa valeur m’éblouit, cet éclat qui m’impose Me laisse voir sa gloire, et m’en cache la cause.

ALGI\E.

L’absence, la raison, ce trône où vous montez. Rendront un heureux calme à vos sens agités ; Vous vaincrez votre amour, et, quoi qu’il vous en coûte. Vous saurez…

TU L I, lE.

Oui, mon cœur le haïra sans doute. Ce fier républicain, tout plein de ses exploits. Voit d’un œil de courroux la fille de ses rois : Ce jour, tu t’en souviens, plein d’horreur et de gloire ; Ce jour que signala sa première victoire. Quand Brutus enchanté le reçut dans ces lieux, Du sang de mon parti tout couvert à mes yeux ; Incertaine, tremblante, et démentant ma bouche. J’interdis ma présence à ce Romain farouche. Quel penchant le cruel sentait à m’obéir ! Combien depuis ce temps il se plaît à me fuir ? Il me laisse à mon trouble, à ma fail^lesse extrême, A mes douleurs.

ALGINE.

On vient. Madame, c’est lui-même.

sci : \E II.

TITUS, TULLIE, ALGINE.

TITUS, au fond du théâtre. Voyons-la, n’écoutons que mon seul désespoir.

TULLIE.

Dieux ! je ne jiuis le fuir, et tremble de le voir.

T I T u s. Mon abord vous surprend, madame ; et ma présence Est à vos yeux en pleurs une nouvelle offense : Mon cœur s’était flatté devons obéir mieux ; Mais vous partez. Daignez recevoir les adieux D’un Romain qui pour vous eût prodigué sa vie ; Qui ne vous préféra que sa seule patrie ; Qui le ferait oncor, mais qui, dans ces combats Où l’amour du pays précipita ses pas. Ne chercha qu’à finir sa vie infortunée. Puisqu’il vous offenser les dieux l’ont condamnée. VAHIA.NTKS Di- 15 HIT F S. 38 ; i

1 1 ; I, r, 1 K. Dans quel tomps à mes yeux le cruel vient s’offrir ! Quoi vous ! fils do Brutus, vous que je dois haïr ? Vous, l’autour inhumain dos malheurs de ma vie, Vous opprimez mon pèro, otvous plaifjnoz ïullio ? Dans ce jour de triomphe, et parmi tant d’honneurs, Venez-vous à mes yeux jouir do mes douleurs ? Tant do gloire suffit : n’y joignez point mes larmes.

TITUS.

Le ciel a de ma gloire empoisonne les charmes. Puisse ce ciel, pour vous plus juste désormais, A vos malheurs passés égaler ses bienfaits 1 Il vous devait un trône, allez régner, madame ; Partagez d’un grand roi la couronne et la flamme ; Il sera trop heureux, il combattra pour vous ; Et c’est le seul des rois dont mon cœur est jaloux, Le seul dans l’univers digne de mon envie.

T L L L I E.

Calme ton trouble affreux, malheureuse Tullio ; Sortons… où suis-je ?

TITUS.

Hélas ! où vais-je m’emporter ? Mon sort est-il toujours de vous persécuter ? Eh bien ! voyez mon cœur, et daignez me connaître. Je fus votre ennemi, madame, et j’ai dû l’être ; Mais, pour vous en venger, les destins en courroux M’avaient fait votre esclave, en m’armant contre vous ; Ce feu, que je condamne autant qu’il vous offense. Né dans le désespoir, nourri dans lo silence. Accru par votre haine, en ces derniers moments, Ne peut plus devant vous se cacher plus longtemps : Punissez, confondez un aveu téméraire ; Secondez mes remords, armez votre colère : Je n’attends, jo ne veu\ ni pardon, ni pitié. Et ne mérite rien que votre inimitié.

TCLLIE.

Quels maux tu m’as causés, Brutus inexorable !

TITLS.

Vengez-vous sur son fils, il est le seul coupable. Punissez ses exploits, ses feux, ses cruautés ; 11 poursuit votre père, il vous aime.

TtLLIE.

Arrêtez… Vous savez qui je suis, et qu’un Romain peut-être Devait plus de respect au sang qui m’a fait naître ; Mais jo ne m’arme point contre un fils do Brutus Du vain orgueil d’un rang qu’il ne reconnaît plus. Je suis dans Rome encor, mais j’y suis prisonnière ; Je porte ici le poids des malheurs de mon père ; Mes maux sont votre ouvrage, et j’ose me flatter Qu|un héros tel que vous n’y veut point insulter ; Quil ne recherche point la criminelle gloire De tenter sur mon cœur une indigne victoire. Mais si, pour comble enfin de mes destins affreux,

Théâtre. 1.,-,., 386 VARIANTES DE BRUTUS.

J’ai sur vous en effet ce pouvoir malheureux. Si lo cœur d’un Romain connaît l’obéissance, Si je puis commander, évitez ma présence ; Pour la dernière fois, cessez de m’accabler. Et respectez les pleurs que vos mains font couler.

SCENE III. TITUS, seul.

Qu’ai-je dit ? que ferai-je’ ? et C[uo viens-je d’entendre ? Jusqu’où ma passion m’a-t-elle pu surprendre ? Ah ! pourquoi faites-vous, destins trop rigoureux, Du jour de mon triomphe un jour si malheureux ?

SCÈNE IV.

TITUS, MESSALA.

TITUr..

Messala, c’est à toi qu’il faut que je confie Le trouble, le secret, le crime de ma vie, Les orages soudains de mon cœur agité.

MESSALA.

Quoi, seigneur ! du sénat l’injuste autorité…

TITUS,

L’amour, l’ambition, le sénat, tout m’accable. De ce conseil de rois l’orgueil insupportable, etc.

I* ; ir la nouvclh^ disposilion, les scènes iv iM v de 17 : 51 cl IT.’Jt) sont deve- nues 1(S scènes i et ii. (B.)

Page 3*0, vers 26. — Kditions de 17 : îl ii I7i(i : Jo devenais Romain, je sortais d’esclavage.

Ibid., vers 28. — Kdilions de I7 : îl ii 1748 :

Quoi ! le fils de Brutus, un soldat, un Romain,

Aime, idolâtre ici la fille deTarquin !

Coupable envers TuUie, envers Rome et moi-même,

Ce sénat que je hais, ce fier objet (jue j’aime,

Le dépit, etc.

Pago.311, vers 14. — Édilions de 17.31 ii 17 48 : Héhis ! ne vois-tu pas les fatales barrières ?

Pas^e 344, scène m. — Dans les éditions de 1731 el I73(). après la scène entre Titus el.Vrons, qui était la cinquième, venait le numologue suivtyit tonuanl la si\ienu> : VAIUA.NTi ; S l)i- ; BKUTL’S. ; {S7

TITUS, seul.

Il sort ; en quel OUt, en quel trouble il me laisse ! Tarquin me l’eût donnée 1 ah ! douleur qui me presse ! Moi, j’aurais pu !… mais non ; ministre dangereux, Tu venais découvrir le secret de mes feux. Hélas ! on me voyant se peut-il qu’on l’ignore ! Il a lu dans mes yeux l’ardeur qui me dévore. Certain de ma faiblesse, il retourne à sa cour. Insulter aux projets d’un téméraire amour. J’aurais pu l’épouser, lui consacrer ma vie ! Le ciel à mes désirs eût destiné TuUie ! Grands dieux ! s’il était vrai… Quels vains égarements De leur erreur flatteuse empoisonnent mes sens ? Cependant que j’embrasse une image frivole, Rome entière m’appelle aux murs du Capitole. Le peuple, rassemblé sous ces arcs triomphaux. Tout chargés do ma gloire, et pleins de mes travaux, M’attend pour commencer les serments redoutables, De notre liberté garants inviolables. Allons… mais j’y verrai ces sénateurs jaloux. Cette foule de rois, l’objet de mon courroux. Malheureux ! ce sénat, dont l’orgueil t’humilie, Le haïrais-tu tant, si tu n’aimais Tullie ? Tout révolte en ces lieux tes sens désespérés ; Tout parait injustice à tes yeux égarés. Va, c’est trop à la fois éprouver de faiblesse. Étouffe ton dépit, commande à ta tendresse. Que tant de passions qui déchirent ton cœur Soient au rang des tyrans dont Titus est vainqueur I

FIS DU DEUXIKME ACTE.

Cet acte, tel qu’il est tuijoiinrhui d ; in.s le texte, date de I73s. B.

l’âge 3o0, vers 4. — L’édition de Kelil est la première dans la(|uelle on lise :

Je vous l’avais prédit.

Toutes les éditions données du vivant de l’auteur portent : J’avais trop présumé. (B.)

Page 3 : 51. vers 19 :

Du trône avec Tullie un assuré partage

est ce qu’on lit dans toutes les éditions antérieures à celle de Keli ! . li.’

Page 355. vers 13. — Toutes les éditions qui ont précédé celle de Kelil donnent ainsi ce vers :

De moi ! mou cœur tremblant ne vous en croit qu’à peine. (B.) 388 VARIANTES DE BRUÏUS.

Page.3o7, vers 14. — Dans les éditions de 1731 et 1736, il y a : A la fille des rois doivent leur liberlc…

T L I, I, 1 E.

Je trahirais le roi qui m’a donné la vie ?

TITUS.

th ! dois-je écouter moins mou sang et ma patrie ?

T L L L I E.

L’amour doit donc se taire, et sans plus m’avilir, Pour un ingrat…

Et la scène suivante commençait ainsi :

Madame, il est temps do partir. (B.)

Page 363, acte IV. — Dans les éditions de 1731 et I73G cet acte commence ainsi :

SCÈNE I. TULLIE, ALGIXE.

TUL LIE.

Laisse-moi. Je ne veux lui parler, ni Tentendre ; A des affronts nouveaux faut-il cncor m’attendre ? Faut-il voir le cruel allumer tour à tour Le flambeau de la haine, et celui de l’amour ? De cjuel saisissement je demeure frappée ? Ministre dangereux, pourquoi m’as-tu trompée ? Et lorsqu’un prompt départ allait m’en séparer, Pourquoi pour mon malheur l’as-tu pu différer ?

A L G I N E.

On vous attend, madame.

TIILI, lE.

Et je demeure encore ! Et je ne puis quitter un séjour que j’abhorre ! De mes lâches regrets je me sens consumer ; Pour qui ? pour un ingrat qui rougit de m’aimer. Malheureuse ! est-ce à toi d’éclater en murmures ? Tu méritas trop bien ta honte et tes injures, Quand, du pur sang des rois trahissant la splendeur, D’un sujet révolté l’amour fit ton vainqueur. Tu vois comme il me traite ; il ne m’a point suivie. Fier de ses attentats, et plein de sa patrie, Le cruel s’applaudit de sa fausse vertu.

A LOI NE.

Plus que vous ne pensez Titus est combattu ; Ainsi que votre amour il ressent vos alarmes ; Je l’ai vu retenir et répandre des larmes. Vous-même, contre vous, ti’inoin de ses efforts, Vous devriez, madame, excuser ses remords ; Ils sont dignes de vous ; son cœur noble et sincère. Imitant vos vertus, no peut trahir son père. Que dis-je ? vous savez par quels affreux serments VAIUANTKS I)K HIUTUS. 389

Rome à ses intérêts encliaîno ses enfants. Ce matin, dans ces lieux, Titu^ jurait encore Une liainc éternelle à ce sang qu’il adore : Que |>eut faire, après tout, son cœur désespère ?

T U I, L I E.

M’obéir, il n’a point de devoir plus sacré. Quoi donc, tant de Romains, Tibérinus son frère. Briguent de me venger, sans espoir de me plaire ; Et lui… dirai-je, bêlas ! lui si cher à mes yeux, Lui sans qui désormais le jour m’est odieux, Après que mon devoir, après que sa tendresse, A cet excès d’amour ont conduit ma faiblesse, Lui me trahir ?

ALGINE.

Au fond de son cœur agité. Vous l’emportez sur Home, et sur la liberté.

TULLIE.

Ah ! liberté coupable, et vertu de rebelle ! Ah ! plus cruel amant que citoyen fidèle ! N’attendons plus, partons, si je puis, sans regret. Je ne sais quelle horreur m’épouvante en secret. Peut-être ma terreur est injuste et frivole ; Mais je vois en tremblant cet affreux Capitole ; Je crains pour Titus même ; et Brutus à mes yeux Parait un dieu terrible, armé contre nous deux ; J’aime, je crains, je pleure : et tout mon cœur s’égare ; Allons…

SCÈXE II.

TULLIE, ALGI.XE, TITUS.

TITCS.

Non, demeurez ; daignez encor…

Tl LLIE.

Barbare, Veux-tu par tes discours…

TITUS.

Ah ! dans ce jour afifrcux.

Voyez dans le texte la scène m. page 363. B.)

Page 363. vers 12. — Éditions de 1738 à 1746.

J’attendais un destin plus digne et plus heureux.

Page 379, vers 26. — Je suis ici le texte de toutes les éditions publiées du vivant de l’auteur. Les éditeurs de Kehl sont les premiers qui aient mis :

Que ton sang à mes yeux rendait encor plus beaux I (B.)

FIN DES VARIANTES DE BRLTUS.

  1. Histoire du Théâtre-Français depuis le commencement de la Révolution jusqu’à la réunion générale, t. I, p. 19.
  2. Curius repond aux ambassadeurs des Samnitos, qui lui offraient des richesses :
    J’aime mieux commander à ceux qui les possèdent.