Brumes de fjords/La Mendiante

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Mendiante.

Brumes de fjordsLemerre. (p. 24-28).
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LA MENDIANTE


La plus belle des filles de la Norvège était une mendiante qui mendiait sur les grands chemins...

Elle avait les yeux bleus comme les lointains, cendrés comme le crépuscule, violets comme l’ombre des arbres et verts comme l’Avril.

Car la couleur de ses yeux changeait suivant la couleur de sa pensée.

La plus belle des filles de Norvège était une mendiante qui mendiait sur les grands chemins...

Et elle tira profit de la blancheur de sa chair, en se prostituant à tous ceux qui passaient sur la route.

Il advint qu’on célébra devant le Roi la beauté de cette femme.

Le Roi la fit appeler auprès de lui, mais elle ne se rendit point à son appel,

Car elle aimait le vent et la poussière des grands chemins

Le Roi la fit amener de force.

Et elle vint en pleurant,

Car elle aimait le vent et la poussière des grands chemins

Ses cheveux flamboyaient autant que l’automne et que le soleil couchant.

Et le Roi mit sur les cheveux d’or rouge l’or pâle d’une couronne.

La mendiante et la prostituée devint la Reine glorieuse.

La Reine dit un jour à ses jeunes suivantes 

« Mon front est las de porter le poids de la couronne.

« Autrefois le vent des grands chemins soufflait dans ma chevelure

« Mes pieds nus étaient imprégnés du parfum des prairies.

« Je dormais parmi la tiédeur du foin coupé.

« Et mes lèvres connaissaient l’infini des baisers jamais pareils…

« Autrefois le vent des grands chemins soufflait dans ma chevelure

« Et les mendiants et les voleurs et les bergers se disputaient mes caresses et s’égorgeaient dans la nuit pour moi.

« L’azur était mon palais, et le soleil était ma couronne…

« Autrefois le vent des grands chemins soufflait dans ma chevelure… »

Et, lorsque tomba la nuit, elle se glissa hors de la couche royale,

Et s’enfuit vers les grands chemins.

Longtemps, on la chercha au fond des solitudes et des ravines.

Et l’on retrouva son corps sous les bluets et les pâquerettes.

Un de ses amants des grands chemins l’avait égorgée pendant la nuit.

On la laissa dormir parmi le foin coupé.

Le vent des grands chemins soufflait dans sa chevelure...

Autour d’elle flottait le parfum des prairies.