Almanach du Père Peinard1894 (p. 27).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


BRUMAIRE



Brumaire n’engendrera vraiment pas la gaieté ni les beaux jours. À preuve, c’est que le soleil se collera de la suie sur la gueule en guise de poudre de riz.

Peut-être, pour l’été de la Saint-Martin qui s’amènera le 11 novembre, nous fera-t-il un tantinet moins grise mine ?… Mais ne nous y fions pas ! La brouillasse, la pluie, aussi quelques paquets de neige, nous pendent plus au nez que les coups de soleil.

Les arbres perdront leur perruque, la terre se déplumera, les chauves se feront des cheveux et les blancs-becs boufferont de la barbe de capucin.

Les culs-terreux fumeront leurs champs, — et ils fumeront encore en payant l’impôt ! Dans leur rage, ils butteront les artichauts, se faisant ainsi la main pour butter les richards avec adresse, quand l’occase s’en présentera.

Les ramoneurs récureront les cheminées, les ménagères les culs des chaudrons et les frocards celui des bigotes. Pour ce qui est des marchands d’injustice, y a pas de pet qu’ils récurent leur conscience : plus noire elle est, mieux ça va.

Le chauffage sera bougrement de saison, nom de dieu !

Les amoureux chaufferont leurs amoureuses ; les dépotés chaufferont leurs chèques, les ambitieux leur réputation, les notaires, la braise des jobards. Les roussins manœuvreront pour chauffer les violateurs de cette pouffiasse de mère Loi, — et ces bougres auront la jugeote si biscornue qu’ils ne se laisseront chauffer qu’à regret.

Pour ce qui est des pauvres prolos qui n’auront pas pu chauffer de turbin, ils chaufferont mille misères et tout ce qui s’ensuit !… Ils chaufferont tout, excepté leurs pauvres carcasses.

Turellement, comme il n’y a pas de fumée sans feu, les mineurs s’échaufferont à bile à tirer le charbon du fin fond de la terre.

Qu’il vente ou qu’il pleuve, à peine s’ils le sauront : enfouis dans leurs taupinières, ils useront leur sang à gaver les richards.

Si la rancœur leur vient, ils saisiront le retour de brumaire et dans l’espoir d’ensoleiller leur existence, ils se foutront en grève.

S’ils avaient le nez creux, ils seraient les bons ! En effet : qui a creusé la mine ? C’est eux ! Qui tire le charbon ? C’est eux !

Qui en retire le bénef ? Les capitalos !

Pour changer le fourbi et l’équilibre naturellement, ils n’auraient qu’à continuer la série, sans changer le mouvement : puisque c’est eux qui ramènent du bas le charbon… il est tout simple que ce soit eux qui en aient le bénef !

Partant de ce pied, ils prendraient possession de la mine… et réserveraient un pic pour les actionnaires, au cas où l’envie viendrait à ces feignasses de turbiner kif-kif les frères et amis.