Brest (Honoré Dumont)/Chant second

Impr. de P.-L. Tanquerey (p. 7-11).

CHANT SECOND.

Richelieu, créateur de ce port magnifique ;
Je bénis ton amour pour la chose publique :
Le pavillon français, par tes vastes desseins,
Eut à s’enorgueillir de ses nobles destins.
Qu’était notre Marine avant ton ministère ?
Combien par ton génie elle agrandit sa sphère !
Et Louis et Colbert, secondant ton ardeur,
De la patrie encore accrurent la splendeur,
En redoublant l’éclat de nos forces navales,
Si dignes d’occuper les volontés royales.

Ce fut vous, que Louis envoya dans ce port,
Installer la marine, amiral de Beaufort ;
Et soixante vaisseaux, destinés à la guerre,
Par vous furent conduits au sein du Finistère.
Combien Brest eut de joie à ce noble appareil,
N’ayant point encor vu de spectacle pareil !

Brest à notre marine offre une rade immense,
Où toujours nos vaisseaux mouillent en assurance.
Ah ! comme, en la voyant, elle enflamme le cœur
De quiconque est sensible à la noble grandeur.
Nulle rade n’est point plus vaste sur la terre :
Elle peut contenir cinq cents vaisseaux de guerre.
De majestueux forts viennent l’environner :
Pour elle constamment ils sont prêts à tonner.
Sa bouche offre un rocher, qui la rend dangereuse :
Mais l’art sait éviter ta cime périlleuse,
Ô terrible Mingan ! dont les aspérités
Pourraient anéantir nos vaisseaux redoutés.
Plusieurs ont succombé, quand Éole implacable
Contre toi repoussait leur masse formidable.
Inflexible géant ! que fais-tu sur ces bords ?
Prétends-tu t’opposer aux généreux efforts
Qu’en cette enceinte peut déployer la patrie,
Ou veux-tu protéger cette mère chérie,
Si l’on entreprenait quelque jour d’envahir
Cette rade, ce port, que tout vient garantir ?
Sentinelle immuable, et que Thétis seconde,
Tu gardes jour et nuit cette porte du monde,
Ce Goulet, dont le nom n’est pas harmonieux,
Mais qui reçoit souvent des saluts glorieux.

Ô terre ! c’est ici ta limite éternelle ;
Ici je vois écrit sur le front de Cybèle :
On ne va pas plus loin. Mais Éole et Thétis
Appellent par-delà leurs nombreux favoris,

 
Et les font s’élancer au sein d’une carrière
Qui semble ne finir qu’où cesse la lumière.

Que Brest est favorable à ces vastes projets
Qu’on fait exécuter pour les plus grands objets !
A-t-il pu se trouver un monarque de Fiance
Qui n’ait pas visité ce lieu plein d’importance !
Tous auraient dû venir contempler sa grandeur,
Tous auraient dû de Brest accroître la splendeur.
Ils auraient, en voyant cette enceinte admirable,
Su combien leur pouvoir était beau, formidable.
Leur passage eût été marqué par des bienfaits ;
Ils eussent transformé les landes en guérets.
Ce n’est pas seulement leurs fertiles province
Que doivent parcourir les ministres, les princes :
Qu’ils visitent surtout les points de leurs États
Où la patrie attend des secours et des bras.

Brest a vu récemment d’augustes personnages.
Arriver, ou partir, pour d’importans voyages.
Fille du prince Eugène, à touchante beauté !
En qui se trouve unie la grâce et la bonté,
C’est dans ce noble port que votre âme attendrie
Fit ses derniers adieux à sa. chère patrie,
Pour aller embellir, sous l’ardent Équateur,
Une cour bien sensible au véritable honneur.
Ensuite Brest a vu votre généreux frère,
Qui reportait ses pas au sein de la Bavière,
Après avoir conduit sur des bords si lointains
Celle qu’ils appelaient aux plus brillans destins.

 

Vous, Dona Maria, reine sans diadème,
Invitée à régner par le vœu du ciel même,
Et par l’attachement des Lusitaniens,
Vous avez vu de Brest encor les citoyens
Bénir votre présence et vous offrir l’hommage
Que l’on doit aux vertus qui sont votre partage.
Votre âme fut touchée, en voyant éclater
L’intérêt que pour vous on vint manifester.

Sous des rapports divers, Brest est une merveille
Nulle position n’est, peut-être, pareille
À celle qu’il présente aux regards enchantés
Des mortels, dont les yeux admirent ses beautés.
Plus nous observons Brest, et plus il nous étonne s
Il surprend par son port, par ce qui l’environne.
Combien la providence a donc servi l’État,
En lui donnant un port d’un aussi rare éclat !
Ô Finistère ! il est ton plus noble partage,
Et toute la Bretagne éprouve l’avantage
De ce qu’en tous les temps on vient la parcourir
Pour arriver au port qui la fait resplendir.

Ô Brest ! en te peignant, je n’ai pas l’assurance
Que l’on rendra justice à ma persévérance ;
Les meilleurs sentimens sont mal interprétés,
Les faits les plus certains sont souvent contestés, ,
On semble dédaigner la noble poésie :
Pourtant à ses accens toujours elle associe
Les plus hautes leçons qu’offre le genre humain.
Que d’agréables fleurs éclosent sous sa main

Elle aime à célébrer les héros et les sages ;
Elle aime à décerner les plus touchans hommages
À ceux que la vertu porte à des actions
Oui sont faites pour plaire aux yeux des nations.

Je vais remplir ma tâche, elle n’a rien d’austère :
Elle entre dans mon goût et dans mon caractère ;
Et je crois qu’un destin favorable à mes vœux
A voulu que ma Muse arrivât en ces lieux,
Pour peindre ce qui doit intéresser la France,
En faisant un tableau d’une grande importance.
Vous encouragerez mes fidèles crayons,
Ô valeureux marins, et vous loyaux Bretons !

Fin du second chant.