Brassée de faits/Textes entiers

Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. i-315).

PRÉFACE

Un certain nombre de nos lecteurs — et de nos lectrices — parmi celles et ceux qui, fidèlement, veulent bien s’intéresser à ce qui porte notre signature, nous ont demandé si nous ne reviendrons pas quelque jour à la forme donnée au premier en date de nos ouvrages : Qui aime bien châtie bien.

Les deux volumes contenant les études consciencieusement réunies sous ce titre, emprunté à la séculaire sagesse des nations, constituaient un recueil de faits authentiques, découpés ça et là, dans les journaux, pendant vingt ans peut-être et, à ces coupures, dûment datées, nous avions ajouté des récits non moins exacts, mais fruits d’observations directes, le plus souvent personnelles, avouons-le sans fard.

Nous présentions les uns et les autres groupés, classés. De simples liens d’analogie ou de similitude les rattachaient entre eux.

Jamais, en effet, la question de la flagellation, passionnelle ou non, n’avait été étudiée de la sorte et le public éclairé fit à notre livre un accueil tellement encourageant que nous nous rendîmes compte, à n’en pouvoir douter, que la voie où nous nous étions engagé, était, non plus seulement la meilleure, mais certainement la seule bonne. Si, par la suite, dans nos publications successives affectant plutôt la forme du roman, nous nous en sommes écarté en apparence, c’est que la nécessité s’imposait pour nous de reconstituer notre provision de documents, et, pour cela il nous fallait du temps ; nos lecteurs le comprennent à merveille.

Aujourd’hui, notre carton est plein. Notre récolte de faits vécus, d’anecdotes vraies glanées autour de nous est suffisante pour que nous y puissions puiser de façon à satisfaire l’exigence de nos lecteurs attitrés. Quoique nous les sachions difficiles à contenter, nous leur présentons sans trop d’appréhension ce nouveau recueil. Qu’ils lisent donc ces treize histoires véridiques et qu’ils nous condamnent sans appel s’ils croient en leur âme et conscience, que nous avons failli à la règle que nous nous sommes à jamais imposée de rester fidèle observateur de la stricte Vérité.

La Vérité, dont nous écrivons le nom avec un grand V, n’est-elle pas notre seul guide et, disons-le hautement, notre seul amour, notre seul idéal ?

Jacques d’Icy.

BRASSÉE DE FAITS

I

UNE INTERVIEW

Il serait superflu de présenter Monsieur Léon à nos lectrices et à nos lecteurs qui ont, sans doute, gardé le souvenir de ce discret personnage, vaguement entrevu dans nos livres précédents.

Au dernier plan — toujours — circulant à pas feutrés parmi les jolies femmes de Montmartre ou d’ailleurs, plus ou moins folles de leur corps, sa silhouette furtive qui, dans la coulisse, s’estompe, imprécise, le fait tout au plus soupçonner d’être nanti d’un calepin sur lequel il prend des notes.

Peut-être les récits qu’on va lire furent-ils naguère faits à ce curieux monsieur Léon par quelques-unes de celles que nos arrière-grands-pères eussent appelés des « créatures » ?

Il n’y aurait à cela rien d’étonnant et même, s’il faut tout vous dire, avouons sans ambage et en employant la langue d’aujourd’hui, que certaines de ces histoires émanent de « poules » qui, rencontrées dans les lieux de perdition voisins de la place Pigalle et auxquels nous ne ferons pas plus de réclame, devinrent parfois ses compagnes tout une soirée et même toute la nuit qui suivit.

Depuis, il eut mainte occasion et pleine facilité de les revoir. Aussi, parmi ses fiches, peut-il retrouver aisément les notes prises les lendemains, toutes ruisselantes de franchise et quelques-unes chaudes encore.

Quelle était l’héroïne de l’histoire que voici ? Est-il vraiment nécessaire de connaître son nom véritable ? Appelons-la Rose, puisque tel est le nom qu’elle voulait qu’on lui donnât. En raison de la fraîcheur de son teint, cette brune à la peau de blonde avait le droit de choisir un nom qui est celui d’une fleur jolie et fraîche entre toutes. Et comme il désigne aussi une couleur, la belle enfant méritait également de le porter dans ses tête-à-tête avec monsieur Léon, car, de cette couleur, ses charmes les plus ostensibles se parèrent souvent, au cours d’ébats qui, quoique inégalement bruyants, n’étaient jamais bien longtemps silencieux.

Car Rose aimait le Fouet. N’hésitons pas à déclarer que c’est là la raison unique pour laquelle son ami de rencontre cultiva un moment sa connaissance.

Elle avait reçu le jour en Normandie, dans le Calvados, et sa structure générale présentait d’ailleurs les caractères principaux dont l’imagination des Parisiens se plaît à revêtir les naturelles d’une contrée riche plus que nulle autre aussi bien en belles garces qu’en beaux gars.

Grande et bien plantée, Rose, à présent, à vingt-quatre ans, expose orgueilleusement le plein épanouissement de sa florissante complexion. Son torse puissant, qui s’orne par devant de deux seins bien placés, c’est-à-dire un peu bas, et outre cela, fermes, solides, avec leurs pointes fortement accusées et nettement divergentes, est soutenu par des hanches dont plus d’un sculpteur, d’abord étonné, loua bientôt sans réserve la typique proportion, leur écart étant tout juste celui des épaules, mesurées d’axe en axe à l’attache des humérus.

Chez les femmes, le bassin l’emporte en largeur sur la carrure des épaules, à l’inverse de ce qui se présente chez les hommes. Avec Rose, l’anomalie que décelait seule une mensuration rigoureuse, opérée parfois chastement à l’aide du compas de bois, ne lui donnait en rien, surtout nue, si peu que ce fût de masculinité. Cela cela tenait à la finesse relative de sa taille, qui, bien que la donzelle n’eut jamais porté de corset, s’incurvait et s’amincissait singulièrement au-dessus des hanches, lesquelles en paraissaient bien plus développées qu’elles ne l’étaient en réalité. Mais, par exemple, si les dites hanches ne s’étendaient pas en largeur autant que l’on eût pu s’y attendre avec une gaillarde comme celle-là, de cent soixante-huit centimètres de haut, comptés pieds nus, elles pouvaient à bon droit se vanter d’être allègrement chargées en arrière d’une des plus belles paires de fesses qu’il soit donné à l’homme de voir. Blancheur, saillie, fermeté, mobilité, telles en étaient les quatre primordiales qualités et nous les énumérons ici dans l’ordre rationnel qui les soumet successivement à un examen de connaisseur.

Or, ce n’est pas seulement le jour que Rose avait reçu en Normandie, c’était aussi des fessées. Et des fessées en nombre incalculable ! des fessées de toutes sortes, auxquelles, bien certainement, devait d’être devenue si irréprochablement arrondie, si dure, si rebondie et si remuante la riche croupe qui, maintenant, faisait d’elle un sujet de choix supérieurement résistant et, pour cela, si sympathique.

Née à Maisoncelle-le-Jourdan, un petit bourg de l’arrondissement de Vire, au Sud-Ouest du Calvados, sur les confins du département de la Manche, elle y avait passé sa première enfance. Son père, ouvrier agricole, s’employait dans les fermes. Sa mère, de même, mais un peu moins assidûment, ou plutôt d’une façon intermittente, moins en raison de ses obligations ménagères que de ses multiples maternités. Quatre enfants, un garçon d’abord, un autre l’an suivant, puis deux ans après, une fille et une encore qui fut Rose, à la suite de cinq ans de repos passés à trimer dur, tant aux champs qu’à la maison.

La maman Tronquet fessait ses enfants et copieusement. Mais Rose ne gardait pas un souvenir très net des claquées reçues à Maisoncelle, car elle comptait quatre ans quand son père et sa mère quittèrent le pays et s’en furent avec leur marmaille, à B. Nos lecteurs comprendront bientôt pourquoi nous n’indiquons pas avec plus de précision cette localité. La sœur aînée de sa mère établie là les y appelait. Son mari, cultivateur aussi, y faisait bien ses affaires, outillé à la moderne. Le ménage avait deux enfants, deux garçons, l’un de onze, l’autre de treize ans.

Il y avait de l’argent à gagner. Les Tronquet n’hésitèrent pas.

Pour Rose, ce fut un grand voyage.

Les enfants allèrent à l’école du pays, celle de leurs cousins, les Lenault.

C’était une école mixte que tenaient un maître, assisté de sa femme. Lui, faisait la classe aux grands et aux grandes, sa femme aux petits et aux petites.

C’est à partir de son arrivée à B. que les souvenirs de Rose deviennent plus précis, en même temps que plus intéressants. Pour Monsieur Léon, tout au moins !

Trop jeune pour aller à l’école, assez éloignée de la maison, elle n’y fut envoyée qu’à sept ans. Mais elle n’en savait pas moins, avant d’y entrer, que la fessée y était de règle. Une circonstance restée dans sa mémoire avait achevé de la renseigner à ce sujet quelques jours avant les vacances, à la suite desquelles la gamine deviendrait écolière, dès la rentrée d’octobre.

Certain après-midi de la mi-juillet, vers les cinq heures, tout en pressant ses fromages, sa mère, dans l’unique pièce du rez-de-chaussée, attendait avec impatience le retour de Marthe. La grosse Marthe avait douze ans alors, étant de cinq ans plus âgée que Rose. Chargée des soins du poulailler, elle l’avait encore laissé ouvert, paraît-il. D’où, évasion d’une poule volontiers vagabonde, à la poursuite de laquelle avait dû courir la ménagère chez des voisins avec qui elle était en froid. D’où colère, qu’augmentait le rappel d’autres griefs et qui, en l’absence de la coupable se traduisit par la promesse énoncée en mots peu nombreux, mais fort crûs, d’une fessée particulièrement soignée.

Il y avait là, outre la jeune Rose, une voisine, la mère Bénard, qui, demeurant porte à porte, venait parfois se délasser un instant chez madame Trinquet, en taillant une bavette.

Sitôt arrivée, Marthe, brusquement empoignée, était hissée sous l’autre bras maternel. En un instant, mise dans la posture favorable, la forte gosse, retroussée, déculottée, mettait sa mère en présence de la bonne paire de fesses souvent aperçue en tel apparat, mais qui, cette fois, portait indéniablement la marque d’une claquée récente. Et d’une claquée qui n’avait pas été piquée des vers.

Surséant à l’opération devant l’aspect inattendu du derrière filial, rougi par places et tuméfié — d’avance pour ainsi dire — la mère retint sa main qui, déjà, s’élargissait, les doigts étendus, et procéda à l’examen qui s’imposait. Rose déclarait se rappeler à présent la scène comme si c’eut été la veille. Elle revoyait, dans la grande salle carrelée, aux murs blanchis, à la chaux, la robuste maman, debout, face à la porte grande ouverte, le pied gauche posé sur la paille d’une chaise basse, retenant, jetée en travers sur sa cuisse, Marthe quasi immobile, la robe relevée, une robe d’indienne bleue à fleurettes blanches, et sa culotte de cotonnade rabattue au bas des cuisses charnues, au-dessus desquelles s’étalait en pleine lumière et serrées de peur, les deux fesses rebondies, dont chacune montrait symétriques et en relief, des gaufrures en travers qui, sur une rougeur générale étendue en cercle, s’avéraient, sans erreur possible, les marques de doigts naguère vigoureusement abattus bien en plein.

Rose, tout près déjà, se rapprochait encore et regardait, comme la mère Bénard assise, à gauche, le cou tendu.

Et Marthe, interrogée, révélait que c’était le maître, monsieur Tourneur qui l’avait corrigée, une demi-heure auparavant, au moment où les élèves s’apprêtaient à partir.

— Qu’est-ce que t’avais donc fait encore ?

Et, en attendant la réponse, la mère sans les quitter des yeux, suivait de la main le relief des empreintes, rayonnant les fortes fesses étroitement rapprochées que crispait l’épouvante.

Comme la gosse avouait « avoir répondu » au maître, c’était alors une claquée qui ne devait rien avoir à envier à la précédente. Rose qui, pour sa part, en recevait de bonnes — la dernière, le matin de ce jour-là, sans remonter plus loin — Rose voyait bien que cette fois, c’était tout autre chose à en juger d’après les soubresauts et les cris de son aînée qui ruait furieusement pour la plus grande joie de la Bénard, riant aux éclats, et sans autre effet que de stimuler encore l’énergie d’une matrone aimant certainement à fesser.

À la rentrée d’octobre, Rose entra dans la petite classe. Madame Tourneur fouettait assez vertement les gosses et sans plus ménager filles que garçons. La main osseuse de cette grande femme, vigoureuse dans sa maigreur, avait vite fait de rougir une paire de fesses enfantines.

Pendant trois ans, le petite resta sous sa coulpe et ne courut aucunement, grâce à elle, le risque de perdre quoique ce fût de la remarquable endurance que, concurremment, lui inculquait la main maternelle. Mais, ce fut en première classe qu’elle put se perfectionner encore et contracter définitivement l’endurance mentionnée plus haut et qu’elle s’honore aujourd’hui d’avoir conservé.

Trois ans passés en première achevèrent de faire d’elle le sujet d’élite que légitimement elle se targue d’être. Monsieur Tourneur fessait ferme et longtemps. Lorsqu’une grande fillette l’avait mérité, il la traitait de même qu’un garçon de cet âge, c’est-à-dire qu’à l’un comme à l’autre il baissait la culotte, sous les yeux des camarades diversement intéressés.

C’étaient parfois de très fortes fessées et Rose se rappelait une condisciple, enragée par moments, qui, en proie à une de ses crises de fureur inexplicable et en quelque sorte purement nerveuse, ayant été jusqu’à jeter ses livres, ses cahiers et à les trépigner, en réponse à une observation du maître, fut, pendant une semaine fessée de remarquable façon, tous les jours.

La première fois que Rose, évoquant devant Monsieur Léon, ses souvenirs d’enfance, lui révéla la survivance, en son pays, de mœurs aussi patriarcales, elle le trouva quelque peu incrédule et ce ne fut que par les précisions qu’elle amoncela qu’il finit par y croire.

Pourtant, un dernier doute restait à cet indécrottable saint Thomas et il en voulut avoir le cœur net.

Il fit donc à Rose l’offre d’un petit voyage au pays, en sa compagnie.

L’on était en septembre. La mer a de fières beautés à pareille époque, surtout la Manche, avec ses marées d’équinoxe et ses colères soudaines. De légers crochets lui permettraient personnellement de profiter de l’occasion pour voir de près et la tapisserie de la Reine Mathilde qu’il ne connaissait que par ses cinquante huit légendes latines et les roches si pittoresques, dit-on, qui parsèment la côte, entre Huppain et Luc-sur-mer.

En outre, charme unique au monde, il goûterait sur place aux fameuses tripes à la mode et au cidre de la Vallée d’Auge, que Rose met au-dessus du Champagne, quel qu’en soit la marque.

Ils partirent. Rien ne fut plus facile à Rose que de faire faire à son compagnon la connaissance de Monsieur et de Madame Tourneur. Certain jour, à la terrasse d’un café de la rue Saint-Martin, Monsieur Léon feignit la surprise en apercevant la belle fille, attablée avec un couple quinquagénaire, celui que constituaient son ancien magister avec sa digne épouse, tout deux, apprit-il, encore en exercice.

Monsieur Léon fut présenté comme un employé supérieur de la banque parisienne où la jeune Normande prétendait travailler en qualité de dactylo.

On causa, et l’ancienne élève reconnaissante parlant de l’égale sévérité des deux conjoints, la vanta en termes concrets, affranchis de toute ambiguïté.

Monsieur Léon scrutait curieusement les deux physionomies qui, avec les traits bien dissemblables, s’appareillaient pourtant, exprimant la même sérénité.

Plus austère, le visage de la femme, restée maigre, mais sévère aussi celui de l’homme, un fort gaillard, quoique plus facilement riant, et tous deux placides et honnêtes, s’azuraient des mêmes yeux candides, brillant en clair sur le teint rouge. Rien chez l’homme ne le différenciait d’un quelconque paysan de la région et ne trahissait en lui plus de raffinement ou même moins de simplicité. Sous son gros nez rond, il portait la courte moustache en haricot que, bien avant Charlot, les Normands ont inventée et ses lèvres moyennement épaisses, ainsi découvertes, n’accusaient nulle perversité.

Il faisait penser à ce rustre que, jadis, chantait Virgile. À ce rustre trop heureux qui ne connaissait pas son bonheur !


II

LE COUP DE FOUDRE

Ceci est une histoire montmartroise que notre ami a retrouvée pour nous un soir qu’il tisonnait dans ses souvenirs.

Il était une fois une charmante demoiselle blonde de dix-sept printemps, dactylo de son état en ce temps, fort peu lointain, et qui, près de la Place Dancourt, demeurait avec père et mère, alors que, sur le même carré habitait une maman dont la fillette comptait neuf ans, à l’époque où commence cet édifiant récit.

Brune, assez grande pour son âge, les membres bien formés, la petite était jolie. Rien d’étonnant à cela, car elle ressemblait trait pour trait à sa mère. Au sujet de papa, personne de la maison ne savait rien, pour la bonne raison qu’il n’avait jamais existé, officiellement parlant.

Or, comme la maman que nous appellerons madame Mary, se tenait très bien et ne faisait pas parler d’elle, monsieur et madame Loiseau, les parents de Raymonde, notre dactylo, autorisaient leur fille à la fréquenter. Raymonde en effet s’était liée d’amitié avec madame Mary et la petite Renée avait ingénûment servi de trait d’union entre la jolie femme et la non moins jolie jeune fille.

C’est en se rencontrant dans l’escalier que Raymonde et Renée firent connaissance et devinrent une paire d’amies, malgré leur différence d’âge et alors que l’immeuble du numéro six n’abritait pas encore depuis quinze jours les Loiseau. Bientôt, la dactylo passa, après son dîner, les soirées chez l’aimable voisine, puis tout ou partie de ses après-midi des samedis, de ses dimanches. Madame Mary, bien plus ancienne locataire, se donnait comme petite rentière, veuve. Elle restait la plupart du temps dans son intérieur, ne recevait personne et s’absentait rarement, une ou deux fois chaque semaine. Ces jours-là, laissant seule sa fillette, revenue de l’école, à ses devoirs, à ses leçons, elle rentrait pour le dîner, pomponnée comme à son départ ; seulement, parfumée davantage, elle embaumait tout l’escalier des plus suaves produits de l’Arabie ou d’autres contrées odorifiques plus à la page.

La petite Renée, gentille enfant s’il en fut jamais, vivait tout de même de nombreux jours où des corrections s’imposaient. Ces corrections, toujours et toujours, consistaient en petites fessées, quelquefois pas si petites que cela, car, pour dire le vrai, quoiqu’elles variassent pourtant entre elles, ce n’était que par l’adjectif susceptible de les qualifier.

Madame Mary devait être persuadée que les fessées sont indispensables aux petites filles, car elle prêchait d’exemple, et elle possédait d’ailleurs une grâce toute particulière à les administrer à la fillette.

À tel point que, dès les premiers jours où elle fit assister à une scène de ce genre mademoiselle Raymonde, celle-ci s’enthousiasma devant l’harmonieux groupe formé par Renée et sa jeune maman. De la délicieuse enfant grouillaient nues les cuisses grassouillettes et les fesses adorablement dodues. Émergeant, blanches, lactées, du blanc entourage de la chemise levée et de la petite culotte abaissée, les exquises petites fesses apparaissaient fraîches à voir, telles un bouquet de fleurs d’oranger bordé de sa collerette de papier.

Le spectacle était nouveau pour Raymonde. La correction d’abord des plus légères, puis assez forte, s’endurait sans peine jusqu’au bout. Et même avec le sourire, à la fin encore. Les claques, bénignes ou vives, tombaient en pluie d’un main sans doute trop potelée pour être cruelle quand elle y prenait garde, et les rondeurs agiles de la petite Renée semblaient n’avoir rougi que de plaisir en se trémoussant aussi gaiement. Bien que l’aveu puisse surprendre, pour la première fois de sa vie elle voyait administrer un fessée à un être humain autre qu’un bébé. Oui, jusque-là, Raymonde n’avait vu fouetter à nu que des tout petits et si ces exécutions, observées soit au square Saint-Pierre, soit chez des parents ou des amis de sa famille, ne manquaient pas totalement pour elle d’agrément, le piquant faisait quand même défaut à ces exhibitions par trop puériles de derrières banalement joufflus autant que banalement claqués.

Mais, avec Renée, quelle différence ! Outre la beauté du nu aperçu, ç’avait été de tels tiraillements et serrages de fesses révélant soudain un charme combien inconnu jusqu’ici, que quoique la fessée eût été longue, elle regrettait que la maman ne la fît pas durer davantage pour son ravissement croissant.

Rentrée au domicile familial, elle y pensa tellement, quand elle fut couchée, qu’à son éveil, le lendemain matin, elle bouillait d’impatience d’éprouver une joie semblable. Ses yeux candides, la réclamaient ardemment, aussi prochaine que possible. Et, à cette impatience se mêlait un désir secret qu’elle osait à peine s’avouer et qui était une envie folle, laquelle aussitôt germée, se développait et, dévorante, l’envahissait toute…

Et un étonnement, une stupeur lui venaient de ce désir, de cette folle envie et la plongeaient dans un trouble profond, sur lequel se concentraient ses virginales facultés d’analyse et qui, la veille au soir, l’avait tenue agitée, retardant le moment du sommeil et peuplant le reste de sa nuit de rêves singuliers. Comment se demandait-elle, le matin, comment se faisait-il que Renée, non seulement n’eût pas pleuré, mais encore eût formellement paru se plaire à la réception du châtiment réputé si fâcheux ? Pourquoi, à neuf ans, éprouvait-elle cette joie à recevoir la fessée tant redoutée dont l’annonce seule épouvante les bambines ? Quoi donc ? À partir de neuf ans, cela devient donc un plaisir d’être claquée à nu sur les fesses par une main potelée ?

Mais, ne convient-il pas maintenant de laisser Raymonde parler elle-même ? C’est-à-dire, au point où nous en sommes, n’est-il pas préférable de transcrire purement et simplement une tranche de sa confession, dans les termes où s’efforça de la reproduire, sans phrases ni fioritures, l’ami des ferventes du Fouet, leur strict historiographe, dans l’oreille de qui devait s’épancher, quelques années après, une pécheresse entre toutes écoutée avec fruit ? À défaut d’autres avantages pour le lecteur, ce dont en tout cas celui-ci pourrait seul juger, une telle méthode apporte à l’auteur une ressource inappréciable, en lui fournissant le moyen de décliner toute responsabilité relativement aux théories émises qui parfois peuvent sembler bizarres et même déconcertantes.

C’est cet aveu dépouillé d’artifices qui nous pousse, sans plus attendre, à céder la parole à mademoiselle Raymonde.

— Personnellement, jamais avec maman je n’avais passé par la fessée. Ni avec papa, à plus forte raison. Lui, c’était l’homme austère. Sa profession, d’ailleurs, lui imposait un decorum, une tenue dont, même à la maison, il ne se départissait pas un instant. Quant à maman, à force de vivre avec lui, elle prenait de plus en plus son genre, ses goûts. Non seulement, chez papa et maman, il ne fut jamais question pour moi de recevoir une fessée de l’un ou de l’autre, mais je crois que je n’entendis jamais prononcer par eux ce mot. Pour être inspecteur dans un magasin comme celui-là, il faut avoir une tenue hors ligne. Du matin au soir, il veillait à celle du personnel et aussi à la tenue de la clientèle se composant de pas mal de grues. La conscience de son rôle augmentait sa roideur naturelle. Chez nous, il n’enlevait son faux-col que pour se coucher. Même en veston pour dîner, on l’aurait crû toujours en redingote et l’on cherchait sa cravate blanche qui était de règle dans ses fonctions, mais que tout de même il remplaçait, sa journée finie.

Un ami qui venait souvent lui disait qu’il avait l’air d’avoir avalé sa canne, tellement il se tenait droit. Grand comme il l’était, il représentait. Du reste, les inspecteurs sont choisis : ne l’est pas qui veut. Il en faut de la prestance ! Aussi, maman en pinçait : cela se voyait, qu’elle en était fière. Ce sont de beaux hommes, les inspecteurs ! et il n’y a que les ordonnateurs des pompes funèbres qui soient aussi réputés. S’il l’avait voulu, papa, c’est tous les jours qu’il aurait fait un levage et maman à qui il l’avait dit s’alarmait de le savoir parmi tant de poules dont la plupart en mal d’amour.

Pour en revenir à la fessée, pas plus à l’école qu’à la maison. Et n’ayant pas les idées portées là-dessus, je n’abordais pas ce sujet avec les camarades. Il s’en trouvait, sans aucun doute, qui la recevaient chez elles ; mais on n’en parlait nullement dans mon groupe de copines. Depuis, je me suis rappelé une condisciple, la fille d’une marchande de parapluies dont la boutique touchait l’école. On savait que sa mère, très sévère, la battait. Et souvent. Quoique personne ne m’ait dit de quelle façon, je crois deviner maintenant de quoi il retournait quand, en première, la maîtresse l’interpellait tout haut et faisait certaines allusions dont devenait pivoine la grande fille, qui baissait, honteuse, le nez sur son cahier. Le sens de ces allusions m’apparaît des plus clairs aujourd’hui. Mais alors, je croyais que c’était d’une paire de calottes toutes récentes que lui ravivait le souvenir à peine refroidi cette rosse de demoiselle Hortense. Évoquée en pleine classe, je trouvais suffisamment vexant un simple souvenir de calottes et cela légitimait, vu l’âge de la camarade, le fard qu’elle piquait instantanément lui empourprant les joues et remarqué des trente-huit bonnes pièces que nous étions.

Je parle des joues d’en haut : les autres, ses joues d’en bas, car c’est ainsi que des écrivains sans respect dénomment quelquefois nos fesses, je ne les ai pas vues ; mais, je certifie qu’elle en possédait et qu’à la main de sa mère se présentait un sérieux derrière à claquer. Quand après quelque récidive de faute, mademoiselle Hortense, avec son rire méchant d’ordinaire, mais cette fois plus méchant encore, la prévenait que sa mère le saurait tout à l’heure et « qu’il lui en cuirait comme d’habitude » ou bien que « sa petite correction de ce soir serait aussi soignée que, celle d’hier » ou « aussi cuisante que la dernière », c’était des fessées et rien que des fessées qu’elle lui annonçait.

L’adjectif « cuisant » dont elle usait avec insistance l’indique bien.

Étaient-ce des fessées manuelles ou administrées avec une verge, un martinet ? Voilà, à mon avis, le seul point restant douteux. Mais, en tout cas, c’en devait être des bonnes.

J’ai l’impression que c’était avec la main. Si je dis cela, c’est que je connaissais de vue la mère qui, souvent, à la sortie se montrait sur le seuil de sa boutique et regardait défiler les élèves. Une grande, forte femme, hommasse, qui à cause de ses allures plutôt masculines, de ses traits marqués et de son air dur, je m’imagine préférant claquer. L’emploi de la main plaît aux fortes fesseuses, de même qu’aux forts fesseurs, car dans les deux sexes c’est bien pareil. Avec la main, on accentue à volonté l’effet de la fessée, on juge à chaque claque de cet effet et, en durcissant la main, on peut à volonté le rendre très douloureux.

De toute façon, quand elle fessait, elle devait fesser ferme ; mais, au cas de fessées manuelles, avec sa vigueur corporelle et l’énergie, la violence peinte sur sa figure, combien je les devine fortement appliquées, combien facilement je les crois cuisantes, les rudes claquées de cette brutale !

Ah ! que ne puis-je retourner à l’école, initiée ainsi que je le suis ! J’aimerais à me renseigner auprès des fillettes, surtout de celles au-dessus de douze ans, Parmi elles, bien plus qu’on ne pense, il en est que l’on fesse. J’en suis sûre. Et on n’a pas tort : c’est dans leur intérêt. Je regrette bien, moi, de n’avoir pas connu cela.

Vers mes quatorze ans, quinze ans, quel bien cela m’aurait fait ! Heureusement que toutes les mères ne sont pas comme maman et qu’il s’en trouve ne se privant guère de les fesser, ces demoiselles. Et il se trouve des pères aussi. Du reste, j’en connais qui me l’ont dit.

C’est des pères que je parle. J’en sais un surtout, un bon petit ami à moi : il me le raconte quand il vient me voir. Il a trois filles, le veinard ! Je me doute de ce qu’elle prennent, je connais sa manière.

Les papas déculotteurs et fesseurs de leurs filles, à treize ans, quatorze ans encore ne sont pas rares. Parmi mes copines de maintenant, plusieurs m’ont certifié que pour elles fut dépassée cette limite d’âge.

Nous, nous ne fréquentions personne, autant dire. Aucune famille à nombreux enfants ; c’est d’ailleurs si rare. Des collègues à papa qui en avaient peu ou même pas du tout, mariés à des employées de la maison pour la plupart.

Donc, bien éveillée à douze ans, si l’on peut appeler être éveillée que de commencer à se sentir, mon ignorance dépassait les bornes permises à dix-sept. Tout d’un coup, voilà que cela m’impressionne de façon extraordinaire de voir fesser cette môme. Je n’étais plus la petite oie blanche, j’avais lu des romans, avec des amies d’école, la dernière année, et avec des amies de cours ensuite, on avait parlé de l’amour. Mais la flagellation comme passion m’était totalement ignorée. Je ne connaissais même pas ce terme-là et si je l’avais rencontré imprimé, je n’avais pas compris qu’il s’agissait de fessées, mais plutôt de supplice analogue à la Flagellation de Notre-Seigneur, par exemple. Bref, il n’est pas possible d’être plus fermée que moi, à un point vraiment inimaginable, n’ayant rien vu ni même lu le moindre livre traitant un sujet qui, bientôt, me conquerrait à jamais.

Madame Mary ne m’en parla pas spécialement non plus les premières fois que j’allai chez elle. Si mes parents me la laissaient fréquenter, c’est d’abord parce qu’elle était une bonne cliente du magasin. Chaque semaine, il y avait pour elle un ou deux envois. Rarement un seul, le plus régulièrement deux, parfois trois. Elle se fournissait à tous les rayons. Ensuite cette tenue qu’elle avait ! Aux yeux de papa, aux yeux de maman, rien au-dessus de cela. Moi, je soupçonnais bien quelque chose, le voyant si coquette, la figure tellement faite. Mais, sous les yeux de papa en défilaient tant de comme cela, des poules, toute la sainte journée, dans son magasin ! Enfin, il avait le bandeau et maman, elle, ne voyait que par lui. Du moment qu’il décrétait que la voisine avait de la tenue, il avait tout dit.

Et puis, elle demeurait dans la maison. Donc, je ne m’absentais pas, je ne risquais pas de mauvaise rencontre dans la rue et cela les rassurait.

J’arrive à cette première fessée de gosse qu’il me fut donné de voir.

Un vendredi soir de mai, à neuf heures moins le quart, aussitôt après le dîner, je dis à maman que je vais chez la voisine finir un chapeau.

C’est Renée qui m’ouvre. Nous nous embrassons elle est riante à son ordinaire et rien ne me fait deviner quoi que ce soit de particulier. Je la suis dans la chambre à coucher, tout au fond de l’appartement. Sa mère s’y tient de préférence pour travailler. Elle y a sa table à ouvrage.

Coquette comme toujours, dans une robe chemise prune d’intérieur, sans manches, qu’elle s’est réussie ces jours-ci, sur un patron par moi prêté, et qui l’écourte au ras du genou, elle est appétissante avec sa riche carnation, sa physionomie piquante et grave à la fois, ses yeux câlins et autoritaires tour à tour. J’ai du bonheur à embrasser ses joues fermes. Les premiers jours je lui trouvais la bouche trop rouge dans son visage si blanc, mais je m’y faisais : cela lui allait, de même que la dureté qu’elle avait facilement quand elle voulait, dans le regard, en me regardant, par moments. Grande comme moi, à un centimètre près. À l’époque, moi, sensiblement moins forte que maintenant, je pesais dans les cent dix. Pour ma grandeur, j’étais donc mince. Elle, sans être grosse, un peu massive, avec un torse magnifique respirant la vigueur et que portaient avec aisance ses belles hanches larges, mais larges sans excès. Des jambes superbes, la cheville un peu forte : voilà leur seul défaut, et encore, cela ne nuisait pas à leur ligne. Bordelaise, l’accent de son pays, gardé quelque peu, m’amusait. Je lui trouvais l’air d’une lutteuse. Le lui ayant dit, elle en riait, en roulant des yeux terribles, et, me montrant ses bras, ses mains, me disait de prendre garde, que « je verrais cela ».

Du reste, elle était d’une force incroyable pour une femme : je ne le savais pas encore.

Elle avait des bras de toute beauté et que j’aimais à voir nus, selon son habitude. Je ne me lassais pas de les regarder, de les admirer, ses gros bras blancs de statue.

Si j’étais mince, surtout plus encore de corps qu’à présent, j’avais des jambes déjà, de bonnes cuisses, avec les mollets fins encore, mais des fesses, de bonnes fesses. C’est à partir de ce jour-là que j’y ai fait attention, que je les ai regardées, de plus en plus avec fierté. Une bonne paire tout à fait. Pour la fermeté, c’était déjà irréprochable, cela j’en réponds, car je ne tardai pas à être fixée là-dessus.

À mon arrivée dans sa chambre, en train de draper le sien — de chapeau — elle me dit :

— Vous arrivez bien : je m’apprêtais à corriger la petite. Mais, j’attendrai que nous ayons pris le café.

Oh ! le café ! c’était la règle. Elle m’en offrait une tasse, chaque fois. Je l’adorais, elle aussi, et elle le faisait dans la divinité.

Sur un guéridon, il mijotait dans une cafetière russe. Elle le sert, nous ne nous pressons pas, nous le sirotons et, ce jour-là, il me semble meilleur encore, si possible.

Après un court débat sur la garniture, cerise ou souci la voilà qui reprend :

— Oui, je me préparais à lui donner la fessée.

Sur le moment, je parais surprise. Souvent, je l’avais entendue, à chaque visite, peut-être bien, la menacer d’une fessée ; mais je prenais cela pour une menace illusoire et vaine, un de ces propos en l’air, de ces clichés qui n’ont nulle valeur effective. Cette fois c’était donc sérieux. Elle poursuit :

— Il lui en faut, à cette petite, des fessées ! Des fessées, déjà !…

Elle me regarde en riant. Moi, ignorante, je ris aussi et je ne remarque pas l’expression de ses yeux. Ce n’est qu’après, en y repensant, que je l’ai remarquée, l’expression de ses yeux qui vrillaient les miens. Le mot : déjà me frappa-t-il quand je l’entendis prononcer ? En tout cas, je ne lui attachai nul sens particulier. Ce n’est que plus tard, comme j’aurai à le dire.

Elle continue, avec son accent chantant :

— C’est que cela fait tant de bien, une bonne fessée ? n’est-ce pas, Renée ?… Mais, elle est encore trop jeune…

Les six derniers mots, elle les a dits à mi-voix, en se penchant à mon oreille et un sourire accompagne son regard, l’un et l’autre chargés de je ne sais quelle malice, contenue aussi dans une réticence dont m’échappe la cause. Mais, cela ne fait rien, je ris également. Depuis six mois que je travaille dans un bureau, il m’arrive souvent de faire celle qui comprend, alors que je ne saisis rien de rien de ce qui amuse les autres et les fait se tordre : une blague risquée, un mot osé.

Renée ne prend pas de café. Sa mère lui trempe un canard et la mignonne tend sa petite bouche.

La belle petite fille ! Sous la jupe courte, sa mère lui tapote le derrière qui doit être joliment rondelet s’il est solidaire de jambes aussi bien tournées, rappelant celles de la maman.

Madame Mary la laisse savourer son canard debout près d’elle et la tapote toujours. Les claquements sur la culotte tendue, je les perçois d’abord comme l’applaudissement discret de mains gantées ; puis l’applaudissement devient vite plus chaleureux et comme si les mains étaient nues les bravos maintenant crépitent.

Renée ricane. Sa mère, sans se lever, s’écarte du guéridon et de moi en même temps, se recule avec sa chaise et c’est pour disposer la petite à bonne fin, comme, au square, la nounou traditionnellement installe le bébé à châtier.

Elle l’étend, allongée, sur ses cuisses et Renée se laisse placer, sans résistance. Ses bonnes cuisses, ses bons mollets sont jolis à voir, dans la transparence des bas saumon. J’y retrouve déjà, tout à fait, la forme maternelle.

Je suis assise en face, à deux pas. Le retroussage de la robe vert d’eau à fleurettes mauves, me montre, moulées dans la culotte de nansouk qui joue la mousseline, des rondeurs parfaites de relief et de dessin. La culotte est si courte que je vois tout des cuisses fortes. Elle recouvre juste les fesses, relevée sur le côté en sabot.

Le nu au-dessus du haut des bas est blanc, presque autant que le nansouk et c’est charmant.

Mais la main s’élève et plane. Les belles rondeurs qui se dessinent comme si elles étaient nues, se serrent dans l’attente.

Mon Dieu, que c’est donc joli !

Et qu’elle est potelée, cette main ! et que son geste est gracieux, ployée en col de cygne sur le poignet…

Vlan !… elle s’abat avec un bruit éclatant, qui désormais sera le plus agréable de tous ceux qui tinteront jamais à mon oreille.

Sous la claque qui semble l’avoir cinglée vivement, Renée a sauté en l’air, sur les genoux qui la soutiennent et elle n’arrête pas de sauter maintenant, car les claques non moins vives qui tombent en pluie se succèdent sans interruption.

Oh ! qu’elle se démène ! Qu’elle les fait aller, ses fesses, ses belles petites fesses dans l’incroyable agitation de ses jambes, bien à l’aise pour les mouvoir, dans cette position ! Que c’est joli à voir, une fessée ! que c’est joli !

Mais, cela n’a pas l’air de faire grand mal. Les contorsions de Renée le démontrent. On dirait plutôt qu’elle se fait un jeu de gambader.

La mère ne cesse de me regarder. Quand, quittant une demi-seconde le derrière tressautant qui m’enchante, mes yeux se lèvent, ils rencontrent les siens, toujours. Ma joie les amuse et leur plaît, car ils sont joyeux, eux aussi.

Mais, Madame Mary s’arrête de claquer. Je crois que c’est fini. La scène m’a charmée positivement et, de nul autre spectacle, je n’ai encore été aussi remuée.

Je me suis trompée. Cela ne fait que commencer, au contraire. Cet arrêt n’est qu’un entracte, pendant lequel la main qui vient de fesser, aidée de l’autre qui retenait la mignonne, s’occupe pour donner plus d’intérêt encore et maintenant toute sa beauté au spectacle qui ne tardera guère à continuer.

Cela a été vite fait : la petite culotte est abaissée. La voici arrangée comme il faut : en bas, et sur les côtés un peu, elle encadre de blanc la chair ivoirine, rejoignant, à droite et à gauche, la petite chemise qui, elle relevée découvre les reins bordés de son retroussis léger que, de leur bout, les doigts poussent ou ramènent avec art, ici ou là.

C’était bien joli, tout à l’heure, mais que ce l’est plus encore, tout nu, un derrière bien fait ! Oh ! les amours de petites fesses ! Qui m’eût dit qu’avaient une telle beauté des fesses de neuf ans !

Ah ! je peux les bien contempler. On me les laisse explorer de mes yeux curieux. Oui, curieux et uniquement curieux. Car, pour l’instant, rien d’autre ne se mêle à mon plaisir visuel. Seule, la vue de ces fesses d’enfant me transporte et emplit, d’une joie profonde qui le chauffe, mon cœur, mon cœur vierge !

La main potelée les claque, maintenant nues, les petites fesses et, à ce bruit plus strident, mon tympan vibre plus fort et une joie, devenue plus âpre, bouillonne en moi. Quelle musique j’écoute, quelle musique pénétrante me verse, s’appliquant preste, nerveuse et cinglante, la main qu’anime et excite la chair ferme d’une fillette riche en sève, d’une fillette qui, très en avance sur son âge, est déjà capable de serrer dur les fesses !

Et pendant que se délecte mon oreille, quel régal pour mes yeux que le rose exquis qui rosit la peau fine ! Oh ! le délicat panachage de tons tendres et frais qu’est donc une fessée de fillette ! Je le concède sans peine à certains amateurs qui placent ce régal subtil au-dessus de tout et jugent grossières en comparaison les fessées de femmes faites.

Quand elle s’arrête, Madame Mary l’enlevant dans ses bras, porte la petite à son lit, dans la chambre voisine. J’entends le bruit de baisers maternels suivis de deux bonnes claques encore.

Me levant, je me prépare à garnir mon chapeau, en proie à un trouble étrange et délicieux.

Soudain, je devine plutôt que je n’entends que revenue, elle se tient derrière moi. Je ne sais ce qui m’avertit de sa présence…

Tout d’un coup, que se passe-t-il en moi ? je ne sais au juste ce que j’attends, ce que j’espère qu’elle va me faire, à quel geste hardi elle va se livrer, mais quoi qu’elle ose, je la laisserai agir… Qu’elle dispose à son gré de tout mon être !…

Quel bonheur ! Je sens ses mains, les deux ensemble, me prendre la taille. Oui, c’est bien cela, elle s’empare de moi comme elle s’est emparée de Renée. Dans le même but, sans doute ? Oh ! cette femme si forte qui vient de fesser une enfant, va-t-elle me traiter comme une enfant, moi aussi ? N’est-ce pas là ce qu’elle projette ? Une de ses mains quitte ma taille et descend, se pose sur ma chair, qui se crispe et s’en saisit…

Je ne me suis pas trompée : le geste précise son dessein. Que me plaît donc cet acte significatif dont s’accentue la franchise ! La main librement tâte mes rondeurs, les palpe. Oui, en ce moment, il n’est point d’autre expression à employer, elle me pelote les fesses. Mais, loin de m’en hérisser d’émoi indigné, comme lorsqu’il m’arrive de me sentir ainsi empoigner, dans la cohue du métro, par un de ces malappris qui ne manquent pas, cette fois, au contraire, une telle privauté me ravit. Je la devine le prélude d’une autre, plus osée, à laquelle d’avance ma volonté consent ; d’une autre, qui m’apprendra ce que je brûle de savoir ; d’une autre qui me révélera une sensation que je veux éprouver, moi aussi, comme Renée que j’envie ! Et ses lèvres, qui se posent sur mon cou, en haut, derrière l’oreille, me font frémir de la tête aux pieds. Dans un frisson qui achèverait ma défaite si jamais j’avais songé à résister…

Mais non, il y a erreur. Ce n’est rien de cela, hélas ! Madame Mary détache ses mains de moi, la gauche comme la droite. La droite qui les pelotait si ouvertement, si résolument, abandonne mes fesses déçues qui, tout le long moment où s’affirmait la prise de possession, s’offraient, se donnaient crispées d’espoir.

Nous nous asseyons. À présent, en face l’une de l’autre, nous chiffonnons le satin et la soie. Pendant un court débat sur les garnitures, je regarde sa main qui vient de claquer à nu la chair enfantine et de pétrir ensuite au travers d’une jupe combien mince, la mienne, docile autant mais autrement profuse.

Je la vois, cette main, manier le satin. C’en est un déjà qu’ont offert à son toucher ces fesses de fillette, le satin des miennes ne serait pas moins doux…

Je ne sais ce que je réponds à ses demandes de conseils au sujet d’un nœud à placer. Je n’y suis plus du tout : ma voix me fait l’effet d’une voix étrangère. Je ne cesse d’admirer la souplesse de la main qui claquait si bien l’heureuse gamine. J’en connaissais la douceur et la caresse, de cette main serrée par moi plus d’une fois ; mais, l’ayant vue à l’œuvre, je la sais à présent douée aussi de vigueur et de fermeté, la main grasse et potelée. Ses doigts renflés, sa paume charnue ont dans leur moelleux la force qu’il faut pour claquer à grand éclat des fesses qui se serrent, cinglées de haut, et les faire tressauter, palpitantes. À la fessée, à la bonne fessée qui tant animait les fesses d’une enfant, celles d’une grande jeune fille, une femme bientôt, seraient-elles moins sensibles, resteraient-elles inertes ? Les mots qu’elle a dits tout à l’heure me reviennent, ceux dont je n’avais pas compris le sens caché : « elle est encore bien jeune ». Qu’a-t-elle voulu dire ? Hélas ! hélas ! je ne comprends pas encore, je comprends de moins en moins.

Je suis honteuse maintenant de la pensée que j’ai eue un instant. C’est que je suis si enfant encore ! malgré mes dix-sept ans, si jeune de caractère ! Papa, maman m’appellent « la gosse ! »

Oui, j’en suis une. J’ai honte, j’ai honte. Je n’ose regarder Madame Mary dont pèse le regard sur mon visage qui rougit. Il doit être, mon visage de gosse, de la couleur des fesses de Renée, à la dernière claque.

Mais, après un moment de silence, madame Mary parle. Je lève les yeux, les siens me scrutent et descendent en moi. Sûrement, elle y lit à livre ouvert. Ils rient, ses yeux. C’est bien cela : c’est le rouge de mes joues brûlantes qui les fait rire. Il leur rappelle le ton ardent dont se pare la peau des gamines fessées.

Mais quoi ? Ce n’est plus de chapeaux, de formes, de rubans, de flots, de nœuds que Mary me parle. C’est de la fessée de Renée.

Elle me demande comment j’ai trouvé sa façon de gigoter, si j’en ai vu beaucoup de fillettes comme elle, d’aussi vives et pétulantes sous les claques qui cinglent ? C’est une conversation qui me grise, m’affole. Elle me parle de fessées, rien que de cela. De celles qu’elle donne à sa petite, de celles qu’elle compte lui donner de plus en plus souvent et de plus en plus fort. Elle compte bien la fesser ferme quand elle aura mon âge et c’est alors que Renée les appréciera, ses bonnes fessées et en tirera profit. Ah ! infiniment davantage qu’à neuf ans et même qu’à quatorze et quinze, où les filles pourtant sentent puissamment parfois le bien que leur font les fessées soignées qui, infusant en elles la santé, régularisent en la stimulant l’ardeur de leur sang et calment, seules, quand il le faut et aussi souvent qu’en revient le besoin, serait-il journalier, leurs nerfs surexcités et chassent pour un temps leurs idées malsaines, génératrices toujours de gestes coupables, encore plus nuisibles en secret dans la solitude que réciproques, avec une compagne…

Le geste a souligné les mots : fessée soignée. Sa main s’élève, s’étale, les doigts étendus, rebroussés, comme prête à claquer des fesses de vicieuse. Et moi, je serre les miennes, moi qui en suis une.

Elle me demande si je ne l’ai pas éprouvé, le bien être profond amené par une forte fessée opportune qui m’a rougi violemment la peau et m’a fait haleter, mais non de seule douleur, en me débattant sur les genoux de ma mère, me claquant à toute volée comme il les faut claquer les filles dont, le matin, l’œil apparaît cerné ?

Quand je lui réponds que jamais, jamais, je n’ai reçu de fessée, elle en tombe des nues.

Stupéfaite, elle refuse de le croire. Comment ? une jolie fille comme moi ? Une jolie fille aux si belles fesses ? Car, elle les connaît bien mes fesses ! Bien avant de les avoir palpées et pétries comme elle vient de le faire elle y avait touché, elles les avait tâtées et évaluées à merveille, à chacune de mes visites.

Comment ? je ne m’en étais pas aperçue ? Est-il possible ? Mais, dès le premier jour. Et avant cela, elle savait comment je les avais faites. Elle m’avait remarquée, à mon arrivée dans la maison. De ses fenêtres, elle m’observait, marchant dans la rue, traversant la cour et n’avait-elle pas monté souvent l’escalier derrière moi ? Avec ces jupes qui plaquent, l’on en juge aisément de la forme des fesses dont s’ornent les jolies filles. La mode du jour n’attire-elle pas le regard sur les rondeurs qu’elle se plaît à dessiner, à accuser ?

Et ce n’est pas leur forme qu’elle avait seulement appréciée, dans mes belles fesses amples et remuantes mais aussi leur qualité. Elles sont fermes, supérieurement. De cela aussi, elles s’est rendu compte, dès la première soirée passée par moi chez elle. N’ai-je donc pas senti que sa main s’appuyait, parfois ostensiblement pressante, quand elle passait derrière moi, servant le café ou me reconduisant au départ, ou déjà même à mon entrée ?

Oh ! oui, j’en possède de belles fesses, une riche paire merveilleusement faites et merveilleusement fermes. Aussi, lui semble-t-il inconcevable que je n’aie jamais reçu de fessées. Car, rien ne vaut cela pour les développer. Elle en fréquente des jeunes filles comme moi qui sont redevables à la fessée de la beauté de leurs formes. Quelle suprême perfection acquerrais-je donc si, à mon âge, de bonnes fessées venaient encore en augmenter l’élasticité qu’elle a constatée déjà, mais qui demande à être cultivée sous peine de déchoir. Ce serait dommage ! Pis que cela, ce serait criminel ! car je représente la nature idéale, je réalise le type de la jeune fille à qui la fessée doit s’adresser, à qui la fessée convient par excellence et revient de droit, à meilleur titre qu’à plus d’une qu’elle connaît et qui en reçoivent tant !

De concert, nous négligeons nos chapeaux et les laissons en panne. Elle s’est rapprochée de moi, ou plutôt m’a attirée plus près d’elle ; maintenant nous sommes côte-à-côte. Je suis à sa droite, son bras, son beau bras nu m’enlace ; mais il ne reste pas longtemps autour de ma taille, sa main descend le long de ma hanche puis s’empare de mes fesses, les pétrit, les tapote, les claque, les claque fort, fort…

En même temps, sa bouche se colle à la mienne, ses lèvres emprisonnent les miennes, ses yeux s’ouvrent sur mes yeux, y plongent. Mes paupières battent…

Soudain, je me sens attirée, j’aide au mouvement que je comprends qu’elle veut me faire effectuer, je me soulève pour favoriser son projet, je me laisse entraîner par son bras fort…

Encore une seconde et je vais être placée comme Renée le fut sous mes yeux pour recevoir la correction promise… Oh ! oui, je la serai la petite fille que sa maman corrige, qui se démène déjà pendant qu’elle se sent dévêtir, je serai la gamine retroussée qui, le bras retourné, cherche avec la main à retenir son pantalon qu’on entreprend de descendre, je serai la gamine déculottée qui gigote avant même la première claque. Puis, pendant la fessée, avec ses fesses qui n’arrêteront pas de sautiller, la fillette que j’incarne un moment pour rire, deviendra vite la grande fille, puis l’adolescente, la grande jeune fille que je suis réellement. Mais, avant d’en arriver là, quand elle sera seulement la grande fille qui succédera à la fillette, que la fessée soit déjà bonne et soignée !… Oui, que la fessée soit bonne et soignée, car elle la mérite, car elle a souvent ses nerfs et, comme il fut dit par Madame Mary, des idées malsaines… Des idées malsaines inspiratrices parfois, dans la solitude, de ces gestes-là que l’on nous défend…

Tout d’un coup la sonnette électrique fait entendre son tintement strident. Berceur de ma griserie, le silence que ponctuaient seuls nos souffles confondus, se déchire brutalement.

De même que j’ai reconnu la façon de sonner de maman, de même que l’autre fois, elle vient me chercher.

Ah ! qu’elle arrive mal à propos… Pauvre mère, avec quelle sincérité je la maudis du fond du cœur !

Mary et moi, nous ne séparons pas nos lèvres et, dans les bras l’une de l’autre, nous allons ouvrir. Ce n’est qu’au moment de toucher la verrou que nos deux bouches se détachent et que sa main s’écarte de ce qu’elle n’a cessé de presser tout le long du corridor.

C’est bien maman. Il n’est pas encore l’heure de se coucher : elle est venue pour bavarder un peu. Papa s’endort en lisant Le Temps, qu’un ami fonctionnaire lui prête régulièrement avec deux jours de retard. Mais, cela n’a aucune importance, dit papa. Bien qu’un peu en retard, l’honorable feuille ne donne que de sages avis.

Madame est bavarde. Il est neuf heures cinquante ; nous en avons jusqu’à onze heures. Mary soutient vaillamment la conversation ; mais quels regards nous échangeons !

Elle a de l’esprit, Mary. Elle le prouve une fois de plus, quand je l’entends dire :

— Dites-moi, chère madame Loiseau. C’est demain samedi. Mademoiselle Raymonde rentre à midi et elle est libre après, jusqu’à lundi matin. Son après-midi de demain est à elle. Voudriez-vous me permettre de lui demander de m’accompagner le tantôt chez une amie, à qui je voudrais la présenter. Cette amie cherche une dactylo sérieuse et distinguée pour lui faire taper chez elle des textes très précieux. Bien élevée, comme elle l’est, mademoiselle Raymonde remplit toutes les conditions. Ce serait très, très, très bien payé.

Mais comment donc ? L’autorisation est accordée volontiers. Cela nous vaut, à Mary et à moi, l’échange d’une œillade complice. Mon initiation est remise à demain et rien ne la pourra empêcher.

Où a-t-elle été chercher cette histoire d’amie en quête de dactylo distinguée ? Elle ne m’en avait jamais soufflé mot. L’amie est de sa pure invention et n’est qu’un prétexte bien trouvé pour m’avoir demain et longtemps. Puis, elle dira l’amie partie, appelée je ne sais où, par dépêche !

Je ris en dedans de la bonne idée et j’admire sa finesse. En vantant la bonne éducation que j’ai reçue de mes parents, que n’obtiendrait-elle pas d’eux en fait d’autorisation !

Après une heure de papotages qui me semblent mortellement fastidieux, nous nous retirons, maman et moi. On s’embrasse. Pendant qu’après maman, je la bécotte, dans l’éclairage propice de l’entrée où nous sommes du côté de l’ombre et maman en pleine lumière, elle me tapote.

Ça, c’est gentil. Petite mère qui n’a jamais donné la fessée à sa fifille, ne se doute pas qu’en ce moment est en train de réparer cette omission regrettable une obligeante dame qui pratique mieux qu’elle son métier de maman.

Mais, demain, ne ce sera pas un simulacre comme celui-là. Ce sera pour de vrai.

En attendant, ce petit semblant, ce léger aperçu, cet avant-goût qu’elle m’en donne me fait grand plaisir et je sais gré à maman de ne pas savoir quitter les gens. Quand elle prend congé, elle a toujours trois, quatre histoires à raconter qui s’enchaînent les unes avec les autres et qui lui reviennent immanquablement à l’instant du départ. Dieu sait si je les connais, ses histoires. Cette fois, elles n’ont pas le don de m’agacer. Bien au contraire, je lui soufflerais, si elle perdait le fil. Mais, pas de danger : qu’elle commence par la deuxième ou la quatrième, c’est comme si elle débutait par la troisième ou la première ; l’ordre en est interchangeable, et les auditeurs ne coupent à aucune.

Ce soir, en les avalant une fois de plus, je bénis la sage-femme de ma grand’mère qui ne vola pas ses quatre sous en coupant le filet de maman en bas âge ? Car, à chaque histoire dont je voudrais que s’accrût la longueur, c’est, pour mes petites fesses, l’occasion de pelotages véhéments. Mary me les empoigne avec une énergie que je ne louerai jamais trop. Pour en témoigner sans secourir aux paroles, je les remue, mes petites fesses et je voudrais, par cette mimique, lui prouver qu’il n’y a pas que sa gosse à les avoir mobiles. Et je voudrais aussi lui suggérer l’idée de me faire ce qu’elle a fait à Renée. Oui, tout au début.

Car, pourquoi ne m’en fait-elle pas autant ?

Enfin, elle s’y décide. Ce n’est pas trop tôt.

Maman venait, providentiellement, d’entamer le récit de la guérison de sa sciatique qui, à la veille de la guerre, a cédé à un traitement miraculeux ; miraculeux est le mot — vous allez voir, madame — conseillé par une petite couturière que lui avait fournie la concierge et qui lui faisait, pour trente-six francs, des costumes adorables. Trente-six francs ! Allez donc chercher cela à présent ! Donc, comme je vous disais, ce traitement consiste en tout et pour tout, en une cuillerée de pétrole à prendre à jeun, chaque matin, pendant un mois. Ah ! il faut du courage ! mais, c’est souverain. Ainsi, tenez, chère madame, moi qui vous parle, après m’être guérie, et sans rechute, car l’année dernière, j’ai été à la mer et n’ai rien ressenti, rien de rien, j’ai indiqué ce remède à la femme d’un pharmacien qui en souffrait depuis vingt ans et qui était pourtant à même de prendre autre chose. Aussi, pas plus loin que dans ma famille, etcœtera, etcœtera…

Je la connais par cœur, l’histoire de la sciatique. Cette fois, loin de me plaindre de la subir à nouveau, je viens en aide à maman, aux bons endroits, pour que ne s’omette aucun détail. Au besoin, je lui demanderais de la recommencer aussitôt finie, et de moins se presser.

Car, pendant ce temps, Mary me pelote, me pelote… Et cela me plaît encore plus que ce soit au nez de maman qu’on me pelote ! Cette fois, de la bonne façon, de celle que j’espérais.

Enfin, mes fesses se prélassent dans sa main immiscée sous ma jupe.

C’est moi, qui, innocemment, lui ai montré le chemin qu’elle devait prendre. Sans avoir l’air de rien, tirant de côté, sur ma jupe — oh ! bien machinalement je l’avais relevée un peu en arrière et sa main s’engagea là où l’incitait à aller le fortuit retroussage.

Sitôt rentrées, vite au dodo. Il en est l’heure. Onze heures vingt-cinq.

Dans ma chambre, tapissée de claire cretonne de Jouy aux ramages bleus, un solde rapporté par papa, je me dévêts. Complètement, jusques et y compris ma feuille de vigne.

Je veux me voir nue dans la glace, de la tête aux pieds, et sous toutes mes faces. Du côté pile principalement. Est-ce vrai que j’ai de si belles fesses que cela ?

C’est bien vrai. Oh ! oui. Je me tourne, je les regarde dans la glace de l’armoire en pitchpin dont j’ouvre à demi la porte pour profiter de l’éclairage, lequel est fixe et que je ne puis ni diriger ni modifier.

De tous côtés, je les inspecte, je me tourne, je me retourne. Oui, elles sont jolies, impossible de m’en défendre. Du reste, on me le dit assez dans la rue. Ils ont raison, ces messieurs, je ne puis le nier : j’en ai une riche paire !

J’y touche, les prends comme Mary les a touchées, les a prises, les a pelotées. Ce n’était pas à nu tout le temps ; mais pour la fin, les dix dernières minutes, ce l’était bel et bien.

Car, lorsque sa main s’était glissée sous ma jupe, fourrageant, fourrageant, mes fesses qu’elle malaxait vigoureusement et qui croyaient en sentir le contact direct, tant est ultra mince mon pantalon, ne se doutaient pas que la ténuité de son tussor serait traitée en obstacle qu’il fallait absolument franchir. Par escalade, la main de plus en plus entreprenante, s’introduisait à l’intérieur, se glissant en haut sous l’élastique de la ceinture. Il faut croire la peau de mes fesses agréable à toucher, car ce fut alors un tripotage, mais un tripotage d’une énergie accrue encore et coupé, en guise de repos, de semblants de fessées, ébauches silencieuses de claques, en retenant sa main, laquelle se posait simplement, s’appuyait…

Même avant cela, quand c’était par dessus ma robe, l’étoffe en est si légère que je sentais les monts de sa main, à la base de ses doigts et les renflures de chacun des susdits, phalange par phalange. Abonnée des Annales et de la Mode élégante, j’ai fait de la chiromancie, mais je dois dire que ces publications ne recommandent aucunement d’en faire avec ses fesses.

Je me tapote ; hélas ! je n’ose aller trop fort. Papa, maman entendraient. Quel malheur de n’être séparée d’eux que par une cloison, je me fesserais de bon cœur, comme l’eût fait Mary !

Oh ! demain, quand je l’irai prendre chez elle à deux heures, c’est à nu qu’elle me les claquera, mes fesses. Elle n’aura pas peur de faire du bruit. Au bout de son long couloir, sa chambre est loin du palier. Cela fera-t-il un joli bruit aussi ? le même que sur les fesses de sa gosse ? Plus de bruit encore, je pense, sur des fesses telles que les miennes, de tout autre envergure !

Je me les empoigne à deux mains. Oh ! c’était bon par elle ! C’est donc une qualité si rare de les avoir dures ? Je croyais que c’était un défaut. Le fait est qu’elles le sont, dures ! C’est comme du marbre. Cela lui plaisait. Dieu ! me les a-t-elles assez tripotées de toutes les façons ? elle me les a pincées, même !

Si elle les connaît, mes fesses, moi, je connais sa main. Quand elle faisait comme si elle me donnait la fessée ou quand elle reprenait le virulent pelotage, de même que quand elle étreignait tour à tour l’une ou l’autre à pleine main, c’est positif que je sentais parfaitement tous les reliefs de sa main : le mont de Vénus, la Lune. Elle a aussi un Jupiter épatant. Du reste, cela ne m’étonne pas. Elle a de l’autorité et c’est ce qui me séduit chez elle. Maintenant, un index épais comme cela en bas, indique aussi la gourmandise. Cela ne fait rien : l’un n’empêche pas l’autre chez les sensuelles et c’en est une…

Et puis, je l’avais vue, sa main. Il y a du Mars aussi et pas qu’un peu. En somme, elle a tous les monts marqués, avec une prédominance de Vénus. C’est une amoureuse autoritaire.

Mais, pour les sentir comme cela, ses monts, avec mes fesses, c’est donc que je les ai bien sensibles ? Alors, cela me fera du mal, moi qui ne suis pas habituée ? Peut-être alors, ne pourrai-je pas l’endurer ? Alors, placée sur ses genoux, comme Renée, la taille prise, si avec cela une de ses jambes me retient les miennes, il faudra que j’y passe jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus de claquer ? Si j’allais crier ? car je ne pourrais m’en empêcher, je suis si douillette ! si froussarde !

Une idée me vient, d’essayer toute seule, pour voir déjà. Je place une chaise devant la glace : dessus, je mets un oreiller, lequel représente pour mon expérience les cuisses de Mary supposée assise, ses cuisses rembourrées, sur lesquelles je me doute qu’on repose à l’aise. Je me place sur l’oreiller… Cela me fait drôle de me voir nue…

Non, refaisons cela.

D’abord, demain, je ne serai pas nue. Ce sera plus convenable. Vrai, ce serait indécent, une grande fille comme moi recevant la fessée, toute nue.

Donc, pour réaliser plus chastement et plus exactement la scène, je remets ma chemise, ma culotte, mes bas champagne, mes souliers mordorés et même ma robe bleu lavande. D’avance, je me retrousse, je descends ma culotte, je remonte ma chemise, ne pouvant faire tout cela une fois installée.

C’est fait, je me mets en posture.

Oui, c’est ainsi que m’apparaissait la petite. Mais, mes fesses valent les siennes, fichtre ! Qu’est-ce, à côté des miennes, une paire des fesses de morveuse ? Parlons-en ! les miennes, à la bonne heure ! Mary aura de quoi la claquer, la vicieuse !

C’est vraiment joli des fesses qui se tortillent !

Ah ! assez. J’ai hâte de me coucher. Je sais bien pourquoi, mais je ne le dirai pas.

Eh bien, si ! si ! je vous le dirai. Oui, je vous le dirai, rien que pour faire bisquer.

Oui, j’ai hâte de me coucher. En deux temps, trois mouvements, me voici de nouveau à poil et je me jette sur mon lit, grand ouvert.

Mais, j’éteins la lumière. Pour ce qui va se passer, j’aurais trop honte à rester éclairée par le plafonnier… Je scandaliserais mon ange gardien…

Je suis dans la nuit.

Je me figure sur les genoux de Mary et, d’un bras, je me fesse comme je peux. Moins que je peux, devrais-je dire, car cela réveillerait les auteurs de mes jours, si je me claquais comme je le voudrais. Si encore cela me valait de recevoir de l’un ou de l’autre, survenant au raffût, la fessée qu’ils ont eu le tort de ne jamais m’infliger, alors que depuis si longtemps elle m’était due — et qu’il eût fallu bien cinglante et copieuse, comme aux vicieuses dont me parlait Mary ! La bonne fessée, celle dont se garde un souvenir cuisant, ainsi que disait mademoiselle Hortense, la bonne fessée qui calme et remet en place les nerfs des filles, quand elle est bien appliquée, ce n’est pas ce soir le premier qu’il me la faudrait de la main d’une mère ou meilleure encore de la main d’un père ! Depuis quatre ans, depuis cinq bientôt, je la mérite et depuis un an, de plus en plus souvent. Cela se voit pourtant, le lendemain, que, dans mon lit solitaire, j’ai tout fait pour la mériter… Comment ma mère ne remarque-t-elle pas, certains matins, la cernure de mes yeux et n’en pénètre-t-elle pas la cause ? C’est ce soir qu’il me faudrait une mère de famille pareille à celle de ma condisciple et qui me fesse jusqu’au sang, pour me remettre dans le droit chemin. Car, je devine que c’est mal de suivre Mary dans la voie qu’elle m’ouvre… Ah ! maman, maman, pourquoi n’accours-tu pas ? Ce serait le salut, il en est temps encore ! demain, il sera trop tard…

Non, personne ne vient. Ni elle, ni papa. Tous deux ont toujours négligé leur fille, faibles également avec l’enfant gâtée. Ils le savent pourtant que j’ai une tante sœur de ma mère et dont on ne parle pas. Et ne dit-on pas que je lui ressemble ? Elle était si jolie !

Eh bien ! tant pis. Je sais où je m’engage, sur quel pente je vais glisser : j’obéirai à l’instinct qui me pousse et dont je suis pleinement consciente…

Alors, puisque la mère, le père, faillit à son devoir, c’est Mary que j’évoque. Elle seule l’a deviné, mon vice ! Elle seule l’a compris, mon besoin !… Je suis dans les ténèbres, je ferme les yeux quand même pour mieux la voir…

Elle me tient, elle me claque. Ma main joue le rôle de la sienne.

Fessez-la, madame, fessez-la, petite maman, la gosse dont vous trouvez si belles les fesses ! Claquez-les lui plus longtemps que vous n’avez claqué celles de Renée, votre autre fille, et plus fort, plus fort, car je suis l’aînée et la plus coupable, et celle aussi que vous aimez le mieux.

Oh ! que tu n’aies pas peur, au moins, de me claquer, dis, maman ? Le besoin que j’en ai, d’une bonne fessée, toi seule, toi seule me l’as révélé. Claque-les donc bien mes fesses si dures, elles en seront plus dures encore !

Par contre, elles sont trop douces, mes claques ! Je m’arrête. Je me vautre maintenant sur mon lit, mes cuisses s’appuient l’une sur l’autre, se frottent… Ah ! comme je vibre !…

Allons, encore une fessée, bien que la sachant loin au-dessous de celles que j’attends demain de ta main potelée, ta main grasse et charnue, si belle à voir quand elle s’étale et rebrousse ses doigts pour que durcissent les fesses des filles.

C’en est trop. Non, veux-je dire, ce n’est pas assez de me rouler sur le drap, de me frotter, de serrer mes cuisses. Ce n’est pas assez. Je recours au moyen que j’ai découvert de précipiter l’arrivée de la sensation exquise… Je l’ai trouvé seule, ce moyen, il y aura cinq ans cet été. Je sais que c’est mal, tant pis, je l’emploie. La Nature parle trop haut ce soir pour que je n’obéisse pas, les oreilles bourdonnantes, à sa voix qui commande. Demain, je n’en aurai que mieux droit à une bonne fessée. Qu’avait fait Renée pour la recevoir, je l’ignore ; moi, je l’aurai méritée, au moins.

Et je l’emploie, et je l’emploie, le moyen ! Ah ! que c’est bon ! que c’est bon !…

Je me suis endormie. La preuve, c’est que je m’éveille. Je fais la lumière : trois heures du matin.

Ah ! quel rêve délicieux je faisais !

J’étais sur ses genoux. Elle me fessait.

Et, toute seule, la Nature a agi. Sans que je l’aide, cette fois j’ai revécu des minutes de bonheur divin, semblables à celui que j’avais su appeler…

Je me rendors jusqu’à sept heures, comme d’habitude. J’arrive au bureau, je le quitte à midi.

Toute la matinée, j’ai pensé à la fessée qui m’attend. Cela m’a fait faire des boulettes dans ma copie. Lundi, j’arrangerai cela. Et puis, le samedi matin, tout le monde sabote au bureau. On ferait mieux de nous laisser chez nous. On fesse des gosses pour moins d’étourderie. J’aimerais bien être dans un bureau où cela se pratiquerait de fesser les dactylos.

En montant chez nous, je frappe chez Mary. Elle sent bon délicieusement. Ses lèvres emprisonnent encore mes lèvres, mais, de plus, Mary me fait connaître une innovation. De force, sa langue s’insinue, me pénètre et m’inspire une haute opinion de son agilité…

Me laissant enfin respirer, Mary m’examine :

— Bonjour, beauté ! Bonjour bouquet de printemps ! Ah ! mais vous en avez des yeux cernés, petite vicieuse ! Je devine ce que vous avez fait cette nuit… Hier soir, en rentrant, ce polisson-là, où a-t-il été fureter ?

Toute fine qu’elle est, elle se trompe. C’était l’autre, c’est-à-dire son frère de la main gauche, puisque pendant ce temps, avec ma droite je faisais semblant de me claquer.

Elle poursuit :

— Dis donc que non, vilaine ? Aussi, donne vite tes fesses !

Elle me trousse, va rabattre ma culotte…

Malheur de malheur ! maman qui de sa cuisine m’a vue traverser la cour, ouvre sa porte. Elle va s’amener, Mary a tout juste le temps de me relâcher et me pousse dehors.

J’entre chez nous. Je dis à la mère que j’irai prendre le café chez Madame Mary en l’allant chercher.

Zut, j’ai fait un beau coup ! voilà qu’elle me répond :

— J’irai avec toi prendre le café, je m’invite. J’ai un chapeau à lui montrer que je finirai après votre départ Regarde ce que, ce matin, j’ai bâclé en une heure ? Est-ce tortillé avec assez de chic ?

Elle m’exhibe un galure à la noix de coco, une forme à sept francs, en simili tagal, genre toquet, autour duquel elle a enroulé une torsade en ciré sang de bœuf.

Non, mais ? En voilà une fantaisie de s’inviter, par exemple ! Elle en a de bonnes, la mère ! Alors, quoi ? Si elle rapplique tout à l’heure avec moi, voilà ma fessée dans le sixième dessous ! Moi, j’en ai besoin, de ma fessée. Elle vient déjà de me faire rater à l’instant une belle occasion : la gosse partie en commission ! Ah ! c’est que je la veux ma fessée ! elle m’est due, il me la faut à tout prix ! À la gare, la maman gêneuse, à la gare ! C’est sa fille qui compte se tortiller avec chic !

Je ne fais ni une, ni deux, je me précipite chez Mary, je lui expose le projet maternel combien intempestif et empêcheur de danser en rond. Quel toupet elle a ! Médite-t-elle d’y rebiffer à sa propagande pétroliphile et antisciatique ?

La divine me réconforte, me serre dans ses gros bras d’albâtre :

— Cela ne fait rien, chérie, tu l’auras, ne t’inquiète pas. Elle n’en sera que meilleure. Cela ne fait que la retarder un peu, mais tu n’y perdras rien.

En attendant, je me brosse pour un a-compte qui m’eût fait patienter. La gosse est revenue. Elle accourt m’embrasser et sa mère ne peut même pas me peloter les fesses.

Je n’y ai pas perdu, en effet.

Le café pris, sans trop nous presser, ce dont je trépigne en dedans, si je puis dire, maman ne dévisse pas et quand nous sortons de l’appartement, c’est tous trois ensemble.

Je suis à cran, à cran, comme on ne le peut être plus, de ma fessée rentrée.

Enfin, maman nous suce la pomme sur le carré et se décide à nous lâcher. Mais, au lieu de rentrer en vitesse dans son vertueux domicile, la voilà qui s’appuie sur la rampe et nous regarde descendre.

Nous descendons un étage, puis l’autre, toujours couvées par ses yeux maternels. Je crois que si nous en avions eu quarante-deux à dégringoler, comme à New York, elle serait restée là jusqu’au bout.

Nous voilà en bas. Je croyais qu’après deux minutes de station devant la porte, nous serions remontées sans bruit, Mary et moi, sous le prétexte de quelque chose oubliée, en cas de rencontre, bien improbable maintenant de cette chère petite mère-crampon. Mary l’aurait eu belle alors pour me l’octroyer ma bonne petite fessée dont l’attente va me faire mourir ni plus ni moins, c’est sûr, si ça continue.

Non, voilà qu’au contraire elle me dit :

— Vite filons, nous avons juste le temps d’arriver. Sautons en taxi. On nous attend à trois heures et c’est rue Marbeuf.

Trois heures tapant, on arrive.

C’est une maison chic. Nous passons devant la concierge sans nous arrêter. Mary sait où elle me conduit.

Pas besoin de prendre l’ascenseur : c’est au premier. Escalier de marbre à la pente douce. Sur le palier, deux grandes portes à deux battants. Celle de droite, Mary l’ouvre avec une clef qu’elle tire de son sac.

Cela m’étonne déjà. Mais, je ne suis qu’au commencement de mes étonnements.

Nous pénétrons dans un vestibule spacieux sur lequel donnent trois ou quatre portes.

Mary tourne le bouton de l’une d’elles et nous entrons dans un grand salon luxueusement meublé d’un piano, d’une armoire Louis XV, ripolinée de blanc, d’une table assortie chargée d’albums à la riche reliure. Des sièges de toutes sortes sont disposés ça et là. Au milieu, un immense divan carré, couvert d’un somptueux satin crème aux beaux plis éclatants, jeté avec autant d’art que d’abandon.

Des coussins le parsèment : des petits, des grands, brochés d’argent et d’or ou décorés de fleurs chatoyantes. Des coussins de toutes les couleurs, vives ou amorties : roses mourantes, bleus passés, jaune citron, lilas, jade, jusqu’à des noirs dont le satin s’orne de larmes d’argent. L’ensemble opulent et distingué satisferait le goût le plus difficile à la fois moderne et classique. Vrai, c’est d’un grand chic. Sur le sol, un tapis épais d’un ocre clair rompu et tirant sur le verdâtre, à grandes rosaces, comme des couronnes de feuillage bleu pâle.

Mary me dit :

— Assieds-toi, je reviens tout de suite.

Avant de sortir, elle plaque sur le Pleyel de larges accords et s’éclipse.

Je m’en garde bien, de m’asseoir !

Des gravures, des aquarelles encadrées d’or en rocaille, sans marge, pendent aux murs blancs et m’appellent. J’ai tout de suite tiqué en les apercevant et je les veux regarder de près.

C’est amusant comme tout et intéressant pour moi suprêmement. Des estampes anciennes que je ne connaissais pas. Les scènes coquettes qu’elles représentent sont admirablement appropriées à mon état d’âme. Jugez-en :

Ici, une jolie dame avec une charmante soubrette retroussée dont elle s’apprête à cingler les fesses nues d’une verge qu’elle brandit en souriant.

Là, lui fait pendant le même sujet interprété différemment par deux autres agréables personnes qui pourraient être leurs sœurs.

C’est ravissant. Mais les aquarelles qui l’emportent en accent et en expression vont accaparer mon attention.

C’est une dame de nos jours qui fesse la femme de chambre, une belle-fille à l’air garce. L’aquarelle est signée d’un nom apprécié que je connais à présent. Dans une autre, du même auteur, une Parisienne à la dernière mode, fesse furieusement une grande fille de mon âge qui se débat, en larmes, pourpre de honte de montrer son beau derrière rougi à une autre dame qui rit sensuellement, l’œil brillant, et qu’accompagne une fillette plus jeune, mais grande déjà, de quatorze ans, qui sera traitée de même, sans doute, car elle paraît effrayée, le regard braqué sur les chairs serrées étroitement.

Et quatre cadres encore : la « Flagellation conjugale », l’estampe si connue, avec une autre : un moine terrible, s’apprêtant à châtier une femme nue que l’on voit, de dos, liée à une colonne. Le moine retrousse sa manche et sa figure sinistre fait présager de quelle fessée il va rougir la belle croupe crispée d’angoisse. Les expressions me ravissent.

Deux aquarelles sont du même auteur, celui, d’ailleurs, des deux que j’ai vues les premières. Vous savez bien qui. Dans l’une, une élégante d’aujourd’hui corrige une grande fillette, sa fille sans doute, car elle lui ressemble, en présence de deux autres que le spectacle surexcite étrangement.

Dans la dernière, deux dames assises, se faisant face, semblent jouter à qui administrera la plus belle fessée à la jolie écolière de treize à quatorze ans que chacune d’elles tient et qu’elle fait gigoter éperdument, déculottée, les fesses rosies déjà ici et, là, d’un rouge plus intense. La scène se passe dans une salle d’études, dans une école : les exécutrices sont des institutrices. Cela se devine. L’une ressemble à Mademoiselle Hortense, avec son air méchant, sa bouche en coup de sabre. Les quatre visages sont parlants : la joie perverse et cruelle des institutrices aussi bien celle qui ressemble à cette rosse de demoiselle Hortense, que l’autre, une belle femme taillée en force dont la large main doit appliquer de fameuses claques, a été admirablement rendue, autant que la fureur, l’humiliation des grandes filles, une blonde, une brune. La brune que tient la forte femme doit les sentir, les claques qu’elle reçoit. Plus développée que la blonde, la meilleure fessée lui revenait en toute justice. Loin d’en paraître vaniteuse, elle est pourpre de honte, la bouche ouverte dans un cri de souffrance. L’œil torve, elle tourne d’en dessous un regard épouvanté vers la vigoureuse main qui plane et qui, une fois de plus, va s’abattre sans pitié. Les deux derrières que l’artiste s’est complu à étudier sont aussi agréables à voir qu’ils paraissent l’être à fesser. Deux verges sont là, à la portée de la main et l’on s’en servira. J’imagine que ce sera pour permettre aux institutrices d’accorder à leur main un peu de repos bien gagné, car elles mettent toutes leurs forces à s’acquitter de leur tâche.

J’examine attentivement la main levée que la forte femme va faire retomber. Quelle ardeur et quelle vigueur expriment sa paume musculeuse, ses doigts à base épaisse à bouts spatulés…

Je suis toute à ma contemplation et je n’entends pas venir Mary, derrière moi…

Sa voix rieuse me jette, sa bouche me mordillant la nuque :

— Cela te plaît ?

Elle m’attire en arrière.

— Allons, ôte ton chapeau, tes gants.

Elle-même les a enlevés. Elle a même changé de corsage.

Décolletée, en avant jusqu’à la taille, dans le dos jusqu’aux reins, qu’ils sont beaux, ses bras nus, ses bras dans lesquels je pèserais le poids d’une plume !

Elle plaque encore un accord prolongé, puis joue quelques mesures d’une fantaisie de sa façon, variation de l’air antique : Les papas et les mamans.

Je ris. Elle laisse le piano :

— Mon amie n’est pas là. J’ai trouvé un mot pour moi. Nous allons l’attendre : elle sera ici dans deux heures. Nous sommes seules.

Elle tire les cordons des rideaux bouton d’or des trois fenêtres tour à tour.

C’est presque l’obscurité. Mais, elle allume en grand l’éclairage électrique, appuyant sur deux, sur trois commutateurs.

— Viens ici. Ici, au milieu, nous serons bien éclairées.

En effet, au point que nous occuperons, sur le milieu du devant du divan, un puissant faisceau lumineux arrive, envoyé par un réflecteur en haut qui nous inonde de lumière. Les tableaux de prix chez les marchands, chez Petit, chez Bernheim, sont éclairés ainsi pour être mis en valeur.

Nous sommes juste au centre du salon, vis à vis une paroi qui, relativement, semble dans la pénombre, la paroi où sont pendues des aquarelles, les deux plus belles.

Elle me pousse vers le divan, s’y assied, et, m’entraînant, m’assied sur ses genoux :

— Vous allez être corrigée…

Tiens ? pourquoi ne me dit-elle plus « tu ». Pourquoi élève-t-elle tant la voix ? je ne suis pas sourde. Pourquoi aussi prend-elle ce ton fâché ?

— Polissonne, je vais vous apprendre à commettre des actes indécents. Ne niez pas : je sais ce que vous avez fait hier au soir. Je sais à quelles honteuses pratiques vous vous livrez sur votre personne. C’est tous les jours que vous le faites ? répondez ?

C’est donc une comédie qu’elle joue ? Je me prête volontiers à la fantaisie qui me séduit par la suite qui sera donnée à la réprimande. Ma fessée se prépare : c’est la seule consécration qui s’impose pour une faute semblable. C’est bien ce que mérite la polissonne que hier soir j’ai été — hélas ! après tant d’autres soirs !

Et puis, la sévérité de sa voix me plaît. Il est conforme à mon caractère resté si enfant, d’être traitée comme une gamine, moi, si gosse à dix-sept ans. Allons puisqu’elle prend son rôle au sérieux, je vais de bonne grâce et, avec le même sérieux lui donner la réplique, en entrant, moi aussi, dans la peau de mon personnage, correspondant au sien. Hier, ne la demandais-je pas, une autorité à laquelle je me soumettrais ?

Elle continue animée, d’une irritation croissante, qu’on jugerait réelle :

— Vous n’êtes pas honteuse ?… À votre âge ? à dix-sept ans ?… Faire des choses pareilles ?… Si votre mère ne vous corrige pas, je vais la remplacer, moi ! Tenez…

Et, avant que j’ai pu m’y attendre, une gifle sur la joue m’abasourdit, qu’une autre accompagne de l’autre côté. Deux fortes gifles, les premières de ma vie !

La stupéfaction, la douleur aussi me suffoquent… Quoi ? quoi ? des gifles sur la figure ? Oh ! ce n’est pas de jeu…

Des larmes s’échappent de mes yeux, en même temps qu’un cri de ma bouche, cri de surprise, cri de souffrance et, plus encore, de protestation et de révolte indignée. Je tente de me lever. Ah ! bien oui ! Au contraire, me voilà renversée, culbutée, le torse en arrière, et, en un instant, avec une rapidité fulgurante, ses bras, qu’à leur apparence je jugeais, certes, robustes, mais que je ne pouvais savoir doués d’une force aussi exceptionnelle, aussi irrésistible, me retournent sur l’autre face et, quoique je me roidisse dans un effort désespéré, me voici sur le ventre, en travers de ses cuisses. L’une d’elles se détache, s’écarte, et je suis prise, par les jambes, dans l’étreinte de sa jambe droite qui maîtrise les mouvements des miennes, enserrées dans un véritable étau. Et ses bras qui ne me relâchaient pas s’occupaient, l’un me retenait par la taille, l’autre qui s’était jeté sous ma robe, la retrousse. J’étends en arrière mon bras gauche pour me préserver. Non, non, je ne veux pas qu’elle me déculotte, car elle veut me déculotter, bien sûr. Non, je ne veux plus… Je me sens le poignet saisi, le bras tordu à m’en faire crier. Et des claques atroces se plaquent, si précipitées que l’une continue l’autre, lancées de haut et avec une telle énergie furieuse qu’elles me déchirent.

Il ne lui a pas fallu une seconde pour me déculotter. Elle l’avait étudiée hier, la ceinture élastique qui retient mon pantalon. Elle me l’a rabattue jusqu’à mi-cuisses. Comment l’a-t-elle fait glisser au-dessous ? Cela a été fait sans doute, tandis que, le temps d’un éclair, avec sa seule cuisse gauche, elle me soulevait, me faisait sauter comme si j’eusse pesé le poids de Renée. Quant à la chemise, elle est si courte, ce n’est pas de la retrousser qui l’eût en rien retardée.

Je crie, je hurle. Une voix, chargée de colère où je discerne une joie sataniquement cruelle me jette :

— Criez tant que vous voudrez, vous serez corrigée, comme vous le méritez ! La sentez-vous, la fessée ? la fessée ?

Je tords les reins, c’est tout ce que je puis faire. Seules, mes fesses sont ce qui se peut mouvoir de tout mon corps, avec mon cou et ma tête que je redresse pour brailler. J’essaye, en tournant la tête, de voir la main meurtrière. Je l’aperçois qui rapide, rapide, s’élève et s’abaisse avec un bruit déchirant, strident comme celui d’un battoir plaqué sur du linge mouillé.

— Criez, criez… Vous les aurez… les bonnes claques… sur les fesses… C’est comme ça… qu’on corrige… les vicieuses…

Hachant ses phrases, tous les deux ou trois mots, un halètement de sa voix m’annoncerait chaque claque si je n’en sentais pas la brûlure atroce.

— Déculottée… à votre âge… dix-sept ans… vous n’avez pas honte… Une fessée… comme celle-là… c’est ce qu’il faut… Est-elle bonne… cette fessée… dites, vilaine ?… Dites-le moi… si ces claques… cinglent bien… vos fesses dures ?… C’est très bon… les fessées… aux demoiselles… polissonnes… qui pensent trop… à des choses… défendues… Aussi, sur les fesses… on les claque… et longtemps… Aussi, c’est bien rouge… qu’elles le sont… vos fesses dures… Tout à l’heure… c’est la verge… qu’elles auront… Mais, avant… c’est encore… de bonnes claques… qu’elles auront… comme celle-ci… et celle-ci… et celle-ci… et celle-ci… et celle-ci…

En me tournant avec effort, à cause de mon bras qu’elle tord toujours, j’aperçois, par-dessus mon épaule, et avec cet œil qu’a la fillette dans l’aquarelle, la main charnue qui plane. Pareille à celle de la forte femme qu’est son institutrice, c’est la même main large et épaisse qui, se préparant, rebrousse ses doigts. C’est la robuste main de la mère brutale, la mère de ma condisciple d’il y a trois ans ; c’est la main que devraient avoir toutes les mères pour corriger leurs filles, la main large et charnue faite pour les fessées !…

Mon supplice s’est arrêté. Il était temps sans doute ? Peut-être allais-je défaillir ? Mais non, mais non… Maintenant, mes fesses me semblent gonflées intérieurement d’un fluide chaud et salutaire qui y répand un bien-être apaisé. Mes larmes ne coulent plus, mes sanglots se sont éteints, je respire largement un air puissant qui me vivifie.

Je tourne la tête. Mary brandit une verge de bruyère. Où l’a-t-elle prise ? Sous quelque coussin ? Oh ! que sera-ce grands dieux ?

Mais, avant de s’en servir, Mary passe sa main sur mes fesses, dont la tempête s’est calmée et les pétrit, les tapote. Ô bonheur ! je retrouve la caresse d’hier…

Puis, je la sens qui se tourne un peu sur le divan avec le fardeau de mes cinquante-cinq kilos, qu’elle semble supporter sans fatigue. Pourquoi me tourne-t-elle ainsi avec elle. Pour mieux mettre en lumière ce qu’elle aime tant à voir ?

La verge commence son office. Après ce que j’ai enduré, cela me semble bien supportable, ces milliers de légers picotements.

La voix reprend, ponctuant les séries de coups de verge qui, en grêle, se précipitent :

— Oui, la verge… à présent… pour achever… la fessée. À votre âge… après la… bonne fessée… à la main… c’est la verge… qu’il leur faut… pour rougir encore plus… les fesses rouges… des demoiselles… Mais ensuite… à la main… je reprendrai… la fessée… car avec… des fesses dures… comme les vôtres… ce ne serait… pas assez… et je veux… que vous vous… souveniez… toute votre vie… de cette fessée…

Comme elle l’avait dit, elle le fit. Quand elle m’eut cinglée de sa verge, je ne sais combien de fois, elle reprit, sans prévenir, la distribution interrompue de ses claques drues dont la vigueur ne se relâchait pas.

Mais, par l’effet de la durée du supplice ou de sa violence qui au début me surprit, maintenant, après cet instant d’accalmie relative, se reprise me sembla, je ne dirai pas seulement moins cruelle, mais positivement d’une douceur qui devint vite agréable.

Et les claques se succédaient. Mais, la jambe qui me tenait clouée avait tout d’un coup supprimé son étreinte. Mes jambes pouvaient se donner libre carrière et s’étendre à volonté pour se remuer mieux ensuite, ployées. Je ne m’en privais pas ; mes lancements de jambes me reposaient. Ah ! je l’aurais supportée des heures la fessée avec une permission aussi totale que celle-ci de gigoter ! À quelles contorsions de mes reins, de mes fesses surtout, ne me livrais-je pas ! Chaque claque nouvelle stimulait mon ardeur et j’en aimais le mordant qui m’excitait délicieusement…

Combien de temps, cela dura-t-il ? Puis-je le dire ? Impossible ! Peut-on chronométrer le bonheur ?

Soudain, les bras forts de Mary me relèvent, sa bouche se colle sur ma bouche et sa voix tout bas me chuchote :

— C’est très bien, ma gosse, c’est très bien !

Où est-elle partie ? Je suis seule, à présent. Je m’étends sur le divan, je ferme les yeux, savourant le bien-être où je suis plongée.

Combien de minutes s’écoulèrent-elles, tandis que je reste ainsi. Je me lève, je voudrais me regarder dans la glace, voir mes fesses qu’avant de se lever, j’ai bien senti qu’elle rhabillait, abaissant ma petite chemise, remontant mon petit pantalon. Elle m’a fait ce qu’elle avait fait à Renée exactement répétant les mêmes gestes, trouvés par moi, spectatrice, si gentils, si coquets.

Je les vois, mes fesses ! Oh ! qu’elle jolie couleur les embellit. Vrai, combien Mary a dû les trouver belles ! Elles apparaissent comme une grosse rose rouge, une pivoine. Parfaitement rond, le cercle rose foncé que je découvre est net et se détache sur la peau si brillante qui l’environne. Oh ! de Renée, loin d’arborer ce rouge, combien le ton du sien était moins joli ! C’est une brune : moi, je suis blonde, le rose est plus délicat, plus frais, plus pur. Je ris : que ma figure m’apparaît plus jolie aussi ! Les riches couleurs que mes joues ont acquises ! Ah ! cela ne leur vient pas des deux claques du début, je n’y pensais même pas. Non, cela vient de l’animation de la chère petite fessée. Ah ! j’en ai eu une bonne, je peux le dire ! Je sais ce que c’est, à présent. Si la petite fille de la marchande de parapluies en recevait de comme cela, son sang devait bien circuler ; mais, puisque à ses joues il se portait aussi, lorsque la rosse d’Hortense y faisait allusion, pourquoi ne nous montrait-elle pas ses fesses ensuite ? Elle en avait une bonne paire ! Je me les rappelle. Pour quatorze ans, quelles fesses ! Je comprends qu’elle ait eu une bonne mère ! Moi aussi, à son âge, j’avais quelque chose : peut-être pas autant, mais tout de même de quoi en recevoir. Pourquoi donc n’en eus-je jamais, de bonnes fessées, semblables à celle de Mary à l’instant. Pourquoi ne l’ai-je pas connue plus tôt, cette Mary, qui devine si bien les vices des filles, elle qui connaît la manière de les calmer et qui possède à ce point, la main qu’il faut pour cela !… Oh ! que je vais être heureuse maintenant, par elle… Oh ! que je l’aime !

Elle revient. Elle tient un petit plateau d’argent supportant deux coupes pleines de champagne. Elle le dépose sur la table, puis vient m’enlacer. Dans mes yeux qui vite chavirent, elle plonge ses yeux volontaires. Je suis sa chose, je m’abandonne, en lui rendant ses longs baisers…

Nous buvons. Elle va à la petite armoire, y prend une bouteille casquée d’or, la débouche avec une habileté qui dénonce l’habitude, m’offre un biscuit.

Assise sur ses genoux, nous faisons la dînette.

Je lui dis :

— Vous avez donc tous les talents ? Vous savez aussi déboucher les bouteilles d’extra-dry ?

Elle rit, dévore de baisers mes yeux, mes lèvres :

— Oui, coquine. Avec cela, je sais fesser les petites filles. Car, c’est cela que tu veux dire ?… Oui, je sais les fesser, tu l’as vu ! et tu as vu aussi que je sais les déculotter d’abord. Dis, cela ne traîne pas avec moi ? Tu as vu le temps que cela m’a pris ? Pourtant, tu faisais tout ce que tu pouvais, sacrée diablesse. Et ce sera comme cela, maintenant. Tu en auras des fessées, vicieuse ! tu en auras des bonnes, puisqu’il te les faut comme cela, petite gigoteuse !… C’est donc du vif argent que tu as dans les veines pour te trémousser ainsi quand on te fesse ? dis, frétillon ? Mais, j’oubliais : tiens, ceci est pour toi. Mais, faudra toujours gigoter comme cela, si tu veux qu’on t’aime bien…

Elle glisse deux billets bleus pliés, dans l’échancrure de ma robe bleu-lavande. Deux billets de cinquante, je l’ai reconnu au passage. Ébahie, je la regarde :

— Oui, c’est pour ta première séance, comme dactylo. C’est cela que tu diras chez toi. Je t’expliquerai. Mon amie ne viendra plus aujourd’hui, à cette heure. Ceci, c’est pour ton dérangement. Mais, si tu veux m’en croire, n’en remets qu’un chez toi. Oui, garde l’autre billet pour ta petite bourse. Chaque fois, c’est à dire chaque samedi, tu en auras autant. Cela te va-t-il ? Autant, ou plus même ! cela dépend de toi. Mais, je suis tranquille, chérie : je l’avais bien vu, que tu serais un numéro…

Je cherche à comprendre. Elle m’embrasse goulûment et, au bout d’un instant, je ne pense plus à chercher… Elle m’a renversée sur les coussins. Elle est à genoux sur le tapis, à mes pieds… Bientôt, dans des transports délirants, ma félicité sans bornes ne se traduit que par des soupirs, les premières qu’une autre que moi-même m’ait arrachés…

Et voilà.

Car, vous l’avez deviné, n’est-ce pas ? et depuis longtemps, de quoi il retournait chez la soi-disant amie de Mary ?

Non ? Allons, ne me faites pas marcher. Vous êtes trop dessalé.

Moi, je n’étais qu’une bécasse, alors. Mais, à mon troisième samedi, j’avais deviné le flambart.

Parbleu, ce n’était pas difficile de deviner de quoi il s’agissait, et à la troisième séance, je pourrais même dire au milieu de la deuxième, j’avais éventé le mystère.

Dame, encore et toujours ce choix de la même place sur le divan pour nos groupes de fessées et les ébats des pardons qui suivaient, et en plein sous le réflecteur, c’est cela surtout qui me mit sur le chemin de la vérité, que, vite, je découvris.

Mais, je ne dis rien, le soir, après la seconde fois. Ce n’est qu’à la troisième que je dis carrément à Mary chez elle :

— Non, mais ? tu me prends pour une nouille, dis, maman ?

Malgré ma naïveté, quoique je fusse une vraie gosse pour tant de choses, on sait comment l’esprit vient aux filles ! Et Mary ne faisait-elle pas le nécessaire pour qu’il accourût ? à la quatrième vitesse !

Et quand je lui eus dit ce que je soupçonnais, elle éclata de rire et m’embrassa… de son mieux.

Eh bien ! le salon était truqué. Face au divan, dans la paroi, entre deux cadres d’aquarelles, dans un motif sculpté des boiseries, à bonne hauteur, un judas, un trou percé, admirablement dissimulé, permettait à une personne placée de l’autre côté du mur, dans une autre pièce, de tout voir sans être vue elle-même. Les accords plaqués sur le piano couvraient le bruit de l’ouverture du réduit.

Il était aux premières loges, le voyeur. Oui, le voyeur.

Car, pas du tout dame, l’amie de Mary était un monsieur !

Oui, un galétard épris de tableaux vivants dont les sujets consistaient en fessées. Des bonnes, toujours.

Pour la première séance, il avait exigé ces deux gifles sur la figure, qui m’avaient tant étonnée. Mais, ce fut la seule et unique fois.

Ah ! j’en reçus des fessées dans le discret entresol où un calfeutrage de liège sous les boiseries étouffait cris et claquements !

Je les eus souvent marquées, mes fesses ! Marquées des ronds bleus des bouts de doigts, des zébrures des lanières des martinets, des picotis de points rouges des verges. Je les expérimentai tous, les instruments de l’armoire ripolinée, venus des cinq parties du monde !

Je les comparai entre elles, les méthodes infiniment diverses que reproduisaient, récoltées partout, les photos des albums. Fessées d’enfants, fessées de femmes, fessées d’hommes. Quelques-unes épouvantables !

Tous les modes et à tous les degrés, je les supportais merveilleusement. J’étais un numéro ! Jamais Mary n’avais rien vu de comparable à moi, parmi tant de jeunes filles, de jeunes femmes, fournies par elle ou rencontrées là, amenées par la mère Honoré ! Et Dieu sait si, depuis deux ans, il lui en passait par les mains à Mary ! Quel livre vous pourriez écrire, des scènes avec Mary et moi ! et aussi des scènes avec quelque poule ou quelque grande môme en supplément ! Mais ceci n’arriva que plus tard.

Je l’aimais tant, la fessée ! et j’aimais tant Mary !

Je restai plusieurs mois sans le connaître, son généreux ami. Mais, vint un jour où elle me montra son portrait et, désormais, je les vis toujours, ses photos, soit chez elle, soit rue Marbeuf, où elles présidaient aussi à nos ébats. C’était un homme de cinquante ans. À bout de résistance, j’acceptai de lui être présentée.

Bref, dorénavant, il ne se cacha plus, et, dans nos réunions, j’étais la plus heureuse des trois. Mes mensualités toujours en augmentant, me fournissaient le moyen de m’habiller comme je le voulais être. J’avais, dès le premier jour, emporté quelques pages tapées d’une statistique sur le rendement des mines dans le Royaume Uni et ses dépendances, spécimen supposé de mon genre de travail sous la dictée d’une dame, doctoresse-ès-sciences, l’amie intime inventée par Mary. Documents d’une importance extrême et confidentiels suprêmement.

Mais, il arriva un moment où je ne pus soutenir plus longtemps mon mensonge. Les générosités qui avaient été en s’élevant à la hauteur de mon labeur me permettaient de vivre ma vie. J’avais dix-huit ans et demi et je l’étais bien, alors, la digne fille de ma tante, celle dont on ne parlait pas.

Je m’envolai, rejoignant sous d’autres cieux Mary, déménagée, depuis trois semaines, avec Renée.

Vous savez le reste.

Comme vous le dites très bien, il est difficile d’affirmer que la fessée enfantine, à laquelle j’assistai, détermina ma vocation de flagellante acharnée.

Ne fut-elle qu’une coïncidence et n’intervint-elle que juste à point pour achever de cristalliser, selon votre expression, mes idées, mes préférences passionnelles qui, latentes, somnolaient chez moi. Comme une chrysalide, ma libido, puisque libido il y a, n’attendait-elle qu’un incident qui provoquât le déclic, dans la pénombre indécise de mon subconscient virginal, pour se transformer soudain et prendre son essor au grand jour, à la manière d’un papillon ?


III

LA DERNIÈRE DE GABY

Ce récit, fait par Mademoiselle Gaby, fut transcrit le lendemain.

Si le prénom est fantaisiste, les quelques détails signalétiques que voici sont d’une exactitude garantie.

Brune, grande, bâtie à chaux et à sable malgré une certaine élégance. Épaules et bras admirables, seins petits, bien formés et vraiment louables. Jambes et croupe aussi remarquables de forme que de tonicité. Peau blanche : un satin.

— Je suis des Ardennes, des environs de S. J’étais la seule enfant. Oui ! ah ! oui, j’en ai reçu. De maman, surtout. De papa aussi, mais pas plus tard qu’à quatorze ans. C’est déjà pas mal, car j’étais grande, à quatorze ans, et développée. Des nénés à peine, mais des mollets, des cuisses, des fesses. Des fesses surtout. Maman, une gaillarde, plus grande que je le suis et bien plus forte à proportion. Papa, costaud aussi : dans le pays, les gens sont d’attaque, de même que les chevaux et le bétail, tout comme dans le Nord.

Si, quand j’ai eu quatorze ans, papa s’est arrêté de me fesser, maman, elle, a continué. Et même de plus belle ! À seize ans, je n’y coupais pas. Chaque fois qu’elle trouvait que je le méritais, chaque fois que la travaillait une colère à passer sur quelqu’un autre que papa, j’avais sur les fesses. La dernière reçue d’elle, c’est à dix-huit ans, trois mois, comme je vous l’ai dit. Vous demandez si elle aimait cela ? Eh bien, je crois que oui, car autrement elle ne m’en aurait pas donné autant.

Il est vrai que c’est l’habitude là-bas. N’empêche que je n’ai pas connu de camarade ou de cousine qui y soit passée comme bibi. Car ce n’était guère ordinaire : à chaque instant ! Je ne crois pas pouvoir compter beaucoup de journées sans fessée, quand j’étais près d’elle. Si elle s’est arrêtée quand j’ai eu seize ans, c’est sans doute parce que, moi entrée en place, elle ne m’avait plus sous la main. Sûrement, ce n’est rien que pour cela.

Je vous ai dit combien elle était vigoureuse. Oh ! ce qu’elle était forte ! Il n’y avant pas à lui résister. Quand l’idée lui en venait, fallait que j’y passe. Souvent, pour peu de chose, et, des fois, je me demandais pourquoi. Du matin au soir, elle prenait du café. Des resucées, bien sûr : pas du café concentré tel que vous l’aimez ; mais de l’eau repassée sur le marc. N’importe, il n’y a rien d’énervant comme cela et je crois bien que c’est ce qui l’excitait encore. Dans le pays, toutes les bonnes femmes en prennent, de ce soit-disant café, de cette lavasse, et à plusieurs verrées, bien chaudes bien sucrées ! Maman n’était pas la seule.

Une voisine, elle aussi, fessait souvent ses deux filles, pas tout de même au point de maman. Ces deux-là. Angèle et Léocadie, mes aînées, l’une d’un an, l’autre de deux, que de fois leur vis-je claquer les fesses, car, pour leur faire honte, leur mère appelait la mienne, qui m’emmenait. Eh bien ! c’était aussi une buveuse de café ! Est-ce cela la cause, je ne peux pas dire, mais cela contribuait à les rendre irritables, et au moindre prétexte, à leur donner l’idée de lever la jupe de la gosse à leur portée.

C’est si vite fait, surtout que des culottes, il n’y en avait pas toujours quand on restait à la maison. Tandis qu’à l’école la règle veut que les filles en mettent et de fermées.

Mais, ce n’est pas cela qui eût rien empêché. On baisse une culotte facilement. À preuve les jours où nous en portions, les jours de classe ou les dimanches, par exemple.

À l’école d’abord, la culotte ne servait de rien. La maîtresse, dont je vous ai parlé déjà, Mademoiselle Delcroix, s’en chargeait de les rabattre, les culottes fermées. Une native du pays, celle-là, d’une famille de Givonne.

Une vieille fille de trente-cinq à quarante ans, de mon temps. Tous les jours, trois fessées et quelquefois quatre. Des bonnes ? Oh ! oui, et on les sentait. On en restait les fesses rouges. Il y a de belles filles par là : ce n’était jamais les moches qui en recevaient. Cela, je l’ai remarqué et depuis que j’y pense sérieusement, en connaissance de cause, je repasse en revue les élèves corrigées le plus, c’est toutes les jolies, les bien bâties, celles qui avaient de belles fesses.

Me trouvant du nombre, je les collectionnais, les fessées.

Mais, pas de vice de sa part, ça non, qu’elle en pinçât ou pas. De vraies fessées-corrections, jamais l’ombre d’une suspecte, non, je dois le reconnaître. Pendant un bon quart d’heure, la peau nous cuisait.

Quand, rentrée à la maison, il m’arrivait d’en recevoir une autre — cas présenté plus d’une fois — à une heure d’intervalle, je ne la supportais que mieux, me semblait-il. Affaire d’entraînement.

Comment elle nous tenait, Mademoiselle Delcroix ?

Comme maman et comme toutes les mères du pays et tous les pères. La tête entre les jambes. Oui ! je n’en ai jamais vu administrer autrement, de fessées, soit à l’école, soit à la maison, soit au dehors, chez les autres ou aux champs. Toujours et toujours, oui, même à quatorze ans. D’une main, on vous empoignait la nuque, d’une pesée on vous courbait en avant et on vous enjambait. Alors, prise comme cela entre ses cuisses, la maîtresse ou la mère vous relevant la robe, rabattait la culotte, et hardi ! elle l’avait belle pour claquer, claquer tout à son aise.

Et puis, avec ses abattis, elle était à la hauteur, mademoiselle Delcroix, une grande, maigre, dégingandée. De grands bras, des jambes qui n’en finissaient pas. Avec son habitude acquise depuis si longtemps, elle savait bien vous prendre et l’on avait beau faire.

Pour ne parler que d’elle et de son chic à se mettre entre les jambes la tête de la gosse à fesser, je vous certifie qu’il n’y avait pas à essayer de l’en empêcher. Ni de se dégager, une fois prise. Fallait encaisser la fessée jusqu’au bout, aussi longtemps et aussi fort qu’elle l’avait décidé. Certains jours, plus rosse que dans d’autres, elle vous claquait d’une manière spéciale : une dizaine de claques sur une fesse, une dizaine de claques sur l’autre et toujours ainsi jusqu’à la fin. Oh ! que cela fait mal, la fessée administrée ainsi ! Combien plus que si les claques frappent tour à tour les deux fesses, l’une après l’autre !

Elle le savait, la rosse ! et elle réservait ces fessées-là aux fautes graves ou à celles des élèves qu’elle appelait les « fortes têtes » ou bien qu’elle ne gobait pas.

Tenez, il y en avait une qui ne voulait rien savoir quand il s’agissait d’être corrigée et qui résistait, oh ! mais alors, je ne vous dis que cela ! Quand son tour venait, moi, je me faisais du bon sang. Rien ne m’amusait plus.

Il lui fallait bien deux, trois minutes pour y arriver, à mademoiselle Delcroix ; mais, elle en venait à bout, comme des autres. C’est Marie que se nommait la gosse. Une grande brune, un vrai garçon, qui jouait toujours avec les gars, grimpait aux arbres et qui avait le coup pour lancer des pierres loin et avec adresse. Personne comme elle pour les ricochets ; c’est elle qui sautait le mieux, avec et sans élan. Un garçon manqué. Pourtant, bien de son sexe, puisque, à treize ans, elle en savait long. Elle est à Paris maintenant, je l’ai rencontrée, il y a six mois : elle tient un bar avec un ami, à Levallois.

Eh bien, en dernier, elle en recevait ! Un jour sur deux, les trois derniers mois. Juste de mon âge, avec elle aussi, pour Mademoiselle, c’était une belle paire de fesses à claquer. Avec son entêtement, cette Marie, répondeuse, qui désobéissait par plaisir et n’aurait pas cédé, lui eût-on enlevé la peau, vous pensez si c’en étaient des fessées alors ! Tenez, un jour, à treize ans, elle avait été jusqu’à lancer à la tête de Mademoiselle un encrier. Un encrier de plomb, par elle retiré de la table, qui se plaqua contre le mur ; la carte de l’Europe en fut éclaboussée en plein sur les Dardanelles, comme d’un soleil à six rayons, mais noirs.

À ma droite, Marie était la première du second rang. Mademoiselle, debout devant le premier, se précipite sur elle, l’arrache de sa place en la tirant par le bras et, contrairement à l’habitude avec elle, voilà Marie en position ! Ce fut fantastique de rapidité. Jamais avec elle, on n’avait vu cela. C’est que ses pieds, entre le banc et le pupitre, s’embarrassèrent quand Mademoiselle la saisit : quelque chose comme cela sans doute. En tout cas, elle de nous toutes la plus longue à placer comme il faut, se trouva, cette fois, en un instant le derrière en haut, la tête en bas dans l’affreuse position habituelle.

J’étais dessus, pour ainsi dire. À moins d’un mètre, ses fesses tendues vers moi, braquées sur moi, s’étalaient au-dessus de sa culotte rabattue que je revois d’ici, bleu-clair en tissu de coton. Et, tout de suite les claques pleuvent et à la façon que je vous ai expliquée, dix sur une fesse, dix sur l’autre fesse et longtemps comme cela. Cela claquait, cela claquait ! À tout coup, relevant la main le plus haut possible, envoyant chaque claque de toute la longueur de son grand bras, avec le battoir qui servait de main à Mademoiselle, avec ses doigts osseux et durs, vous vous rendez compte de ce que c’était comme fessée.

Alors, huit jours de suite, ce fut pareil. Tous les jours, à trois heures, au moment de la petite récréation d’un quart d’heure. Il n’y a que la place qui changeait. C’était sur l’estrade, à côté du bureau, bien en lumière. Nous, nous la voyions de trois-quarts. D’abord, mais Mademoiselle se tournait pour nous la montrer mieux. Je ne l’avais plus sous les yeux d’aussi près, j’étais à deux mètres cinquante, à peu près. Mais, je voyais bien quand même la peau qui rougissait, d’une fesse d’abord, puis de l’autre après et bientôt, après la seconde dizaine, c’était un cercle rouge, les deux fesses bien égales. Fléchies, sur les jarrets, les deux jambes, avec la culotte arrêtée là, se levaient quelquefois l’une après l’autre, un tout petit peu, d’un pied, mais c’était tout ce que Marie pouvait faire. Les fesses, elles, ne bougeaient pas, tellement Mademoiselle la tenait bien à la taille avec sa main gauche, en plus de la tête entre ses cuisses. Dans cette position, on ne peut guère les remuer les fesses, ni les tortiller, on a beau se secouer. Vous parlez d’une position incommode ! La tête serrée, c’est affreux ! surtout quand c’est une femme qui vous tient. À cause de sa jupe. Avec un homme, cela va encore : on y voit un peu. Avec une femme, on est dans le noir. Et avec cela, on suffoque, on étouffe, on ne sait plus où l’on en est.

Elle venait en récréation avec les autres, tout de suite après. Avec sa fessée qui devait lui tenir chaud, elle jouait comme tout le monde, sans que rien n’en parût. Oh ! elle n’était pas ordinaire, cette Marie ! Des fessées comme cela, il n’y en a pas beaucoup qui les supporteraient, parmi les poules que je connais ici pour aimer cela. Eh bien, avec cette gosse de treize ans, il n’y paraissait pas cinq minutes après !

Tenez, nous irons la voir, un soir. Je le lui ferai dire devant vous. Non, plutôt un tantôt, elle aura plus de temps, et on sera bien tranquilles, sur le coup de quatre heures.

Pour ma dernière fessée, que j’ai eue de maman, moi, je vous l’ai dit, c’est à dix-huit ans, au temps de la moisson ! Deux jours après, j’étais à Paris.

Je savais où retrouver une copine qui, partie il y a six mois, m’engageait à venir vivre la bonne vie.

C’était un lundi. La veille, le dimanche, avec papa et maman, on avait fait un tour dans le tacot du cousin Bérard. Il y avait son fils Ovide qui était donc mon cousin aussi.

Tournant par Floing, Iges, Fleigneux, la Virée, Villers-Cernay, on rentrait pour dîner. Tout le long du chemin, Ovide qui avait mon âge, me pelotait un peu et j’avais bien crû voir que maman s’en apercevait, seulement je n’en étais pas sûre.

Faut dire que maman n’aimait pas me voir avec Ovide. Elle ne se doutait pas que depuis deux ans, on s’amusait quelquefois, tous les deux, et bien plus qu’elle ne l’aurait supposé. Ce n’est pourtant pas lui qui m’avait eue le premier : mais, celui-là, elle ne savait pas qui c’était, elle ne le soupçonnait même pas. Mais, de cousin à cousine, elle disait que cela ne doit pas se faire. Puis, elle ne l’aimait pas. Suivant elle, ce serait toujours un propre à rien, un coureur. Aussi je lui jurais qu’il n’y avait rien entre nous.

Le lendemain, on commence la moisson. On était vingt sur les quatre pièces du cousin. Il y en avait de Floing, d’Olges et d’autour de par-là, ainsi que quelques Belges, et Luxembourgeois venus en bécane par la route de Bouillon.

De toute la journée, cela va bien ; mais je voyais que la mère me tenait à l’œil quand Ovide tournait de mon côté ! Le mardi, rien encore. Moi, cela me démangeait. En ce moment-là, je ne sais ce que j’avais ! Aussi, le mercredi, ne voilà-t-il pas que vers les cinq heures, on venait de finir les avoines et tout le monde, éparpillé, cassait la croûte en buvant un coup. On s’était dépêché on craignait une averse. Moi, j’avais filé en douce avec Ovide, sur un signe de lui — il me faisait voir que, lui aussi, cela le démangeait — et, dans un petit creux herbu, avec trois peupliers, qui, grand comme deux billards, faisait un îlot de verdure dans cette mer jaune d’épis, je m’occupais de mon mieux, à examiner à l’envers les feuilles de ces peupliers dont la chanson, si chanson il y a, eût couvert mes soupirs. Je croyais maman auprès du cousin et de la cousine Bérard et des sept ou huit pères et mères, quand, tout d’un coup, épouvantée, j’aperçois derrière Ovide haletant, la vaste silhouette de maman, qui s’avance, tragique, détachant sa carrure du fond gris clair des nuages.

Patatras ! Elle ne pouvait pas arriver plus mal à propos. J’allais prendre mon vol directement vers le Paradis. À mon changement de figure, Ovide qui s’apprêtait à m’accompagner dans mon envolée, se retourne…

Et il se relève soudain, le misérable ! m’abandonnant à mon triste sort, en panne et dans l’impossibilité de nier l’évidence.

J’en étais tellement abasourdie que je reste comme cela, le dos dans l’herbe et toute retroussée… Mais, soudain, je reprends mes esprits, j’essaye de me lever en rabattant ma chemise, ma jupe… Maman est déjà sur moi et, tandis, qu’Ovide, brave chevalier, reste là, planté, en face, à trois pas, elle m’envoie une gifle qui m’étourdit et, pendant que la joue droite me brûle et que j’en vois les trente-six chandelles, sa main qui m’a giflé pèse irrésistible sur ma nuque, m’entraîne, ployée en avant, et me voici la tête subitement plongée dans l’ombre sous le jupon maternel, happée par l’étau de ses fortes jambes musclées. Et, dans le même temps, mes fesses, mes pauvres fesses sont déchirées d’épouvantables claquées de sa main terrible, plus lourde et plus meurtrissante qu’elle ne m’a jamais semblé !

Depuis deux ans que je n’en avais pas reçu, vous jugez de ce que j’étais sensible !

Combien de minutes cela dura-t-il, combien de fois ai-je senti l’horrible atteinte de cette main dont la fureur loin de faiblir, s’accroissait à chaque coup ? Quand brusquement mon supplice s’arrête, quand je reviens au jour, tombée assise dans l’herbe, fraîche à mes fesses en feu comme un bain glacé, j’aperçois, stupide, j’aperçois, formant le cercle, tous les dix-huit moissonneurs, le cousin Bérard, le père, les hommes, les femmes, la cousine Bérard, les grands jeunes gens, les grandes jeunes filles, aussi bien les gens du pays que ceux de Belgique et du Luxembourg, que je ne connais que depuis deux jours, et qui, tous, s’esclaffent encore, insultant à mon malheur.

Car, leurs rires ne font pas que commencer. C’est cela que j’entendais quand tant me bourdonnaient les oreilles qu’écrasaient les grosses cuisses nues de maman dont, à mes narines, arrivait l’odeur chaude de femme en sueur, mélangée à l’odeur de foin, de paille séchés au grand air. Mais je n’avais rien vu, rien, de leur arrivée. Je ne me doutais pas que trente-six yeux s’emplissaient de la vue de mes fesses rouges qui leur montraient le vice puni.

Anéantie dans un désarroi total, je ne songeais même pas à me dire que pourtant, sur les onze femmes ou jeunes filles présentes ici, en me comptant, c’était moi sûrement la moins garce. Mes yeux en pleurs suivaient Ovide qui, rigolant sous les invectives de maman, s’en allait, faraud comme toujours, tout en roulant une cigarette.


IV

RÉTROSPECTION

Comment devint flagellante mademoiselle Lucienne, c’est elle-même qui nous le dira. Nous ne nous permettons de prendre la parole que pour dire ceci en guise de préambule :

Mademoiselle Lucienne n’est autre que l’ancienne institutrice que nos lecteurs ont aperçue dans Châtie bien et à qui nous consacrons quelque cent lignes partant du bas de la page 129.

J’avais quatorze ans. C’est à une amie de mon âge que je dois de connaître ces joies, ces joies que je me vante de trouver supérieures à tout le reste. J’espère bien les trouver toujours telles, ces joies d’une essence autrement raffinée qu’aucune des autres, dans quelque domaine que nos sens les puissent découvrir.

Mais, que ce mot d’amie ne soit pas, pour votre imagination, le prétexte d’une évocation, plus ou moins piquante, d’amitié féminine avec toutes ses conséquences, lesquelles, je l’avoue, seraient assez vraisemblables, étant donné ce que vous savez de mon présent. Pourtant, vous auriez tort de vous croire aujourd’hui autorisé à conjecturer rétrospectivement de mon passé juvénile et vous vous tromperiez fort en me supposant à quatorze ans le moindrement, je ne dirai même pas vicieuse, mais avertie.

Oui, simplement avertie, je ne l’étais pas. Occupée uniquement de mes examens, je me livrais passionnément à l’étude qui accaparait toute mon ardeur et toutes mes facultés. Je n’étais pas sans savoir en quoi consistait l’acte de la génération, mais j’ignorais absolument que, chez l’homme et chez la femme, il s’accompagnât de plaisir. Je le croyais l’accomplissement pur et simple d’une fonction strictement physique, animale. Ma mère professeur de piano, m’élevait d’une façon assez austère, — veuve d’un musicien-pianiste également, mort depuis cinq ans. Nous ne fréquentions guère que la famille de ma mère, famille pieuse et assez rigide.

Au sortir de l’école communale, à treize ans, je devins élève du cours des demoiselles Langlois, rue de la Tour ; j’y préparai le brevet élémentaire, puis le brevet supérieur. Nous étions de quinze à dix-huit élèves dans ce cours bien connu à Auteuil. Avec les deux sœurs Langlois, quatre autres professeurs dames y enseignaient selon leur spécialité, le français, les sciences, l’anglais, le dessin, le piano. Comme condisciples, j’avais de petites bourgeoises de mon genre, quelques-unes plus aisées, toutes également bien élevées, bien pensantes. Aucun mot malséant ne s’entendait là, pas plus qu’au sein de nos familles et, en grandissant dans de tels milieux, je n’acquérais aucune mauvaise idée résultant de fâcheux exemples.

Parmi mes petites amies du cours qui, la plupart, y restèrent aussi longtemps que moi, il en était une qui, dès mon arrivée, devint ma préférée. Ou plutôt, c’est moi que devins la sienne, car c’est elle qui fit les avances et les frais d’une intime liaison entre nous et qui força la réserve où, enfant quelque peu farouche, je me tenais d’habitude.

Le même jour, le cinq octobre, nous entrions toutes deux chez les demoiselles Langlois. J’avais treize ans et deux mois, elle, trois mois de plus, moi, grande et blonde ; elle, plutôt petite et brune. Moi, Parisienne et enfant du quartier ; elle, Berrichone, de Bourges. Elle arrivait de son pays, — celui de son père, car sa mère était Bretonne. Commerçant, marchand de confections, son père venait occuper, avec sa petite famille, rue de Passy, une boutique de mercerie-bonneterie en plein rapport, vraiment fort achalandée, qu’il héritait d’une tante.

Je n’avais jusqu’ici jamais fréquenté d’enfant de mon âge, ni retrouvé ailleurs qu’en classe mes camarades de la laïque. Comment avec Jeanne il en fut autrement, je ne puis me l’expliquer que par des raisons de voisinage, au moins au début. La boutique de ses parents était au numéro 36, je demeurais en face et, de notre balcon du deuxième, je pouvais voir les gentils signes qu’elle m’adressait, soit du rez-de-chaussée, derrière ses vitrines, soit de l’entre-sol, des fenêtres de l’appartement ; mais, cet étroit voisinage n’aurait pas suffi à nous lier, si Jeanne, n’eût pas recherché aussi vivement mon amitié.

Sans être timide, j’étais peu communicative, peu expansive. Elle, tout au contraire, extériorisait immédiatement ses sentiments, aussitôt éprouvés.

Au cours, nous étions, à côté l’une de l’autre. Nous en revenions ensemble, à midi et le soir, à cinq heures, et, bientôt, nous nous attendions pour y aller.

Moins avancée que moi, je l’aidais de mes conseils et, peut-être mon contentement vaniteux me fit-il accueillir volontiers ses efforts pour conquérir mon affection.

Bref, huit jours ne s’étaient pas écoulés que nous devenions grandes amies. Maman qui connaissait ma sauvagerie s’en étonnait, mais elle parut s’en réjouir.

La mère de Jeanne, avec qui elle entra en excellents rapports, voyait d’un bon œil sa fille choisir pour compagne habituelle une gentille fillette bien élevée, comme je paraissais l’être de tout point.

Jeanne était d’une rare douceur de caractère. Telle fut la première impression qu’elle me produisit. Elle avait pour m’embrasser des façons singulièrement prenantes. J’aimais ses grands beaux yeux qui me regardaient avec tendresse et jusqu’au geste caressant de ses mains qui, quand nous nous quittions ou quand nous nous retrouvions, saisissaient câlinement les miennes et, insinuantes, montaient le long de mes poignets et de mes bras nus, sous mes manches, écourtées encore aux premiers jours d’octobre. Ses doigts fins, avant d’arriver à mes coudes, à la saignée, je les sentais se promener si doux sur mes avant-bras que je les laissais volontiers en prendre possession. La répétition constante de ce geste familier ne me déplaisait pas et m’amusait.

Loin de le croire une caresse, je le trouvais enfantin et bien conforme ainsi au caractère de ma petite amie qui, quoique mon aînée de trois mois, était de fait ma cadette, autant en raison de se taille moindre que du niveau inférieur de son instruction.

Bientôt, nous fîmes nos devoirs l’une chez l’autre, tour à tour. J’allais un jour chez elle ; le lendemain, elle vint chez moi ; mais ce fut le plus souvent chez moi, j’avais plus de livres.

Quand c’était chez elle, nous montions à l’entresol, dans la chambre de ses parents sur la rue. Nous étions seules. Sa mère restant avec son père, en bas, dans la boutique.

Parfois, quand, un instant, nous nous arrêtions de travailler, Jeanne me montrait des cartes postales de son pays, des photographies de sa famille. Celles de sa tante surtout, une sœur de son père, de Bourges, qui l’aimait bien et qu’elle aimait beaucoup aussi et qui avait une fille Amélie. Oh ! sa cousine Amélie, qu’elle aimait tant ! Jeanne me disait que sa tante, sa cousine et moi, eh bien, elle nous aimait autant que sa maman ! Oui, autant ; mais, si cela continuait, c’est moi qu’elle aimerait le plus des quatre.

Car, elle m’aimait bien ! Et elle m’embrassait, elle m’embrassait ! Et ses petites mains douces se coulaient dans mes manches et me montaient jusqu’aux épaules. Elle avait embrassé mes joues, mon front, mes yeux, elle m’embrassait les mains ensuite. Et une chose qu’elle faisait souvent et qui me faisait rire, elle me prenait la main droite et me faisait, avec cette main, lui donner sur les joues de petites gifles, qui, bientôt, devenaient plus fortes. Et elle riait, quand la claque faisait du bruit. Quand elle avait de la peine à saisir quelque explication, que je m’évertuais parfois à lui répéter des deux et trois fois, c’est là pourtout qu’elle me prenait la main pour que je la gifle et elle me disait alors :

— Oui, donne-moi des claques… Oui, bats-moi, bats-moi…

Cela m’amusait. Cette douceur de caractère qui était tout l’opposé du mien flattait le goût d’autorité que j’avais déjà.

C’est au bout seulement d’une quinzaine de jours que nous en étions là. Avant cela, mes premières claques à elle données sur ses instances et aidées par son geste remontaient, je crois, au huitième jour. Au début de la troisième semaine, chez elle, un jour je m’efforçais de lui faire entrer dans la tête la démonstration du théorème 14 du deuxième livre, ainsi conçu : Quand deux circonférences sont tangentes intérieurement, la ligne des centres est égale à la différence des rayons. On eût dit qu’elle faisait exprès de ne pas comprendre. Soudain, elle me dit :

— Oh ! mais alors, ce n’est plus des claques sur la figure qu’il faut me donner. Il faut me fouetter !…

En disant cela, elle levait sur moi ses beaux yeux qui brillaient, étrangement suppliants.

Elle le répéta quand je continuai mes explications. Elle l’avait répété à quatre ou cinq reprises, que cela ne m’avait en rien mise sur le chemin semé de roses où elle voulait m’engager avec elle. Je n’avais nulle idée du Fouet. À la laïque, dans le vertueux xvie, on ne fouette pas. Ou plutôt, on ne fouettait pas de mon temps. Maman non plus ne me fouettait pas et je ne connaissais personne alors chez qui cela se pratiquât. Je croyais que le fouet était quelque chose d’antique et de cruel, à jamais aboli et connu, de nos jours, des bébés seulement. Je n’en savais autrement que ce que m’avaient appris les livres, mes chastes livres d’histoire : je connaissais les Flagellants du moyen âge, du xiiie siècle et les Flagellants d’Henri III, comédiens sinistres ou grotesques.

Une fois, qui ne fut guère éloignée de la première, après qu’elle m’eût encore demandé de la fouetter, à l’occasion d’arithmétique ou de géométrie, ses deux points faibles parmi tant d’autres, je fus fort étonnée de l’entendre me poser cette question inouïe :

— Ta maman ?… quand est-ce qu’elle te fouette ?

J’en fus stupéfaite et indignée surtout. Tout mon orgueil se révolta, mon orgueil de grande fillette jouant déjà la demoiselle. Je ne pus lui répondre que ceci, sur un ton de hautain mépris pour une telle supposition :

— Penses-tu ?…

Aussitôt, elle me répondit :

— Moi, maman me fouette. Tiens, hier, elle m’a fouettée, parce que Mademoiselle Langlois, l’aînée, était venue acheter quelque chose, pendant que nous étions chez toi. Comme elle lui avait dit que je n’allais pas et que je ne faisais pas d’efforts, maman m’a fouettée. Tiens, c’est comme cela qu’elle m’a fait…

Et elle joignit l’action à la parole.

J’étais assise sur une chaise. Elle aussi. Elle se leva, s’étendit sur moi. Après plusieurs secondes, où je restai simplement étonnée, ne sachant où elle en voulait venir au juste, elle me dit :

— Eh bien ?… fouette-moi… Fouette-moi, maman n’entendra pas.

Comme, décidément, c’était mon tour de ne pas comprendre, elle se releva, manifestement dépitée.

Notre école mutuelle reprit. Elle me fit réciter mes leçons que je savais à merveille, je lui fis réciter les siennes qu’elle ne savait nullement. Elle revint à la charge :

— Pourquoi ne veux-tu pas me fouetter ?… Il n’y a pas que Maman qui m’a fouettée, va. Ma tante aussi m’a fouettée. À Bourges, elle m’a fouettée comme elle fouette Louise, ma cousine.

Je n’en revenais pas.

En rentrant chez nous, je n’en parlai pas à maman ; mais, j’y pensai toute la soirée.

À mes sens complètement endormis encore, aucun appel ne venait, émané d’un récit qui pourtant me troublait.

Le lendemain, c’est chez nous que nous fîmes nos devoirs. Maman était absente. Outre ses leçons chez elle, elle en avait beaucoup à domicile, en général à partir de trois heures et, ce jour-là, particulièrement, elle serait retenue tard au-dehors.

J’attendais impatiemment que la conversation reprit sur le sujet laissé en suspens la veille. Après une demi-heure d’étude silencieuse, je lui fis réciter des vers d’Eugène Manuel. Ce fut lamentable.

Je jouai la sévère. J’aimais d’ailleurs ce ton.

Jeanne vint s’étendre sur moi.

— Fouette-moi, cette fois. Il le faut, tu vois bien. Autrement, je ne ferai jamais rien.

Ma main ébaucha le geste, se leva, s’abaissa et se posa sans s’appuyer.

— Oh ! non, ce n’est pas comme cela. Lève ma robe, comme on fait.

Comme je ne paraissais pas m’y décider, Jeanne se redressa, se mit debout. Elle se retroussa et reprit sa place sur moi.

J’avais sous les yeux, dans son coquet pantalon pareil au mien, un bon petit derrière, ainsi que vous pouvez deviner celui d’une fillette de treize ans et demi, plutôt bien en chair. Bien formé, rond et dessiné par la culotte assez juste.

J’hésitai et, après quelques secondes, je donnai une claque, bien au milieu, claque que se partagèrent les deux moitiés, claque timide et qui dut lui paraître combien insignifiante et dérisoire. Sa voix jeta implorante presque plaintive :

— Oh ! plus fort ! plus fort !…

Je me décidai : deux fois, trois fois, quatre fois ma main claqueta, toujours au milieu, toujours également en partie sur l’une et l’autre moitié. Et je m’arrêtai.

Jeanne riait, mais, je sentais qu’elle s’impatientait, agitant ses jolies jambes. Elle se releva tout d’un coup :

— Tiens, tu ne sais pas… Ce n’est pas comme cela qu’on fouette. Il faut claquer vite et puis fort, fort. Et puis, ce n’est pas par-dessus le pantalon.

La phrase dernière, elle l’a lancée sur un ton plus bas, mais nos regards se sont croisés et, son œil brillant, je l’ai vu plus brillant encore, d’une émotion dont, toute ignorante et naïve que je suis, je discerne vaguement la perversité…

Et ma vertu effrayée se cabre.

Mais, Jeanne a lu dans mon regard ma réprobation, elle reprend sa place sur sa chaise devant la table et la leçon se poursuit.

Le lendemain, c’est chez elle. Je la vois agitée, comme elle l’a été toute la journée, à l’école, assise à mon côté. Elle me regarde, puis baisse les yeux. Je devine qu’elle voudrait me dire quelque chose et qu’elle n’ose pas. Par moments, en écrivant, elle sourit, son œil s’aiguise de je ne sais quelle malice. Elle ne doit guère penser à ce qu’elle écrit.

Je m’en doutais bien ! Son devoir d’arithmétique est idiot. Je le lui dis, elle rit.

— C’est ta faute ! Si tu me fouettais, tu verrais comme ce serait mieux.

Je ris aussi. Cela l’enhardit, elle continue et alors, je ne sais pourquoi, résolue à l’écouter jusqu’au bout, je la laisse aller.

Elle me parle de sa tante, qui la fouette bien mieux que sa maman. Elle va chercher l’album, me remontre ses photos et celles de sa cousine Amélie, une belle grosse fille de douze ans. Oui, mais il y a deux ans que fut prise cette photo. Elle en a quatorze à présent. Et sa mère la fouette toujours. Oh ! oui, elle lui donne des bonnes fessées.

Elle a dit le mot. Il m’eut terriblement choquée, il y a quelques jours. Aujourd’hui, je l’entends sans broncher. Mes pudiques oreilles ne s’en formalisent pas. Et Jeanne m’explique comment sa tante procède. Elle vous tient sur ses genoux, elle vous retrousse la robe et vous défait votre pantalon. Oui, toujours, toujours. À elle aussi, elle le défait quand elle la corrige, sa tante. Du reste, sa mère également. Quand, avant-hier, après la visite de Mademoiselle Langlois, sa mère lui a donné la fessée, elle l’avait déculottée. Parfaitement, c’est ainsi que l’on fait. On déculotte les filles pour bien les fesser. C’est pourquoi sa tante n’y manque jamais et, chaque fois, c’est d’un fort, d’un fort !

C’est la première fois que ces expressions sont prononcées devant moi. À la laïque, dans les récréations, les enfants parlaient quelquefois de fessées : une grande en menaçait une petite, par exemple ; mais, c’était tout.

Jamais le verbe déculotter n’avait été conjugué en ma présence par une camarade. De même que le verbe fesser lequel, à l’écolière prude que je suis, paraît plus inconvenant encore que l’expression donner la fessée. Pourquoi ? par quel mystère psychologique ou sémantique, je ne sais au juste ; mais c’est ainsi.

Après sept heures, sa mère monte et interrompt brusquement les récits de Jeanne.

C’est dommage. J’y prenais intérêt.

J’y pense, après dîner et dans mon lit encore. À force d’y penser, en moi germe l’idée de corriger l’élève rétive qu’est ma petite amie à la façon qu’elle se sait profitable. Si c’est là le seul moyen de la faire travailler, je l’emploierai donc. La future pédagogue qui éclot en moi, et qui adore enseigner à de plus ignorantes ce qu’elle croit savoir, est très flattée au fond que, déjà, on lui trouve l’autorité nécessaire pour inspirer le goût de l’étude aux élèves arriérées.

En tout cas, c’est dans un but hautement moral que je me résoudrai, à me montrer sévère. Mais, pourquoi, pourquoi, dans le tréfonds de ma conscience une voix m’intime-t-elle de ne parler de rien à maman ?

Hélas ! le lendemain, chez nous, rien. Maman est là. Sa meilleure cliente, la comtesse, lui a demandé par télégramme de vouloir bien remettre la leçon qui sera payée quand même.

Le surlendemain, c’est à l’entresol au dessus de la mercerie que nous nous installons, à cinq heures dix. On y accède, de la boutique, par un escalier en colimaçon dont l’entrée est dans l’arrière-boutique. Mais, de celle-ci, petite pièce carrée donnant sur la cour et dont les merciers ont fait la salle à manger, la porte ouvrant sur la boutique est fermée.

C’est ce que me dit Jeanne et, pour plus de sûreté, elle s’en assure.

Aujourd’hui, c’est encore de la géométrie. De la géométrie et la suite de l’autre fois. C’est de la veine, me dis-je en moi-même, sans me reprocher en rien une satisfaction intime qui n’a même pas le don de m’étonner. Théorème dix-huit : dans le même cercle, ou dans des cercles égaux, deux angles au centre sont entre eux comme l’arc compris par leurs côtés.

Oui, c’est de la veine. Jeanne n’a saisi quoi que ce soit de la démonstration au tableau, pourtant lumineuse, de Mademoiselle Langlois l’aînée, de qui la Géom est l’apanage. Je répète la susdite démonstration à cette crétine de Jeanne dont l’œil pétille. En vain : elle est bouchée à l’émeri, fait croire. Mon irritation légitime doit être bien visible, car sans que je le lui dise, elle vient s’allonger sur moi.

Baisserai-je, ne baisserai-je pas son pantalon ?

L’hésitation me semble interdite formellement. Cette gosse à l’esprit paresseux a besoin d’être stimulée. Je serais coupable de différer plus longtemps le stimulant efficace. Aussi bien, sa culotte est identique à la mienne, je l’ai vue hier ; je sais comment manœuvrer. Quand je veux baisser la mienne, pour certain petit besoin, c’est bien simple. Il en va de même pour celui-ci, non moins naturel. Car c’est un besoin pour cette enfant, que d’être fessée. Allons-y, conjuguons les différents verbes dérivant de la même racine, fessons ! Pour cela, il faut qu’elle soit déculottée, déculottons ! Je relève sa jupe…

Ô stupeur ! qu’aperçois-je ?…

Son derrière nu !… Oui, nu, nu, tout ce qu’il y a de plus nu.

Quand elle s’est levée tout à l’heure, feignant d’aller au petit endroit, elle a fait le nécessaire : elle a baissé sa culotte… Elle a même relevé sa chemise et l’a maintenue, haut retroussée, bien au-dessus des reins par je ne sais quel artifice.

Elle m’a évité de prendre ces peines, c’est gentil. Mais, je ne me serais pas montrée empruntée, j’aurais su la descendre, sa culotte. Et sa chemise, j’aurais su la lui lever.

Je lui sais gré, néanmoins, d’avoir facilité ma tâche Est-ce pour cela que je regarde avec tant de sympathie ce joli derrière, le premier que voient mes yeux, mes yeux qui, depuis, en devaient voir tant d’autres ?

Mais, je ne m’attarde pas à le contempler sans rien faire d’autre, je veux le contempler en le claquant…

Je claque, je claque… Oh ! doucement, d’abord. Dame, j’ai un peu peur… Vous pensez : une première fois… Mais, que cela me plaît ! Je continue, je claque, je claque !

Jeanne est ravie :

— Oh ! tu peux claquer plus fort ! Je te dis, on n’entend pas. Quand maman me fesse, on n’entend pas d’en bas.

Je claque plus fort. Oh ! cela m’amuse encore plus, car le derrière qui me semble si joli à voir s’anime et se remue drôlement. Oh ! que je m’amuse ! que je m’amuse et que j’ai de bonheur à sentir vivre sous ma main ces belles fesses charnues si fraîches et si remuantes !

Et voilà ma première fessée !

Le lendemain, ce fut la seconde. Et tous les jours où je le pus, tous, vous entendez bien, je fouettai ma chère petite amie. Maman s’absentait souvent, voilà pourquoi c’est bientôt chez nous qu’eurent lieu les « séances ». C’est là le terme qui convient.

Et cela dura des mois et des mois ! Trois ans entiers !

Si dès le début, cher Monsieur, ç’avait été pour moi une révélation, elle fut vite totale, vous m’avez comprise, totale, cette révélation des charmes de la flagellation.

Mais, avant d’en arriver là, laissez-moi dire en deux mots que, pendant près d’un an, je fessai ma chère Jeanne aussi innocemment que la première fois. Comme elle me disait de quelle façon elle voulait être claquée, je ne pouvais manquer de faire des progrès. Je la fouettai bientôt aussi bien que sa maman et même, et même ! aussi bien que sa tante !

Je la fouettai de plus en plus fort.

Il n’y avait que la crainte du bruit capable de me retenir la main. Chez maman, de jour en jour m’affranchissant de cette crainte, je me montrai vite ce que je suis restée, c’est-à-dire disposée toujours à claquer dur et ferme un beau derrière résistant !

Les fessées douces, tenez, ne m’en parlez pas ! J’appelle cela des époussetages.

Laissons ces fadeurs aux fesses molles, aux fesses en gélatine, honnies de Paulette ! Car Jeanne qui, à présent, a les fesses si dures, les avait déjà si agréablement élastiques et rebondissantes que c’eut été sot et impie de n’y pas faire honneur.


V

LE JET D’EAU

Laissons aussi parler à son tour une jeune personne méritante fière de compter parmi les adeptes du Fouet et qui, comme telle, a sa fiche.

— Ce sont vos estampes, qui me font rire… Cela me rappelle quelque chose. Il y a des femmes aussi qu’intéresse et ravit l’emploi de l’instrument cher aux apothicaires de jadis. Votre amie Paulette est du nombre : je le sais. Je le sais même pertinemment. Mais, j’en ai connu une autre. Mon dieu, oui, je peux vous conter cela ; vous en ferez ce que vous voudrez.

J’avais treize ans et demi, j’allais à l’école. J’y devais rester encore un an, et, après, entrer comme apprentie brodeuse chez la mère d’une camarade de classe. Madame Fleury avait son atelier et son domicile dans notre maison, rue de Cléry, à l’étage au-dessous.

Ma camarade qui s’appelait Marguerite, c’est-à-dire Maggie dans l’intimité, commencerait elle aussi et en même temps, son apprentissage. C’était une petite maison de broderie, mais qui gagnait de l’argent. Cinq, six ouvrières au plus ; mais, du beau, tout à fait, rien que pour les plus grands couturiers.

Avec Maggie, on était inséparables, on s’adorait. Du reste, on s’adore encore. Je ne vous apprends rien, car vous la connaissez. C’est elle avec qui j’étais l’autre soir, quand vous nous avez rencontrées. Elle ne s’appelle plus Maggie : il n’y a que son nom de changé. Et le mien, car, moi de même, je m’appelais pour lors Berthe, tout simplement.

Maggie et Berthe, on ne les voyait jamais l’une sans l’autre. Vrai, on nous prenait pour les deux sœurs. Blondes du même blond, nous nous ressemblions et nos mères se plaisaient souvent à nous habiller pareil. Nos pères s’étaient liés également, tous deux employés de commerce, le mien au Sentier, le sien aux Ternes. Moi, je suis Parigote, d’une lignée de Parisiens pur-sang. Les Fleury eux, des Manceaux, venus ici à vingt ans. Chez eux, j’avais vu au commencement de l’année une tante, sœur de Madame Fleury et qui, restée au pays, était à Paris pour quelques jours.

Elle avait été aimable au possible pour moi. Sans enfants et les aimant beaucoup, elle choyait sa nièce, qui, tous les ans, passait un mois chez elle. Les années d’avant, ma copine lui avait parlé de moi et elle me connaissait bien sans m’avoir jamais vue. Elle m’invita à accompagner Maggie aux prochaines vacances et il fut convenu avec maman qu’aux premiers jours d’août, je partirais pour Le Mans en compagnie de Maggie et que je ne rentrerais avec elle que pour octobre.

C’est ce qui se fit en son temps.

L’oncle et la tante vinrent nous chercher à la gare. Au départ, on nous avait recommandées au chef de train.

Madame Tessier habitait la ville, à quelques kilomètres sur la route d’Arnage. Son mari, associé d’un marchand de biens n’était là qu’à midi et le soir. Souvent même il déjeunait au-dehors pour ses affaires. La maison m’enchantait avec son potager et son verger si vastes, trop grande pour le couple et son unique bonne, la vieille Maria. De là date mon amour pour la campagne, amour qui sera éternel, n’en doutez pas, car je ne le satisfais jamais, malgré mon envie. Tous les ans, et cela me dure huit jours, il me prend une rage folle de voir de la verdure, des vaches, des oies, des grenouilles, et cela finit, chaque fois, par un déjeuner que m’offre un ami ayant une auto, à Saint-Germain ou à Barbizon.

À Arnage, la Sarthe passe. C’est une belle rivière pleine de grenouilles sur ses bords, avec des martins-pêcheurs dans les saules, qu’on voit, éblouissants de vives couleurs comme des oiseaux des îles, piquer tout d’un coup vers l’eau et revenir avec un petit poisson d’argent qui, pincé dans leur petit bec, étincelle au soleil. Je ne connaissais pas cet amour d’oiseau-là, cette fleur aîlée, de jade, d’émeraude et de lapis. Tous les habitants du pays en ont un, empaillé sur leur cheminée.

Et puis, il y a des mûres plein les haies. Il n’est pas de propriété, jardin ou champ, que n’entoure une haie de ronce. Or, les gosses du pays ne touchent pas aux mûres. Cela donne la fièvre, disent ces tas de nouilles ! Des mûres grosses comme des prunes et exquises, auxquelles ne ressemblent en rien ces riquiquis de mûres aigres ou fades des environs de Paris. Avec Maggie, j’en cueillais des kilos que je mangeais avec délices. Me suis-je régalée avec ces mûres qui, vous allez voir avant peu, jouent un rôle important dans mon histoire ! Je vais y arriver, n’ayez pas peur.

Maggie et moi, nous couchions dans un grand lit, celui de la chambre d’amis, si vous voulez, mise à notre disposition, au premier. Les Tessier couchaient au rez-de-chaussée et Maria au grenier.

On était débarquées à midi. Après le déjeuner, son mari parti, madame Tessier nous mena à notre chambre. Nous devions être fatiguées, nous ferions bien de nous coucher, de dormir un peu.

Pensez-vous ? On ne se sentait pas du tout fatiguées. Moi, surtout, dont c’était le premier voyage. Moi, Montmartroise pure, enfant de la butte que ces cinq ou six heures de train avaient soudainement transportée en pleine campagne, séjour hier tout à fait inconnu et qui me ravissait.

Enfin, comme sa tante insiste, Maggie et moi nous la suivons. Du reste, c’est ainsi chaque année, me fait Maggie, et il n’y a pas à dire non.

Elle a sorti de nos valises nos deux chemises de nuit. Nous voilà en culotte, notre robe ôtée. Elle nous regarde tour à tour et nous compare. Elle rit de nous voir les mêmes bas saumon, les mêmes richelieu jaunes, la même culotte, la même liquette.

L’ensemble avec lequel nous nous préparons à enlever notre culotte la fait rire encore plus. Elle a une bonne figure réjouie, cette forte femme de trente-huit ans, châtaine. C’est sa bouche sympathique qui me plaît surtout, avec ses lèvres épaisses, toujours prêtes au rire et qui, quand elle nous embrasse, claque fort ses gros baisers sur nos joues de gosses. Et ses yeux, quand elle rit, on ne les voit plus, presque, sous les paupières grasses qui se plissent. Sa figure exprime la bonté et l’amour des enfants. Quand la voilà qui s’assied et prend Maggie dans ses bras, je pense que j’aimerais bien qu’elle me prenne comme cela et m’asseye sur ses genoux.

— Tu as grossi, il me semble depuis l’année dernière, même depuis Janvier. Oui, on dirait. Je vais bien voir.

En disant cela, elle lui retire ses souliers, ses bas. Pour le reste, elle la couche, la roule sur elle comme un bouchon, puis, la petite une fois nue, culotte et chemise enlevées, elle palpe partout son corps, ses cuisses, ses mollets.

Moi, cela m’amuse de voir Maggie nue, avec son torse menu, ses membres plus forts, ses jambes bien faites. C’est le torse qu’elle a le plus grêle encore, mais il n’accuse nulle maigreur et l’on n’aperçoit pas ses côtes. Sa tante regarde les petits nénés, deux petits abricots de rien et quand d’un doigt elle en titille la pointe, Maggie rit.

Sa tante alors la retourne comme une crêpe et c’est le tour du dos à être examiné. Les bonnes petites fesses qu’elle a, ma copine !

— Ah ! tu as forci et pas qu’un peu ! Tu commences à avoir un vrai derrière ! Cela promet ! à la bonne heure ! C’est déjà bon à claquer, des fesses comme cela !

Et elles les lui claque… Si bien qu’à force de les claqueter pour rire, c’est une vraie fessée — et une bonne — que Maggie accueille en serrant, en serrant les fesses. Elle n’en a pas du tout paru surprise, non plus que de sentir la fessée s’accentuer et se prolonger, copieuse et de force assez appréciable pour lui rougir vigoureusement les bonnes rondeurs qu’elle serre, qu’elle serre toujours et de plus en plus.

Et la tante dit alors :

— Cela va te faire bien dormir, tu seras tout à fait reposée. C’est ce qu’il y a de meilleur, une bonne fessée. Et à toi aussi, Berthe, cela te fera du bien.

Elle la met sur pied, m’attire à mon tour. Elle me dévêt de la même façon, avec plus de lenteur pourtant. Je vois ses yeux qui explorent avec autant de plaisir que de curiosité mes abricots également modestes, tandis que ses mains tâtent déjà mes fesses.

Me voici nue comme ver.

— Tu es plus forte que Maggie, toi, tu seras comme ta mère. Tu auras des jambes surtout. D’ailleurs, tu en as des fesses, déjà ! Une belle paire, mâtin ! C’est ce qu’il faut, dis donc, pour avoir des bonnes fessées ! Ta maman, elle doit t’en donner !…

Je réponds que non. C’est la vérité. Je n’en ai pas reçu depuis près d’un an.

— Oh ! si c’est possible ?… eh bien ! ici, tu vas en avoir, alors. Demande un peu à Maggie si j’en donne des fessées, moi !

Et, incontinent, retournée prestement, me voici les fesses d’abord saisies par ses larges mains et tripotées un bon moment. Puis, des claques m’arrivent, bien appliquées qui, moi, me surprennent bien un peu, car je les trouve cinglantes, à la vérité, et plus que je ne l’aurais crû ; mais, j’ai vu Maggie prendre si bien l’aventure que je ne puis que faire comme elle. Mais, par exemple, moi, cela me fait gigoter fameusement… Aussi, j’entends des éclats de rire, des éclats de rire, ceux de Maggie, aigus, et ceux de sa tante, sonores et larges. Et sa voix chaude me stimule, sa voix grasse si joyeuse où se révèle une heureuse nature qui ne songe pas plus à cacher l’intense plaisir qu’elle éprouve que la passion qui l’emporte :

— Ce qu’elle gigote… cette petite… ce qu’elle gigote !… Oui, ma petite… t’as raison… c’est comme ça… que les petites filles… devraient toutes… gigoter… J’t’en donnerai… des fessées… des fessées… des fessées… oui, ma petite… oui, je te ferai… gigoter… gigoter…

J’en ai les fesses pourpres, quand elle s’arrête pour me les faire regarder dans l’armoire à glace…

Alors, elle nous embrasse et nous couche, toutes deux. Après des baisers qui sur nos joues claquent autant que claquait sa main sur nos fesses, elle nous laisse aux bras l’une de l’autre, riant comme deux innocentes. Oui, comme deux innocentes que nous étions, je puis le dire.

— Je viendrai vous réveiller dans deux heures. Nous irons à la rivière.

Nous ne dormons pas et n’en avons guère envie. Dans nos jeunes veines le sang circule joyeux. Maggie ne m’avait pas dit cela, que sa tante donnait des fessées. Mais oui ! oh ! tous les jours !

— Oh ! tu peux t’y attendre. Tu l’auras comme moi.

Et j’en eus, j’en eus !… Tous les jours, nous y passions, à divers moments de la journée, mais principalement après le déjeuner et c’étaient les plus longues. Bien après le départ de l’oncle et vers les trois heures, aussitôt dépassé le fort de la chaleur.

Le vrai type de la fesseuse enragée, mais sachant s’arrêter juste à temps. Je m’en suis rendu compte, depuis. Et elle fessait bien, tout à fait bien. C’étaient chaque fois, de bonnes fessées. Car, elle, avec raison, en pinçait pour la fessée énergique, dédaigneuse des tapotements qu’affectionnent certaines bécasses, passives aussi bien qu’actives dont les veines charrient au lieu de sang quelque sirop rosâtre et faiblard, saumâtre grenadine.

Si, ardente et sanguine, je me suis éprise, moi, de la forte fessée, généreuse, capiteuse et tonique, c’est à elle que je le dois. D’abord, avant elle, il n’y avait que maman qui eût jamais touché à mes fesses du plat de la main. En dernier lieu, à douze ans. Une assez bonne fessée, pour avoir répondu, je me rappelle.

Mais, vous voyez combien ce fut rare. Elle ne comprenait pas cela davantage, sans doute, ma pauvre maman. En tout cas, elle n’en avait pas la passion si peu que ce fût et c’est même assez curieux de sa part, évoluée comme elle l’était et si parisienne !

Elle, madame Tissier, elle aimait cela à la frénésie ! Elle devait l’attendre avec fièvre, l’arrivée de sa nièce, aux grandes vacances, si elle n’avait que par elle à claquer des fesses. Comme je n’étais pas de trop pour la satisfaire, combien devait-elle souffrir le reste du temps ! Vous savez, c’est un vrai supplice, pire que la continence forcée. Avec la continence, on peut tricher et se donner le change, à soi-même. Pas besoin de personne. Mais, avec la passion de la flagellation active, quand on est toute seule, rien à faire que de cuire dans sa peau ! Il y a de quoi en tomber malade !

Comment contracta-t-elle cette passion ? Je l’ignore complètement. Après cette année-là, je ne l’ai vue que trois ans de suite, aux vacances, dans les mêmes conditions. La dernière fois, donc, j’avais seize ans et je ne pouvais pas questionner une femme qui en avait alors quarante passés.

Et puis, la preuve qu’elle aimait cela à la folie, c’est les questions qu’elle posait, les mêmes que tous les flagellants posent. Ça, c’est un signe.

Moi, j’y pris goût et tout de suite. Et si, pendant mon premier séjour, il s’était passé vingt-quatre heures sans rien, j’aurais réclamé.

Et puis, c’est cette émulation qu’il y avait entre Maggie et moi. Bientôt, la voilà qui se démenait, à mon exemple, à présent. Mais, elle avait beau faire, c’est moi qui jouais le mieux des fesses. Je voyais bien ce qu’en pensait sa tante et quel plaisir elle prenait à me tenir quand je me mettais à ruer, à la mesure, à l’unisson des fessées carabinées de certains jours.

Car, il y avait des fois, tenez, à partir de la deuxième semaine, où il s’agissait de fessées joliment soignées. Ce qui est remarquable chez moi, je pense, c’est que je me sois mise à l’aimer forte tout de suite. Faut dire qu’elle savait y faire, avec les gosses et nous prendre par l’amour-propre, moi surtout. Elle disait que c’est une preuve de tempérament, de santé, de bien prendre la fessée. C’est signe qu’on aura du ressort, de la volonté, de l’énergie. Et moi, je marchais.

Mais j’arrive au plus intéressant.

Cela, c’est moins banal.

Il ne faut pas m’en vouloir si, ne sachant pas raconter, je n’observe ni ne suis l’ordre du temps : car, ce que je vais vous dire maintenant, c’est, pour la première fois, arrivé dès la première semaine, le troisième ou le quatrième jour, je ne pourrais l’affirmer au juste avec plus de précision.

Je vous ai parlé des mûres de ce patelin, des mûres extraordinaires, grosses comme des mirabelles. Oh ! oui, au moins comme des mirabelles : il y en avait de plus grosses et comme de beaux pruneaux. Et parfumées et juteuses ! et sucrées !

Nous en faisions, Maggie et moi, une consommation intense et continuelle, du matin au soir. Bien que personne, ici, n’osât y toucher, madame Tessier ne partageait pas le préjugé local inspiré uniquement par la crasse ignorance de ces croquants. Elle-même en mangeait, mais avec discrétion et elle ne cessait de nous mettre en garde contre l’abus gourmand que nous en faisions. Elle nous prédisait des coliques qui ne manqueraient pas de nous en punir.

Nous persévérions à en absorber tant et plus et pas l’ombre de coliques.

Mais, elle y tenait et, à chaque instant, elle nous demandait si nous ne sentions pas déjà quelque chose d’insolite se passant dans notre petit ventre. Elle nous faisait tirer la langue, nous l’avions d’un violet d’encre pour stylo. Et nos cueillettes, à la fin de la journée, nous gantaient d’un carmin aussi tenace que vineux.

Elle n’en démordait pas, si bien que nous devions nous laisser soigner préventivement pour ces coliques à venir — ou simplement imaginaires. Maggie qui connaissait la marotte de sa tante m’avait renseignée sur le traitement qu’elle nous ferait suivre.

Vous l’avez deviné : c’est de clystère qu’il s’agissait. Tous les deux ou trois jours, nous n’y coupions pas.

Moi, je n’avais jamais pris de lavement et, chez nous, maman elle-même s’en abstenait, n’en ayant nul besoin apparemment, non plus que moi.

Or, chez la tante, il n’en était pas ainsi et, prêchant d’exemple, elle disait en absorber régulièrement je ne sais au juste combien par semaine. Peut-être exagérait-elle dans son dire qui n’était se peut-il, qu’un mensonge pur et simple ? Quoi qu’il en soit, elle préconisait hautement son remède favori auprès de ses jeunes invitées. Ce n’était pas à l’aide d’un de ces appareils antiques, seringue ou irrigateur, mais avec le moderne bock qui remplaçait avec avantage ces engins démodés. Le bock d’émail blanc, fixé au mur à bonne hauteur, à près de deux mètres, permettait d’obtenir une pression d’eau suffisante pour l’ingurgitation, si j’ose dire, à l’aide de la canule classique, de l’eau portée au préalable à la température voulue.

La première fois que je m’y soumis, madame Tessier me fit d’abord assister à la réception par Maggie d’un lavement administré par ses soins.

Je trouvai cela d’un haut comique.

Le cérémonial ne variait guère et il en fut pareillement presque toujours. Souvent, c’était au lit, le matin, ou sur le lit, l’après-midi. Mais, cette fois, madame Tessier, assise sur une chaise, tenait Maggie, courbée en travers de ses cuisses. Avec cette température, on se vêtait peu, toutes trois. Maggie, comme moi, n’avait pour l’instant qu’une blouse sans manches, fort écourtée, et des sandales.

Il y eut un prélude dont la singularité m’étonna. D’une main, de la gauche, lui écartant les fesses, elle s’appliqua, avec l’autre main, de préparer le chemin à la longue canule de caoutchouc noir qui se présentait, dardée vers l’orifice tout petit, tout petit et rose, dont je n’avais jamais eu la vue jusqu’ici. Maggie, cela va sans dire, était d’une propreté irréprochable, aussi méticuleuse que la mienne. L’examen visuel auquel se livrait sa tante semblait pourtant avoir pour but de s’en assurer et il devait devenir bien plus littéralement approfondi. Je n’avais pas été sans remarquer déjà soit avec Maggie soit avec moi, au début de chaque fessée qu’infligeait la tante l’attention particulière avec laquelle, avant de claquer, elle inspectait cet endroit-là. Quand elle tenait sa nièce, je la voyais toujours lui écarter les fesses avec deux doigts qui dessinaient les jambages d’un V renversé. Avec moi, quoique ne le pouvant voir, je me rendais compte qu’elle agissait de même ; mais le soin que j’avais déjà de ma petite personne m’engageait à n’éprouver nulle appréhension d’un examen dont l’indiscrétion s’inspirait apparemment de l’intérêt qu’elle me portait, ainsi qu’à sa nièce. L’examen ne pouvant que m’être favorable, je ne le trouvais ni trop long, ni trop minutieux. Seulement, je faisais exprès de serrer encore plus les fesses pour qu’elle prît plus de peine à les écarter.

Pour mon édification, pour mon instruction, elle me fournissait, en même temps, des explications et me disait quelles précautions s’imposent pour l’introduction de la canule. Sous mes yeux attentifs un de ses doigts prépara la voie. Cela m’amusait beaucoup, mais je vis qu’elle, madame Tessier y prenait un plaisir tout particulier et l’expression de sa physionomie l’indiquait clairement. C’était l’expression d’un plaisir comparable à celui qui l’animait en administrant une fessée, expression que j’avais pu observer l’instant d’avant, car, j’oubliais de le dire, chaque fois une bonne fessée préludait au lavement et s’inspirait de raisons hygiéniques non moins indiscutables.

Quand, succédant à Maggie, sur ses genoux, ce fut mon tour, une demi-heure après — le temps de recharger le bock et de tout mettre en état, une claquée me rougit les fesses, claquée soignée que je pouvais qualifier la meilleure des quelques fessées reçues déjà de sa main dont, cette fois, il m’était donné d’apprécier pleinement la vigueur. Puis, au bout de cinq minutes de repos, je sentis sa main gauche m’ouvrir les fesses que je serrais, un peu craintive, je l’avoue. Bientôt, un doigt me pénétra, imprégné d’huile douce, auquel succéda la canule menaçante, de laquelle dix bons centimètres s’enfoncèrent en mon être. Je m’étais fait un monde de cette opération. Loin d’éprouver la moindre douleur, je jugeai la sensation agréable. Encore plus, l’intrusion préliminaire dont le rôle avait été de m’y préparer.

Nous sommes, nous autres du sexe féminin, plus ou moins sensibles par là, moins que les hommes à ce que prétendent les livres. Si Maggie l’était peu, moi je l’étais beaucoup. Si, en quelque sorte, elle ne semblait pas s’apercevoir d’une intrusion dans son intérieur, moi, cela me produisait un effet extraordinaire. Et bien pour la première fois, pourtant. Jamais on ne m’avait introduit quoi que ce soit par là, chose que font parfois les toutes petites filles entre elles et s’il est vrai que nombreuses sont celles se visitant en tel endroit, d’un doigt innocemment curieux, moi, une telle idée un tant soit peu vicieuse ou simplement baroque n’avait jamais traversé mon imagination restée d’une candeur absolue.

Celle de Maggie également, car, entre nous, on ne jouait à aucun de ces jeux défendus. Et je dois dire aussi que cet effet extraordinaire que je signale n’était pas une sensation positivement voluptueuse. Non, il ne s’agissait pas encore de cela. C’était une sensation agréable, même très agréable, mais rien de plus. Ma seule façon, de témoigner le plaisir ressenti consistait en serrages de fesses. Si, significatifs à leur manière, ces serrages de fesses retardaient l’évasion du doigt bénéfique, c’était bien inconscient de ma part, et si ce prologue, dès le premier jour, dura plus longtemps qu’avec Maggie, ce fut vraiment sans vice que je fis le nécessaire pour cela.

Le second acte succéda, d’ordre purement hydraulique, et se poursuivit sans incident jusqu’à son épilogue nécessaire, pour lequel je m’éclipsai. À l’anglaise, c’est le cas de le dire, comme l’avait fait Maggie.

À mon retour, comme elle encore, je fus bichonnée, poudrée, vaporisée et, pour cela, trouvaient leur emploi les divers accessoires chargeant un plateau sur la petite table : éponges fines, vaporisateurs voisinant avec le flacon qui reposait dans sa soucoupe après ne s’être utilisé qu’au début, le flacon d’huile douce combien lubrifiante, insinuante.

Pour en revenir maintenant à la sensibilité variable observée en un point spécial et dont je vous parlais tout à l’heure, laissez-moi vous répéter ce que m’a dit un médecin.

D’individu à individu, le degré de cette sensibilité diffère. Rudimentaire sans doute chez ma congénère Maggie elle était déjà extrême, cette sensibilité, chez moi, puisqu’elle faisait se tortiller l’enfant que j’étais encore.

La cause d’une telle variabilité provient de la conformation affectée par chacune de nous, conformation en raison de laquelle un tel lieu est plus ou moins érogène par la présence de centres nerveux afférents, plus ou moins développés.

Cette explication ne constitue-t-elle pas proprement une vérité de La Palisse ? Que vous en semble ?

Mais, au fait, ne les croyez-vous pas, toutes, des vérités de La Palisse, les explications dont on nous enseigne à nous satisfaire ?


VI

UN BON MARIAGE

Notre ami Monsieur Léon est l’auteur de ce mariage.

Lui, lui seul — et il s’en vante — présenta les deux futurs conjoints l’un à l’autre et les fit se rencontrer.

Puis, ce fut très simple. Un quart d’heure après la présentation, ils s’appréciaient mutuellement. Connaissant bien les aptitudes de chacun, Monsieur Léon les avait jugés à leur juste valeur. Il ne s’était pas trompé et, créés l’un pour l’autre, ces deux êtres furent heureux, grâce à lui.

Il avait eu du mérite, car il n’ignorait pas ce qu’à l’envi répètent les sages. S’il est une chose dangereuse au monde, disent-ils, c’est bien de faire un mariage. La plus élémentaire des prudences le déconseille formellement à ceux qui, avant tout, sont soucieux de ne prendre aucune responsabilité. Si Monsieur Léon, prudent parmi les prudents, en avait pourtant pris une de cette gravité, c’est qu’il devinait que, trois mois plus tard, leur lune de miel durerait encore. Trois mois après, en effet, jour pour jour, ou plutôt nuit pour nuit, en cette fin de janvier 1926, elle brille, leur lune, sereine et radieuse sur le ciel montmartrois.

C’est qu’à ses yeux, l’amour du Fouet que professaient ces deux êtres était un titre au-delà suffisant pour qu’il les aidât à trouver le bonheur dans leur étroite conjonction.

Mais, était-il bien nécessaire de dire tout cela à nos lecteurs qui, n’est-ce pas, l’avaient soupçonné ? À qui Monsieur Léon pourrait-il les intéresser, et s’intéresser personnellement, sinon à des flagellants sortant de la banalité, et aurait-il réuni des deux-là s’il n’avait conjecturé qu’une correspondance parfaite de goûts nettement opposés les accouplerait à merveille ?

Hâtons-nous donc de couper court à ce préambule combien superflu et de leur donner tour à tour la parole. Ce sera, si vous le voulez-bien, dans l’ordre où ils auraient signé, l’un après l’autre, sur le registre de la mairie, si leur mariage avait été dûment légalisé, ainsi qu’il le mériterait. D’ailleurs, dans ce ménage original, c’est le mari qui, contrairement à l’habitude, possède la langue la mieux pendue.

Un mot encore, un mot seulement, pour tracer de l’épouse et de l’époux, en quelques lignes, un signalement digne par son laconisme de figurer sur leur passeport.

D’abord, le monsieur, le mari. C’est Camille, une petite blonde, svelte sans maigreur, d’âge idéal, vingt-cinq ans, et dansant à ravir.

La dame, l’épouse, c’est Albertine. Grande et brune, et de même âge. La tête de plus, presque, que son mari. Signe particulier : ne lui cède en rien comme danseuse, mais le surpasse encore comme callipyge.

Voici donc le récit de Camille !

— J’ai de qui tenir ! maman adorait fesser. Mais, les garçons surtout. Par chance, elle en avait un, mon aîné de trois ans.

Il faut vous dire d’abord et ceci explique tout, peut-être, que maman était une féministe convaincue.

Restée veuve après quatre ans de mariage, elle n’avait pas voulu se remarier, bien qu’elle eût été demandée plus d’une fois. C’est qu’elle n’avait pas été heureuse et sa première expérience ne l’incitait pas à recommencer. Mon père était, paraît-il, un coureur et s’il n’avait pas trouvé la mort dans l’accident du métro, en 1908, cela aurait tourné mal.

Dans les affaires, ayant une belle situation, il lui laissait de quoi vivre et nous élever. Maman avait de l’instruction et s’occupait activement de politique et surtout de revendications féminines. Elle fréquentait certains groupements et assistait aux réunions, aux meetings prenant parfois la parole avec une énergie passionnée. C’était une grande femme châtain foncé. Je tiens mon blond de papa. Devançant la mode des cheveux courts, elle portait les siens rejetés en arrière, ne dépassant pas la nuque et découvrant son front qui était vaste et beau, en coupole. Elle avait des yeux épatants. Du reste, tout le monde dit que je les ai hérités.

Moi, elle me fessait quelquefois, mais pas souvent. En tout cas, c’était toujours seule à seule, et, pour ainsi dire, jamais plus tard qu’à dix, onze ans. Sauf en deux circonstances que je vous dirai peut-être. Tandis que mon frère, lui, toujours devant moi ou quelqu’un d’autre, des amies à elle, des féministes dans son genre.

Quand souvent, celles-ci étaient accompagnées de leurs filles, cela n’en valait que mieux et maman ne ratait pas l’occasion. Elle avait comme grande amie une madame Henry, elle, mère de deux garçons. Quand nous allions la voir ou quand madame Henry venait à la maison, il y avait chaque fois une fessée au moins pour un ou deux de ces messieurs, parfois pour les trois.

Et moi, je jubilais autant que ces dames.

Élevée dans la rancune envers l’homme qui a fait les lois en sa faveur, au détriment de la femme qui, tant qu’il y aura un code, restera l’éternelle mineure, je partageais déjà leurs idées et j’avais pour ce sexe oppresseur ni sympathie, ni considération. Aussi déjà étais-je heureuse, chaque fois que je voyais humilier un des représentants de ce sexe qui se croit toutes les supériorités et qui, si l’on veut voir les choses de près, n’en possède réellement aucune. C’est positif, aucune. Heureusement, à présent le mouvement est commencé et les temps s’approchent où l’égalité ne sera plus un vain mot. Et ce ne sera, croyez-le bien, qu’une étape, car, comme disait maman, c’est la supériorité de la femme qui sera proclamée dans l’avenir et c’est elle qui aura le pouvoir et la direction du progrès. Mais, en voilà assez là-dessus, vous connaissez mes opinions, je ne les cache pas. Retenez bien ce que je vous dis aujourd’hui : avant vingt ans, vous verrez, messieurs ! La femme, enfin, s’émancipe, je vous dis : la jupe courte et les cheveux courts marquent la venue d’un temps nouveau.

Quand maman est devenue veuve, j’avais dix ans C’est à ce moment que remontent mes souvenirs présentant pour vous de l’intérêt. Avant cela, je n’avais jamais vu madame Henry qui, devenue intime amie de maman, vint chez nous à chaque instant. Nous avions déménagé et pris un appartement plus petit, dans le voisinage immédiat du sien. C’est elle d’ailleurs qui l’avait cherché, rue Saint-Denis, non loin des boulevards.

Madame Henry demeurait à côté, deux numéros plus haut. Elle avait été abandonnée avec ses enfants, en bas âge, par son mari. C’est pourquoi elle ne pouvait porter en son cœur messieurs les hommes. Il était parti, croyait-on, en Amérique et l’on n’en avait plus de nouvelles. Ses enfants avaient, l’aîné, l’âge de mon frère Raoul ; le second, deux ans de moins. C’est à dire un an de plus que moi.

Du temps du père, maman donnait bien des fessées à Raoul, mais ce n’était rien à côté de celles qu’elle lui flanqua dorénavant. Il les méritait. Désobéissant, volontaire, effronté, vaniteux, égoïste, gourmand, comme le sont les garçons. Certainement tous, à peu près. Les deux qu’avait madame Henry ne valaient pas mieux et possédaient les mêmes défauts, ceux de leur sexe incontestablement, indociles, entêtés, prétentieux, personnels et goinfres.

Moi, comme toutes les petites filles, j’avais à me plaindre des garçons qui, vous le savez bien, se montrent brutaux et désagréables avec elles, même dans leurs jeux. Cela me fit donc grand plaisir, tout de suite, de voir traiter comme il le fallait, et strictement selon leurs mérites, ces trois-là, que ce fût mon frère par maman, ou que ce fussent les deux autres par leur mère. J’avais près de sept ans, ils en avaient donc, Raoul et André, bientôt dix, chacun. Et Émile, huit. Ils étaient donc d’âge, même ce dernier, à recevoir déjà de belles et bonnes fessées, les claquant bien.

Madame Henry, une grosse femme brune, moins grande que maman, mais forte tout autant, sinon plus, n’en doutait pas d’avantage, et je vous réponds que, des fessées qu’elles étaient l’une et l’autre capables d’administrer, il résultait, sur la peau des fesses masculines, une riche couleur rouge. Le ton en différait pourtant. Bruns tous deux, comme leur mère, les deux frères ne possédaient pas la peau si blanche du blond Raoul, une vrai peau de fille. Moi, cela m’amusait d’observer ces différences de coloration et, quoique blonde moi-même, je ne jugeais pas déplaisante à voir, à côté du joli ton pur de mon frère, le contraste du ton mat des deux autres. Le rouge amené par les fortes claques de leur mère semblait plus sombre, moins rose foncé, moins frais, mais je trouvais quand même joli ce fard qui les parait bien. À mon avis, le fard ne convient bien aux garçons que sur leurs fesses ; mais, là, il leur convient admirablement et plus je vais, plus je les voudrais voir, toutes fardées ainsi du fait de bonnes fessées.

C’étaient tous les deux de beaux petits gosses râblés, membrus suffisamment. Deux bons derrières à fesser. Mon frère, lui, plus délicat dans l’ensemble, s’ornait peut-être de plus de fesses relativement ; mais, ce qu’il en avait, moins musculeux, se rapprochait un peu de la conformation féminine. Ce n’est que par comparaison avec ses congénères que je m’aperçus de cette particularité. Tandis qu’André et Émile, eux, montraient des fesses franchement masculines, plus étroites, avec, sur le côté, le creux marqué à l’attache de l’os de la cuisse. Chez les femmes, ce creux s’accuse moins brutalement, les formes sont plus reliées, plus enveloppées. À cause du ton local de leur peau mate, ces deux derrières s’ombraient différemment du blond derrière de mon frère, au modelé plus chaud, et se teintaient, dans le creux de la raie surtout, d’un brun olivâtre. Avec le carmin de la fessée, cela faisait un tout autre effet de couleur que chez le frangin, où se vérifiait la justesse banale de la comparaison courante, « des lys parsemés de roses », comparaison s’appliquant assez bien, en effet à beaucoup de derrières fessés. Bien claqués, à grandes claques, ceux des deux bruns me faisaient, eux, penser à de beaux brugnons, mûrs et à point.

Tous les trois, en grandissant, devinrent encore plus intéressants, cela va sans dire et, dès qu’ils atteignirent une douzaine d’années, j’appréciai à sa valeur le spectacle qu’ils m’offraient, déculottés.

Maman, comme madame Henry, ne se croyait pas assujettie à adopter sempiternellement une même façon d’opérer. L’une et l’autre les tenaient, des fois, couchés sur elles « à la maman », selon l’expression heureuse que vous employez. Elles les tenaient aussi la tête entre leurs jambes. Parfois, quand deux de ces messieurs demandaient — façon de parler — demandaient à être corrigés en même temps, c’est ainsi qu’elles les mettaient se faisant vis-à-vis.

Mais, je dois dire que les corrections doubles avaient lieu, le plus souvent, l’une après l’autre. Par exemple, maman commençait avec Raoul. Quand elle jugeait suffisante la fessée, elle s’arrêtait. On pouvait être tranquille : ses fesses en fumaient, il avait son compte. Madame Henry alors qui, en face, y avait fait assister ses deux garçons, près d’elle, saisissait l’un d’eux sans se lever de sa chaise, le plaçait pareillement sur ses genoux, le déculottait posément et vous le fessait avec non moins d’application. Elle avait, cette madame Henry, une façon de fesser régulière, en quelque sorte mécanique. Je n’ai jamais vu cela depuis, réglé à ce point là.

Et comme elle gantait du sept et demie et qu’elle avait la main d’un dur, vous parlez de fessées à la manière forte !… À chaque claque, le monsieur en bondissait comiquement sur ses genoux ! C’était rigolo tout plein. Il fut visible pour moi que maman s’en inspira et que c’est à son exemple qu’elle soigna de plus en plus les fessées de Raoul. À treize ans déjà, qu’est-ce qu’ils prenaient, non, qu’est-ce qu’ils prenaient ?…

Ce qui m’amusait autant que la vue de derrières masculins rougissants, mais rougissants à faire croire que le sang allait partir de toute la peau claquée, c’était la tête que les deux autres représentants du sexe dominateur faisaient pendant ce temps-là. Chacun d’eux, la plupart des fois, se doutait que son tour viendrait ensuite. Leur honte d’être fessés par une femme, eux, des hommes, de futurs électeurs, de futurs faiseurs de lois, d’être fessés devant une autre femme et devant une fillette qui se moquait d’eux et qui, ils le savaient, savourait leur humiliation, oh ! j’ai passé des instants exquis à la déguster, je le déclare, et rien, rien, ne vaudra jamais cela… C’est mon plus cher souvenir.

Et, entre temps, dans l’intervalle de deux corrections, les menaces outrageantes qu’ils s’entendaient adresser, venant doucher leur orgueil à des moments savamment choisis pour que cela leur fût plus sensible et particulièrement vexant. Cela aussi me ravissait… En promenade, par exemple, au Luxembourg, aux Tuileries, ou ailleurs, madame Henry, que bientôt maman imita, trouvant l’idée excellente, madame Henry s’ingéniait à profiter de ce qu’à proximité passaient des fillettes ou de grandes jeunes filles pour s’adresser en ces termes, à l’un quelconque de ses fils, et de manière à ce que ce fût parfaitement entendu :

— Tu auras la fessée en rentrant. Ton frère aussi !…

Maman, venant à l’appui, ajoutait, avec son articulation merveilleuse :

— Ils l’auront tous les trois. Et ce sera comme hier, une bonne fessée !… une bonne fessée à chacun…

Aussitôt, les fillettes de leur âge, ou plus âgées qui nous croisaient ou, mieux encore, marchaient près de nous, dans le même sens d’une allée, regardaient curieusement, une flamme de plaisir aux yeux, les garçons qui, baissant le nez, rouges jusqu’aux oreilles, serraient les fesses. Les grandes jeunes filles surtout, celles de seize de dix sept ans, semblaient se réjouir, plus encore que leurs cadettes, et elles en avaient, toutes, le sourire. Quand un autre jour, en même lieu, nous les croisions encore par hasard, je voyais bien qu’elles nous reconnaissaient. Elles fixaient les garçons d’un œil plein de malice. Il en fut deux principalement, que nous revîmes plusieurs fois au Luxembourg autour de la musique.

Ah ! celles-là ! je suis sûre qu’elles avaient parlé de nous entre elles ! Elles devaient les envier, certes, ces deux femmes qui avaient le bonheur de fesser de grands garçons ; mais elles devaient l’envier aussi celle qui, jeune fille comme elles, avait la chance d’assister au réjouissant spectacle ! De treize ans alors, les deux aînés. Les yeux qu’elles faisaient ! Au passage, c’était un regard complice qu’elles échangeaient avec nous, je vous jure. Et quand elles regardaient les garçons qui, eux aussi, les reconnaissaient, elles avaient tellement l’air d’être au courant et de les narguer, qu’ils en devenaient pivoine. Après, elles se retournaient sur nous, et à la façon dont elles les jaugeaient, ces messieurs, en vêtements clairs d’été, dessinant leurs formes sanglées dans leurs culottes, elles les déculottaient des yeux, ma parole.

J’aurais eu leur âge, nous eussions fait connaissance. Maintenant, dans un cas pareil, ce serait franc. Vous savez : je sais ce que je dis. Elles étaient allumées, ces deux-là, j’en réponds. Les deux sœurs ? Ah ! non, je ne crois pas. Elles ne se ressemblaient en rien. Deux amies plutôt et cela n’en vaudrait que mieux, dites ?

À la place d’une des deux mamans, je les aurais abordées, cela n’eût pas fait un pli. Mais, ni l’une ni l’autre, pas plus la mienne que madame Henry n’y songèrent un instant. En instruisant ces demoiselles de leur habitude de fesser de grands garçons, elles n’avaient qu’un but : leur montrer le bon exemple, leur indiquer pour plus tard le vrai moyen d’inculquer à leurs fils le respect de la femme.

Car, chez maman, nulle idée sensuelle ne se mêlait à son goût pour le Fouet, à sa passion de flagellation, si vous préférez. Passion chez elle inconsciente, cela est pour moi de toute évidence. Oui, je l’affirme, j’en jurerais. Maman du reste m’a dit qu’elle n’avait jamais, jamais éprouvé de plaisir voluptueux. Elle était, prétendait-elle, comme George Sand et cette ressemblance avec une femme justement illustre entre toutes la rendait fière. Madame Henry, elle ne m’a pas fait de confidence, mais je ne serais pas étonnée que, constituée de même, en digne féministe, elle ne fut affligée de la même absence de tempérament.

Moi, à l’inverse, heureusement, si je suis franchement sensuelle et voluptueuse, c’est de papa que je le tiens. Si j’ai eu quelques faiblesses avec des hommes, c’est à ma part d’atavisme venant de lui, que j’en dois imputer la faute. En recherchant — ou en accueillant, devrais-je dire plutôt — des êtres du sexe opposé au mien, je ne faisais que suivre son exemple. Lui ne faisait que cela, toute sa vie. Mais, j’ai su m’arrêter à temps et trouver ma voie. Mais, je dois l’avouer, si je me suis mise à aimer fesser les jolies femmes, mes amies, c’est d’abord par pénurie de grands garçons. C’est plus difficile à trouver qu’on ne le croit. Si j’avais été à même d’en avoir autant que je le désirais, je n’aurais peut-être pas cherché ailleurs une diversion qui, maintenant, fait mon bonheur, je n’hésite pas un instant à le proclamer. Oui, je me suis lancée jusqu’au cou dans cette divine fantaisie qui m’enchante, tous les jours plus que la veille. Car je préfère la femme pour une infinité de raisons toutes meilleures les unes que les autres et dont je vous fais grâce : vous les connaissez. En outre, mon aversion tranquille pour le sexe masculin s’est renforcée. À de rares exceptions, les hommes me sont indifférents. Pour qu’ils m’inspirent un peu, faut-il alors que je les trouve sortant tellement de l’ordinaire que je discerne réunies chez eux, des qualités que je qualifierai de féminines et qui sont une délicatesse, une douceur de sentiments et de manières alliées à une cruauté savante et raffinée que j’appellerai sadisme élégant.

Tenez, je vais vous raconter une histoire, ou, plus exactement, vous répéter une histoire que m’a contée un gentil ami, gentleman accompli, qui fut aviateur au Maroc.

Cette histoire, je regrette de ne pas l’avoir vécue, je regrette de n’y avoir pas joué un rôle. Elle contient, résumées, toutes mes aspirations sensuelles, tout mon idéal voluptueux, toute mon esthétique amoureuse.

Il était aviateur au Maroc. Il faisait partie d’une escadrille qui eût l’occasion de se rendre agréable à un grand, très grand personnage marocain. Celui-ci, dont vous connaissez certainement le nom, voulut remercier les aviateurs de lui avoir fait assister à une belle randonnée, à laquelle même il prit part dans un avion, côte à côte avec l’un des as. Il les invita tous à un festin, dans un de ses palais. Je tais l’endroit, ce serait nommer le personnage.

Imaginez le décor féerique : les arcades aux fines dentelures que supportent mille colonnettes et la nuit étoilée baignant de sa lumière violette les jardins embaumés. Le repas fut merveilleux, mais le dessert le surpassa.

Des femmes parurent et donnèrent un aperçu de leurs talents quintessenciés que les Barbares que vous êtes ignorent ici. Il les méconnaîtraient peut-être, les malheureux !

Pendant une heure, elles torturèrent une des leurs, une des plus belles.

Il y eut tous les supplices que vous ne pouvez même pas rêver, vous, fades Européens, qui ne savez rien de la vraie volupté et des traditions séculaires de l’Orient. De l’Orient, omniscient en Amour !

Il y eut les aiguilles enfoncées dans les lieux du corps les plus sensibles, les morsures, les pincements et toutes, toutes les formes de la sublime fessée…

Et pendant une heure, la femme délira d’âcre souffrance et de bonheur céleste, car toujours, toujours, à la souffrance se mêlaient les plus savantes pratiques voluptueuses, les plus subtiles caresses, les plus décisifs baisers…

Oh ! que j’aurais voulu être une de ces femmes qui suppliciaient celle-là, avant de l’élever avec elles en plein Paradis !… Car, moi, c’est ainsi que je conçois l’Amour, je ne puis même le concevoir autrement !


VII

L’AUTRE CLOCHE

Et maintenant, voici le récit d’Albertine :

— Moi, c’est tout son contraire. Elle, Camille, c’est une petite rosse, vous savez. Oh ! ce qu’elle est teigne ! Il faut l’aimer comme je l’aime pour la laisser me faire toutes ses choses… Oui toutes, ses choses qu’elle a apprises, je ne sais où et qu’elle a vues aussi dans les livres qu’elle lit pour s’exciter encore. Comme si elle avait besoin de cela !…

Enfin, puisque cela me plaît, je n’ai rien à dire. Vrai, on va bien ensemble. N’importe, je ne me laisserai pas attacher les mains et les pieds aux barreaux du lit… Non, j’ai trop peur. Je ne sais pas ce qu’elle ne serait pas capable d’inventer, les jours où rient ses yeux cruels de chat qui étripe une souris.

Moi, je n’ai pas été élevée comme elle et je ne possède pas son instruction. Je n’ai pas donné de leçon de français à des demoiselles du monde, je ne lis pas de livres philosophiques. Non, moi, je suis née dans la maison de Dèche-Purée-Mouise et Compagnie. Et j’y ai été élevée. Ce n’est qu’à dix-huit ans que j’ai connu des gens chics.

Vous dites qu’on ne le dirait pas que j’ai été purée ? Vous savez, on s’adapte vite au luxe et aux manières distinguées. J’ai attrapé le coup tout de suite.

Je suis d’une famille de purotins. On était quatre gosses, dont moi la troisième. Deux filles avant. Et un garçon, le dernier. Tous, à un an et demie d’intervalle. Le temps pour la mère de souffler et de se raccommoder un peu.

J’ai grandi là-haut, derrière les Buttes. Des fessées, il y en avait chez nous, comme s’il en pleuvait. La mère nous en collait autant qu’on en voulait. Et d’assez bonnes, oui ! Elle n’avait pas peur de nous abîmer. On était, toutes les trois, les filles, dures à mener, faut croire. Moi, cela ne me déplaisait pas, même toute môme, d’être bien claquée sur les fesses. Ma sœur Clara aussi, celle avant moi, aimait cela. Je sentais que cela me faisait du bien et quand, à dix ans déjà, je venais de recevoir ce qui peut s’appeler une bonne fessée, tout à fait soignée, abondante et serrée, je trouvais que j’allais mieux, comme si de la vie m’avait été infusée. À dix ans, il y a longtemps que je n’en pleurais plus, d’une fessée, si forte qu’elle fût. Je gigotais et c’était tout. Autant que maintenant, je gigotais : ce n’est pas une blague. De nous trois, c’est moi qui gigotais le mieux. Des quatre même, devrais-je dire, en comptant le garçon, le petit dernier, qui en avait sa part, comme de juste.

Maman, cela la faisait rire, des fois, et quand une voisine, par exemple la mère Émeri, était là à me regarder, elle aussi trouvait cela plus rigolo que n’importe quoi au cinéma.

À l’école aussi, on fessait. Les maîtresses des dernières classes fessaient les petites ; mais, la Directrice, elle, avait une habitude pas ordinaire. Celle de faire venir les mamans et de leur enjoindre de donner, devant elle, la fessée à leurs gosses.

Que de fois, l’ai-je encaissée de maman, dans le bureau de la Directrice ! Je la revois, avec sa figure rêche qui par-dessus son binocle fumé, me zyeute tant qu’elle peut, pendant que je me paye une de ces parties de gigotements plus réussie encore qu’à la maison. Car maman, furieuse d’avoir été dérangée, me fait payer cher sa perte de temps et la nécessité où je l’ai mise de s’habiller pour venir. Elle me fesse plus fort du double que d’habitude et, pour le coup, ma culotte fermée, elle ne fait pas seulement que l’abaisser comme d’ordinaire, au ras des fesses, en dessous. Non, elle me la rabat jusqu’aux jarrets. Elle le fait exprès, vous devinez, pour bien montrer quelle bonne fessée elle me flanque. Les claques, dans le grand bureau peu fourni de meubles, résonnent et retentissent terriblement. Il n’y a même qu’une table et une bibliothèque dans ce bureau de quatre mètres en carré et haut d’autant. Pas de boiseries ni assez de meubles pour absorber le déchirement strident des fortes claques que les murs ripolinés se renvoient. J’en ai les oreilles qui me bourdonnent comme si j’étais sous une cloche, pendant qu’éperdument je me paye une furie de lancements de jambes. Pas une autre môme, dans toute l’école n’en donne en spectacle l’équivalent à cette rosse de Directrice qui se rince l’œil. Et maman me fesse, me fesse de plus belle. C’est une averse de claques qui semble redoubler, c’est un déluge de claques dont chacune ne fait que prolonger la précédente. Plus je gigote, plus elle me cingle de sa large main, entraînée à se plaquer sur des fesses, quinze ou dix-huit fois par semaine. Pour le moins, car, que dis-je là, dix-huit fois ? Il est des jours où, à nous quatre, elle donne six, sept, huit fessées !

Et pourtant, elle dit souvent que j’ai les fesses si dures qu’elle se fait mal en me claquant. Vrai, on ne le dirait pas. D’abord, c’est un vrai battoir, sa main large, un battoir fait de chair vivante dont la vigueur et l’ardeur augmentent à chaque fessée, du commencement à la fin. Et elle ne s’arrête pas de sitôt, cette fessée-là. C’est comme cela chaque fois chez la Directrice. Le lendemain, marquées de bleus, je montrerai mes fesses à la maîtresse, cela, j’en suis absolument sûre. Car, celle-là, la maîtresse, elle en rigole, de découvrir mes petites fesses truffées. Le lendemain de chaque visite de maman à la Directrice, je peux compter que je passerai à la fessée en classe. Et ce ne sont pas les meurtrissures de mes fesses, les petits ronds bleus des bouts de doigts de maman qui porteront Mademoiselle Roussin à me ménager. Au contraire, cette chipie aussi, plus elle va, plus elle me fesse fort ! De toutes les élèves, au nombre de trente-neuf, je suis celle qu’elle fesse, non seulement le plus souvent, mais encore avec le plus d’énergie. C’est une grande perche et ce qu’elle est moche ! qui, toujours affublé de robes impossibles, à l’air d’un curé.

Elle est forte, elle ne me tient pas comme maman, sur ses genoux et, elle, assise. Non, elle reste toujours debout, son pied gauche sur un banc ou sur le bureau d’une chaise. Sur sa cuisse gauche, elle me supporte, m’enroulant son bras gauche autour de la taille. Elle nous tient toujours ainsi, elle ne varie jamais. Suspendue de la sorte, les jambes en l’air, je gigote à l’aise et cela lui plaît, à elle aussi. Elle se met seulement à me déculotter que, déjà, fusent les rires de toute la classe qui connaît mes talents, et les apprécie. Le succès que j’obtiens, à chaque fois, flatte mon amour-propre et je n’omets jamais de m’évertuer à gambader.

Et la Roussin aussi s’évertue en ce qui la concerne. Elle a une grande patte osseuse qui cingle sec les fesses des gamines. On les redoute, ses fessées. Moi, je suis d’attaque. Elle peut y aller carrément. Mes petites fesses dures la supportent, sa fessée de fesseuse maigre aux doigts de bois fichés sur sa paume plate comme des bâtonnets écartés en éventail.

J’aime mieux les fessées de maman, certes. Mais, cela ne fait rien, je ne cane pas et je les encaisse sans un cri, sans une larme, les fessées qu’il nous semble que la Roussin nous applique avec une planchette.

J’entre à quatorze ans, en apprentissage, dans une imprimerie, et affectée d’abord au cartonnage. Il y a sept, huit arpètes. On les fesse.

C’est le contre-maître qui s’en charge. Ces fessées-là, alors, c’est un plaisir à côté de celles de l’école ou de la maison.

Il est indulgent. Le gaillard ne s’embête pas, c’est visible. Et, Bellevilloise ne demandant qu’à se dessaler, je m’en rends compte.

Parfois, pourtant, quand ce qu’on a loupé représente un dommage appréciable, il fesse plus consciencieusement. Oui, cela alors, cela commence à être une fessée.

Certes, c’est loin de celles de maman, loin des fessées de la Roussin. Mais, enfin on les sent. Il y a des arpètes qui en chialent. Quelles gourdes ! Moi, non. Au contraire, j’en rigole en dedans, tout en gigotant, gigotant. Gigoter, décidément, c’est mon fort. Je voudrais m’en empêcher que je ne le pourrais pas : je dis cela sans fausse modestie. Vrai, je n’ai aucun mérite à me démener comme une possédée, c’est plus fort que moi. Il suffit qu’on me claque les fesses une dizaine de fois et me voilà partie ! Et si la main connaît son affaire, si c’est une main qui s’entend à stimuler une paire de fesses, oh ! alors, je ne m’arrête plus. Je suis comme le cheval de sang qui reconnaît tout de suite le bon cavalier.

Avec le contre-coup, je vois bien que cela lui plaît, quand il me tient sous son bras et qu’il m’applique ses vingt-cinq ou trente claques habituelles. Ces claques-là, de sa grosse main d’homme, d’ouvrier manuel, cela ne cingle pas, c’est simplement brutal et lourd. Mais, entraînée au point où je suis, il y a des jours où je fais exprès de louper quelque chose qui compte, pour le faire accourir. Je suis contente quand il m’empoigne, me colle sous son bras et me retrousse. Les autres arpètes se tordent, les ouvrières aussi et les cinq ou six hommes qui sont là ne s’en privent pas davantage.

Mais je songe qu’il me fesserait mieux si l’on n’était que nous deux. Je vais avec intention sur son passage, dans la cour, en revenant du petit endroit. Je m’attarde, je fais comme si je musardais. Dans la resserre des couleurs, des vernis, qui donne sur la cour et où il n’y a personne, il l’aurait belle, là, à me fesser comme je voudrais tant qu’il me fesse.

Il est beau garçon, brun, bien taillé, trente-cinq ans. Il me jette :

— Qu’est-ce que tu fais là, feignante ?

Je ricane. Je ne me presse pas de rentrer. Je traîne autant que je le peux. Je fais semblant de regarder des images que les ouvriers ont collées sur la porte : des images découpées dans les petits journaux pour rire.

Qu’est-ce qu’il attend pour me fesser dans la resserre ? Il ne voit donc pas que je ne demande que cela ? Mes yeux pourtant doivent bien avoir l’air de le lui dire…

Ils lui crient, mes yeux : mais prends-moi donc !

Prends-moi donc, bougre de tourte ! D’un bras, attire-moi dans la serre… De l’autre, pousse la porte et, tout de suite après, relève-moi ma blouse ! En dessous, tu sais bien que je n’ai que cela sur ma culotte. Tu la connais, ma culotte ? Déculotte-moi, ne te gêne pas. C’est ce que je veux : je te les donne, mes fesses, pour que tu les claques. Ce n’est pas moi qui crierai au scandale. D’abord quand j’ai dit à maman qu’on fessait les arpètes à l’atelier, elle m’a répondu qu’on avait bien raison. Va donc : il est quatre heures, le personnel vient de sortir pour le casse-croûte. Ce n’est même pas la peine de fermer la porte, tu peux claquer à ton aise, personne n’entendra. Et puis quand même quelqu’un viendrait et le verrait, tu sais bien que cela ne ferait rien. Vas-y donc alors, fesse-moi ! Elles sont belles, mes fesses, tu ne trouves pas ? Elles sont dures, toujours, comme quand j’étais gosse, mais j’en ai bien plus : en un an, elles ont poussé, c’est épatant ! J’en ai une belle paire ! qu’attends-tu ? Des fois, tu me les pelotes, déjà un petit peu, vas-y, prends ton temps !…

Oh ! la sinistre pochetée ! Il n’a rien compris !

Zut ! faudra ce soir, que j’aie à tout prix une fessée de maman. J’en ai trop envie. Mais je penserai à lui.

Elle, au moins, elle m’en donnera une bonne. Avec ma frangine Clara, on s’en fiche l’une à l’autre ; mais, ce n’est pas celles-là qu’il me faut. J’en veux des bonnes, à présent…

Oh ! que j’aime cela ! que j’aime cela !

Où trouverai-je quelqu’un, autre que maman, qui me comprenne et qui soit à la hauteur de mes désirs violents ? Sera-ce un homme ? sera-ce une femme ? Les hommes ne savent donc pas cela, qu’il leur faut de bonnes fessées, aux filles en chaleur ? Oh ! ce contremaître, quelle andouille !

Alors, ce sera une femme ? Oui, elles, au moins savent cela, fesser les filles comme il faut ! À preuve, maman. À preuve, Mademoiselle Roussin.

Huit jours, quinze jours se passent… Ô bonheur, j’ai trouvé !

C’est au bal que je l’ai trouvée, celle que je cherchais.

Dans un petit bal musette, rue de Crimée. J’y vais avec mes deux sœurs. Maman ne veut pas, mais tant pis. Cela nous vaut des fessées, tant mieux. On en est quittes pour serrer les fesses.

J’y fais connaissance de plusieurs poules. Je fuis les hommes, je me contente de danser avec eux ; mais, ensuite, je les laisse tomber. J’accepte une grenadine, c’est tout : bonsoir !

Il y a de jolies filles, dans mon genre, qui ne s’en laissent pas conter non plus. C’est surtout entre nous que nous dansons. D’abord, elles tanguent mieux. Avec elles, c’est une caresse qui me grise, de tanguer, Et puis, elles sentent bon.

Et l’on cause. On se retrouve. Il y en a trois avec qui je sors, le dimanche d’après.

On va à Romainville, aux Lilas. Sur les trois, il y en a deux déjà de qui je sais qu’elles ne comprennent rien, mais rien du tout, à mes insinuations. J’ai beau leur tendre la perche, elle ne la saisissent pas. En vain, je fais la gosse, je les provoque, pour leur suggérer de me fesser je leur claque le derrière, par dessus la jupe.

C’est en pure perte avec ces deux cruches.

Mais l’autre, la troisième, marche…

Cela me suffit. C’est elle qui cueille ma rose.

Elle a vingt ans. Elle est fleuriste. C’est une belle fille, châtain foncé. Un teint : une merveille ! Elle travaille dans le centre, mais elle demeure de l’autre côté des buttes, rue des Annelets. Je la connaissais de vue, je la trouvais jolie. Je ne me doutais pas que ce serait ma première conquête, quand je la voyais passer devant moi, rue Manin, et que j’admirais sa démarche cadencée. Elle a des jambes superbes, dans mon genre.

On avait causé, vous ai-je dit. C’est moi qui ai parlé de fessées, la première. Vrai, je suis bien tombée. Elle aime fesser. Ses copines, elle en fesse plus d’une, la coquine !

Mais elle demeure chez ses parents, ce n’est pas commode. Alors, on trouve une combine. Elle a une amie à Bagnolet.

Le dimanche, on part le matin. C’est elle qui régale. On déjeune chez un bistro et, à une heure, on est chez son amie qui, gentiment, nous prête sa chambre et s’éclipse. Des fois, elle n’est pas là et nous laisse sa clef chez la concierge.

Nous refaisons cette partie tous les dimanches, pendant six semaines. On est folles l’une de l’autre.

Elle a vingt ans, je l’ai dit. Elle s’envole de chez ses parents. Elle en avait l’âge : qu’aurait-elle fait en y restant ? Épouser un ouvrier, un malheureux comme elle ?

Vous n’y pensez pas ? Elle, si jolie ? Elle accepte les propositions d’un monsieur chic. C’est pour moi, ce qu’elle en fait. Elle dit adieu aux fleurs et plumes : la voici dans ses meubles.

Alors, c’est facile de nous réunir. Je suis heureuse, heureuse. Nous nous aimons !

Deux ans après, je la rejoins. J’ai seize ans et demi, j’en parais dix-neuf ou vingt.

Et voilà, en gros, mon passé.

Des aventures, j’en ai eu, toujours les mêmes ou à peu près. Nous nous sommes aimées trois ans, et puis une rivalité nous a séparées. Des bêtises ! Allez, je suis sûre qu’elle pense à moi !

Et j’ai un ami, je le quitte pour en prendre un autre, et toujours comme cela. C’est l’éternelle histoire de toutes les poules.

Maintenant, me voilà avec Camille. Combien cela durera-t-il ? Longtemps, peut-être ? oui, je veux le croire.

C’est qu’elle est tellement rosse, la mâtine ! Mais, elle fesse à la perfection.

Et puis, ce qui est drôle chez elle, c’est qu’elle n’aime pas être fessée. Oh ! pas du tout, alors. Il y a en qui cumulent : c’est même le plus grand nombre. Elle, ce n’est pas son cas.

Non, pas du tout. Je vais vous dire pourquoi. Cela va la faire enrager de savoir que je vous l’ai répété. Elle fume qu’on lui rappelle cela. Elle n’avait qu’à ne pas me le dire, je ne l’aurais jamais su. Quand elle me l’a avoué, c’est après que je lui avais dit que, moi, ma dernière fessée de maman c’est à dix-huit ans et demie que je l’ai reçue. Oui, un jour, je ne sais pas pourquoi, j’avais eu l’idée d’aller la voir. Il y avait plus de deux ans que j’étais partie de chez nous, un beau matin.

Quelle inspiration malencontreuse avais-je là ?

Sitôt entrée, je vois maman pâlir. Mais, elle m’accueille bien, nous nous embrassons. Même, la voilà qui pleure de grosses larmes, qu’elle ne pense pas à essuyer.

Je lui raconte mon histoire :

J’étais heureuse, ayant un bon ami que m’avait fait connaître Louise et qui me donnait tout ce que je voulais.

Et des fessées, oui, par dessus le marché ; cela, je le garde pour moi, je n’entre pas dans ces détails qui ne la regardent pas.

Elle me laissait aller. Elle paraissait contente. Je me disais : cela va, cela se passe mieux que je ne l’espérais.

Et je continuais.

Quand j’ai eu fini, je m’arrête. Elle se lève, elle sert des petits verres. Trois, et la bouteille de Raspail. Je ris : c’est donc toujours cela qu’elle aime ? Je lui en apporterai. Avec une belle pipe d’écume pour papa. Mon ami en est fabricant.

Mais pourquoi, trois petits verres ? me dis-je. Nous ne sommes que deux.

Elle s’absente une minute, revient avec la mère Emeri Toujours la même, elle n’a pas changé, la mère Emeri.

On cause gentiment, je dévide mes petites histoires, que je recommence. Je leur parle de mon bien-être, de mon intérieur, de mon lit de cuivre, de mon mobilier de Mapple. J’ai un piano. Je n’en joue pas, c’est pour garnir. Cela fait riche.

Maman ne disait rien. J’avais fini pour le moment, la voilà qui se lève :

— Mais, ce n’est pas tout ça… À nous deux, à présent…

Et la voilà qui me saute sur le poil, comme autrefois, comme quatre ans auparavant. Elle m’attrape de la même façon et, avec moi dans ses bras, bien agrippée, elle se rassied, m’étend sur ses genoux, retrousse ma robe en surah de chez Paquin, comme elle retroussait jadis ma petite jupe de coton à treize sous le mètre, et me déculotte en cinq secs…

Et alors, mon pantalon de quinze louis rabattu, je reçois une fessée, mais une fessée !… je croyais que chaque claque m’enlevait la peau de la fesse sur laquelle c’était tombé.

Et cela dure longtemps… tellement que moi, pour le coup, je chialais, je chialais et je gueulais, je gueulais !

Et la mère Emeri rigolait, rigolait, et maman claquait, claquait, jusqu’à ce que ce soit assez, à son idée. Alors, elle me plante sur mes pieds, me met dans la main mon toquet en lophophore de chez Lewis, que j’avais enlevé pour le leur montrer, et, ouvrant la porte, me pousse sur le carré d’un grand coup de pied quelque part.

— Allons, ouste ! et que je ne te revoie plus, salope ! choléra ! fumier !

Et tout le long de l’escalier que je descends en vitesse depuis son cinquième, j’entends les portes qui s’ouvrent et les voisines, dont la plupart ont entendu l’éclat de ma fessée, approuvent avec ensemble la potée d’horreurs qui, accompagnant ma déroute, me dégoulinent sur la cafetière, par-dessus la rampe.

Eh bien ! avec elle, Camille, la chose ne s’est sûrement pas passée comme cela, parce que sa famille appartient au monde distingué, mais voici ce qui lui est arrivé quand même, à Mamzelle Camille, qui aime tant fesser les autres, mais qui ne veut rien savoir quand on lui rend cela, même moitié moins fort…

Elle prétend qu’elle n’en a plus reçu, après onze ans, des fessées ?

Eh bien ! elle a du toupet ! elle en a eu une, d’abord à seize ans, devant Madame Henry, pour avoir été rencontrée avec un jeune homme. Elle en a eu encore une autre, à dix-neuf ans.

Pour la même raison. Mais, ce n’était pas avec le même jeune homme. Voilà la seule différence.

À dix-neuf ans, vous entendez ? à dix-neuf ans ! Et c’étaient, l’une et l’autre, des fessées tout ce qu’il y a de mieux, à ce qu’elle m’a dit elle-même.

Répétez-le lui, que je vous l’ai dit, vous verrez ce que vous la mettrez à feu !

Et la dernière fois surtout, elle ne l’avait pas volée.

Elle en resta marquée un mois !… Un mois !

Elle venait de perdre sa fleur d’oranger. Oui, à dix-neuf ans. Mais, elle, du fait d’un monsieur. Sa mère l’avait su par une amie qui, l’ayant rencontrée sortant de chez le type, était venue le lui dire. Elle l’avait rencontrée sur le palier où demeurait justement quelqu’un de connaissance. Et ma Camille fut forcée d’avouer. Il y avait un mois que cela durait. Deux fois par semaine.

Du reste, avec Madame Henry, sa mère l’ayant passée à la visite, impossible de nier.

Avec ses idées, elle ne pouvait pas lui pardonner cela, sa mère. Elle était dans une fureur ! elle l’aurait tuée ! Madame Henry dut la lui arracher des mains… En sang, vous entendez, en sang !

Elle la claquait avec une telle rage que la peau de chaque fesse était coupée en plusieurs endroits ! Le sang giclait ! et sa mère claquait, claquait quand même !

Si avec ses frères les fesses leur fumaient, avec elle, quelle fessée c’était, de meilleure qualité encore !

J’ai vu, vous savez où, des déchirures pareilles, produites rien qu’à la main, sans verge, ni rien d’autre. C’est curieux à voir, ces coupures, longues d’un centimètre, et nettes, comme faites au canif ! C’est la peau gonflée de sang qui a crevé sous les bouts des doigts. Les ongles n’y sont pour rien. Vous parlez s’il a fallu qu’on claque ! Moi, ce que je vous raconte avoir vu, comme marques de ce genre, les fessées avaient été données par des hommes. Paraît qu’ils étaient costauds. Eh bien, il fallait qu’elle en ait de la poigne, sa petite mère !

Vous jugez de la tête de Camille, à présent, quand on lui en parle, avec son sale caractère ! Quand nous nous chamaillons, je lui rappelle en douce la dernière fessée de sa maman. Cela la met dans une rogne, dans une rogne extraordinaire !

Moi, je ne la plains pas. Vous non plus, dites ?

C’était bien fait, hein ?

Et vous n’êtes pas de mon avis ? franchement ne croyez-vous pas que, de temps en temps, c’en est de comme cela qu’il faudrait à ce petit chameau ?


VIII

RÉPONSE À PLUSIEURS

Un de nos lecteurs de la première heure et qui n’a jamais cessé de nous être fidèle, nous a adressé, il y a quelques mois, une lettre où il nous faisait grief de représenter parfois quelque jeune héroïne d’un de nos contes comme douée, en un âge bien tendre, d’une force physique la rendant capable de hauts faits bien invraisemblables.

Il nous en citait trois, particulièrement.

D’abord, la « Costaude », dans « Qui aime bien. »

Nous allons répondre à cette première objection.

Rolande, la Costaude, est dite s’exerçant aux sports masculins. Elle pratique la lutte gréco-romaine avec son frère, plus âgé, qui fait de sa puînée une véritable athlète. Elle a quinze ans, elle est petite et trapue. Sa vigueur est telle qu’elle est capable de maîtriser des amies ayant dix-huit ans, vingt ans, et de les fouetter bon gré mal gré. Elle fouette de même sa femme de chambre qui a vingt-huit ans.

Nous répondrons simplement ceci : le fait est peut être invraisemblable ; en tout cas, il est vrai.

Tout ce qu’il y a de plus vrai.

Notre lecteur a-t-il jamais vu dans les cirques de jeunes clownesses de quatorze, quinze ans, qui, dans une équipe de pyramide humaine, étaient de celles que, justement, l’on plaçait à la base ? Et cela n’offre rien de rare. Chose non moins commune, la plupart de ces « costaudes » — nous employons le mot à dessein — répondent au signalement de notre héroïne, petite, courte, trapue. Enfants de professionnels, neuf fois sur dix, on les a exercés trop tôt et il en est résulté souvent un arrêt de développement qui les fait rester de petite taille tout en acquérant une vigueur remarquable. Croyez-vous, nous vous le demandons, croyez-vous que les gaillardes de cette sorte ne seraient pas capables à quinze ans, de corriger comme des enfants, par jeu, des jeunes filles moins entraînées, moins vigoureuses. Dans la haute société, les athlètes ne manquent pas, depuis une vingtaine d’années surtout, et dans tous les domaines sportifs.

Voilà pour une.

Quant à Suzy l’Écuyère qui corrige sa tante, elle n’y a aucun mérite au point de vue sportif car la victime y met plus que de la bonne volonté. Telle sera notre brève réponse à son sujet. Et l’histoire est vraie également. Disons même, une fois pour toutes, que souvent nous écartons des détails authentiques à cause de leur apparence d’exagération. Mais dans le cas de Suzanne, où serait l’exagération, je vous prie ? L’événement n’a-t-il pas été amené par sa tante et la nièce n’est-elle pas strictement son élève ?

Pour Paulette, alors, nous déclarons ne rien comprendre à l’objection. Nous avons écrit, en plusieurs endroits, que Rosa la laisse agir à sa guise. C’est une gaillarde et elle est indiquée formellement comme bien plus vigoureuse que Paulette, adolescente. Elle aussi y met donc de la bonne volonté ? Mon Dieu oui et nous croyons ne pas avoir dit autre chose.

De même qu’avec Madame Dulaure : celle-ci aussi en déborde, de bonne volonté, et l’on nous rendra cette justice d’avoir allumé notre lanterne, plutôt deux fois qu’une.

Un mot encore :

Deux lecteurs nous ont écrit, de concert, une lettre qu’ils signent de leurs deux pseudonymes réunis. C’est pour nous dire qu’à leur avis ils voient beaucoup, beaucoup de flagellantes dans nos livres !

Et, dans la vie réelle, il n’en est pas ainsi : ils n’en rencontrent pas autant — ce que, sincèrement, ils déplorent, d’ailleurs.

Voici notre réponse :

Les jolies femmes que nous leur présentons sont des flagellantes. Certes, et, la plupart du temps, de pures professionnelles. Si nos livres les montrent s’occupant d’une question qui doit les intéresser, et si c’est surtout ces flagellantes-là que nos livres recherchent, est-ce plus étonnant que de trouver uniquement des théorèmes de géométrie dans des ouvrages consacrés à la géométrie ? Nous concédons volontiers à ces deux lecteurs que, dans la vie de tous les jours, on ne parle pas constamment d’angles, de triangles, ainsi que le font pourtant ces ouvrages, pour lesquels, même, cela constitue une véritable obsession, le mot n’est pas trop fort !

N’insistons pas. Soyons sérieux, Et, élevant un peu le débat maintenant, abordons un autre point qui est peut-être celui sur lequel on serait mieux fondé à nous adresser des critiques.

C’est celui-ci :

Nous mettons en scène quelquefois des femmes douées de tempérament excessif, des femmes d’une énergie extraordinaire : Paulette, entre autres, Suzy, etc. etc.

Nous avouons que ces deux-là n’ont pas froid aux yeux. Paulette surtout[1].

Mais, pour elles, comme pour tant de leurs émules, nous n’avons rien inventé et nous n’imputons à leur actif que ce qu’elles ont réalisé. Nous dirons même qu’elles seraient capables de faire davantage. À l’opposé de l’Ancien, ce n’est pas nous qui dirons jamais après lui : j’en raconte plus que je n’en crois. Jamais, nous n’adopterons pour divise la plate excuse de Quinte-Curce : Plura transcribo quam credo, derrière laquelle plus d’un conteur de nos jours pourrait abriter l’audace de ses récits douteux.

Pour que notre réserve prudente soit enfin appréciée, sinon reconnue, apportons quelques faits d’une authenticité consacrée officiellement. Ouvrons les livres scientifiques et voyons si les excès passionnels que nous y verrons relatés ne dépasseront pas les hauts faits de nos héroïnes.

Ah ! mes pauvrettes ! Ah ! Paulette, Suzy et vos sœurs, combien vous allez désormais nous paraître pâlottes et insignifiantes, bonnes tout au plus maintenant à prendre figure sur d’édifiantes images, sur de benoîtes cartes-postales, telles qu’en étalent les devantures bien pensantes, aux alentours de Saint-Sulpice !

À tout Seigneur, tout honneur ! Ce sera, si vous le voulez bien, chez C. Lombroso, que nous ferons notre première incursion.

Ouvrons son livre : La Femme criminelle et la Prostituée, écrit en collaboration avec G. Ferrero.

Voici ce que nous trouvons, page 465, au chapitre IV, intitulé : Criminelles-nées.

Nous en avons un exemple typique dans Mlle Bell-Star, ce chef de brigands qui était, il y a peu d’années encore, la terreur du Texas : elle avait reçu une éducation des plus aptes à développer ses qualités naturelles. Fille d’un chef de guerriers du parti Sud, dans la guerre de 1861-65, elle passa sa jeunesse au milieu des horreurs de ce légitime brigandage. À dix ans, elle maniait déjà le revolver, la carabine et le bowie-knife, de manière à enthousiasmer ses féroces compagnons. Forte et audacieuse comme un homme, son plus grand bonheur était de monter les chevaux indomptés des plus solides cavaliers de sa bande. Un jour, à Oakland, elle fut deux fois vainqueur aux courses : une fois, vêtue en homme et une autre fois en femme, au moyen d’un rapide travestissement, sans que personne eût reconnu en elle la même personne. Très luxurieuse, elle eut toujours plusieurs amants à la fois ; l’amant officiel devait être le plus intrépide et le plus audacieux de la bande, il était destitué à la première lâcheté ; elle le dominait complètement et se permettait de nombreuses distractions.

Elle avait, écrit de Varigny, autant d’amants que de desperados et d’outlaws répartis entre le Texas, le Kansas, le Nebraska et la Nevada. Très audacieuse, dès dix ans elle guida une bande de féroces brigands que par la supériorité de son intelligence, son courage et par la gentillesse de ses manières féminines, elle dominait absolument. Avec cette bande, elle accomplit les plus téméraires rapines près des villes les plus peuplées, assaillant les troupes gouvernementales, entrant, seule, vêtue en homme — c’était en général son costume — dans les villages, en plein jour, assistant à quelque vol stupéfiant, à main armée. Une fois elle alla jusqu’à coucher dans un hôtel, dans la même chambre que le shérif de l’endroit qui ne s’aperçut pas que son compagnon était une femme. À table, il s’était vanté de la reconnaître et de la faire arrêter si elle lui tombait sous la main. Le matin suivant, elle monta à cheval, le fit appeler et lui dévoila qui elle était, le traita d’imbécile et, lui cinglant le visage de deux coups de cravache, elle s’enfuit. Elle écrivit ses mémoires. Son plus grand désir était, disait-elle, de mourir chaussée de ses bottes. Elle fut satisfaite, elle mourut dans un combat contre les soldats du gouvernement, commandant le feu jusqu’à son dernier soupir.

On croit rêver, ou, tout au moins lire le scénario d’un film dont l’auteur ne se serait en rien soucié de la vraisemblance !

Ne nous arrêtons pas pourtant et tournons la page.

Voici ce que nous lisons, page 486, de ce même livre de C. Lombroso et G. Ferrero, la Femme criminelle et la prostituée, toujours au même chapitre : la Criminelle-née.

Un autre brigand en jupon, très semblable à Bell-Star, fut Zélie. Française de naissance, douée d’une grande intelligence, connaissant parfaitement trois langues, ayant par son esprit, un extraordinaire pouvoir de séduction, elle se montra, dès l’enfance, d’un caractère perfide et très portée aux plaisirs sexuels.

Entraînée par des aventures romanesques au milieu de brigands de l’Amérique de Nord, elle en devint le chef. Le regard fier et courageux, le revolver au poing, elle affrontait, la première, tous les dangers et se jetait entre ses compagnons qui en venaient aux mains, les obligeant à mettre bas les armes. Elle franchissait en riant les abîmes des montagnes devant lesquels tremblaient les autres. Son courage ne l’abandonnait jamais, ni au milieu des épidémies, ni dans les tremblements de terre, ni dans les batailles. Elle mourut dans un asile de la France, avec de très graves symptômes d’hystérisme.

Cette fois encore, n’étions-nous pas en plein cinéma ?

Mais, dira-t-on, ces faits, se sont passés en Amérique, où tout est hors mesure !

En France, quoiqu’on n’y ait jamais vu, en ce genre, rien d’absolument équivalent, quelques types de femmes sont pourtant à rapprocher de ces deux là. Bien entendu, dans des proportions un peu réduites, à la taille des êtres et des choses de notre vieux monde, qui est autant inférieure à la taille de ceux de là-bas que le sont nos minuscules taupinières à côté de leurs gratte-ciels.

Nous avons eu, nous aussi, des femmes chefs de bandes. Il n’y a pas longtemps, il n’y a que quelques mois, qu’une femme vêtue en homme fut arrêtée, au cours d’une expédition nocturne qu’elle dirigeait, qu’elle commandait en personne. Plusieurs hommes sous ses ordres lui obéissaient comme ils auraient obéi à un Gamahut ou à un autre de ces sinistres héros dont le nom est resté dans la mémoire des Parisiens.

Des femmes ne sont pas rares exerçant la profession de souteneurs, c’est à dire en exploitant d’autres femmes qu’elles dominent parfois par la terreur, à l’instar d’aquatiques messieurs.

Il y a peu d’années, dans une rafle opérée sur les boulevards extérieurs, un certain nombre de filles, déambulant sous l’œil de leurs chevaliers, furent, par les agents, arrêtées avec leurs Alphonses attitrés.

Parmi ceux-ci, figurait une femme, vêtue d’un complet veston, coiffée d’un chapeau melon, avec sur l’oreille, la cigarette classique. Elle était, l’enquête le démontra, émérite flagellatrice.

Voici d’ailleurs, une coupure de journal remontant à la fin de mai 1923, que nous reproduisons intégralement.

Le titre en était : Condamnée à mort, puis acquittée, la « Tigresse » joue du couteau.

Marie-Jeanne L., surnommée « la Tigresse de la Chapelle », n’est point une femme ordinaire. On peut même dire, au masculin, que c’est un « type ».

Jeanne L., née à Saint-Denis, le 26 mai 1890, déteste les hommes « qui se font nourrir par les femmes ».

Ce n’est point certes, que cette fille cruelle professe, pour la morale, un respect sans bornes. Elle l’ignore même et ne s’en cache pas. Mais les hommes « qui se font entretenir par les filles » ne sont pour elles que des rivaux.

Les compagnes qu’elle choisit travaillent pour Jeanne L., proxénète et souteneur. Et les souteneurs mâles de la Chapelle la redoutent, parce qu’elle sait jouer du couteau mieux qu’aucun ce ces bretteurs du trottoir.

Si, d’aventure, quelque pierreuse naïve devient l’amie de Jeanne L., elle trouve chez elle, dans la journée, un abri sûr, mais elle doit, chaque nuit, travailler dans les rues noires, et rapporter « à la maison » le produit du triste commerce qu’elle fait de son corps.

En 1919, une jeune femme, Marie L., lasse de subir la tyrannie et les caprices de la Tigresse, se révolta, résolut de s’enfuir.

— Tu n’iras pas loin ! s’écria la mégère.

Et elle lui planta son couteau dans le ventre. Marie Lefèvre en mourut.

Alors la Tigresse s’enfuit. On la rechercha vainement. Elle fut jugée par contumace et condamnée à mort.

Cela se passait en 1920. Jeanne L. ne se cachait point en une retraite bien éloignée. Elle filait des jours heureux dans un joli pavillon de La Varenne-Saint-Hilaire en compagnie d’une autre jeune femme, Hélène M., née à Paris, le 24 septembre 1895. Celle-ci gagnait beaucoup d’argent. Elle possédait même quelques meubles. La Tigresse en usait et vivait dans la quiétude et l’opulence.

Un jour, les inspecteurs retrouvèrent sa trace. Elle fut conduite, ayant les poignets ceints de ces bracelets qu’on appelle menottes, au Quai des Orfèvres. Traduite devant les Assises de la Seine, le 20 mai 1920, elle se défendit si bien que le jury l’acquitta : son crime n’était point assez prouvé.

Libre, Jeanne L., revint habiter avec son ancienne compagne, Hélène M, et il advint qu’un soir cette dernière fut conduite à l’hôpital, frappée à son tour d’un coup de couteau. La pauvre fille terrorisée, n’osa point dénoncer la Tigresse. Celle-ci eût même l’audace de la venir voir, étendue sur son lit blanc, parmi d’autres malades. Un jour, profitant de ce que la malheureuse dormait, elle lui vola sa fourrure et ses bijoux ; puis elle s’en fut à La Varenne et déménagea ses meubles !

Les inspecteurs E. et T. viennent de la découvrir, 9, impasse Molin ; elle s’était réfugiée, comme une sage jeune fille, chez sa mère.

Elle a été mise à la disposition de M. Frank, qui avait été chargé d’instruire sa première affaire.

L’exemple nous semble d’autant plus concluant que le cas ne s’est pas présenté uniquement à Paris. Il a été observé en Allemagne notamment. Des femmes travesties en hommes faisaient marcher au doigt et à l’œil des hétaïres berlinoises, éprises de leur force physique et de leur ascendant moral, si l’on nous permet cet adjectif.

Du reste, en Allemagne, il semble, comme en Autriche, que se trouvent particulièrement ces femmes, sortant de la retenue inhérente à leurs congénères.

Dans les livres du docteur R. Von Krafft-Ebing, professeur de psychiatrie et de neuro-pathologie à l’Université de Vienne, nous voyons, parmi plusieurs autres, l’exemple impressionnant d’un bien étrange personnage, le pseudo comte Sandor, qui occupe une suite de pages extrêmement documentées dans son magistral ouvrage : Psychopathia sexualis, étude médico-légale.

Ce soit-disant comte Sandor était en réalité une femme. Habillée de vêtements masculins, elle eut de multiples aventures, suscitant partout sur son passage, des passions folles chez d’autres femmes, parfaitement fixées, elles, sur son identité véritable.

Elle eut de nombreuses liaisons, et même se maria bel et bien, avec une jeune fille de la haute aristocratie. Elle-même d’ailleurs appartenait à ce milieu par sa naissance et par sa brillante éducation.

Son histoire constitue une odyssée fournie d’événements tragi-comiques dont l’épilogue fut malheureusement d’ordre judiciaire.

Le comte Sandor, tant aimé des belles, était une petite brune, peu jolie, masculine de formes, aux hanches étroites et aux seins quasi-inexistants.

Nous pourrions citer bien d’autres faits semblables authentiqués par l’observation scientifique, mais nous ne voulons pas prolonger davantage ce plaidoyer pro domo ou plutôt, ce plaidoyer pour nos héroïnes qui, à certains lecteurs, paraissaient être des créations de notre imagination.

Combien véniels à présent vont paraître les excès de ces innocentes enfants et avec quelle indulgence seront lues, désormais leurs naïves amusettes dont, purement et simplement, nous allons reprendre le récit, interrompu bien malgré nous.

Et, quant à vous Mademoiselle B. S. J. qui nous écriviez de Biarritz que des gaillardes déterminées ne peuvent, hélas ! se trouver que dans des livres, qu’en dites-vous maintenant et qu’attendez-vous, pour faire amende honorable ? Qu’attendez-vous, jeune fille de peu de foi, jeune fille qui signiez : une curieuse qui a beaucoup lu, mais qui, hélas ! n’ayant rien vu, est un peu incrédule ?

Votre petite photo découpée, en costume de plage, vous révèle, l’indiscrète, charmante vraiment, vue de dos, la tête tournée, ne montrant que vos cheveux courts, châtains ou blonds, mais, heureusement, cette photo est plus explicite sur votre plastique irréprochable.

Ne l’avez-vous pas rencontrée depuis lors, celle que vous réclamiez cet été ? Moins hardie que Georgette V. V. qui (lettre III, publiée dans Suzanne Écuyère), exposait avec tant de franchise une ardente envie analogue à la vôtre, vous n’osiez, vous, outre-passer l’initiale de l’objet de vos désirs, vous souhaitiez rencontrer une amie « experte à donner la f. ». Sans peine, vous l’avez dû trouver, et dans votre entourage ? Faite comme vous l’êtes, quelle jeune fille, en effet, ne satisferait aisément sa curiosité sur ce point et ne vérifierait la vérité de la parole évangélique : Qui petit accipit et qui quærit invenit. (Saint Mathieu, chap. VII, verset viii). Quiconque demande reçoit et qui cherche trouve.


IX

LA COUSINE JANE

Age : vingt ans. Taille : un mètre soixante-quatre, sans les talons. Cheveux : châtains bruns. Visage ovale. Teint blanc. Yeux bleus. Nez droit. Bouche petite. Dents idéales. Menton court et rond.

Ceci dit, et en garantissant l’exactitude absolue de son signalement, nous donnons, sans plus tarder, la parole à Mademoiselle Francine.

— Je ne blague pas : quand j’étais môme, tout le monde me trouvait laide. Et l’on n’avait pas tort. Ça, c’est drôle. Ce qu’on peut changer, tout de même !

J’étais blonde. Comme les blés, c’est le cas de le dire, à dix ans, à douze encore. Oui, d’un jaune paille, mes tifs. Mais, à seize à dix-sept, le ton devenait merveilleux, doré. Et, tout d’un coup, alors, je me suis mise à foncer, à brunir et, maintenant, il n’y a pas à dire, je suis brune. Ce qui aurait dû m’avertir de ce changement, c’est que vers douze, treize ans, ma puberté, foncée ne s’assortissait guère au blond de mes cheveux. Ça, c’est un signe.

Si je voulais, je me les passerais, les cheveux, à l’eau oxygénée. Mais, j’ai horreur de ce qui n’est pas naturel. Corset, ceinture, je ne connais rien de tout cela. Et vous voyez que je me farde à peine, à peine. Juste ce qu’il faut. Tenez : mes lèvres, elles sont cerises, d’elles-mêmes. C’est très rare, vous savez. En connaissez-vous beaucoup qui en pourraient dire autant ?

Papa était Parisien, employé à la Banque. Tout ce qu’il y a de plus Parisien. Maman, elle, de Nantes ; mais, arrivée ici à dix ans.

Nous habitions rue Coquillière. À l’école, dans le deuxième, pas de fessées. Chez mes parents, non plus, jamais par papa. Pas une. Maman m’en a donné quelques-unes, bien sûr. Mais les dernières, à onze ans, douze ans peut-être. Oui, à douze ans, je peux préciser. Mais, pas souvent, neuf ou dix, la dernière année. Donc, pas de fessées, pour ainsi dire, en comparaison des quilles qui en prennent tant. J’en connais une, en ce moment, c’est pas croyable.

Mais, maman, pas plus que papa, n’en pinçait, c’est bien certain. Je vivais donc dans l’ignorance de la question. Chez moi, le goût prononcé que j’en possède maintenant n’a donc rien d’atavique. Ni rien d’acquis, du fait de l’éducation reçue.

J’avais à peu près douze ans quand une cousine, Madame Hébert, fréquenta notre intérieur. Veuve d’un cousin germain de papa, employé comme lui à la Banque, veuve depuis quatre ans, elle avait une belle situation, dans une grande maison de fleurs et plumes, dans le quartier. Première, à la tête d’un atelier de trente ouvrières plumassières et de huit ou neuf apprenties, elle y gagnait douze mille francs par an. Bientôt, c’en devait être quinze mille. À cette époque, c’était magnifique pour une femme. En 1908, cela valait quatre ou cinq fois plus qu’à présent.

Elle venait d’abord de temps en temps chez nous ; mais voilà qu’elle y vint bien plus souvent ; pour commencer, à peu près une fois par semaine, elle dînait à la maison. Elle apportait toujours quelque chose. Selon la saison, c’était un melon, des fruits épatants ou une bouteille de vin fin, un pâté. Nous allions, à notre tour, dîner chez elle. Quelquefois, mais rarement. Très bien installée, rue Sainte-Anne, au troisième, un petit appartement, bien meublé, un petit nid coquet au possible. Une femme de ménage lui suffisait, car elle prenait un de ses repas, le déjeuner, dans sa maison de fleurs et plumes, et ne faisait que dîner chez elle. Quand elle y dînait ? pas souvent, car, d’ordinaire, c’était au restaurant.

Une belle femme, de trente-quatre ans, à l’époque où j’en avais douze. Grande, brune, assez forte, bien bâtie. Elle respirait la santé et l’on sentait, tout de suite, son habitude de commander, rien qu’à son ton autoritaire, à ses manières. Elle parlait avec assurance et en élevant la voix, habitude prise à l’atelier. Intelligente et décidée, ses façons en imposaient et moi, étant gosse, j’en avais peur terriblement.

Elle causait de tout, en personne fréquentant les théâtres et elle tranchait de tout avec nous, sans doute comme avec les placiers qui souvent l’invitaient à dîner. Maman et même papa étaient bien loin d’avoir son assurance et quand la belle Madame Hébert, la belle Jane venait dîner à la maison, cela me rendait encore plus timide et gauche que d’habitude. Il faut vous dire qu’à douze ans, j’étais grande, grande, et d’une minceur extraordinaire. D’une maigreur extraordinaire, devrais-je dire plutôt. Une vraie perche, avec des bras dont je ne savais que faire. Avec cela, mes cheveux jaunes me désolaient.

Et puis, ma figure ne se décidait pas à se former. J’avais un pauvre petit visage, sans nez presque, de gosse trop grande pour son âge et à qui sa taille démesurée donnait l’air bête. Oh ! mon enfance, ce que je me la rappellerai, ce qu’elle m’a semblé longue ! Mes camarades d’école blaguaient la maigreur de mes abatis, la gaucherie de mes gestes, de tous mes mouvements. Tenez, j’y pense ; c’est sans doute ma maigreur qui empêchait maman d’avoir l’idée de me fesser. Qu’est-ce qu’elle aurait claqué chez moi, je le demande ?

Comme je le voyais bien, que Madame Jane me regardait sans sympathie ! Habituée à vivre tout le temps avec des femmes, des jeunes filles, elle devait me trouver insignifiante et laide. Elle nous en parlait, à table, de ses ouvrières, de ses arpètes si parisiennes et, toutes si délurées, plus dessalées les unes que les autres. Elle me prenait certainement pour une gourde, en me comparant, car elle paraissait étonnée chaque fois que mes parents lui annonçaient quelqu’un de mes succès à l’école, lesquels, d’ailleurs ne lui inspiraient pas, à mon égard, le moindre changement dans ses manières.

Elle nous emmenait au concert de temps en temps, quand on lui donnait une loge de cinq places dont elle nous faisait profiter. Pour les music-halls chics, principalement, et le billet venait de son patron qui fournissait les plumes pour les coiffures et les costumes d’oiseaux des vedettes et de la grande figuration.

Elle me parlait sans aménité. Mon air godiche lui déplaisait visiblement, et comme je le sentais, cela ne mettait de moins en moins en confiance avec elle et m’eût enlevé mon peu d’à-plomb si j’en avais eu le moindrement. Je souffrais de me voir dédaignée de cette belle cousine, qui faisait sur moi tant d’impression et, qu’à l’imitation de mes parents, je regardais comme une femme supérieure sous tous les rapports. Je souffrais de me voir traiter constamment comme une gosse ne présentant aucun intérêt. Sûrement, telle était son opinion à mon sujet et ce qui me le prouvait bien, c’est qu’à chaque instant, quand nous étions toutes les deux, maman occupée de son côté et papa non encore arrivé, elle me parlait de fessées. De fessées, que je méritais, disait-elle, pour me tenir comme cela, le dos rond. Pour me coiffer avec si peu de goût, pour me ronger les ongles ou pour je ne sais quoi encore. À l’entendre, c’est tout le temps que j’en eusse mérité et cela m’eût fait du bien d’être secouée un peu. Elle le disait à maman devant moi et cela me vexait encore davantage. Elle me donnait des tapes sur ma jupe, comme si ses paroles avaient eu besoin du geste pour être claires et elle riait, en se moquant, de me trouver, par là, à ce point dénuée de relief. Elle me demandait, les yeux dans les miens, ce que je faisais donc pour être si maigre que cela. Je rougissais, bien que je fusse innocente, oh ! innocente comme l’enfant qui vient de naître ! malgré mon front boutonneux certains jours, mes cernures sous les yeux et ma contenance de coupable.

C’est vers cet âge-là que je commençai à me former. Cela n’alla pas sans peine et demanda un an, dix-huit mois.

À treize ans et demi, ma bonne constitution prévalut en dépit des apparences. Je pris le dessus, comme l’on dit, et voilà que je me mis à me développer dans un sens enfin favorable à l’esthétique de mon ensemble physique qui laissait tant à désirer.

À quatorze ans, je commençai à engraisser. Je grandissais encore ; mais, ayant presque atteint trop précocement la taille que je mesure actuellement, c’est surtout en grosseur que je progressais, fort heureusement.

Ma figure aussi se modelait, se remplissait. Mes parents s’en apercevaient, mais la plus grande joie que j’en eus moi-même, c’est quand la cousine, un soir, à son arrivée, le déclara et c’en fut, pour moi, comme une consécration officielle.

Abandonnant sa triste enveloppe de chrysalide, le papillon que je devenais, à vue d’œil, allait s’envoler. La belle Jane le proclama, avec son autorité coutumière :

— Mais, elle devient jolie, cette petite. Je ne l’aurais pas cru, tu sais !… Oh ! ma pauvre petite, ce que tu étais moche ! ce que tu étais moche !

En même temps, elle me pelotait sans se gêner, devant maman, devant papa.

— Eh ! eh ! elle engraisse sérieusement ! Voilà son derrière qui pousse… Elle aura des fesses, la mâtine !

Dire assez que je fus heureuse de ses compliments, c’est impossible ! Il me semblait que je naissais. Oui, jusque-là, j’avais été dans je ne sais quel état transitoire qui n’était pas la vie véritable. Je m’évadais de je ne sais quelles limbes où j’étouffais…

Je devins coquette, je fis attention à ma coiffure, à mes mains, à mes dents. Je me soignai ; elle me donnait d’utiles conseils.

Mais, je ne veux pas tout de même entrer dans le détail oiseux de l’achèvement de ma métamorphose. Laissez-moi seulement dire en deux mots qu’à seize ans et demi, j’étais — ou à peu près — ce que je suis aujourd’hui, c’est à dire une jeune personne sur qui l’on se retournait.

C’était fini pour moi de surprendre des sourires de pitié, quand ce n’était pas de moquerie, sur les lèvres des passants. Des passantes, surtout, quand j’allongeais, sous ma jupe écourtée, les fuseaux lamentables qui me tenaient lieu de jambes. Maintenant, j’avais des jambes à montrer, de jolis mollets et la cousine ne pouvait plus me reprocher de manquer de fesses, lorsqu’elle les tapotait, chose dont elle ne se privait pas à chaque visite. Je dois dire que c’était de façon ostensible et toute familière, ainsi que le pouvait se permettre une amie de la famille, une parente m’ayant connue enfant.

Et moi, je l’adorais, cette belle femme qui, à trente-neuf ans maintenant n’en paraissait pas plus de vingt-sept ou vingt-huit, cette belle femme que j’admirais autant pour son déduisant physique que pour son caractère. Cette belle femme, si femme des pieds à la tête, si soignée, si élégante et qui, avec cela, montrait des qualités d’homme, la décision, l’énergie, et donnait vraiment de son sexe une idée flatteuse et réconfortante. Elle était bien la femme de notre temps, apte à jouer le rôle d’un homme, possédant les qualités nécessaires pour diriger un atelier. Diriger un nombreux atelier de femmes, croyez-vous que c’est une tâche aisée ? Songez quelles qualités il faut totaliser pour remplir une tâche aussi complexe, alors qu’épiée par chacune des trente ouvrières prêtes à profiter d’un instant de relâchement, il les faut diriger, commander autant pour le bien des intérêts de la maison que pour leur bien à elles toutes, en tenant compte de leurs rivalités, de leurs jalousies en dépit desquelles ces femmes n’en sont pas moins, le plus souvent, disposées à se coaliser contre l’autorité qu’elles subissent en rongeant leur frein !

Ce qu’elle nous racontait de son atelier n’avait pas engagé mes parents à m’y laisser entrer. Malgré ses invitations et la certitude de me savoir auprès d’elle protégée, défendue par sa vigilance, papa autant que maman, craignant pour leur fifille les promiscuités de l’atelier, avaient préféré faire de moi une fonctionnaire. Je préparais les examens de la Banque. En sa qualité de rond-de-cuir, mon père rêvait d’une fille employée également et à la Banque je ne serais pas la seule rejoignant son père, si l’on peut dire, dans un service plus ou moins séparé.

C’était convenu. Madame Jane n’avait pas insisté et, de voir écartées ses offres bienveillantes à mon sujet, cela n’altérait en rien ses bons rapports avec nous et l’affection qu’elle me témoignait, plus chaleureuse de jour en jour.

J’étais positivement comme sa fille ou plutôt comme sa sœur, car elle avait l’air si jeune que la grande jeune fille de dix-sept ans soudain éclose ne semblait séparée que par quelques années de la femme de trente-neuf ans qu’elle était réellement. J’aurais défié n’importe qui de lui donner trente-neuf ans. Habillée toujours avec goût, en suivant de près la mode, sa jeunesse d’allures se retrouvait dans sa voix, dans son regard et dans tout son visage et quand nous sortions on m’eût pris, à son bras, pour sa sœur un peu plus jeune, si mes cheveux, alors blonds dorés, n’eussent été si différents des siens, noirs aux reflets bleus. Mais cette opposition de coloration et celle du teint affirmait le choix judicieux que deux bonnes amies intelligentes élisaient l’une de l’autre pour se faire valoir chacune en s’associant, disparates, et j’étais fière que l’on nous prît pour telles.

C’est d’ailleurs ainsi qu’elle m’appelait. Sa petite amie, sa chère amie, sa préférée, et je me trouvais heureuse qu’elle me le répétât.

Elle me le prouvait par ses attentions, ses cadeaux, d’abord menus, puis plus importants. C’étaient, disait-elle, des échantillons que lui remettaient des représentants : chaque fois qu’elle venait, un parfum, quelque bibelot de toilette. Elle s’ingéniait à m’être agréable et, chaque fois, je lui rendais ses baisers avec une effusion, plus sincère, toujours.

J’étais innocente, je l’ai dit. Mais, cela ne fait rien, il y a des choses qu’on n’a pas à apprendre. On les devine. Que dis-je ? on les devine ?… On les sait.

Donc, je le voyais bien, ma belle cousine me faisait la cour, c’était clair. Pourquoi cela m’eût-il déplu ? pourquoi l’aurais-je découragée ?

Au contraire, je trouvais cela charmant, ses petites attentions, ses caresses si tendres dans leur discrétion, ses baisers dans le cou, derrière l’oreille, dont je frissonnais toute, les pressions de ses mains, emprisonnant les miennes, ou se coulant à ma taille, montant à mes jeunes seins, si douces, puis descendant le long de mes hanches, se posant sur mes reins, sur mes fesses qui devenaient belles et dont, à présent, ne se pouvait plus déplorer l’indigence.

Ses baisers dans le cou et surtout ceux derrière l’oreille me ravissaient et ce sont eux qui éveillèrent mes sens peu précoces. Après son départ, j’y pensais à ses baisers, j’y pensais dans mon lit…

Ah ! non ! tenez, vous êtes tous les mêmes, vous, les hommes ! Qu’y a-t-il donc là de si drôle, de si curieux pour vous ? Eh bien, oui, j’avoue tout ce que vous voudrez, puisque cela vous fait tant plaisir… Mais, moi, ce n’était pas à la façon que vous croyez. Puisque vous voulez tout savoir, moi, je gardais mes deux mains chastement jointes sur ma poitrine virginale… J’avais trouvé cela toute seule, tout naturellement. Oui, à quinze ans. Parfaitement, à quinze ans. Je vous l’ai dit, j’étais en retard.

Mais, laissez-moi donc continuer, sans m’interrompre. Sans cela, j’arrête net ma confession, car c’en est une Et puis, maintenant, j’aborde le plus intéressant.

Donc, un jeudi de mai, en dînant chez nous, elle dit avoir deux fauteuils pour samedi, pour le Français et deux autres pour les Folies. Au Français, on joue Andromaque, et le Malade Imaginaire. Elle m’y emmènera. Papa et maman iront de leur côté aux Folies. Paraît que le spectacle y est assez risqué, cette fois, et que ce n’est pas très convenable pour les jeunes filles.

Parfait. Les parents marchent et l’approuvent. C’est convenu. Samedi, je dînerai avec elle et l’on ira au théâtre ensemble.

Mais il lui vient une idée. Au sortir du Français, je rentrerai coucher avec elle : le lendemain, dimanche, elle me ramènera pour dîner, tous les quatre, rue Coquillière. Elle apportera une langouste, le régal de papa.

C’est entendu. Dimanche, vers quatre heures, on viendra, elle et moi, les prendre pour l’apéritif.

Le samedi arrive. Je vais la chercher chez elle, elle doit m’emmener au restaurant. Rien que cette perspective de dîner au restaurant me transporte. Pour moi, c’est une fête, la plus belle encore de mon existence.

Quand je sonne à son troisième, rue Sainte-Anne, elle me fait un accueil, mais un accueil que je n’oublierai jamais ! Elle me bécotte toute la figure, elle me mange les lèvres et sa langue, pour la première fois, elle ne se contente pas d’en glisser le petit bout entre mes dents comme toujours, non, c’est tout entière qu’elle la darde en moi et j’en savoure, exquis, le fruit parfumé que c’est pour moi qui n’en connaissais pas encore la saveur. Quelle sensation pour moi que cette intrusion chaude et vivante qui emplit la bouche et s’y prélasse ardemment.

C’est délicieux et, en même temps, debout l’une contre l’autre, de sa main droite qui n’est pas encore gantée, elle me prend les fesses. Je devine le bonheur de cette main à me pétrir et, quand elle me les claque ensuite par dessus ma robe, cela ne m’étonne ni ne me choque.

Mais, il est sept heures. C’est le moment d’aller dîner. Elle me conduit avenue de l’Opéra, au premier d’un restaurant dont elle a l’habitude. On y dîne bien. Il est tôt encore et il n’y a pas grand monde. Ce n’est que quand nous en sommes au dessert que la salle s’emplit. On nous regarde et je suis flattée que l’on nous trouve jolies. Les femmes nous lorgnent. Il en est deux, attablées en face, qui parlent de nous, c’est sûr. L’une d’elles semble sensiblement plus âgée que l’autre. Elles nous examinent avec des sourires complices. Cela m’amuse.

La cousine surprend les regards que l’aînée principalement me fait à moi. Elle prend son air des grands jours, l’air qu’à son atelier elle a, quand tout ne va pas à son idée. J’aime la voir ainsi et, en cet instant, il me plaît plus encore que ce soit à cause de moi.

Nous en sommes au café, elle allume une cigarette anglaise et me tend son étui de nacre. J’en prends une. Je suis contente, oh ! contente ! qu’on me prenne pour une poule avec son amie… Mais ne ***voilà-t-il pas que, sans le faire exprès, j’ai dû fixer la femme d’en face qui me répond, faut croire… Ma cousine fronce le sourcil, la foudroie, puis, sur un ton furieux, me jette :

— Dis donc, toi ?… As-tu fini ?

Je suis stupéfaite… Qu’ai-je donc fait ?

Elle donne le signal du départ, se poudre. Dans l’escalier, elle s’arrête à mi-étage, me conduit au petit endroit. En sortant, elle a des yeux que je ne lui connaissais pas et elle me dit :

— Je ne te conseille pas de recommencer. Et tu verras ça, ce soir…

Qu’est-ce que je verrai ?

Nous sommes au théâtre, à l’orchestre, au cinquième rang. On commence par Andromaque. Albert Lambert a le timbre du fruitier d’en bas de chez nous, c’en est épatant. Aux entr’actes, nous allons au foyer. On nous regarde. Mais, je fais attention, j’observe une attitude irréprochable et ne remarque pas plus les regards des belles dames que ceux des messieurs, c’est tout dire. Ma cousine paraît satisfaite et me parle de sa voix la plus doucement enchanteresse.

Maintenant, c’est le Malade Imaginaire. Cette farce ne m’amuse guère. Privée de la Cérémonie, c’est lugubre. J’ai hâte que cela se termine.

Enfin nous sortons.

Il n’y a que deux pas à faire pour aller chez elle. En moins de dix minutes, l’on y est.

Nous voici dans sa chambre. Sur une petite table, deux verres et une bouteille de Champagne. Nous nous embrassons encore et encore…

Elle n’a rien de son air fâché de la fin du dîner. Elle n’y doit plus penser, me dis-je. Ce souvenir me préoccupait, je l’avoue. Tout à l’heure encore, en montant l’escalier.

Nous nous déshabillons. Oh ! pour dire le vrai, elle me déshabille, après avoir, en quelques secondes, enlevé sa robe jade, lamée d’argent. Elle est en combinaison, avec ses souliers verts incrustés, ses hauts bas gorge-de pigeon à reflets changeants. J’admire ses jambes élancées aux fiers mollets et ses belles cuisses renflées dont la peau ambrée apparaît sous le sabot relevé en rond de sa combinaison. Ses bras pleins, sa gorge grasse sont nus. Dirait-on une femme de cet âge ? Elle a vingt-cinq ans, ma parole !

Mais je n’ai pas le temps de la détailler et de l’admirer à mon aise. Elle me déshabille comme si elle en brûlait d’impatience. Elle m’enlève par en haut ma robe crême à appliques de dentelles noires qui me va si bien. C’est elle qui m’a fait cadeau des dentelles et elle m’a fourni la couturière à qui elle a remis le patron, d’après un modèle de Doucet.

Me voilà, en deux temps, comme elle, mais moi, en culotte, pas en combinaison. Assez courte, ma culotte mais pas tout de même comme maintenant, et s’évasant en bas, avec des festons. Et fendue. Cela se portait encore. Très peu, mais comme c’est maman qui faisait mes pantalons, ayant été lingère, elle gardait encore l’ancienne coupe. Avec mes bas noirs, en soie, si transparents, que la cousine m’a donnés aussi, on voit au travers la peau, sur le cou de pied et en avant, sur le tibia. J’ai des petits souliers noirs vernis, avec une rose de dentelle noire et des talons crême.

À peine m’a-t-elle retiré ma robe que sans perdre une seconde seulement, pour me regarder, elle me prend, m’entraîne…

— Tu te rappelles ce que je t’ai promis ?…

Voilà ce que j’entends et cela se fait si vite que je ne sais où j’en suis, quand tout d’un coup, je me trouve sur elle qui s’est assise, avec moi en travers, et avant que j’aie pu me rendre compte de ce qui m’arrive, je sens que ses deux mains écartent mon pantalon et, ensuite, que l’une de ces mains me maîtrise, tandis que l’autre me cingle et me recingle avec je ne sais quoi qui me pique les fesses comme des cents d’aiguilles…

Et j’entends sa voix rageuse :

— Tiens, je vais t’apprendre… à répondre… aux regards… qu’on te fait…

Et je me sens cinglée de plus belle, bien plus fort, à grands coups serrés qui pleuvent en averse… Je parviens à tourner la tête… c’est avec une verge que, tellement elle fait vite, j’ai peine à distinguer tombant, se relevant…

— Ça t’apprendra… à faire de l’œil… quand tu seras… avec moi… Ça te vaudra… à chaque fois… une fessée… comme celle-là…

Jamais, jamais, je n’avais reçu une fessée avec une verge. Moi, quand maman, jusqu’à douze ans, m’en donnait, c’était avec sa main et cela ne me faisait pas grand mal. Cette verge, elle, me cingle et affreusement maintenant que cela redouble. Je veux crier… elle m’enfonce la figure dans l’édredon, m’appuie sur le dos avec son coude sans cesser de me retenir du même bras, mon poignet gauche retourné presque, tenu dans sa main. Elle me bloque les deux jambes avec une des siennes, j’ai beau faire : immobilisée, je ne puis l’empêcher de continuer. Au contraire, comme surexcitée par la souffrance dont témoignent mes cris étouffés, cela dure, cela dure, interrompu seulement par trois fois, quelques secondes, pour qu’elle écarte comme il faut mon pantalon qui, sans doute, s’est refermé dans les tressautements que peuvent se permettre à grand’peine mes pauvres fesses hachées de cinglures.

Enfin, elle s’arrête…

Que fait-elle ?… Je me retourne. Elle me contemple et dit, pas contente encore du mal qu’elle vient de me faire :

— Si ça n’avait pas été le soir, c’est à la main que je t’aurais corrigée, tu aurais vu ça. Je t’aurais fessée comme mes arpètes. Mais, tu n’y perdras rien, ma petite… Il faut filer droit avec moi : quand ma petite femme se paie ma figure, elle prend la fessée… Et comment !

Moi, je suffoque, j’en pleure de sa cinglée. Elle me retourne comme une crêpe, elle m’ôte mes souliers mes bas, et après, elle me déculotte. Elle m’enlève mon pantalon et elle me remet comme tout à l’heure. Mais, c’est seulement pour me tripoter les fesses, qu’elle tapote ensuite de sa main à plat.

— Tu les as rouges, tes fesses, ça t’apprendra. Mais, ce n’est rien, cette fois… Avec la main, ça vaut mieux… Les vraies fessées, c’est à la main. Et avec moi, tu sais, ça claque. Tu en auras comme ça, des fessées, des bonnes, je te le promets ! Demain, pour commencer !

Elle saute en bas du lit, m’emmène vers l’armoire à glace, me force à les regarder, mes fesses rouges, rouges.

Mais la voilà qui m’embrasse, m’embrasse, et elle me les pelote, à présent.

Et moi, je l’embrasse aussi… et, tout d’un coup, je ne lui en veux pas, de sa fessée, mais je sens que je l’aime cette femme ! Non seulement je ne lui en veux pas de m’avoir fait mal, mais je l’aime, et pour de bon, cette maîtresse-femme que, maintenant, je sais capable de faire comme elle le dit, capable de me fesser comme les gosses de son atelier, moi qui suis déjà une femme, moi qui serai la sienne, oui, la sienne ! C’est chic, c’est crâne, ça a de l’allure, de vous fesser comme ça !

Elle m’a mise nue, des pieds à la tête. Elle me dit adorable, divine, m’enlève dans ses bras, m’emporte sur le lit pour me baiser partout.

Puis, elle se déshabille à son tour. En un rien de temps, la voilà à poil comme moi.

Elle est merveilleuse ! Quels beaux seins ! Elle me les fait tâter, ils sont durs comme des oranges, dont ils ne dépassent pas la grosseur. Son ventre est jeune comme le mien. Mais le triangle dont le sien s’orne en bas est noir, noir comme du jais.

Elle se tourne, me fait voir sa croupe. Elle veut que j’y touche… Un marbre ! Elle en a des fesses !

On reste à s’admirer dans la glace. Elle m’enlace, on prend des poses. Vrai, ce qu’on est bien faites, toutes les deux.

Enfin on se couche.

Elle a laissé en grand la lumière. On a bu du champagne. Plus tard, elle m’en arrosera. Oh ! les idées qu’elle a !… pour le boire ruisselant…

Dans le lit, sous la couverture, on est l’une contre l’autre toutes droites, bien allongées, face à face. Elle est couchée sur le côté gauche, moi sur le droit.

De sa main droite, elle me prend les fesses qu’elle a si bien cinglées, la méchante ! Je l’ai voulu voir : c’est une verge de bruyère. Des myriades de brindilles en parsèment la descente de lit, une peau d’ours blanc. C’est sur mes fesses que la verge s’est émiettée ainsi. Ce qu’il a fallu qu’elle s’acharne ! Oh ! que je l’aime !

Elle en a plusieurs, de verges. De toutes sortes : elle me les montrera. Celle-la, elle l’avait mise à tremper depuis le matin pour l’assouplir.

Comment ! elle savait qu’elle me fesserait ?…

— Oui, de toute façon, tu l’aurais eue, ta fessée, méritée ou non. Ce soir, pas moyen de te claquer. Sans quoi, tu en aurais eu une bonne. Mais, demain, tu verras ça. Les voisins, je les connais, partent le matin, en bicyclette, tous les dimanches : nous serons tranquilles. Je pourrai te les claquer à mon aise, ma gosse, comme il faut qu’on les claque, les fesses de sa petite femme… Mais, oui, il n’y a pas d’amour sans fessée. Tiens, je te les claquerai comme cela, oui, comme cela, mais bien plus fort. On peut déjà tout de même un peu, j’ai écarté le lit du mur.

Et elle m’en donne un aperçu, sous les draps, une bonne fessée dont s’étouffent les claquements. Les draps, la couverture en amortissent l’éclat. Je serre les fesses. C’est délicieux. Tout à l’heure la surprise a fait, sans doute, que les cinglements de la verge m’ont paru difficiles à endurer. Mais il n’en est pas de même des claques. Je les aime, les claques, et plus elle claque fort plus je les veux de cette vigueur, de cette qualité. Il me semble que sa main qui me claque me communique sa passion et m’en enflamme, comme elle. Vous ne me croirez pas, eh bien, c’est ainsi et face à face que j’aime être bien fessée par quelqu’un que j’aime bien, femme ou homme. C’est à cause de cette fessée-là ! c’est en souvenir de cette fessée-là, la première qui m’ait révélé le charme tout-puissant de la fessée, quand c’est une fessée que je sens bien !

Et, pendant ce temps, elle m’embrasse, elle embrasse mes yeux, ma bouche. Sa langue viole encore ma bouche, ses lèvres mangent les miennes et sa main claque, claque mes fesses qui se serrent, heureuses, heureuses. Et je vibre, je vibre délicieusement, infiniment, et tout d’un coup, pour la première fois de ma vie dans les bras d’une femme aimée, pour la première fois en moi un bonheur surhumain jaillit brusquement… Puis, longuement il s’épanche…

Le lendemain, quand je m’éveille, il est neuf heures. La femme de ménage arrivée, me dit Jane, est partie acheter des gâteaux. Ma chérie a pensé que je préférerais des gâteaux à du café au lait. On les mangera au lit.

On entend du bruit de l’autre côté de la cloison. Ce sont les voisins qui s’habillent. On distingue presque ce qu’ils se disent. En retard, ils se dépêchent.

Jane m’explique que son appartement et le leur, sont les deux moitiés d’un grand que l’on a coupé. Les deux chambres à manger sont contiguës.

— Quand mon lit est le long du mur, je les entends faire l’amour. Mais, jamais le samedi, parce que, devant partir en bécane au matin, ils ne veulent pas se fatiguer d’avance. Ils sont gentils, tout jeunes. Il n’y a qu’un an qu’ils sont mariés. La petite femme est mignonne tout plein, une brune, toute petite. Quand elle se pâme, elle crie. Cela me donne des idées dans mon lit quand je suis seule. Trois fois, quatre fois certaines nuits. Jamais plus ; c’est assez, si c’est bien fait.

Oui, je lui ai parlé déjà, les matins où elle descend en même temps que moi. Je ne lui ai pas dit, tu penses, que j’entends tout ce qu’ils font. Il ne la fesse pas ; quelle moule ! Elle serait pourtant bonne à claquer. Pas grosse, mais de jolies jambes, un bon petit cul tout à fait et qui m’amuserait. Je compte bien y arriver, un de ces jours. On ne sait jamais ; il suffit d’une occasion. Une après-midi de samedi où il ne serait pas là. Elle travaille dans un bureau et fait la semaine anglaise. Je la guetterai, on causera, je l’inviterai à entrer. Je crois que le reste irait tout seul. Des fois déjà, elle a entendu des claques que je donnais. Quand je la rencontrais après, elle me regardait. Cela l’intrigue, c’est sûr.

Cela m’amuse, cela me plaît qu’elle parle ainsi, sans se gêner. Je suis fière de son culot. Oh ! je ne suis pas jalouse, non !… Pas encore, mais ce ne devait pas tarder.

Ah ! les voilà qui partent, les voisins. Jane se lève, va fermer la fenêtre. Maintenant, on est tranquilles, je vais y passer.

Holà là ! Quelle fessée elle m’a flanquée ! Ça, c’en est une, alors ! Elle dit que je la prends admirablement. Je comprends que cela les aurait réveillés, les petits voisins ! Ce que ça claquait ! Je l’ai eue, la bonne fessée, je l’ai eue !

C’est à peine fini et de ses dernières claques, de sérieuses gifles, mes fesses palpitent encore quand, à la porte de la chambre un doigt fait toc-toc.

Jane a juste le temps de me lâcher. J’étais couchée sur ses cuisses, comme hier soir, avec cette différence qu’aujourd’hui l’on était nues. Nos chemises, c’est moins que rien ; mais on les avait enlevées.

On se coule dans le plumard vivement. Le drap remonté, elle dit :

— Entrez !

C’est la femme de ménage qui apporte deux assiettes de gâteaux. Ma Jane me sait gourmande. Ce sont des tartes aux fruits, celles que j’adore. Aux pêches, aux abricots, aux fraises.

Aurélie, dont on n’avait pas entendu le retour avec ses emplettes, me paraît dessalée. Elle me reluque en riant de l’œil. Pour ne pas percevoir le retentissement de ma fessée, il aurait fallu qu’elle fût sourde.

Elle était peut-être bien derrière la porte. Sans doute, elle nous zyeutait par le trou de la serrure.

Elle pose les gâteaux sur la petite table, comme si de rien n’était. Ce n’est pas la première fois, probablement, qu’elle en a entendu et vu autant, Aurélie, depuis trois ans au service de l’enragée fesseuse de poules.

Sans rien dire, elle ramasse la verge qui traîne au pied du lit. Elle la place obligeamment sur le couvre-pied, à portée de madame.

La brave Aurélie qui à l’œil — et le bon — en a dû remarquer les débris jonchant la peau d’ours. Et puis, elle est pas mal endommagée, la verge. Il n’en reste guère, elle a servi, c’est visible. Elle est déplumée, il lui en manque des brins à cette verge, hier matin toute neuve et qui par ses soins a trempé tout le jour sur l’ordre de madame. Ce lamentable état de la verge doit lui inspirer bonne opinion de mes fesses, j’imagine.

Aussi, pendant que madame lui parle pour le déjeuner qu’elle descendra commander, chez le traiteur d’en bas, un as, qui vous fignole des menus à la hauteur, elle m’examine et moi, je ris, en mordant dans ma première tarte. Aurélie a quarante ans : n’importe, cela me gêne et je dois être un peu rouge. De figure, veux-je dire ; car des fesses, c’est hors de question.

Elle me trouve jolie, cela, je n’en doute pas ; mais, ses yeux, en clignant, vont de madame à son invitée. Elle a positivement l’air d’approuver la patronne, qui ne s’embête pas d’ordinaire, d’avoir fait un bon choix en ma personne. Peut-être voudrait-elle être à sa place ? elle ne demanderait peut-être pas mieux que de l’imiter et, par le moyen de la fessée, d’inculquer les bonnes manières à la jeunesse ?

Quand, à quatre heures, on arrive rue Coquillière, avec une langouste monstre et une bouteille de Pomard, les auteurs de mes jours s’exclament sur ma mine superbe. Qui ne l’aurait à moins ? Le nécessaire a été fait pour que mon sang circule avec une ardeur inconnue encore. Là se reconnaît, sans contestation possible, l’effet souverain des généreuses fessées que préconise la cousine. Cela enfonce les pilules fameuses que je ne nomme pas. Mieux que ce remède célèbre, cela, pour parler comme la réclame du quotidien, en quatrième page, « stimule les fonctions organiques, de telle sorte que les forces étant continuellement entretenues, la formation s’accomplit sous les meilleurs auspices. La voilà, la plus efficace des cures de l’anémie, de la chlorose, de la neurasthénie, de l’affaiblissement général et des troubles consécutifs. »

Mais, vrai, j’ai eu quelque scrupule à embrasser maman. J’ai rougi, oui, j’ai rougi de poser sur les joues maternelles mes lèvres plus sanguines que jamais…

C’est certain que je suis encore plus jolie aujourd’hui qu’hier. Jane à raison. Mes yeux brillent, mon bonheur rayonne dans l’éclat de mon teint, de mon sourire. Elle a raison, Jane. Si c’est comme cela que l’esprit vient aux filles, c’est comme cela aussi que leur vient la beauté. J’ai été frappée moi-même en constatant dans la glace de Jane l’étrange beauté dont je resplendissais ce matin, après cette nuit d’amour !

Trois semaines se passent. Trois semaines de bonheur parfait. Le samedi, c’est réglé, nous recommençons la petite fête.

Mais le matin du deuxième dimanche, déjà, vers sept heures trois quarts, pour réveiller les voisins, je prends à grand bruit une fessée uniquement manuelle et des plus copieuses, qui doit indéniablement retentir dans le silence dominical.

Et les oreilles d’Aurélie qui vient d’arriver n’en perdent pas un claquement, j’espère. Oui, maintenant, cela m’est égal qu’elle l’entende. Au contraire, j’aime que ma Jane ne se gêne plus. Comme cela, il n’y a pas à dire non, c’est bien moi sa petite femme !

Et la veille, en venant chercher Jane pour aller dîner, la petite voisine, qui sortait, m’a vue sonner. Et elle monte avec nous l’escalier quand nous revenons du théâtre à minuit. En compagnie de son époux, elle sortait du cinéma sans doute, car elle n’était pas en toilette. Alors, ce matin de dimanche, elle doit se douter que c’est bien moi dont avec tant d’entrain on claque les fesses, de l’autre côté de la cloison.

J’en ris encore après qu’elle et son mari partent un peu avant sept heures. C’est grâce à mes fesses qu’ils ont cette avance aujourd’hui.

Je riais ! mais, je ne tardai pas à ne plus rire.

Figurez-vous que le quatrième dimanche chez elle, c’était juste cinq semaines après le premier, car il y avait eu naturellement huit jours de relâche obligée, figurez-vous que Jane m’avait prévenue que Gaby dînerait avec nous, accompagnée de son mari. Elle devait arriver vers trois heures, toute seule. Son mari la rejoindrait, à six heures, en revenant du Parc des Princes où se courait un « six jours ».

Gaby, c’était une plumassière de son atelier, une ancienne arpète de la maison. Je savais par Jane, qui m’en parlait souvent, que c’est elle qui l’avait mariée, il y a six mois, avec un calicot, frère d’un des placiers.

Vingt-deux ans, cette Gaby, un type, à ce qu’il paraît.

À cause d’elle, le programme changeait. Jane avait dîné chez mes parents le samedi et moi, je passais avec elle la journée et la nuit du dimanche.

Elle s’amène à trois heures tapant et, à la façon dont elles s’embrassent, je devine tout de suite que c’était sa petite femme avant moi. Et puis aussi, aux regards que cette Gaby me lance, je vois qu’elle est au courant et qu’elle sait que je lui succède.

Elle m’épluche. Du haut en bas, sous toutes mes faces. Aux yeux qu’elle fait, je comprends qu’elle me trouve plus jolie que Jane n’a dû me dépeindre. Elle enrage.

Elle n’est pas mal. Grande, châtaine, mais malgré sa coquetterie, malgré son faux chic, un air voyou de Parigote des faubourgs. Bien faite, pas de poitrine. Et déhanchée, tortillant le derrière en marchant. Moi, je n’aime pas cela. Du reste, le mauvais genre ne m’a jamais plu. Et je pensais déjà que ce n’est parce qu’une femme a de belles fesses qu’elle les doit tortiller exprès, en marchant d’une certaine façon, dénuée de tout naturel. Mais, elle, comme elle n’avait que cela de très bien, elle attirait l’attention là-dessus en faisant — et au-delà — le nécessaire pour cela.

Elle venait à trois heures, soi-disant pour aider Jane, pour le dîner ; car, je vous l’ai dit, Aurélie ne restait que jusqu’à midi.

Pour se mettre à l’aise, elle ôte sa robe et s’entoure d’un tablier blanc. Vrai, avec son visage vulgaire, elle avait raison de se mettre en bonniche. En-dessous, elle n’avait que sa culotte. Mais, avant de le mettre, ce tablier, elle faisait ses effets de derrière, moulée qu’elle était dans un pantalon fermé, tellement collant que ses deux fesses se dessinaient comme nues. Et d’une mousseline si transparente, que se voyait la couleur de sa peau en plus de la forme des fesses, de leur raie de séparation qui pour l’œil se traçait nette comme si le pantalon eût été de baudruche. Impossible pour une femme de pousser plus loin l’inconvenance, l’impudicité de ses dessous !

Et, elle, c’était une femme mariée ! Fallait que son mari fût un fier imbécile pour lui permettre de sortir avec un pantalon pareil ! Songez qu’à l’atelier, les femmes, les unes devant les autres, se déshabillent pour mettre leur blouse, en arrivant le matin ou pour la retirer quand elles s’en vont. Qu’est-ce que les autres plumassières devaient en penser ?

C’était les provoquer à lui donner la fessée ! Ç’aurait suffi à en donner l’idée à qui n’en aurait pas eu la passion ! Et celles qui l’avaient, seulement qu’un peu cette passion-là, vous pensez si ça devait les tenter ! C’était les inviter clairement à profiter d’une paire de fesses qui ne demandaient que cela ! Pas besoin de parler pour se faire comprendre. Qui n’aurait compris, parmi celles qui, aimant fesser, ne manquent pas dans les ateliers de femmes, qui n’aurait compris la mimique d’une paire de fesses qui ne voulait pas dire autre chose que : qu’est-ce que vous attendez pour me déculotter ?

Devant moi, elle les remuait et, à chacun de ses pas ou même arrêtée, elle ne cessait de les faire aller et venir. Le tablier ne cachait que le devant. Avec ses mouvements il la cachait de moins en moins en arrière. Son derrière ressortait entièrement et l’indécence de son pantalon augmentait encore ce que de telles manières présentaient de choquant. D’écœurant, devrais-je dire plutôt !

Non, tenez, j’aime mieux ne pas me rappeler tout cela. Vrai, cela me fait de la peine… Voyez-vous, on a beau ne pas être portée à la jalousie, il y a des choses qu’on ne peut pas voir faire par celle dont on est la petite femme. Et il y a des choses aussi qu’on ne peut lui voir faire par une autre, même par celle qui aurait été avant vous sa femme aussi !

Ce n’étaient d’abord que des bécots, sans doute, des familiarités qu’on permettrait en d’autres cas, mais c’était l’intention que je devinais chez cette Gaby de me blesser qui me faisait mal…

Alors, je me mets à pleurer. Pensez, je n’étais qu’une gosse encore.

Jane me prend sur ses genoux, me console. Elle me jure qu’avec Gaby c’est fini, tout ce qu’il y a de plus fini, depuis son mariage. Est-ce qu’elle, Jane, en voudrait des restes d’un homme ? Non ? alors, qu’est-ce que je pensais donc d’elle ?

Enfin, mes larmes se sèchent. Mais cela ne fait rien. J’avais pleuré sur mon bonheur à jamais gâté. C’était comme un coup de couteau reçu en plein cœur.

Elle allait, furetant partout, la Gaby, comme chez elle. Ça se voyait qu’elle le connaissait, l’appartement : ouvrant commode, armoire, sous prétexte de ranger. Les verges et tout. Ce qui me faisait le plus de mal, c’est que ça me sautait aux yeux qu’elle aimait la fessée autant que moi. Elle parlait sans se gêner, et exprès, je le devinais pour me faire bisquer, des fessées qu’elle avait reçues il n’y avait pas longtemps ! De celles qu’autrefois elle recevait à l’atelier, étant arpète, je n’en étais pas jalouse, bien sûr, mais je me doutais qu’elle y passait encore. D’autant plus qu’elle disait que son mari ne lui en donnerait jamais. Cela non, elle ne l’admettait pas, elle ne lui permettrait jamais de toucher à ses fesses, avec sa main ou avec une verge. Non, cela, ce n’est pas pour les messieurs, c’est pour nous ! c’est si bon !

N’est-ce pas ? me demandait-elle. Et je comprenais bien que Jane le lui répétait, combien j’adorais d’être claquée par elle. La garce voulait me voir la recevant, afin d’en juger, je sentais cela, et pour y arriver, elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour la recevoir elle-même, en redoublant de tortillements de fesses, de poses provocantes.

Vous pensez si, étant donné le tempérament de Jane, elle parvint à ses fins ! Et elle en eut une bonne, je vous prie de le croire. Jane, apparemment, lui ayant dit que je la prenais bien, elle voulut me surpasser. Vrai, je n’en revenais pas de son endurance et, maintenant que j’y pense avec sang-froid, je me dis que j’aurais dû m’en rincer l’œil tout simplement. Car cela en valait la peine.

Je comprenais que Jane me reprochât toujours de ne pas gigoter. Avec une comme Gaby, elle pouvait s’en emplir la vue, de gigotements ! Vrai, c’en était indécent. Ce n’était pas une femme, c’était un diable dans un bénitier ! Oui, une vraie furie !

Pendant que Jane la fessait, on eût dit une folle furieuse ! Tellement elle faisait de contorsions, on aurait cru qu’elle détestait cela… On lui aurait arraché la peau de tout le corps qu’elle ne se serait pas démanchée plus. Avez-vous vu dans un film, avenue de Clichy, la semaine dernière, des serpents qu’en Amérique on écorche tout vifs, et à qui la peau d’un seul coup est tout entière retirée, comme à une anguille et de la même façon, en les retournant ainsi qu’un gant ? Dépouillés complètement, ces serpents sautaient, se tordaient sur eux-mêmes, c’était une frénésie de torsions dont on ne peut se faire une idée. On aurait juré des ressorts métalliques qui se seraient détendus pour se retendre aussitôt, sans cesse… Eh ! bien, Gaby c’était pareil !…

Après, ça allait être mon tour ? Ah ! non ! Moi, qui désespérais d’en faire autant, je ne voulus rien savoir ! Alors, le croiriez-vous ! Alors, Jane se fâcha, mais pour de bon, alors, et la fessée que je reçus fut une vraie correction. Et Gaby se repaissait de mes pleurs, de mes supplications, de ma honte… Malgré le raffut des claques à toute volée, j’entendais ses rires et je n’oserai jamais répéter l’effet qu’elle devait dire que cela lui avait produit…

Oui, elle disait cela crûment à Jane qui, la fessée finie, me gardait sur ses genoux, retenant écarté mon pantalon pour bien montrer mes fesses pourpres… Et j’avais honte, j’avais honte, gosse que j’étais…

Le mari arriva à six heures.

J’étais consolée, il n’y paraissait plus de tant de chagrin.

Jane m’avait fait boire. Je devais être un peu partie. Toutes les trois, peut-être bien. Moi, il m’en fallait si peu. Avec deux coupes de champagne, je faisais la folle.

On s’était embrassées toutes les trois. On avait dansé. Sans piano, c’est Gaby qui chantait des airs de danse. Elle connaissait toutes les nouveautés.

Donc, son mari s’amène à six heures. Le calicot, dans toute sa beauté. Le calicot rigolo, vous voyez cela d’ici. Des jeux de mots idiots, toutes les scies du jour.

Nous nous payions sa tête, il n’en voyait rien. On ne faisait que se bécotter tout le long du dîner. Par blague, lui, baissait les yeux ou se tournait de l’autre côté. Je ne sais encore au juste s’il se rendait compte de ce qu’il en était ou si, aveugle, il ne croyait qu’à un jeu.

Oui, à dire vrai, je n’en sais rien. Jane le croyait aveugle. Moi, je n’en suis pas sûre. En tout cas, il faisait celui à qui cela ne déplaît pas, que sa femme, sa légitime, ait une amie, en ait deux, même. C’est peut-être bien aussi parce que, prenant mon parti du partage, je faisais celle qui est bien avec Gaby, comme avec Jane, et il ne prenait pas cela au sérieux.

Quoiqu’il en soit, nous ne nous retenions guère pour lui et sa présence ne nous en imposait pas, pas plus qu’à sa femme. Cette Gaby, elle en avait un toupet !

Non, il y a des hommes, tout de même, que ce serait dommage ne de pas berner, tant ils sont bêtes. Celui-là, s’il n’y mettait pas de la complaisance, qu’est-ce qu’il avait dans les yeux ?

Mon histoire est finie maintenant.

Cela dura près de deux ans comme cela. Depuis longtemps, je n’aimais plus Jane. Je la détestais, au contraire ; mais elle me tenait par les sens.

C’est elle qui m’avait appris l’Amour. En m’apprenant l’Amour, c’est la vie qu’elle m’avait donnée, une seconde fois après maman !

On ne rompit que quand je me mariai. Avec un jeune collègue de papa, fils de son sous-chef. Moi aussi, j’étais à la Banque.

Le ménage marcha deux ans. Il ne me plaisait pas. Ni comme homme, ni pour son caractère, ni pour son intelligence. Et sous le rapport sensuel, oh ! alors, un néant pour moi, un néant absolu.

Le divorce fut prononcé à son profit. J’avais pris un amant et c’est avec lui que je partis dans le Midi.

Tout cela, c’est la faute de Jane ! c’est cette femme qui a gâché ma vie ! Oh ! je la hais !…

J’avais tout, vous entendez, tout pour faire une femme honnête, comme maman. Ah ! je lui en voudrai jusqu’à la mort !…

Quand je pense qu’elle m’avait eue pure !… Est-ce qu’elle n’aurait pas pu s’en contenter, de mon amour de vierge ? On aurait été si heureuses, toutes les deux ! Moi, cela m’aurait suffi toujours de coucher avec elle le samedi et de nous aimer toute la journée, le dimanche… Et moi mariée, même, on aurait continué de s’aimer. Est-ce qu’elle en avait besoin d’autres que moi à fesser ? Moi, je lui serais restée fidèle toujours !

Mais, elle, ce n’était… Ah ! j’aime mieux ne pas dire quoi.

Car, voulez-vous la vérité sur son compte ? Et je crois fermement qu’on en dirait autant de toutes les flagellantes épatantes, comme vous en connaissez, des Paulette, des Suzy !

Eh ! bien, elle la cousine de Jane, elle était la maîtresse de son patron. Du temps même de son mari, oui. Et il en avait fait, lui, le patron, la première de son atelier de plumassières, parce qu’il était passionné de flagellation. C’est lui qui l’avait dressée à fesser les arpètes. Avant elle, une contremaîtresse s’en chargeait, mais elle s’était établie à son compte. Jane qui la remplaçait, lui en fessait, dans son bureau, aussi souvent qu’il le désirait.

Elle s’y était mise sans effort, elle avait aimé cela aussi, c’est possible… Mais si elle en fessait tant et plus, rien que pour son plaisir personnel, c’est lui, tout de même, qui l’avait initiée !

Et voulez-vous que je vous dise toute ma façon de penser ? C’est comme cela avec toutes, allez ! Chaque fois que vous me parlerez d’une flagellante notoire, je vous répondrai : cherchez bien, vous trouverez un homme derrière !


X

CES MESSIEURS

Le récit rapporté ici nous a été fait, il y a trois ans. Mais les faits allégués remontent, comme on le verra, au commencement de l’été 1914.

On ne s’appelait pas comme maintenant. Moi, qui m’appelle aujourd’hui Louise, je me nommais autrement. Ça commence par un L. Cherchez, vous ne trouverez jamais. C’est un nom bien du Nord, un nom qu’on ne connaît pas ici. Un nom à coucher à la porte !

Quant à elle, qu’on appelle ici Flora, le sien c’était Flore. C’est un ami, à Paris, qui lui a conseillé de modifier ainsi son nom, rapport à une histoire d’examen ; je ne me rappelle plus tout ce qu’il a raconté. C’était un type instruit. Pour moi, un curé en civil et il lui disait qu’il lui convenait bien, ce nom de Flora.

Toutes les deux de Roubaix, on était ensemble coupeuses en 1914.

On avait vingt ans. C’est le bel âge, dites ! Moi, de mars, elle d’avril. Vous voyez qu’on est presque jumelles, mais pas du même père, ni de la même mère.

Mais, on était du même endroit. De la même rue, qui se nomme route de Croix. Tiens, vous la connaissez ? Oui, c’est une belle voie. Nos parents se fréquentaient. Les deux pères, comme les deux mères avaient travaillé en même temps dans les filatures.

Flore et moi, on ne se quittait guère. On se retrouvait dans les ateliers, et le soir, on allait au bal, de compagnie.

Voilà qu’en même temps on nous débauche d’où l’on était. Ensemble nous entrons chez des coupeurs, deux associés.

C’étaient des enfants du pays, qu’on connaissait bien, deux vrais « lillots ». Ils avaient, ils avaient, voyons, trente-deux ans, puisque l’un et l’autre, de la classe 1909, celle de mon oncle Jules.

On était pas mal payées et il devait y en avoir pour un an d’assuré à rester là, vu les commandes. Ils venaient d’être plaqués par leurs ouvrières. L’une se mariait, l’autre enceinte, dans son sixième mois. Fallait qu’elle renonce à travailler. Vous pensez, on est presque toujours debout, et c’est dur d’actionner les découpeuses électriques.

Ils étaient rigolo. On blaguait toute la journée. Tout en travaillant ; car, pour le boulot, il n’y a pas à dire, on était sérieux. Du reste, avec ces outils-là, il faut être à ce qu’on fait. Sans quoi, il y a du risque.

Mais, ils avaient le mot et, comme on était pays, tous les quatre, on s’entendait.

Dans le Nord, vous le savez bien, on aime à rire. Mais, ça n’allait pas plus loin et, comme Flore, pas plus que moi, n’était bégueule, on les laissait dire tout ce qu’ils voulaient du moment qu’il ne s’agissait de rien d’autre.

Ils n’auraient pas demandé mieux que cela aille jusqu’au bout. Mais, comme ils savaient qui nous étions et qui nous fréquentions, ils se l’étaient tenu pour dit, une fois qu’on les avait remis à leur place, tout de suite, dès leur première tentative de s’offrir nos personnes, tout simplement.

Flore, c’était la belle fille qu’elle est. C’est tout dire. Un beau morceau, comme on dit. Des pieds à la tête, rien à lui reprocher. Du teint, de la dent, de la gorge tout, tout ! La belle blonde, quoi ! Des cheveux crépelés admirables. Dans ce temps, on les portait. En casque, elle, et ça lui allait, je ne vous dis que ça, quoi qu’elle soit vraiment chic aujourd’hui avec la coupe à la garçonne.

Et des jambes, des jambes ! Et des fesses ! Vous parlez, alors ! Oui, il y avait du pelotage, avec elle.

Quant à moi, j’étais pas mal, vous devez vous en douter. Châtaine, mais grande et bien taillée comme elle, je faisais bien à côté. Et moi aussi, j’en avais des fesses.

Et plus de tétons. Oui, autant que maintenant.

Autant de cuisses qu’elle ; pas autant de fesses et pas de la même forme, mais belles aussi, dans leur genre.

Elle, elle en avait une de ces paires, ce n’est pas pour dire, qui donnaient à n’importe qui l’envie de les tâter ou de les claquer. Même les femmes, ses fesses les tentaient, plus larges que les miennes.

Chez moi, elles étaient plus en relief. Sans doute parce que je cambrais de mon naturel.

Vous avez dit que vous les aimiez mieux, les miennes. Vous n’êtes pas le seul et je ne veux pas vous démentir. Il y en a qui préfèrent les siennes. Ainsi, tenez, chez la Sever, cela arrivait.

C’est une affaire de goût. Les uns en tiennent pour le derrière large ; les autres pour le derrière étroit, saillant. Il n’y a guère à discuter des préférences. Quand il s’agit de derrières surtout, c’est une affaire personnelle, les préférences.

Mais, pour la fermeté, par exemple, on est pareilles, dites ? Quand on serre les fesses, elle ou moi, ça ne ferait penser à personne à de la colle de pâte ! Je crois que ma petite Flore et moi, nous casserions autant de noisettes, en une heure, rien qu’à nous asseoir dessus !

Le premier jour qu’on travaillait là, l’un des associés, Alcide, le plus petit des deux, nous avait dit déjà qu’on aurait la fessée si ça n’allait pas.

Et l’autre, Désiré, avait appuyé, disant que c’était l’habitude de la maison. Une bonne fessée, tous les jours, fallait ça aux coupeuses et toutes s’en trouvaient bien.

Nous deux, on croyait à une blague comme une autre. On n’y avait même pas fait attention. C’est une chose qu’on entend si souvent, quand on a de belles fesses !

C’est épatant, ce qu’on leur en promet, de fessées aux filles ! Si j’avais mis de côté une pièce de vingt sous, chaque fois qu’on m’a dit que j’aurais la fessée, seulement depuis l’âge de douze ans, âge auquel les hommes ont commencé à faire attention à moi, je pourrais rouler en auto ! et d’une bonne marque.

Dans le pays, plus encore qu’ici, je crois, c’est courant de parler de ça. C’est un mot qu’on prononce souvent, par là, le mot fessée.

Et on ne se contente pas du mot. Non, bien sûr. Les filles du pays en savent quelque chose. La fessée est à la mode chez nous.

Pour les garçons aussi, je vous le certifie. Des garçons à quatorze ans, à quinze ans, si vous croyez que leurs mères se gênent et se privent de les déculotter, vous auriez tort. Leurs pères aussi s’en chargent, de les claquer, cul nu. Comme les filles, d’ailleurs. Mais, elles, encore plus tard. Je me demande pourquoi, par exemple ! À quinze ans, papa m’en donnait des bonnes ; à seize ans encore, mais moins souvent et s’il n’a pas, lui, dépassé cet âge-là, maman, elle, m’en a mis encore quelques-unes à dix-sept ans. Tandis que les garçons, eux, c’était fini depuis longtemps, à dix-sept ans.

Pourquoi nous fesse-t-on, je le sais bien, maintenant. C’est par vice, allez ! rien que pour ça. Quand on fesse une grande fille, on sait bien ce qu’on fait, même quand c’est la sienne. Vous ne m’ôterez pas de l’idée que ça plaît, d’avoir une belle paire de fesses de jeune fille à claquer, ne serait-ce que pour s’exciter ! Même les femmes qui ne sont pas portées pour leur sexe, ça les excite.

Du reste, c’est comme ça, pour les hommes, entre eux. J’en ai vu qui en fessaient d’autres. Tenez, et vous savez bien où on voit ça, j’ai vu, il n’y a pas plus de quinze jours, un jeune homme qui venait pour être fessé par une autre homme devant des femmes. Des femmes, il ne lui en faut que pour le regarder, rien que pour ça. Il ne faut pas qu’elles le touchent.

Eh ! bien, le vieux qui lui claquait les fesses, il n’avait pas l’air de s’embêter et je vous réponds que ça lui faisait de l’effet. Autant qu’au jeune à être fessé. Pourtant, il ne se passait rien d’autre entre eux.

Je pensais à vous : le vieux fessait tout à fait bien : dans votre genre.

Moi, je n’aimais pas la recevoir, à l’époque. Ça ne m’est venu que quatre, cinq ans plus tard. Mais, papa tapait dur et maman aussi. Alors, cela n’avait rien de drôle du tout.

Quand, à quinze ans, je recevais une fessée de maman, j’en avais les fesses endolories pendant deux heures. Nous avions des amis où c’était pareil. Pire, même.

Une famille, entre autres, les Delsol où il y avait trois filles et quatre garçons. C’était à qui, du père et de la mère leur en distribuerait le plus. Des familles nombreuses n’étaient pas rares avant la guerre dans le Nord.

Les pauvres filles, que de fois les ai-je vues fesser ! Marie qui avait mon âge, Clémence, un an de plus et Félicité, deux ans. Cette Félicité, elle, je l’ai vue, la dernière fois, à dix-huit ans, en recevoir une de sa mère, mais, alors, oh ! mes amis, qu’est-ce que j’ai vu, en fait de fessée !

Un lundi, parce qu’elle avait été, la veille à la ducasse de Vatrelos et, malgré sa défense, avec un jeune homme qu’on lui interdisait de fréquenter. Une voisine l’y avait aperçue — c’est l’éternelle histoire — et naturellement n’eut rien de plus chaud que de le répéter à la mère.

Le dimanche d’après, Félicité me montra ses fesses, à moi et à une autre copine, il y avait comme un semis de bleus sur tout son derrière ! Vous savez, des petits ronds, la plupart du diamètre d’un pois, mais quelques-uns, du diamètre d’une cerise, plus de dix, oui, quinze, sur chaque fesse. Un mois encore, ça se voyait encore un peu ! Un mois ! Jugez des claques !

J’avais assisté, moi, à la correction, avec la voisine en question, bien entendu. Elle était venue dire ça à six heures et demie et restait à attendre Félicité, sachant bien ce que ça lui vaudrait. Le père aussi, se trouvait là. Il rentrait, sa journée finie.

J’en avais la peau d’oie ! Non ça, c’était trop. Des fessées pareilles, ça devrait être défendu. Une mère à le droit de claquer sa fille sur les fesses quand elle a fauté : ce n’est pas moi qui dirai le contraire. J’ai été bien élevée, j’en ai reçu ma part et j’approuve cela. Mais pas à ce point-là ! Certes, non. Une jeune fille, ça a des organes délicats. Si fournie en fesses qu’elle soit, ça peut ne pas les garantir suffisamment. Celle-là vous claquait un derrière de fille — ou de garçon — comme elle battait son linge ! Et si elle ne prenait pas son battoir, c’est qu’elle n’en avait pas besoin. Sa main avait une telle force que, quand elle voulait, la fessée qu’elle donnait avec, sur trente femmes au-dessus de vingt ans, prises au hasard, il n’y en a pas deux qui la supporteraient !

J’en parlais l’autre jour à un ami, de cette fessée-là. C’est une comme cela qu’il voudrait voir, une vraie fessée à la dure, sans chiqué, à une belle fille comme je lui disais qu’était Félicité. Lui, depuis trente ans qu’il ne pense qu’à ça, il n’en a jamais vu donner une seule ailleurs qu’en maison.

Eh ! bien, il trouverait peut-être cela encore plus effrayant à voir qu’excitant. Voilà ce que je lui répondais. Oui, c’est trop fort.

Mais, cela dépend des dispositions où l’on est et aussi du pays d’où l’on vient. Ça, ça plairait à des Anglais. Leurs fessées, à eux, c’est rude autant que leur gin.

Pas à des Français. Ici, on n’est pas habitué.

Ainsi, moi, pourtant, je m’amusais souvent bien — très bien, même — à voir fesser ses sœurs ou elle ; cette fois, j’étais toute retournée d’avoir vu ça, oui, presque malade. J’en avais comme un nœud dans l’estomac.

Combien de claques ? Oh ! bien plus de cent !

Deux cents, oui, au bas mot. Écoutez : je sais ce que je dis là. Je suis payée pour le savoir ce que c’est, une fessée de deux cents. Avec ce que j’ai pris par moi-même et avec ce que je n’ai fait que voir, je peux dire que j’ai de l’expérience et que je connais la question. On n’est pas pour rien connue chez la Sever, comme je le suis. J’en ai reçu de mille claques, moi qui vous parle.

Et puis, le nombre des claques, ce n’est pas ça qui fait le principal d’une fessée. C’est leur qualité, qui provient de la nature de la main qui les donne. N’y a que ça qui compte, allez ! et cinquante ou cent claques de plus ou de moins, ça ne signifie rien du tout.

Maintenant, peut-être que si, aujourd’hui, je la revoyais, cette fessée, dont je vous parle, ou une pareille et à une belle fille comme Félicité, peut-être bien que cela me ferait tout autre impression. Quand j’y avais assisté, je n’avais que seize ans. Je n’étais pas ce que je suis.

Moi, à seize ans, je préférais voir administrer des fessées simplement moyennes.

Tenez, cette madame Delsol, la mère de Félicité, quelques jours auparavant, je l’avais vue claquer un de ses garçons, le dernier, qui avait douze ans et, le lendemain, sa fille cadette, de dix-sept ans. Eh ! bien ces deux fois là, quoique différentes l’une de l’autre, ça m’avait plu tout à fait.

Le garçon, d’où j’étais, je lui voyais tout. Car elle le tenait la tête entre ses jambes et je trouvais ça rigolo.

Surtout que, mais je ne sais pas si c’est d’être claqué cul nu devant une jeune fille qui en était la cause, surtout que ça lui faisait un effet visible ! Tout ce qu’il y a de plus visible.

Pas d’erreur, avec un signe aussi certain ! Il n’y avait peut-être là nul vice de sa part et cela ne venait peut-être que des claques par elles-mêmes : le sang appelé sous la peau des fesses gagnait le voisinage. Ce n’était peut-être pas autre chose, car ça n’arrivait qu’au bout de trente, quarante claques.

Chez le jeune homme lui, vicieux au possible, c’était tout de suite, avec son ami de rencontre qu’apparaissait ce signe. Mais, chez le gosse, ou chez ses frères, car avec eux aussi c’était pareil souvent, il fallait qu’on les eût déjà assez bien fessés.

À moi aussi, ça m’avait fait de l’effet. Ce n’était que depuis peu que la vue des fessées m’en produisait.

Mais ça m’en fit encore plus, le lendemain, avec sa sœur, Clémence.

À dix-sept ans, Clémence faisait un beau brin de fille. Je les trouvais jolies, ses fesses, surtout rougies. Une peau de blonde, les fessées ça fait si joli ! et, il n’y a pas à dire, c’est chic à voir, un derrière de blonde une fois bien fessé. Comme c’était sa préférée, sa mère la claquait en douceur.

Relativement, car, avec sa main, une fessée claquait toujours, quelle que fut son indulgence du moment. Je peux en parler, car elle me l’avait donnée une dizaine de fois. De dix à treize ans.

En même temps que Clémence ou Marie, avec qui je faisais quelque blague, je recevais la même correction. Elle n’avait pas besoin d’en demander la permission à maman. À l’occasion, maman en faisait autant à ses filles ou à ses garçons. Mais, de maman ce n’était rien à côté. La main de la mère Delsol, vous parlez d’une main dure ! J’en garde le souvenir de ses dix fessées, je pourrais vous les raconter toutes, une par une. À chacune, je pleurais tout ce que je savais, dès la dixième claque. Sa grande main rouge, durcie par l’eau froide où elle trempait toute la journée, sa grande main où il ne devait pas y avoir de graisse sous la peau, mais rien que du muscle et de l’os, quand elle vous l’appliquait bien en plein sur vos fesses, vous savez, ça vous aurait dégoûté de la fessée si vous aviez en le vice d’aimer la recevoir, vice qu’ont bien des gosses, garçons ou filles.

Moi, je ne l’avais pas.

Moi, si je ne l’aimais pas pour mon compte, la fessée, ça ne m’empêchait pas de me plaire à celles qu’elle donnait devant moi à d’autres. Même à Clémence que j’aimais le mieux de toutes, pourtant. Non, je reconnais que j’éprouvais quelque chose. Dame ! les fesses jolies, la fessée réussie, et les quinze, les seize ans que j’avais et où je commençais à me sentir, dites, c’était assez pour que j’aie du plaisir. J’en avais, je ne le cache pas. Je n’arrêtais pas de vibrer, comme vous dites. À la fin, oui, arrivait ce que vous dites. C’est le contraire qui eût été étonnant.

Comment ? vous demandez si j’y repensais, dans mon lit, ensuite ? Vous êtes drôle ! à qui ça n’aurait-il pas donné des idées ? Je comprends bien ce que vous voulez dire, allez !

Aussi, voici ma réponse :

Comme à seize ans, j’avais ma fleur d’oranger, pas d’amoureux assez attitré encore pour me calmer, fallait bien que j’y arrive toute seule. Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place, vous, malin ?

Pour en revenir à mon histoire, car c’est vous qui me faites perdre le fil — vous m’interrompez tout le temps avec vos questions ! vous auriez dû vous mettre vicaire ; je vous vois d’ici, interrogeant les petites filles ! — pour en revenir à mon histoire j’en étais donc à cette menace des patrons, à la fessée que nous aurions si ça marchait de travers.

Je vous disais qu’on n’y avait pas fait attention seulement.

Le lendemain, ça recommence. Cette fois, c’est l’autre qui en reparle le premier. Désiré, le plus grand des deux. Il a bien dix centimètres de plus qu’Alcide qui est moyen. Lui, Désiré, il avait servi dans les cuirassiers. Les cuirassiers, c’étaient tous des gars du Nord. Il est blond, tandis qu’Alcide est brun. Il y a beaucoup de bruns chez nous : on dit que cela vient du temps des Espagnols. C’est bien possible.

Nous en rigolons, Flore et moi. Et on répond sur le même ton. Il répète ce qu’il a dit et Alcide s’en mêle. Oui, on aura la fessée toutes les deux.

On revenait de déjeuner, on allait se remettre au travail. Ça ne nous déplaisait pas qu’on blague un peu auparavant. C’était toujours ça de pris. Au commencement de juin, il faisait bon. Vous vous rappelez l’été de 1914. On n’avait que sa blouse de toile écrue qui descendait à quinze centimètres plus bas que le genou.

Donc, Alcide nous fait :

— Ça vous arrivera, c’est sûr et vous n’avez qu’à dire chiche ! vous l’aurez tout de suite.

Alors, Flore, qui était pire que moi pour répondre à leurs blagues, dit :

— Chiche !

Oh ! alors, qu’arrive-t-il, à quoi on ne s’attendait pas ? Ça, je vous jure, qu’on ne s’y attendait pas !

Voilà Alcide qui me saute dessus et Désiré sur Flore.

Et en même temps. Ils s’étaient donné le mot, bien sûr, pour agir avec cet ensemble et cette précision. C’est avec les autres avant nous qu’ils s’étaient fait la main. À force, ils avaient attrapé le truc.

Nous voilà, toutes les deux, prises par la taille, de la même façon, sous leur bras gauche, et, cinq secondes, tout au plus après que Flore ait eu l’idée malheureuse de répondre chiche, nous sommes déjà déculottées, l’une et l’autre pareillement.

Oui, déculottées ! Ils nous la rabattent, notre culotte fermée, à croire qu’ils n’avaient fait que ça de leur métier, tellement l’opération s’était effectuée en vitesse et dans la perfection. Et vlan, vlan, les claques nous arrivent, précipitées.

Nous rions, certes ; mais, c’est égal, ça n’est pas un jeu, ça ! Non, c’est une fessée, c’en est une, il n’y a pas à dire non, c’en est une bonne !

Oh ! les rosses. Ce qu’il me claque, cet Alcide ! Maman ne m’a jamais claqué si fort. C’est presque une fessée de la mère Delsol. Bien entendu, pas celle à Félicité que j’ai racontée qui était exceptionnelle. Mais, une, de ses fessées ordinaires.

Oh ! non ! assez ! assez ! On en a assez ! non, non, nous ne voulons plus. On se débat, mais, rien à faire, faut que nous la prenions jusqu’au bout, leur fessée qui est une correction et même une soignée. Jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’à ce que nous ayons toutes les deux les fesses pourpres, pourpres, tenez comme la couverture de ce livre.

Car, il nous forcent à nous les regarder mutuellement nos fesses qu’ils ont claquées à qui mieux mieux. Ils nous tiennent comme cela deux bonnes minutes pour que je les voie bien, ses belles fesses larges que vous connaissez maintenant et qui, à vingt ans, étaient les mêmes.

Et elle, Flore, elle peut les voir, les miennes qui n’ont rien à envier aux siennes pour la couleur.

Et après, ils nous regardent nous reculotter. Ils se tordent. Ce qu’ils sont contents, ce qu’ils sont contents !

Oh ! les rosses ! On a l’air de rire, toutes les deux. Ce serait si bête de se fâcher ; mais, vrai, ils ont été un peu fort.

Et, tous les jours comme cela. Nous avions notre fessée, c’était réglé. Seulement, ils changeaient. Tour à tour, chacun d’eux prenait l’une de nous et le lendemain l’autre. Mais Alcide, tout de même, c’est Flore qu’il fessait le plus souvent, tandis que Désiré, je voyais bien qu’il en tenait pour moi. Comme Alcide était le plus petit des deux hommes, naturellement il prenait la plus grande des deux femmes ! C’est toujours comme ça. En maison, les petits hommes choisissent toujours les grandes femmes. Les aztèques, on peut en être sûr, choisissent les poules les plus colosses de l’établissement.

Et les grands, eux, en pincent pour les petites femmes, des gosses auprès d’eux.

Ça tombait bien. Moi, j’aimais mieux que ce soit Désiré qui me fesse. Il claquait moins sec. Et puis, sans vous peloter positivement, il vous maniait un peu les fesses avant. Ça prépare bien et on prend bien mieux la fessée. Mais, il n’a fait comme cela qu’au bout de quelque temps.

On avait fini par s’habituer. On se laissait faire. On ne résistait plus. Comme on était sûres d’y passer, valait mieux en prendre son parti.

Et ça ne nous faisait pas de mal, n’est-ce pas ? Il faisait chaud, ça nous réveillait. Moi, il y avait trois ans que je n’en avais pas reçu. Les premières, ça me semblait cuisant. Mais, je m’y étais refaite vite : maintenant, ça allait tout seul.

Au contraire, je me trouvais bien. Je me sentais plus d’attaque pour le boulot, c’est positif. Ça me mettait en train, c’est étonnant.

Sûrement que c’est bon la fessée ? Pour tout le monde, je crois, mais pour les femmes, c’est épatant, il n’y a pas de doute. Elles devraient toutes le savoir, pour s’éviter des malaises. Une bonne fessée, c’est ce qu’il faut aussi pour chasser les idées d’ennui qu’on peut avoir. Moi, quand je n’en ai pas reçue de la journée, je m’en fais donner une en rentrant par Flore. Tout de suite après, c’est épatant, je n’ai plus le cafard.

Bientôt, ça m’aurait manqué, qu’ils ne nous fessent plus. Et puis, ça coupait les demi-journées. Car ça n’avait pas tardé que ce soit le matin et le tantôt. Comme ça, chacune l’avait de chacun, chaque jour.

Je ne sais pas si c’est Flore ou moi qui leur avait dit, la première fois, qu’ils devraient bien nous offrir l’apéritif. Ils ne s’étaient pas fait prier. Mais, depuis, c’est comme ça qu’ils appelaient la fessée qu’ils nous donnaient : Alcide disait à Désiré :

— Dis donc, c’est-il pas le moment de leur offrir la bleue ?

Ils ne nous tenaient pas toujours sous leurs bras. Non, des fois, ils nous mettaient sur eux. Comme les gosses, sur les genoux de la mère ou du père. Nous, on aimait mieux ça. D’abord, on se repose et le temps qu’ils prenaient alors bien davantage, assis sur des tabourets, de regarder à leur aise nos fesses si bien exposées c’était autant de temps en moins qu’ils passaient à nous les claquer.

Et nous, pour le coup, vautrées sur eux, si nous ne le pouvions avec celui qui nous tenait nous pouvions voir celui qui tenait la copine, voir ces yeux qu’il faisait en l’examinant.

Et il y avait aussi, ne manquant jamais, un signe à quoi nous jugions, chacune par celui sur les cuisses de qui elle était, de l’effet que ça leur produisait, et ça nous faisait rigoler, Flore comme moi, de les laisser en bobine ensuite, allumés comme nous avions pu sentir qu’ils l’étaient.

Ah ! ils n’auraient pas demandé mieux qu’on les laisse calmer leur énervement. Mais, il n’y avait rien de fait.

Nous connaissions leurs maîtresses. Désiré, il avait, lui, la fille d’un patron d’estaminet de la rue de la République. Nous avions été à l’école ensemble. Et Alcide, une femme mariée, la femme d’un employé au chemin de fer, travaillant de nuit. Il couchait avec elle trois fois par semaine. Elle était d’Armentières. Vous parlez d’une belle femme. Décidément, il lui en fallait des taillées. Ayant quelque chose comme paire de fesses, il avait de quoi faire avec elle.

Pour nous, il en eût été ainsi, je ne sais combien de temps, et peut-être bien que ça aurait tourné finalement comme ça doit tourner un jour ou l’autre entre hommes et femmes vivant ensemble huit heures par jour, quand arriva ce que vous savez.

Oui, c’est la guerre seule, qui nous empêcha de la recevoir plus longtemps leur sacrée fessée, qu’ils aimaient tant nous donner.

Le jour de la mobilisation, tout s’arrêta, le travail comme le reste. Et la classe 1902, vous savez quand on l’a appelée.

Nous deux, avec nos sœurs, on était parties pour Paris, où l’on trouverait tout de suite à s’occuper. Pensez : devant la tournure que prenaient les événements, on n’allait pas rester là à attendre les Boches. Avec tout ce qu’on racontait, les jolies filles faisaient bien de s’en aller.

Nous sommes retournées souvent au pays, depuis. Mais, eux, Désiré et Alcide, ils n’y sont pas revenus.

Ils sont restés, l’un à Souhain, l’autre à Souchez.

Les pauvres types ! On ne leur en avait jamais voulu, vous pensez bien. Ils avaient eu raison de s’amuser.

Même, si on avait su, et c’est ce qu’avec Flore on se dit souvent, on leur aurait laissé, mieux que ça encore prendre tout le bon temps qu’ils auraient voulu.


XI

UN DOCUMENT

Le dimanche, 14 octobre 1906, le journal Le Matin[ws 1] publia, et en première page, s’il vous plaît, occupant, en totalité, les deux dernières colonnes, un reportage des plus intéressants, d’autant plus qu’il s’ornait, en tête, immédiatement sous le titre et le sous-titre, des photographies de trois des héroïnes, dont une représentée en pied, et d’une vue de l’endroit où les faits dévoilés s’étaient passés.

Voici ce titre, que nous avons peut-être raison de qualifier de sensationnel et qui, en caractères d’un centimètre de haut, s’étalait en capitales grasses sur une largeur de onze centimètres et demi : Vierges flagellées.

En sous-titre, on pouvait lire, sur deux lignes, en majuscules obliques guère moins apparentes : Un sacristain fouettait de jolies pénitentes.

Nous nous garderons de changer quoique ce soit à l’article qui suivait et que nous allons reproduire sans en supprimer un mot. La seule liberté que nous prendrons, c’est de ne donner que l’initiale des noms de personnes mises en cause.

Coire (Grisons), 10 octobre. — De notre correspondant spécial.

Me voici aux portes de l’Engadine. De Coire à Thusis, le chemin de fer rhétien suit en zigzags les gorges superbes de l’Albula, au pied de montagnes où la nature paraît avoir accumulé des beautés encore inappréciées. Je débarque bientôt à Sœlis, là où s’ouvre, large et somptueuse, une haute vallée d’un inimaginable effet. Et en route maintenant pour Obervaz, pour Obervaz qui trône tout là-haut, au milieu de grasses prairies, encadré par des forêts de sapins à 1223 mètres d’altitude avec 869 habitants.

Obervaz… Obervaz ! Le nom de l’obscure commune a aujourd’hui dépassé ces lieux retirés.

Et l’on cause de choses piquantes pour le moins. Il y a trois semaines, Jacob B., âgé de soixante-six ans, sacristain honoraire de la paroisse d’Obervaz, était arrêté sous l’inculpation de s’être livré à des actes que la morale réprouve. Ces actes n’étaient indiqués qu’avec restriction, il va sans dire. On sut pourtant que le vieux sacristain était accusé d’avoir fouetté jusqu’au sang quantité des plus fraîches pénitentes d’Obervaz. D’où arrestation et scandale.

Le frasques de Jacob B. étaient présentées ainsi : il adressait à telle jeune fille sommation de se rendre à un lieu désigné pour y subir la flagellation en rémission de ses péchés. Cette sommation était adressée par lettre paraissant provenir de l’autorité ecclésiastique. Et un grand nombre de jeunes filles d’Obervaz se rendirent à l’invite… On chuchotait encore bien d’autres choses…

Les renseignements que je suis parvenu à recueillir à Coire et dans la Vallée de l’Albula aggravent singulièrement cette extraordinaire affaire. C’est, peut-on dire, toutes les jeunes filles et jeunes femmes de Zortein, l’un des grands villages dont est composé Obervaz, qui se sont candidement soumises aux pratiques de Jacob B. ou d’un autre. Car il y a un autre, dit-on, avec raison à mon avis, et peut-être même plusieurs autres… Et cette hypothèse donne jour aux plus surprenantes suppositions. Certains prétendent encore que quelques bonnes filles de Zein et de Muldein, deux autres villages d’Obervaz, ont perdu le droit de se gausser des innombrables héroïnes de Zortein…

Car le juge d’instruction de Coire, M. Heinrich L., parvient difficilement à dénombrer ces dernières. Seize jeunes filles, âgées de quinze ans et demi à vingt-huit ans, lui ont toutefois confessé avoir passé au tribunal de la pénitence d’Obervaz. D’autres, celles qui savaient sans doute le mieux à quels mobiles réels obéissaient les distributeurs de pénitence sont rebelles à tout aveu, refusant la palme du martyre.

Les lettres étaient signées du nom honoré du Père Maurice C., professeur à l’école de Disentis. Elles portaient soit le timbre postal de Disentis, soit celui d’une autre localité du district de Vorderrhein. Une de ces lettres avait été envoyée le mois dernier, pour la troisième fois, à une jeune fille de Zortein, Mlle Chaterina F., âgée de vingt-trois ans, qui jamais n’avait paru au rendez-vous. Elle se décida à informer ses parents des étranges obsessions dont elle était l’objet. La justice fut avisée.

Une autre version prétend que la justice fut informée de ces faits par les habitants de Churwalden, commune protestante voisine, où l’on rit en chœur des mésaventures survenues au très catholique et très fanatique Obervaz.

À Zostein, chez le vieux président d’Obervaz, je rencontre l’honorable Ammann-Fidel qui tient une auberge en ces lieux.

— Notre curé le Père capucin A. n’y est pour rien, s’écrie-t-il en romanche, dès que ce nom est prononcé. C’est le vieux, l’ancien sacristain, lui seul qui a fait ça, tout seul.

Puis, M. Bergamin repousse avec véhémence la version montrant l’église d’Obervaz comme ayant été le théâtre des scènes de flagellation. Et comme je le prie de préciser les lieux où les jeunes filles étaient invitées à se rendre, l’ancien président affiche une complète ignorance.

Ça se passait, dit-il bientôt, tantôt au domicile du sacristain, tantôt au domicile de la jeune fille, tantôt encore dans une écurie ou ailleurs… où sais-je, moi ?

Je me suis rendu auprès du successeur du Père A., un capucin très accueillant, qui parle l’italien, une ces autres langues nationales suisses. Il m’a dit ignorer tout ce qui avait pu se produire à Obervaz avant son arrivée ici, qui remonte à samedi dernier. Et mon interlocuteur m’assure que le Père A. ne doit pas revenir à Obervaz.

Mais voici une autre assertion, pour le moins contradictoire. M’étant rendu ensuite à quelque quarante kilomètres plus loin, à Coire, capitale des Grisons, en l’absence de l’évêque de Coire, Mgr. Battaglia, j’ai été reçu par M. le vicaire général Schmidt.

— Ah ! vous venez ici pour… ces choses ! s’écrie-t-il avec un bon et gros rire. Dites bien que l’Église n’y est pour rien.

— Mais pourquoi, demandai-je, le Père A. est-il actuellement absent ? On m’a dit à Obervaz qu’il était complètement en dehors de tout cela, mais pourquoi a-t-il démissionné ?

— Il n’a pas démissionné, reprit vivement le vicaire-général. Je l’ai vu l’autre jour à la gare de Chiasso, alors que je revenais de Milan. Il m’a dit qu’il allait en Italie, uniquement pour toucher son traitement. Mais il reviendra…

J’opine :

— On m’a assuré que votre ancien sacristain n’aurait été qu’un bouc émissaire… Il aurait agi pour le compte d’autres personnes, non pour lui-même… S’en est-on tenu à flageller les jeunes filles ?

— Mais oui, pas autre chose. Il n’y a pas ça ! insiste mon interlocuteur, en faisant claquer son ongle. Seulement de la flagellation…

— Jusqu’au sang ?

— Oui, mais les jeunes filles s’y prêtaient innocemment par adoration du Christ, puisque lui-même a été flagellé. On leur disait que c’était pour gagner le ciel…

Je répète :

— Pensez-vous que le vieux sacristain soit l’unique coupable ?

— Je ne dis pas ça… On a émis des soupçons. Des lettres ont été expédiées à la poste de Disentis et ailleurs, alors qu’il établi que B. n’a jamais quitté le pays.

— Il aurait agi, lui, pour de l’argent ?

— On ne sait pas. La justice a fait une enquête. Je suis moi-même monté à Obervaz et l’ancien sacristain a encore des dettes… Or, quand on reçoit de l’argent, on paie ses dettes.

Monsieur le juge Heinrich Laurer, barbe blonde et affabilité empressée, que je vois ensuite à Coire, veut bien me donner les explications suivantes :

— J’ai été saisi de l’affaire par le président du tribunal cantonal ; mais il se peut que, après conclusion de l’instruction judiciaire, le dossier soit renvoyé au tribunal du cercle concernant Overbaz, pour incompétence. Mon instruction ne sera achevée que vers la fin du mois. Mais il est à prévoir que B. ne sera pas traduit devant le tribunal. On l’internera à l’asile des aliénés de Coire et tout sera dit.

J’ai appris autre part que le juge informateur est monté quatre fois à Obervaz depuis la découverte des faits scandaleux. Vendredi, samedi, puis encore lundi dernier, il a convoqué à la maison d’école d’Obervaz, les jeunes pénitentes, qu’il a interrogées et confrontées.

Nous nous en voudrions d’affaiblir par le moindre commentaire la puissante saveur de ce document d’une incontestable véracité.

Nous l’avons reproduit simplement pour prouver qu’à notre époque encore, il n’est pas impossible à des hommes de convaincre de grandes jeunes filles et des femmes, et non plus seulement des enfants, de la nécessité pour elles de recevoir la fessée de leur main.

Et cela sous des prétextes empreints de sérieux, de gravité, même. Il ne s’est nullement agi ici d’un jeu polisson.

Nous connaissons, nous, des exemples non moins probants, non moins authentiques qui, extrêmement remarquables, à notre avis, pourraient constituer de dignes pendants à celui que nous avons cueilli dans la collection du journal « Le Matin ».

C’est d’abord le cas, présenté à plusieurs exemplaires, de jolies dactylos recevant de bonne volonté la fessée que leur inflige l’employé supérieur mâle qui les dirige.

C’est ensuite l’exemple d’ateliers où le contremaître masculin s’investit du soin de stimuler l’ardeur au travail des petites arpètes en claquant opportunément leur gentil derrière frétillant.

Nous pourrions donner, pour chacun de ces exemples, les plus grandes précisions.

Nous ne le ferons pas, pour la raison que nous renonçons à convaincre les incrédules.

Il est en effet, des sceptiques qui ne veulent pas accorder une confiance entière à quelques-uns de nos récits. Nous leur demanderons simplement la permission de respecter leur robuste absence de foi et nous continuerons, quant à nous, de remercier la réalité qui dépasse de beaucoup en saveur piquante tout ce que nous pourrions inventer.

Il est une autre raison encore et celle-ci s’impose, décisive, c’est qu’en apportant des précisions de lieu, de date, nous contristerions d’aimables et sympathiques dames, demoiselles et messieurs. Nous risquerions de leur occasionner du préjudice. Or, nous ne voulons même pas risquer, par nos révélations, de troubler leur quiétude et de nuire à la sécurité nécessaire à leurs distractions.

Au contraire, les assurant à jamais de notre discrétion, nous leur souhaiterons, du fond du cœur, de se plaire longtemps encore à leurs jeux innocents et même de s’y plaire toujours.


XII

MÉLIE

Nous pensions donner ici une autre histoire de messieurs fouetteurs de jeunes personnes. Mais, nous avons pensé qu’auparavant, c’était peut-être le moment d’intercaler un récit qui, tout à l’opposé, serait celui de flagellations infligées par une femme à un jeune homme, à un adolescent, plutôt.

Les muses aiment les chants alternés. Pour celle des neuf sœurs, Eratô, qui présidait à la poésie érotique, la flagellation n’avait pas de secret. Nul doute qu’elle se plût, éclectique, à ce que, les rôles s’intervertissant, ce fut dans ces jeux à chacun son tour.

Comme, en tant que conteur, tel est aussi notre avis, nous ne résisterons pas au plaisir, pour varier un peu, de saisir l’occasion offerte par un aimable correspondant, Monsieur A. B. C.

Il nous avait écrit. Nous lui avions répondu, en demandant quelques renseignements complémentaires qui furent, de sa part, l’objet d’une seconde lettre. Puis, verbalement, au cours de visites qu’il nous fit, il ne nous refusa pas les détails désirables.

Nous avons pensé alors qu’au lieu de publier ses deux lettres qui, par certains points, présentaient des répétitions, il valait mieux revêtir l’ensemble de ses communications de la forme d’un récit, écrit censé sous sa dictée.

C’est ce que nous fîmes et, ayant montré ensuite notre version à Monsieur A. B. C., il l’a trouvée exacte et fidèle. Après quelques retouches, pourtant.

C’est là, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs, ce qui nous autorise à vous inviter à la lire.

Disons, sans préciser davantage, que l’action se passe dans les environs immédiats d’un chef-lieu célèbre par sa cathédrale et ses pâtés, qui sont également des merveilles.

Il est, de plus, un détail signalétique concernant Monsieur A. B. C., qu’il ne pouvait donner lui-même, détail qui a son importance, car il explique jusqu’à un certain point pourquoi, avec lui, les représentantes de l’autre sexe prenaient volontiers l’initiative.

Si le physique de Monsieur A. B. C. est resté des plus séduisants, des photographies faites, de lui, à l’âge de treize ans le représentent sous les apparences d’un garçonnet joli, d’un beau petit brun, des mieux tournés et agréablement potelé. Efféminé, pour tout dire.

— J’avais treize ans. Nous habitions hors la ville. Je suivais les cours du collège. De mon âge, le fils de voisins, était mon condisciple et nous ne nous quittions guère.

Nos maisons se faisaient face, sur la route nationale. Son père, assez gros cultivateur, et mon père vétérinaire, se connaissaient intimement, comme nos mères.

Un jeudi, qui était le jour où maman recevait des amies, j’eus l’idée, ainsi que je l’avais fréquemment en cette circonstance, d’aller trouver Paul plutôt que de rester à la maison. La conversation de ces dames m’intéressait peu et j’aimais mieux passer l’après-midi avec mon camarade.

Ce jour-là, par extraordinaire, Paul était absent. Sa mère l’avait emmené avec elle prendre un bain. C’est à dire qu’elle l’avait emmené à C. même, dans un établissement public réputé, sis non loin de la place des Épars.

C’est ce que m’apprit la bonne, qui vint m’ouvrir, m’engageant à entrer et à attendre le retour de mon petit ami.

Cette bonne, nommée Emélie, et que l’on appelait Mélie, était du pays. Pas de ce côté-ci de la banlieue de la ville, mais de Gallardon. Depuis trois ans au service de la famille de Paul, je la trouvais sympathique. Bien représentative de la race beauceronne qui, dans l’élément féminin, affecte deux types curieusement différents, elle appartenait, vigoureuse et bien taillée, à la grande espèce ; car il existe aussi une petite race, éminemment terrienne, courte, trapue, à la tête large aux tempes et au profil en lame de couteau, qui fait penser à ces figures du moyen âge, telles qu’on en voit dans les peintures antérieures au xive siècle ou encore contemporaines de cette époque.

Mélie, elle, n’offrait de commun avec la beauceronne de petite taille que les taches de rousseur lui couvrant le visage sur lequel elles semblaient même faire épaisseur, tant il y en avait, au front, notamment, et aux pommettes. Sans ce semis de taches lenticulaires couleur de croûte de pain trop cuit, elle eût été jolie, avec ses grands traits bien dessinés. Châtaine, quelques vertiges encore de la blondeur de son enfance subsistaient dans de fines mèches isolées, blondasses ou plutôt jaunes, apparaissant, ça et là, aux tempes surtout. J’aimais voir cette belle fille de dix-neuf ans, parce que tout son être respirait la force. Plus tard, je la retrouvais dans les figures de Puvis de Chavannes, au Panthéon, parmi les suivantes de Sainte Geneviève.

Elle donnait de cette force des preuves à l’occasion, en aidant, comme un homme, à décharger les voitures de grain ou de foin. Bien plantée sur ses jambes, piliers solides pour son torse puissant, elle déployait un musculature plutôt masculine. En pensant et repensant à elle depuis, aussi souvent que je devais le faire et que je le ferai sans doute toujours, je ne cesse de me répéter que nulle femme pour moi ne représente autant qu’elle le type féminin, présidant à ma libido. Sans doute, parce que ce type de femme est tout le contraire de ma nature physique, dont la sienne apparaît exactement comme la « complémentaire », pour parler la langage des physiciens en matière de couleurs. Vous comprenez à merveille ce que je veux dire ainsi.

Mais, avant ce jour-là, je tiens à le dire, je n’avais jamais songé à tout cela, car, à treize ans, je ne discernais aucunement de différence entre les deux sexes, innocent comme au jour de ma naissance. Ma chasteté était absolue et, si je subissais déjà l’attirance du sexe que mon destin me ferait tant aimer, c’était sans le connaître encore. C’était littéralement sans savoir encore en quoi les femmes différaient des hommes.

Mélie me menait dans la salle à manger donnant sur la cour. Les fenêtres en étaient fermées, quoiqu’on fût en juin, mais il y faisait bon. Après le déjeuner, son gros ouvrage terminé, elle avait dû prendre quelques soins de coquetterie, elle venait de se savonner la figure sans doute, et rudement, car la peau de ses joues charnues luisait, à l’égal des cuivres de sa cuisine.

Elle allait, je pense, se remettre à quelque tâche interrompue par mon coup de sonnette : je voyais ses ciseaux, son dé, sur la table, près d’une bobine de coton rouge, tandis que des torchons neufs à marquer s’empilaient à côté.

Je marchais devant elle qui me tenait d’une main posée à la hauteur de ma taille. Je ne sentais pas pour la première fois le contact de cette main, car toujours me tenant de la sorte, elle me guidait en m’introduisant, dans la maison pour rejoindre Paul, occupé à ses devoirs, ou jouant avec son meccano.

Mais, parvenu à la salle à manger, au lieu de libérer ma taille, ce fut, au contraire, avec l’autre main qu’elle l’enserra de l’autre côté, et, tout d’un coup, comme Mélie eût voulu se rendre compte de mon poids, je me trouvai enlevé des deux pieds au-dessus du sol, pendant que je m’entendais dire :

— Ce que tu as forci depuis l’année dernière. Oh ! ce que t’es lourd !

On ne l’eût pas dit à voir l’aisance avec laquelle, une fois soulevé, elle me retenait, suspendu en l’air, devant elle et lui tournant le dos. Sans me lâcher, elle me fit soudain virevolter et je me trouvai, dans ses bras toujours, mais dont l’un me soutenait à la taille, l’autre aux jarrets. Sur mon visage, elle penchait le sien, allègre et brillant, et, si je m’égayais moi aussi de l’inattendu de son acte familier, c’était sans que le moindre émoi troublât mes sens non encore éveillés.

Sur le ton d’une conviction qui me flattait, elle faisait :

— Ce que t’es joli, mon petit gars ! tu as une vraie figure de fille ! Oui, on jurerait une belle petite fille !

Alors, elle alla à sa chaise, s’assit et, tout d’abord, m’embrassa sur une joue, puis sur l’autre. Deux bons gros baisers claquèrent en même temps qu’elle me tapotait le derrière de claques amicales. Pour cela, elle me soulevait un peu de côté avec une de ses cuisses et me pressait contre sa poitrine.

— T’as un derrière de fille, tu sais ! Je veux pas croire que t’en es point une. Dis, t’en es une ?… t’es point un « queniâ » je suis sûre…

« Queniâ » c’est un vieux mot du pays, qui veut dire jeune garçon. Avec l’habitude de la Beauce de traîner sur les â, il se prononce comme si l’â terminal était surmonté de je ne sais combien d’accents circonflexes.

Elle riait de plus belle en disant cela et cela me faisait rire aussi. Mais il m’apparut bientôt qu’elle allait s’en assurer et, sans hésitation ni hypocrisie, faire en sorte de ne plus pouvoir en douter.

Sa main droite alla à l’ouverture de mon pantalon, en avant. Malheureusement, ce pantalon en toile kaki — on était en juillet — non seulement très court, devenait très étroit. Trop juste, il ne permettait guère à une main curieuse de se glisser où il fallait. Sa première tentative ayant avorté, Mélie, l’avisée Mélie, renonça à ce mode d’introduction, le jugeant mal conçu. Ce fut directement à mes boutons de bretelles qu’elle s’adressa, mieux inspirée. D’un côté d’abord, puis de l’autre, en avant également, cela faisait quatre boutons à défaire. Avec ceux d’arrière, cela en faisait six en tout. Ce ne fut pas long : je ne l’aurais pas crue aussi vive.

Et puis alors, sans plus se gêner, elle écarta ma culotte défaite par devant, la rejeta à droite et à gauche assez pour que sa vue plongeât hardiment et s’enquit de l’objet de sa recherche. Objet combien puéril et, inerte autant qu’inconscient, ne trahissant nulle émotion !

Ayant relevé, repoussé, par le même mouvement, ma chemise, elle examinait, nue, ma future virilité qui, pour le moment, enfantinement tranquille et ridicule de quiétude, reposait impoliment calme, sous les yeux de la belle fille, sans avoir même la palpitation qu’aurait, en pareil cas, un petit oiseau surpris au nid, sans plumes encore.

Je me rappellerai toute ma vie ces minutes où, m’apparaissait transfigurée de joie sensuelle, la face luisante, et colorée, au modelé puissant, de la hardie gaillarde ses yeux plissés, sa bouche entrouverte exprimant mieux qu’avec des mots ce que, son but atteint, il lui restait quand même de convoitise.

Car maintenant, elle me retournait, sur l’autre face. À moi, il ne déplaisait pas d’être manié ainsi par cette maîtresse femme. Je le répète, la force, c’était la seule chose que j’eusse remarquée chez elle. J’aimais qu’en ce moment elle en fît preuve avec moi et qu’elle agît comme si j’étais son jouet, son bien, son bébé !

De même qu’elle m’avait dénudé par-devant, je sentais que dans un but pareil, elle rabattait ma culotte, tirant sur le pan d’arrière de ma chemise qui, plus long que celui d’avant, restait engagé entre mes cuisses. Une fois tiré, elle le relevait largement et, autour de ma taille, je percevais que ses doigts le poussaient sous ma veste courte.

Et cette culotte, déjà abaissée, elle l’abaissait encore. Aux jarrets, pour le moins. Oh ! quel besoin elle éprouvait de bien les voir mes fesses ! Maintenant, sous ses yeux, je m’étalais, nu, des épaules aux mollets. Mon derrière que, pour le claquer, aucune femme autre que maman n’avait contemplé en cette posture, mon derrière de fille s’offrait à Mélie pour sa joie…

Et pour la mienne aussi. Car ses regards déjà m’étaient une caresse et je devinais bien que ce serait pour rire qu’elle allait me fesser.

— Oh ! quel beau petit derrière ! Un vrai derrière de fille ! Je vais bien te claquer, mon petit gars ! je vas t’en donner une bonne, de fessée, mon mignon ! C’est que je la donne bien aux petits garçons, moi, tu sais ! je leur claque bien les fesses, aux petits garçons ! Et toi, mon joli, tu vas voir si je t’en fais bien sentir le goût ! T’en auras pas encore eu de comme ça des fessées !

La fenêtre étant fermée, elle pouvait claquer. Personne n’entendrait.

C’est ce qu’elle faisait.

Je n’en avais guère reçu jusque-là. Moi, c’est papa qui me fessait, plutôt que maman, et bien plus fort. L’année précédente encore, à la Noël, mais pas depuis.

La tête prise entre ses jambes, c’était affreux. Maman, elle, il y avait plus d’un an. Mais, pouvait-on appeler des fessées, celles de maman ? Vingt, vingt-cinq claques, tout au plus ! et dans mon lit, le soir, à mon coucher, étendu à plat sur le ventre, et elle, debout, à ma gauche appliquant froidement l’insipide correction ; puis, recouvrant vite du drap, un instant rabattu, ma peau à peine rouge qu’elle ne prenait pas même le temps d’inspecter.

Jamais, elle ne m’avait allongé sur elle.

Ici, avec Mélie, je me sentais autant qu’avec papa sous la domination d’un être plus vigoureux que moi. Mais cet être, maintenant, était une femme ! Me sentir en sa puissance me rendait heureux. Le contact d’une belle gaillarde, ses grosses cuisses qui me supportaient sans effort ; l’étreinte de son bras gauche qui me retenait et qui m’aurait empêché de me retourner si je l’eusse tenté ; et, enfin, sa main qui me claquait avec une vigueur que j’aimais !… Oui, cette vigueur, je l’aimais ! je l’aimais même davantage de s’accroître et de s’affirmer de plus en plus pour accentuer le mordant de la fessée !

Dix claques, vingt claques, puis un arrêt. Mélie regardait l’effet des gifles chaleureuses dont rougissaient mes fesses de fille ! Elle se régalait de les voir rouges. Oh ! oui, car elle les étreignait, une à une, et, cela aussi c’était délicieux. Elle y enfonçait ses doigts forts qu’elle crispait. Oh ! que c’était bon, que c’était bon !

Et quand la fessée reprit, ce fut meilleur encore qu’à la première claquée. Mais, cette fois, quand à nouveau elle s’interrompit pour un temps, c’est parce que les regards de Mélie s’en allaient retrouver l’objet innocent de tout à l’heure. Celui-ci, maintenant et pour la première fois, s’érigeait enfantin encore, mais fier d’une promesse virile qu’il commençait à tenir déjà.

Vingt ans se sont écoulés depuis ce jour, qui fut celui de mon initiation, de mon véritable éveil à l’Amour.

Car, désormais, ma carrière amoureuse était à jamais tracée et dans des bornes qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de franchir…

Depuis, en effet, je n’ai éprouvé aucune sensation amoureuse que ne provoquât pas la reconstitution de scènes identiques.

Mon cas est-il morbide ? doit-il prendre place dans les psychopathies dûment définies et cataloguées ? Je ne sais. J’ai lu les savants. Dans Krafft-Ebing, particulièrement, j’ai trouvé relatés des cas analogues. Tout pareils, devrais-je dire, même.

J’ai vu citer des exemples d’hommes parfaitement normaux par ailleurs qui n’éprouvaient pas de plaisir avec un femme sans que s’y mélangeât la douleur physique du fait de cette femme. D’autres, à cette douleur physique adjoignaient l’humiliation, la souffrance morale…

Ici, je dis non. Non, rien de tel n’apparaît chez moi Dans mes rapports avec les femmes, je ne cherche aucunement à leur égard l’asservissement moral de moi-même et cela est assez difficile à expliquer, j’en conviens ; cela semble constituer une contradiction. Il en est pourtant ainsi. Cet asservissement moral je ne le recherche pas et ne l’ai jamais recherché. Mon désir de sujétion est purement physique. Avec Mélie, il n’était pas autre chose que cela.

Je ne demande pas aux femmes d’exercer sur moi un ascendant moral. J’aime simplement rencontrer parmi elles des gaillardes vigoureuses, jolies par surcroît, cela va sans dire, capables de me fesser vertement et, de préférence, capables aussi de s’y complaire sincèrement. Quant à leur intellectualité, je ne m’en soucie en aucune façon. Avec Mélie, je n’appréciais en elle que sa force physique et, s’il me plaisait fort de l’entendre me conter des fessées qu’auparavant elle avait infligées à de nombreux garçons, je voyais là une prouesse physique que j’admirais profondément. Certes, je mêlais à mon admiration une idée érotique et, si je comparais le vif plaisir sexuel qu’elle me disait avoir éprouvé, ses récits m’amusaient autant qu’ils me troublaient et m’excitaient. J’aurais voulu me trouver à la place de ces jeunes paysans et je lui demandais de me traiter de même et de me claquer aussi fort qu’elle me certifiait en avoir claqué certains. Chez elle, c’est à partir de quatorze ans que cette passion — car c’en est était une, sans nul doute — se développa. Avant cela, elle avait déjà fouetté filles et garçons indifféremment. Après quatorze ans, ce ne fut qu’à mes congénères qu’elle s’adressa exclusivement.

Naturellement, je lui demandai si elle avait fouetté Paul. Oui, répondit-elle, plusieurs fois, dès les premiers mois, il y a trois ans. Mais il l’avait répété à sa mère qui interdit à Mélie de recommencer, elle seule, sa mère, devant se charger de le corriger.

Cette maman n’était pas, en effet, sans fesser de temps en temps son garçon, bien qu’à mon avis il ne soit pas permis de la classer dans les fouetteuses passionnelles. Comme cela lui arrivait devant Mélie, celle-ci y prenait un plaisir extrême et il y avait quinze jours, tout juste, le deuxième jeudi précédent, un peu avant mon arrivée, une bonne fessée châtiant l’insolence de Paul lui avait été infligée par la main maternelle.

C’était vrai, je me rappelais avoir remarqué ses yeux rouges quand je vins à deux heures et demie, à mon habitude. Quand il m’eût dit que sa mère l’avait « claqué », je ne devinai pas en quel endroit secret de sa personne et je crus qu’il s’agissait de ses joues que je voyais colorées de façon insolite.

Au dire de Mélie, les fessées que sa maîtresse administrait d’ordinaire à son fils en étaient d’assez bonnes ; mais inférieures à celles qu’il méritait. Si c’eût été elle, Mélie, elle vous l’aurait fessé à ce qu’on lui en vît le derrière fumer. Telle était son expression, d’ailleurs couramment employée dans la région en pareil cas et qui n’a rien d’une vaine image dénuée de réalité. Fessé comme il faut, un derrière de fille ou de garçon, fume littéralement. Cette vapeur qui s’élève en tournoyant au-dessus d’une paire de fesses consciencieusement empourprées par des claques vigoureuses est plus visible encore en hiver qu’en été.

Mélie m’avait recommandé de ne pas souffler mot à mon camarade de ses privautés avec moi. Je m’en gardai bien. Je tenais trop à garder ma chère fesseuse pour moi tout seul.

Quoique les occasions fussent trop rares, à mon gré, il s’en présentait que je saisissais, pour notre satisfaction réciproque, à Mélie et à moi. J’avais eu raison de compter sur les grandes vacances, qui devaient nous être propices et où Mélie devait faire de moi un homme.


XIII

UN QUATUOR

Si vous le permettez nous appellerons Pierre et Paul les deux amis que nous allons mettre en scène d’abord.

Grandis ensemble sur les mêmes pavés de la rue Tiquetonne, de la rue Dussoubs, ils avaient limé leurs culottes sur les mêmes bancs de l’école de la rue Étienne-Marcel, à deux pas des Halles centrales. Ils demeuraient rue Marie-Stuart. Paul, de sept mois plus âgé que Pierre, était brun, fluet et moins grand que Paul, un blond, de stature et de complexion sensiblement plus vigoureuse.

Paul avait deux sœurs, ses cadettes d’un an et de deux ans. Pierre, lui était le fils unique. Ils appartenaient au même milieu social, le père du premier étant représentant de commerce, le père de l’autre petit imprimeur ; mais logés à la même enseigne et pas plus riches l’un que l’autre. Leurs deux mères bonnes ménagères, tiraient de leur mieux parti d’un maigre budget et se tiraient d’affaire tant bien que mal.

Comment le démon — ou l’ange — de la Flagellation s’installa-t-il en leur âme d’autant et en raison de quels atavismes ? Bien malin qui le dira.

Tout ce que l’auteur de ce récit peut conclure des confidences qu’il reçut d’eux, vingt ans plus tard, c’est que Pierre, pas plus que Paul, ne sait au juste lequel eût le premier l’idée de se plaire à fouetter les petites filles. Ni même seulement d’abord à les regarder fouetter.

L’esprit souffle d’où il veut, a dit Saint Paul. Admettons donc, nous aussi, ainsi qu’ils le croient eux-mêmes que cette passion se développa chez eux spontanément et en même temps. Paul, à la vérité, ayant deux sœurs, aurait, le premier en date, réjoui ses jeunes yeux de gigotements féminins provoqués par une main maternelle si, presque aussi bien placé que l’heureux garçonnet, Pierre de son côté, pour devenir de bonne heure flagellant d’intention, n’eût eu deux petites cousines, douées elles aussi de la grâce et de la gentillesse de leur âge. Il avait assez souvent la joie de les contempler fessées — et à l’occasion fort bien — par leur maman. Nous ne nous montrerons donc pas plus exigeants qu’eux et nous ne rechercherons pas plus longtemps qui, des deux, fut l’ « inventeur » de la commune passion qui les devait animer également et toujours.

Disons tout simplement qu’à huit ans ils éprouvaient un bonheur tout pareil à voir claquer les petites filles, que celles-ci fussent leurs sœurs, leurs cousines, leurs camarades. Bientôt, ils s’efforcèrent de saisir chaque occasion de jouer vis-à-vis de toutes, indistinctement, le rôle de Pères-fouettards sévères et convaincus. Mais, hélas ! à Paris, il n’en est pas comme à la campagne, où les enfants, livrés à eux-mêmes, échappent davantage à la surveillance. Rares étaient les moments propices où ils pouvaient exercer leur zèle prématuré de flagellateurs, si nettement dirigé exclusivement vers ce sexe qui, pourvu de généreuses rondeurs, leur faisait sentir déjà son attirance. Autant que Pierre, dédaigneux des minces derrières masculins, Monsieur Paul, parfois, s’émancipait avec ses sœurs. Étant plus fort qu’elles, il s’essayait au rôle correcteur ; mais, les petites ne se laissaient pas faire volontiers et cela lui valait personnellement, au rebours de ses aspirations, d’être par sa mère traité de telle sorte que rentraient illico en lui ses velléités de sadisme ingénu.

Pour un temps seulement, car il ne tardait guère, avec son ami, à pourchasser à nouveau ces affriolantes rondeurs dont le contact momentané devenait, pour leur main enfantine, un besoin réel.

Explique qui voudra les raisons profondes de la précocité sensuelle chez les enfants. Pour nous, nous y renonçons et nous croyons fermement que, tant physiologiques que psychologiques, ces raisons, neuf fois sur dix, échappent à toute analyse. C’est pourquoi, nous continuerons prudemment jusqu’à la fin de nos jours, à nous abriter derrière ces paroles de l’Apôtre, citées plus haut.

Et maintenant est-il nécessaire de nous attarder à relater les menus incidents émaillant l’enfance de deux flagellants ? Ce serait raconter une fois de plus des fessées naïves, comme nous en avons conté déjà beaucoup. Or, elles se ressemblent toutes. D’un saut, sans flâner davantage, passons donc résolument par dessus dix années entières et négligeons les puériles idylles de ces garnements avec de petites Parisiennes, dessalées autant qu’eux. Ne rejoignons les deux héros mâles de notre histoire que lorsque, la robe prétexte revêtue, ils auront atteint dix-huit ans.

Dix-huit ans ! L’âge heureux par excellence, au dire de tous les hommes — ou à peu près. Eux seuls, en effet, en gardent bon souvenir et, pour les femmes, l’âge heureux ne sonne que plus tard.

Pour nous autres, les messieurs, n’est-ce pas le meilleur temps ? L’on est déjà un homme, on agit, on se comporte comme tel, quoique encore trop jeune pour assumer les conséquences d’une émancipation le plus souvent accomplie à cet âge.

Paul et Pierre, à dix-huit ans, ne comptaient plus leurs bonnes fortunes. Volages, ils en avaient eu un nombre flatteur. Employés de commerce, tous deux, dans le quartier du Sentier, chez des commissionnaires différents, ils choisissaient leurs conquêtes plus encore parmi les jeunes employées que parmi les jeunes ouvrières qui fourmillent presque autant dans le voisinage. C’étaient les amies de leurs amies et, grâce à chacune d’entre elles, ils faisaient vite connaissance de quelques autres.

Or, de toutes les gentes demoiselles parmi lesquelles évoluaient avec aisance les aimables conquérants, il n’en fut pas une seule qui ne reçut les petites fessées de rigueur de l’un ou de l’autre, et même de l’un et de l’autre. Car fraternels, ils mettaient en commun leur bonheur, au cours des parties carrées organisées les dimanches et qui se déroulaient ordinairement à la face du ciel, dans quelque site agréable des environs de Paris.

Leurs liaisons en général ne duraient pas longtemps et leurs brèves amourettes ignoraient les fastidieux lendemains. On se quittait comme on s’était pris, après quelques parties à Robinson ou dans la vallée de Chevreuse. On avait déjeuné, dansé, dîné, en quelque endroit charmant qui, à l’époque, moins couru qu’à présent, ne retentissait pas du « coup de fusil » du traiteur sans vergogne qui aujourd’hui voit toujours des Américains dans les plus authentiques Parigots.

On s’arrêtait dans la solitude favorable de quelque boqueteau et alors s’accomplissaient les rites mouvementés et bruyants de la fessée double ; rites à jamais fixés dans l’ensemble mais qui, agréablement fantaisistes, variaient dans le détail, selon la personnalité différente de chacune de ces demoiselles et qui, pour elles répétés sans effort s’achevaient chaque fois de leur part en une pieuse contemplation de la feuille à l’envers.

Cela dura quelques années et s’interrompit brusquement par les obligations militaires de ces messieurs. Mais, sitôt achevé leur temps de présence sous les drapeaux, ils reprirent leurs habitudes que, versés tous deux dans la ligne, à Orléans, ils s’étaient efforcés de ne pas perdre, dans la mesure du possible.

Revenus à Paris, de nouvelle années se passèrent : leur situation s’améliora. Ils n’habitaient plus chez leurs parents et, comme c’étaient des sages, ils mirent à exécution un projet que, dès leur tendre jeunesse, ils avaient toujours caressé. Sans le savoir, ils se rencontraient avec Vauvenargues disant que « ce qui caractérise la belle vie, c’est d’être une pensée de jeunesse réalisée par l’âge mur ».

Cette pensée de jeunesse qu’ils réalisaient, c’était de vivre ensemble. Et ce fut, en effet, la belle vie.

D’abord modeste, leur installation dans un petit appartement devint peu à peu plus confortable et, comme, vers la trentaine, ils gagnaient, l’un et l’autre, assez d’argent dans la commission, ils habitèrent alors, de compagnie, un fort coquet domicile, rue Lafayette.

Depuis longtemps, déterminés à faire choix de compagnes appropriées à leurs goûts, ils consacrèrent des années à n’arrêter définitivement leur choix qu’après de nombreuses sélections.

Enfin, le jour vint — pour dire les choses comme elles furent — le jour vint où une certaine Estelle que Pierre avait élue d’abord, leur présenta une amie à elle qui, parfaitement, conviendrait non seulement à Paul, mais aussi à Pierre, autant qu’à elle-même, Estelle. Bref, cette Lucie serait l’idéal quatrième membre du quatuor irréprochablement homogène parce que parfaitement assorti.

Estelle était brune ; sa chère Lucie blonde. L’accord se fit avec Paul, mais il arriva — et cela dès le début — que ni l’un ni l’autre des deux dames ne fut l’épouse trop strictement attribuée à tel ou tel des deux messieurs.

Si, pour le concierge de la rue Lafayette, car c’est là qu’ils s’installèrent, le second hymen une fois conclu, la blonde Lucie était madame Paul et la brune Estelle madame Pierre, il arrivait que, dans la pratique, au gré de l’inspiration du moment, chacune des deux chambres à coucher contiguës abritait un couple qui, la veille n’avait pas toujours été celui-là.

Seuls, les messieurs restaient fidèles chacun à son lit ; mais, pour les dames, rien de pareil, c’était un perpétuel chassé-croisé.

En permettant à leurs compagnes ces continuelles trahisons, les deux maris témoignaient, certes, d’une haute sagesse. Mais, une telle concession à la féminine faiblesse prouve-t-elle seulement de l’indulgence ? N’y aurait-il pas lieu de soupçonner là des visées à la fois plus profondes et plus humainement pratiques ? N’était-ce pas, tout bonnement, faire la part du feu ?

Si quelqu’un parmi nos lecteurs, pouvait penser que les données de ce récit ont été imaginées par nous et que de tels ménages à quatre n’existent point dans la vie réelle nous lui dirions, en ce qui concerne ce quatuor, que déjà nos livres précédents l’ont fait connaître quelque peu. Plusieurs faits relatés, ici ou là, émanent de ces deux dames ou de ces deux messieurs. Tout en regrettant de ne pouvoir préciser, nous allons compléter nos indiscrétions, et les aggraver même, en transcrivant quelques documents, que nous tenons de Pierre, de Paul ou de leurs compagnes. Les renseignements de cette nature ne sont vraiment intéressants que recueillis de ceux qui vécurent personnellement les faits relatés.

Voici, par exemple, quelques souvenirs d’enfance de la brune Estelle.

Disons, tout d’abord, que si elle a vu le jour en Savoie il semble que ce soit uniquement pour démentir le mot cruel de Michelet qui, dans la préface de son Voyage en Italie, parlait en propres termes de la laideur savoyarde.

Or, Estelle est plus que jolie, elle est exquise.

Elle avait onze ans. Un jeudi, sortant du catéchisme avec les autres enfants du pays, filles et garçons, elle fut témoin oculaire d’une fessée infligée par le curé à un garçon d’une douzaine d’années, coupable de s’être mal tenu dans la chapelle.

La correction lui fut administrée sous le porche, en dehors de l’église, au vu non seulement des vingt-cinq enfants du catéchisme, mais encore de plusieurs mamans et grandes jeunes filles, demeurant sur la petite place et qui sortirent de chez elles avec empressement.

— Oh ! qu’est-ce qu’il prit comme fessée, le petit Rousseau ! Qu’est-ce qu’il prit !

C’est ainsi que s’exprime Estelle sur le compte de l’exemplaire correction administrée par le curé, un vigoureux gaillard de trente cinq ans qui tenait sous son bras, gigotant furieusement, le gamin déculotté. Ses fesses, une bonne paire, dit-elle, à l’air vif d’un frais matin de mars, étaient à la fin d’un rouge violet, amplement claquées à tour de bras.

La fessée est traditionnelle, dans la région, on le sait et le témoignage d’Estelle confirme, une fois de plus, cette constatation.

Elle-même en reçut sa copieuse part, jusqu’à quinze ans, de son père, de sa mère. Nombre de ses compagnes se trouvaient dans son cas dans leur famille.

À quinze ans, elle partit pour Paris, rejoignant une tante, mariée, établie hôtelière. Fût-elle restée au pays, elle y aurait été claquée, sans aucun doute, deux ou trois ans encore. Car le fait n’offrait rien de rare, de la correction par la fessée, à nu, de jeunes filles de dix-sept ans, au moins. Elle en fut, d’ailleurs spectatrice, quinze fois, affirme-t-elle, et même peut-être plus encore, dans sa petite ville.

Elle y avait une autre tante, demeurant non loin, quelques maisons en-deça de la route montante à la montagne. Mère de deux filles et d’un garçon, sa tante ne manquait jamais de les fesser quand elle les devait punir. Estelle elle-même reçut, de sa tante, quelques fessées, appliquées, toutes, de manière à ce que s’en conservât le souvenir dans sa mémoire, aussi nettement imprimé après des années que l’était, sur le moment, la marque rouge des mains avunculaires sur le séant crispé de sa nièce.

Au dire d’Estelle, d’une fessée de sa tante on se ressentait une heure durant, au bas mot.

Nous avons parlé quelquefois de marques persistant tout une semaine : Estelle prétend avoir été à même d’en observer de telles, maintes et maintes fois et datant de plus loin, de quinze jours sûrement. Dans son entourage, les fessées se donnaient toujours vigoureusement. Sa mère ne claquait jamais autrement ; mais sa tante l’emportait encore en rudesse.

Ne cachons pas — car c’est la vérité — qu’à la jolie Estelle ne déplaisent nullement à l’heure actuelle les fessées vigoureuses. Il lui semblerait simplement ridicule que l’on claquât doucettement un derrière féminin. Lorsqu’elle en administre une à son amie Lucie, qui est plus grande et plus forte, ses gifles s’abattent en pluie dense et serrée, comme elle l’aime recevoir. C’est la façon de fesser qu’on connaît « par chez elle » et, à son avis, c’est la meilleure.

Que de fois goûtèrent-elles ensemble à qui lasserait l’autre s’employant de son mieux à bien fesser sa chérie et cela, pour la plus grande joie de Pierre et de Paul ? Proclamons que c’est Estelle qui fut toujours victorieuse dans ce match impressionnant.

Il serait, en effet, difficile à une jeune dame d’aimer davantage la fessée soignée. Les claques consciencieuses, ses admirables fesses dures les réclament, avant l’amour, comme le stimulant idéal. Elles les réclament aussi, aux heures chastes, comme l’agent le plus actif de la santé.

Quant à Lucie, la blonde, Parisienne authentique, si elle était la tendre amie d’Estelle, il y avait de forte raisons pour cela. Raisons multiples, certes, mais parmi lesquelles l’amour du Fouet comptait comme une des primordiales.

Toutes deux naguère travaillaient dans un même bureau où elles étaient entrées ensemble à quelques jours près. C’est là qu’elles firent connaissance et se sentirent attirées, l’une vers l’autre, par le fluide mystérieux que chacune dégageait et dont l’autre s’avérait merveilleusement outillée pour capter les effluves.

Batignollaise, Lucie avait été élevée en pension à une vingtaine de lieues de la capitale. Quand l’on fouettait, dans cette pension, ce n’était jamais en présence des autres élèves. La Directrice opérait dans son bureau particulier, seule avec la délinquante le plus souvent. Parfois, quand il s’agissait d’une petite fillette, c’était devant l’élève plus grande qui, sur l’ordre de la maîtresse de la classe, avait mené à Madame la jeune dissipée, la jeune paresseuse méritant d’être corrigée

Lucie qui quitta la pension à seize ans, après un séjour de cinq années, comptait parmi les meilleures élèves. Elle prenait progressivement du plaisir aux fessées des gamines qu’avec empressement elle conduisait, pour être châtiées, à la Directrice. Déjà bien jolies à voir, à huit ans, à neuf ans, elle trouvait que les petites fesses des filles le sont plus encore à dix, douze, surtout lorsque les font se bien démener les claquées copieuses davantage au fur et à mesure que leurs rondeurs géminées gagnent en volume. Quand il lui arrivait, les deux dernières années, de pouvoir contempler une condisciple, sinon de son âge, mais développée pour ses douze ou treize ans, titulaire de formes épanouies, franchement accusées, et, avec cela, les tortillant louablement sous une sévère fessée, rien ne l’eût rendue plus heureuse. Cette vision la portait à un éréthisme intense et lui inspirait un désir effréné de fesser, désir obsédant qui devenait chaque fois, la hantise d’une ou de deux heures de fièvre, le soir, sitôt dans son lit.

Les derniers huit mois, étant monitrice et surtout lorsque tout un trimestre elle suppléa la maîtresse de la seconde classe qui, souffrante, dut à la fin être remplacée, elle avait perfidement poussé à se mettre en défaut, leur tendant même des pièges, quelques élèves appréciées d’elle spécialement pour leurs reins souples et leurs jambes fertiles en beaux gigotements. Entre autres, une fillette de douze ans qui, loin pourtant d’être la plus callipyge et qui, même, peu précocement épanouie dans l’ensemble de sa jeune académie se montrait moyennement charnue ; mais qui l’excitait fort par une outrance remuante se manifestant par des jeux de fesses vraiment uniques, dont n’approchaient ceux d’aucune autre élève.

Les corrections n’étant jamais administrées publiquement en classe, l’émulation n’entrait pour rien dans cette extraordinaire mobilité. Si la Directrice ne semblait ressentir nulle émotion à l’observer, elle, Julie, s’en délectait et, en y songeant aujourd’hui, elle la considère comme l’artisan principal de sa vocation.

Revenue chez ses parents, elle put quelquefois satisfaire sa passion de fouetter avec des cousines, des amies ; car elle continua ses études jusqu’à dix-huit ans.

Elle occupa alors des emplois de secrétaire dans des bureaux où elle put contracter quelques amitiés qu’elle poussa jusqu’où elle entendait pousser les amitiés féminines. La fessée, toujours et toujours y était — et dans chacune — son objectif principal.

Lorsqu’elle fit la rencontre d’Estelle, aussitôt elle s’éprit de la jolie brune, grande et svelte, nantie d’une croupe merveilleuse et elle ne tarda pas à parvenir à son but. Dans la chambre modeste qu’elle occupait rue des Jeûneurs, elle emmena celle que, dans le bureau, elle poursuivait ardemment sans lui celer, dès le second jour, qu’elle avait une furieuse envie de la fesser.

Un an plus tard, lorsque Estelle eut fait la conquête de Pierre, elle lui parla de Lucie qui pour Paul serait la compagne rêvée. Nos lecteurs, désormais savent le tout de leur histoire et nous n’avons vraiment plus qu’à les instruire de quelques points de détail complémentaires.

Si, par la force des choses, Lucie a pris goût à être fessée elle-même, c’est quand même comme flagellante active qu’on la doit cataloguer. Le côté actif de cette passion domine chez elle, cela est évident. Elle adore fouetter les autres femmes.

Mais, elle apprécie à présent les fessées qui lui sont infligées de mains masculines. Elle y prend, de jour en jour, un plaisir plus certain et voici ce qui est devenu pour sa sensualité, le programme d’une séance de flagellation conçu de façon à la satisfaire complètement : rendre à une femme la fessée qu’elle vient de recevoir d’un homme. Après avoir été fouettée par Paul ou par Pierre, elle fouette avec amour sa chère Estelle.

Dans les souvenirs de sa carrière, courte, comme peut l’être d’une femme aussi jeune, mais carrière féconde pourtant en heureuses rencontres, nous en cueillons deux que, quant à nous, nous trouvons singuliers et piquants.

Quatre ans avant de connaître Estelle, Lucie avait accompagné sa mère dans une ville d’eau. Elle avait dix-neuf ans alors. Pour sa santé, sa mère devait faire une cure de vingt-et-un jours. Nous tairons le nom de l’endroit et nos lecteurs comprendront à l’instant les raisons de notre réserve. Guidées par des raisons d’économie, mère et fille étaient parties en juin. Elles logeaient en ville chez une dame qui d’ordinaire avait douze pensionnaires, dans le moment de la pleine saison, c’est à dire en juillet-août. Au début de l’été, en juin, elle n’en logeait que deux autres indépendamment de Lucie et de sa mère. Ces deux-là, étaient aussi une maman parisienne avec sa fille de seize ans, qui arrivèrent le même jour.

Or l’hôtesse avait une fille également, grande et belle brune de dix-huit ans. Lucie se mit en tête de fesser, l’une comme l’autre, ces demoiselles, celle de seize ans, celle de dix-huit.

Les trois jeunes filles couchaient dans la même chambre, en haut de la maison. Trois lits étroits d’une seule place étaient disposés dans cette pièce vaste, à la vérité un grenier, mais aménagé fort proprement, avec goût même.

Autant à la jeune Parisienne, jolie adolescente fine, qu’à la vigoureuse provinciale, Lucie dispensa les fessées qui, délicates et mesurées pour commencer, furent bientôt mieux conditionnées. Mettant à profit les moments propices, ceux où les deux mamans prenaient les eaux, ou quand l’hôtesse était en bas, les trois jeunes filles, chargées de faire leur chambre et celles des mamans avaient toute facilité de s’ébattre à leur guise.

Les mères parisiennes, de retour chez elles, leur cure terminée, continuèrent d’entretenir de bonnes relations. Leurs filles également et, elles, des relations de plus en plus tendres. Si bien que parvenue à l’âge de vingt-et-un ans, la charmante jeune fille, trois ans après tenait plus que jamais à recevoir de Lucie les exquises fessées dont celle-ci lui avait enseigné à déguster l’étrange saveur.

Une autre jolie expérience fut faite par Lucie, mais à Paris même, avec une ancienne camarade d’enfance qui, aussi longtemps qu’elle, avait fréquenté la pension où, à l’occasion, la Directrice recourait sagement au fouet.

Cette condisciple, appelée Simone, était plus jeune que Lucie. De deux ans, et elle resta pensionnaire un an entier, après le départ de Lucie.

À Paris, elles se revirent : Simone avec sa mère vint lui rendre visite et les deux familles se lièrent.

Sans être la plus remarquable de toutes, sans être la trépidante dont nous avons parlé, Simone se rangeait parmi celles que l’autre avait vu fouetter avec le plus de plaisir. À présent, pouvant en personne jouer le rôle rempli, sous ses yeux, par la Directrice qui lui inspirait tant d’envie, Lucie ne se fit pas faute de s’inspirer de son exemple.

C’est à quoi elle s’évertua. D’abord, assez étroitement, en reproduisant scrupuleusement, sans y rien adjoindre, ses classiques fessées, adoptant les mêmes positions descendant pareillement le pantalon, copiant sa façon de claquer, régulière, peu rapide, ignorant l’emballement même avec les pires gigoteuses. Mais, quelquefois, les jeunes filles ayant, une nuit entière, partagé le même lit, l’heureuse Lucie avait avidement profité de ces aubaines. Infiniment plus favorables que les courtes demi-heures, qui, par ci, par là, s’offraient à l’imprévu, ces nuits furent, hélas ! trop rares. N’importe, elle y avait eu tout à sa disposition le corps adorable de la brunette potelée qui, déjà gentiment pourvue à douze ans, possédait maintenant, à quinze, un derrière plus agréable encore à manier qu’il ne l’avait paru jadis à suivre du regard dans sa mimique alléchante. Les crispations des fesses de l’enfant, l’adolescente, loin d’en avoir perdu le secret, les accentuait encore, au contraire, et, bien mieux que la main impassible de la Directrice, celle de Lucie, toute chargée de passion, les provoquait à son tour. Pour elle qui si souvent les avait évoquées, dans ses rêves éveillés, quelle joie c’était d’animer de cette vie des fesses expressives comme celles-là qui, tant de fois, incitèrent au péché nocturne la candide pensionnaire.

Et pourtant, Simone n’était pas la flagellante passive qu’on croyait découvrir en elle. Non ; mais sans en être fanatique comme Lucie, elle aimait suffisamment la fessée pour se prêter au caprice de celle qui lui inspirait une affection évidemment justifiée.

Des quatuors du genre de celui que nous venons de vous présenter sont-ils rares ?

Oui, sans doute et l’on n’en trouve moins que de trios. Mais, il en existe plus qu’on ne croit — et même qui, parfois sont formés de deux couples mariés légalement.

Et où est le mal, après tout ? Convient-il même de s’en étonner ? Convient-il moins encore de les blâmer ?

Ce serait au nom de quelle morale ? Telle est la question qu’en terminant nous vous demandons la permission de poser, nous bornant, quant à nous, à répéter le vieil adage :

Honni soit qui mal y pense.

Jacques d’Icy.
Paris. Novembre 1925.


CORRESPONDANCE

AVIS À NOS LECTRICES,
À NOS LECTEURS

De même que dans chacun de nos livres, nous reproduisons à la fin de celui-ci quelques-unes des lettres reçues à la suite de la publication de Paulette trahie.

Nous en avons reçu, cette fois-ci encore, plus de deux cents. Nous renonçons à les publier toutes, c’est d’ailleurs de toute impossibilité. À elles seules elles constitueraient un volume du double de celui que nous offrons aujourd’hui à nos lecteurs. Nous donnons seulement celles qui diffèrent des lettres que nous avons citées précédemment. Nous choisissons forcément celles qui présentent de la diversité et quand même la thèse qu’elles défendraient ne serait pas la nôtre.

Que nos correspondants trouvent ici l’hommage de nos remerciements sincères. Nous le disions l’an dernier, nous le répétons encore, les lettres qu’ils nous adressent sont pour nous, non seulement l’encouragement le plus précieux, mais encore notre guide le plus sûr et le plus écouté de nos conseillers. Nous éprouvons une profonde reconnaissance envers plusieurs dames, particulièrement, qui ont bien voulu nous adresser des communications présentant le plus haut intérêt.

Jacques d’Icy.

Celles et ceux d’entre les lectrices et les lecteurs de Brassées de Faits qui voudront bien nous écrire, n’auront qu’à expédier leurs lettres au nom de l’auteur, à l’adresse de son très aimable éditeur qui les remettra au destinataire.

C’est ainsi qu’avaient fait les correspondants bénévoles dont nous avons eu le grand plaisir de publier les intéressantes communications.


LETTRE I

Cette lettre a pour auteur le signataire de celle qui termine la correspondance de Paulette trahie et qui portait le numéro XIV.

Nos lecteurs n’ont pas besoin que nous en fassions l’éloge ; ils en ont apprécié, comme nous, le haut mérite Nous leur offrons celle-ci qui, tout autant, enlèvera leurs suffrages, nous en sommes certain d’avance.

9 décembre 24.
Cher Monsieur,

Je remets, depuis quelque temps déjà, le soin et le plaisir de répondre à votre trop aimable lettre. Ne m’en tenez pas rigueur, je vous prie et croyez que j’apprécie, comme il convient, l’agrément de cette correspondance.

Nous passons une trentaine de lignes concernant uniquement nos livres, lignes trop élogieuses et trop personnelles.

… Vous envisagez dans votre dernière lettre un aperçu original de la question qui nous intéresse : la volupté du fouet suffisante en soi, pour l’apaisement des désirs sexuels. Une telle volupté est en effet compatible avec la chasteté. Trahit sua quemque voluptas : car, nous entendons bien qu’un pareil goût, relève toujours, même chez les mystiques, d’une obscure et rare satisfaction sensuelle. Il y aurait, à ce sujet, du double point de vue psychique et physique, matière à précieux développements. Souvenez-vous que l’usage immodéré de la discipline se trouve condamné, chose paradoxale, dans certaines règles monastiques. Inutile de souligner les raisons qui ont pu guider nos prudents réformateurs. Thérèse d’Avila devait avoir de nombreuses et ferventes disciples ! En tout bien, tout honneur ; car, je n’envisage point les pénitences conventuelles à l’instar de Boccace.

À vrai dire, je crois que tout être humain appartient peu ou prou à une classe définie de flagellants. En d’autres termes, chacun porte en soi, comme le péché originel, un germe de sadisme ou de masochisme. Quelques privilégiés possèdent les deux aptitudes. La graine peut sommeiller longtemps, toujours même, à l’état de vie ralentie, mais il suffit d’un souffle pour la ranimer,… J’allais philosopher, cher Monsieur Jacques d’Icy, et mettre à l’épreuve votre patience. Permettez moi de couper court en vous apportant une tranche vécue, un remarquable exemple de passion flagellante passive, une observation rigoureuse d’amante du fouet qui me paraît illustrer votre thèse.

Je vous ai conté brièvement l’histoire de Donnia, la Moscovite, une masochiste à transformation qui aimait bien des choses ! Je m’efforcerai de réduire à l’essentiel ma seconde aventure pour ne point vous lasser.

Quelque temps après mon départ de Constantinople, les hasards de la navigation me retinrent longuement dans une échelle du Levant peuplée d’Hellènes. Je ne puis, par discrétion, désigner cette escale.

Imaginez une ville très dense, grouillante en gradins un cirque de maisons multicolores qui se mirent dans l’eau tranquille, des oliviers et de noirs cyprès sous un ciel attique.

Fatigué de la mer et fatigué du bord, j’eus recours à l’obligeance intéressée d’un gros personnage, chef de la gendarmerie, pour loger à terre loin de la douteuse hospitalité des hôtels indigènes. Un archiprêtre orthodoxe, de noble prestance, se fit un honneur, moyennant une forte rétribution, de me céder une jolie maisonnette, attenante au presbytère. Cet excellent « pappa », homme d’affaires émérite car il avait plusieurs cordes à son arc, était père de deux filles. L’aînée, une superbe créature de vingt ans, institutrice dans la plus grande école du pays, se nommait Chariklia. Dans l’intimité, Chary. Elle parlait français avec un délicieux zézaiement et provoquait autour d’elle une cour de soupirants, deux ou trois officiers roides et calamistrés, de jeunes mercantis, parmi lesquels trônait en belle place mon capitaine de gendarmerie. Sa sœur, plus petite, moins jolie, mais appétissante et dodue, âgée de seize ans, avait nom Eumorphia. On l’appelait Morphitza.

Entre la famille de l’archimandrite — je laisse de côté mon hôtesse la « pappadia », femme du « pappa », bavarde et insignifiante, et son locataire, les relations devinrent bientôt charmantes. Je fis tout ce qu’il fallait pour me faire agréer. En ces temps de disette, il m’était facile de soutenir le prestige de l’uniforme par des arguments solides, palpables, convaincants. Enfin, ma qualité d’occidental… je passe.

Chary et Morphitza luttaient de coquetterie. Ma chambre embaumait d’œillets poivrés, de roses et de basilic. J’étais soigné comme Ulysse dans l’île de Calypso.

J’enseignais le français, à mes nouvelles amies et Chary me donnait en échange des leçons de grec moderne. Le papa et la pappadia me dépouillaient fort civilement de milles choses imprévues. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Un autre, à ma place, eut peut-être sacrifié sans débat, sur l’autel d’Aphrodite en compagnie de Chary ou de Morphitza. Les langueurs, l’obscure jalousie qui les divisait, les œillades homicides que me décochaient les prétendants, tout me conseillait de cueillir fleur et fruit. Mais, j’étais hanté par le souvenir de Donnia, autant que par mes propres instincts. Je voulais plus et mieux qu’une banale aventure. Que celui qui ne fut jamais machiavélique me jette la première pierre.

Voyez la fille du pappa, cher monsieur Léon, et vous me comprendrez : une Cora d’Orient, aux yeux ardents, casquée de jais, à la gorge héroïque, admirablement callipyge. Opulente beauté, souple et grasse, mais beauté éphémère. Vers la trentaine, de pareilles femmes s’empâtent et c’est un grand dommage.

Elle m’attirait plus que sa sœur et pour elle j’eusse bravé des périls autrement précis que les regards meurtriers dont me perçaient deux ou trois pallikares civils et militaires. Les faveurs dont j’étais l’objet incendiaient d’une sombre rage le visage du pandore, mon introducteur. J’étais ravi.

Peu à peu, je façonnai avec patience ma trop séduisante élève et je la conduisis sur les terrains de mon choix, en de longues et troublantes conversations.

Vous m’écrivez très justement que la flagellation, si fréquente dans les pays du Nord, est rarement pratiquée chez les peuples méridionaux. Notez pourtant que, dans l’antiquité, les verges jouaient un grand rôle, à l’école, au tribunal, dans les ergastules. Enfin, le culte de Diane, à Sparte, se pimentait de flagellations publiques fort goûtées et fort suivies.

Ce rite fut l’objet de plusieurs entretiens avec Chary, car elle était instruite et fort intelligente. Hérodote et Thucydide me pardonneront d’en avoir modifié le protocole pour les besoins de la cause. Des anciens on passe facilement aux modernes et c’est un jeu que de falsifier un peu, très peu même si je vous entends bien, les méthodes disciplinaires en honneur dans certains pensionnats. Qui veut la fin veut les moyens. Chary prenait plaisir à ces conversations. Elle se familiarisait avec la chose, avec l’idée. Ses yeux luisaient, de furtives rougeurs empourpraient son visage. Elle provoquait des confidences, le regard perdu sur la mer violette, la main crispée dans ma main, la croupe cabrée sous de brèves caresses, anodines privautés dont je n’abusais guère. Si vous êtes chasseur, vous comprendrez ma fièvre, une fièvre que je me gardais bien d’étendre en prenant des gages que mon élève n’eût point refusées. Chary était vierge. Elle était chaste, autant que j’en pouvais juger, mais elle mordait singulièrement aux histoires de flagellations. Je lui donnai à lire ****, un assez pauvre livre, puis ***** une œuvre colorée et violente, car Donnia m’avait repris Esclave amoureuse[ws 2]. Son vocabulaire s’enrichissait uniquement de mots délicieux. Elle devenait émouvante. Que de fois ai-je dû me contenir, pour ne point la fesser, sans autre forme de procès, quand elle détaillait, de sa voix grave et zézayante les cruelles flagellations infligées à une femme dans le roman de *****. Mais il fallait un prétexte. Je le trouvai dans mon enseignement.

Comme nous jouissions d’une entière liberté, toujours à cause du prestige, les leçons de français se prenaient chez moi, un asile inviolable pour mes hôtes !

Cher Monsieur Jacques d’Icy, que n’ai-je en main votre plume d’artiste pour conter ce qui suit !…

Le décor : une vaste chambre blanchie à la chaux, ornée de mes gravures familières et, dans un coin, l’iconostase. Des tapis de Caramanie, un lit de camp couvert d’un Bokkarah et, par les fenêtres ouvertes, le ciel pur et la mer irisée de l’Hellade. Nous étions au printemps. Un mangal garni de chardons rouges exhale une chaude haleine. Tout cela m’est aussi présent à la mémoire que le premier jour.

— Chary, avais-je dit à ma splendide amie, ton accent est affreux et tes progrès sont nuls. Fais bien attention, car désormais je suis résolu à te punir… Tu sais comment ?… À te fouetter, ma chère, comme on fait chez nous pour les filles paresseuses…

Elle écouta mon petit discours, les yeux clos et la gorge houleuse, rouge comme une pivoine. Puis elle lut ou plutôt elle bredouilla.

— Voici qui passe la mesure, Chary… lui répétai-je. On dirait que tu le fais exprès… Je vais te fesser…

Très grande, très robuste, superbement cabrée, elle me résista. Son beau corps tremblait. Je la poussai en travers du lit, lourde, anéantie, et je la retroussai, rompant sa courte défense.

Elle portait un pantalon fermé, gonflé à refus de chair exubérante. Je me contentai de la fouetter ainsi avec science et vigueur. Sous ma main, ses fesses durcirent et palpitèrent. Chary se révéla d’emblée une ardente complice.

Elle « prenait la fessée », suivant votre exquise expression, avec une ferveur contenue. Elle vibrait à fond.

Son hérédité — les femmes sont toujours un peu serves en Orient — la prédisposait au rôle passif. Enfin, son instinct sexuel fut orienté du premier coup vers la flagellation. Je m’aperçus bientôt qu’elle y puisait une volupté active, un plaisir impérieux, des joies pures de Carmélite. Elle aimait le fouet pour ses cuisantes morsures, comme d’autres aiment l’alcool pour l’ivresse qu’il procure. Elle s’y abandonnait de toute sa chair avec des soupirs et des plaintes passionnées. Elle se révéla au bout de quelques expériences, car vous pensez bien que l’initiation fut suivie de nombreux chapitres, corsés à donner le vertige, elle se révéla, dis-je, puissante masochiste, algophile prodigieuse. Elle réclamait sans cesse de plus cuisantes fessées, des flagellations de captive. Elle m’implorait de la fouetter jusqu’au sang.

Je la vois encore se glisser dans ma chambre, après avoir soigneusement poussé les verrous du vestibule, les yeux brillants, les lèvres tremblantes, la face pâlie. Je vois son regard attaché sur la cravache qui me venait de Sonnia, sur le martinet armé de cinq lanières que j’avais formé à son intention.

Un prétexte pour la fouetter ? À quoi bon. Tout cela était histoire ancienne. Nous n’avions plus besoin de prétexte.

— Que veux-tu ? lui disais-je.

— Je veux que tu me fouettes, je veux… (thelo name mastigosês, thélô…).

Sans un mot, elle se déshabillait, à demi déboutonnée, puis se jetait sur le lit, impudique et nue, le visage enfoui dans sa noire chevelure. Sa croupe somptueuse marbrée de fossettes et de virgules roses s’offrait, pressée à ne faire qu’un tout, au délicieux supplice.

La fessée manuelle, chère à vos héroïnes, ne lui suffisait plus. Certes, je la fessai chaque fois pour mon propre plaisir, apéritif au festin qu’elle désirait ensuite. Il fallait, pour la contenter, le solide martinet dont je vous ai parlé et surtout la courbache, mordante et souple comme un vif et vivant tentacule. Cette courbache, je la possède encore, précieux talisman !

Je n’oublierai jamais l’expression de volupté qui magnifiait jusqu’à l’extase sa belle face passionnée. Elle se tordait avec des clameurs de joie et des cris d’amante, la chair bouleversée. Si vive était la douleur que parfois Chary mordait à pleine bouche la laine de Boukkarah et que des larmes montaient à ses yeux révulsés. Elle parlait en grec, par mots entrecoupés :

— Je t’aime… tu es mon Dieu… je veux que tu me fouettes encore… plus fort… plus fort et que mon sang coule ! »

Je traduis exactement ses phrases recueillies sur le vif, à cause de leur force.

Se agapô eisai o théos mon… thelô na me mastigosès akoma… pio dunata pio dunata… As tréchei to aima mou ! »

Bien entendu, je ne consentais pas à de telles violences. Mais il m’est arrivé parfois de la fouetter au sang dans la fièvre du jeu. Longtemps nos rapports demeurèrent invariables. Elle venait chez moi recevoir le fouet, mais elle restait vierge. Je résistai par scrupule, peut-être par raffinement, au désir de la prendre. Le jour où, vaincu par la nature, je devins « son seigneur », quelque chose se brisa.

Fouettée et refouettée, elle devenait, comme Mathilde de la Môle pour Julien Sorel, une maîtresse aimable, docile, mais non point cette bacchante que l’on pouvait attendre. L’essentiel demeurait, à ses sens énervés, un accessoire. Le Fouet passait avant Priape. Sous les morsures de l’un, elle acceptait l’autre ; mais, des deux voluptés, elle préférait la première infiniment. Il y a là un cas de déviation sexuelle réellement exceptionnel et remarquable à tous points de vue.

Elle disait encore :

— Le fouet est mon remède… Je suis folle du fouet. (Io mastiga einai iatriko mou. Eimà trellà m’auto).

Elle avait des désirs singuliers. Un jour, elle me supplia de l’attacher sur le lit avec des cordes. Elle s’identifiait avec les héroïnes dont elle lisait et relisait l’histoire en cachette. J’avais une assez belle collection de voyage, mais je ne possédais pas encore vos livres, mon cher auteur, et ce fut grand dommage !

Elle s’enthousiasmait d’une fort belle aquarelle où une amie, artiste et flagellante, s’était plu pour moi à représenter une femme enchaînée, fouettée, nue, par un amant qui contemplait ardemment ses belles fesses. Ces mêmes détails parmi tant d’autres pour vous faire toucher le fond de cette étrange nature.

À l’école, le mot fouet devenait pour ses élèves un modèle d’écriture. Cinquante petites Hellènes barbouillaient leur cahier d’une sentence suggestive sans se douter que les superbes fesses de leur institutrice en portaient la preuve éclatante. Cette sentence : « Qui aime bien, châtie bien », vous inspira, cher Monsieur Jacques d’Icy, deux livres excellents et dont le second est, à mon avis, le meilleur.

J’abrège, car je n’en finirais plus d’évoquer mes souvenirs et d’arrimer, autour de notre groupe, quelques rôles secondaires, pleins de sel. Le beau gendarme, les pallikares, les mercantis, qui noyaient, le soir, dans un verre de raki, des regards enamourés et fumaient sans vergogne mes cigarettes russes.

Au milieu de l’été, après une semaine d’absence, je notai, en rentrant chez moi, la disposition du martinet, rude instrument qui donnerait le frisson à nos jeunes débutantes.

Chary, interrogée à ce sujet, rougit et détourna la tête. Son embarras confirma mes soupçons. Pour la première fois, elle me parut moins avide de goûter au fouet Elle ébaucha même une vague résistance, comme j’atteignais sa jupe pour la déculotter. Jugez de ma surprise, quand elle s’abandonna, le visage dans ses mains…

Sa croupe magnifique était zébrée de virgules pourpres, violacées…

J’obtins sans peine sa confession totale.

— J’étais trop malheureuse, me dit-elle, en pleurant de rester seule ici. Je pensais à toi, je souffrais de ton absence. Alors, je ne sais pas. J’ai pris le martinet, mon seul remède et je me suis fouettée… Chaque jour, je me fouettais ainsi jusqu’à l’épuisement de ma force… Ensuite, j’étais plus calme. Je comptais les heures… Hier, en montant dans la chambre, j’ai trouvé Morphitza qui apportait des fleurs. Nous nous sommes disputées à cause de toi… Moi, je ne l’aime plus. Je suis jalouse encore bien davantage.

Cette fois, Chary fut ma maîtresse ardente. Le lendemain, par jeu, je lui ordonnai de se flageller comme elle avait accoutumé de le faire en mon absence. Elle m’offrit sans hésitation un spectacle incendiaire, cher monsieur Jacques d’Icy, l’un des plus émouvants qu’il me soit possible de rapporter.

Elle me fit comprendre, mieux qu’une grave théorie, la passion des mystiques autoflagellantes. Son corps prenait d’étonnantes attitudes ; l’effort crispait son visage, précipitait son souffle. Elle se fessait âprement, de toute sa vigoureuse jeunesse, à la volée, ivre de volupté. J’aimerais à tenir le crayon de Malteste, pour mieux exprimer la scène que je vous conte. Voyez cette grande fille cambrée, au milieu de la pièce, maniant le martinet avec une ardeur fanatique… La religieuse de Diderot, mais combien plus vivante ! Combien plus convaincue !

Lassée, elle me tendit l’arme et se jeta à mes pieds : — Fouette-moi, implora-t-elle, je ne puis pas me faire assez souffrir

Ceci sera le mot de la fin. Si j’entreprenais maintenant de vous narrer toutes les péripéties de cette troublante histoire, il me faudrait de longues heures, une liasse de papier — et du talent !

Plus tard, si vous produisez le livre vraiment passionnel que vous laissez entrevoir, cher Monsieur Jacques d’Icy, je me ferai un plaisir de vous documenter. Il me semble que, seules, les choses vécues méritent d’être consignées.

Tout le reste ne compte pas. Nous sommes, à ce point de vue, du même avis.

Oui, je vous dirais comment je réussis, huit jours avant de lever l’ancre, à fouetter, à fesser la dodue Morphitza, en présence de sa sœur… Je vous dirais avec quel regard complice le vénérable archimandrite me confia qu’il se trouvait dans la nécessité de marier Chariklia au capitaine de gendarmerie… Je vous dirais bien des choses…

Donnia, Chariklia… une autre ! Ce ne sont point là « des profils perdus », ce sont d’admirables partenaires, des amies délicieuses. Trouverai-je leur sœur parmi celles qui vous lisent et qui peuvent s’attacher à de chaudes confessions ?

signé : Max Daniel.

Aucun commentaire, n’est-ce pas ? Nous ne voulons pas, par un seul, mot d’appréciation, troubler l’émotion que suscitent des lignes comme celles-là.


LETTRE II

Une lettre de dame. Nous en supprimons le commencement, malgré le grand intérêt qu’il présente ; mais certains passages ne peuvent être reproduits intégralement. De même que les appréciations concernant nos livres, appréciations qui ne font qu’en répéter d’autres, déjà publiées partiellement en leurs temps et émanant de non moins aimables correspondants.

Les passages que nous donnons n’ont été modifiés en rien. Nous ne nous serions pas pardonné d’en altérer la haute saveur par la moindre adjonction, ne fût-ce que d’un mot.

Tous nos remerciements et combien sincères, ainsi que nos chauds compliments à Madame Myriam.

… J’ai fouetté beaucoup de jeunes filles et de jeunes dames. Vous avez vu que je n’ai pas peur des mots, moi non plus et que je ne recule pas devant la franchise d’aveux que beaucoup de femmes n’osent faire.

Je déclare qu’elles ont tort ; notre époque s’est à bon droit affranchie de pudibonderies surannées. Pour moi, je n’hésite pas à déclarer mes goûts, mes préférences et, en toute conscience, je ne crois pas être à blâmer. Les hypocrites sont, seuls, haïssables, quel que soit leur sexe. S’il faut vous dire toute ma pensée, cher Monsieur, je crois que c’est chez vous, les hommes, qu’on en trouve le plus. Je suis heureuse de voir que mes congénères s’émancipent de plus en plus et s’arrachent à la séculaire tutelle qui les a opprimées jusqu’ici. La jupe courte, les cheveux courts sont deux signes, n’en doutez pas, qui marquent le réveil de la femme. Enfin, consciente de ses droits, elle va se faire, au soleil, la place à laquelle elle a droit et dont elle a été écartée si longtemps, on se demande pourquoi.

Mais ne croyez pas que les rapports entre les deux sexes seront moins aisés, moins agréables. Au contraire, ils n’en seront que meilleurs et plus faciles, du fait de cette égalité réalisée.

Mais, laissons cela. Si je me suis laissée aller à sortir un peu de notre sujet, c’est que je sens en vous une telle sympathie et si profonde pour notre sexe, en même temps qu’une compréhension bien rare de ce qui nous est propre et en quelque sorte constitutionnel, que je me suis étendue sans y songer un peu plus que je n’en devais espérer la permission de votre bienveillante patience. La faute vous incombe un peu, permettez-moi de le dire. Vous engagez de façon si pressante et si aimable vos lectrices à vous écrire franchement, que j’ai saisi par les cheveux cette occasion de vous faire part de mes appréciations sur votre œuvre, à laquelle je m’intéresse depuis votre premier ouvrage.

Voici donc quelques notes de voyage. Vous le savez, j’ai pas mal couru le monde. A beau mentir qui vient de loin, dit un proverbe. Je crois, Monsieur, ne pas avoir besoin de vous garantir la parfaite véracité de ces communications, qui en elles-mêmes ne présentent rien d’extraordinaire, car à Paris même et dans toutes les grandes villes de France ou de l’étranger, on en peut voir tout autant.

C’est à Alexandrie que le fait se passe. Avec une excellente amie, nous sommes allées dans une maison discrète, comme ici il en est beaucoup. Là, on trouve ce que les touristes sont invités à venir contempler. D’abord, les ébats d’un homme du pays, bien choisi pour son physique avec une femme non moins belle. Tandis que le gaillard s’évertue, la femme qui reste impassible, (car ici une femme ne doit manifester aucune émotion) tend la main à l’assistance en répétant ce seul mot : « batchich », qui veut dire : pourboire.

Ensuite, on peut voir un joli adolescent, aux yeux d’almée aux prises avec un homme fait… Passons, quoique le spectacle en vaille la peine.

Puis, une femme avec un âne… Passons encore, voulez-vous ? Ce n’est pas pour vous conter ce à quoi tout le monde averti s’attend, en Égypte, que je vous écris ; non, c’est pour vous apporter ma modeste contribution à la monographie de la flagellation que vous avez entreprise en l’étudiant dans divers pays.

Or, voici ce qu’à ce sujet j’ai vu en Égypte :

Dans une maison analogue à celle dont je viens de vous parler, c’est encore avec mon amie que je suis. On nous a dit que, dans celle-là nous verrions des fessées et c’est pour cela que nous y avons couru.

Que voyons-nous d’abord ? Un monsieur d’âge moyen, un Européen, qui a demandé comme compagnon d’une heure un joli éphèbe du pays. On le lui a habillé en femme sur sa demande. Le jeune homme est tellement joli que tout d’abord nous l’avons pris pour une jeune fille de dix-huit ans. Son visage est de merveilleuse beauté et fardé dans la perfection. Les yeux ont un éclat qu’envieraient des femmes réputées à Paris pour ce charme tant apprécié.

Le monsieur l’a pris sur ses genoux. Le voilà qui le fouette…

Que n’ai-je pas votre talent de conteur ? La fessée est admirable à voir, tant les contorsions de la pseudo jolie fille sont expressives.

Dans l’assistance, outre nous deux, mon amie et moi, il y a un jeune couple d’amoureux, homme et femme deux jeunes mariés peut-être, des Italiens, je crois : il y a aussi deux dames venues ensemble, l’une est Anglaise, l’autre Russe.

Le spectacle inviteur inspire l’Anglaise : elle dispose sur ses genoux sa jolie Russe et la fesse. Elle est entraînée, la Russe et cela se voit. Son endurance n’a d’égale que l’ardeur de sa mimique mouvementée. Le jeune marié et sa gracieuse femme semblent se plaire à les regarder et la contagion les gagne. Voici sa tendre épouse en posture, la voici déculottée, elle est charmante ainsi…

Alors, moi aussi, je ne veux pas rester oisive… Qu’auriez-vous fait à ma place, je vous le demande, surtout étant accompagné ainsi que je l’étais, d’une chère amie dotée de belles fesses adorant être bien claquées ?

Les quatre fessées retentissent à la fois, c’est très amusant, vous n’en doutez pas. Mais si c’est fort bruyant c’est là une bien belle symphonie, délicieuse pour des oreilles de flagellantes.

Mais, on n’est pas pressé. On se repose et l’on cause. Et quand la fessée est reprise, on a fait comme au bal où l’on change de danseuse. On ne danse pas toujours avec la même, sans doute. Ce serait, non pas fastidieux, mais simplement de mauvais ton.

On change donc. Je fesse tour à tour la jeune mariée, le bel Égyptien, la jolie Russe. Celle-là, je me la réservais pour le bouquet. Quelles fesses, Monsieur Jacques d’Icy ! que votre Paulette s’affolerait de leur dureté, de leur bonheur à se trémousser !…

Mais j’abrège. On s’amuse tant qu’on convient de recommencer le lendemain… Et ce lendemain a surpassé la veille. Je renonce à vous en donner, même un simple aperçu. Tous et toutes, nous avons goûté et regoûté à la divine fessée, sans nous en rassasier.

N’avons-nous pas eu raison. Dites, cher Monsieur, nous ne faisons de mal à personne ?

On m’a raconté qu’à Paris on réalisait de telles scènes, et même de bien pires, dans le secret de la nuit estivale et en plein air, en certaines promenades parisiennes…

Est-ce vrai ? Que ne dit-on pas des nuits de certains squares, des nuits du Bois de Boulogne ? des nuits du bois de Vincennes ?

Je crois tout cela fort possible. Mais, tout le monde n’aimerait pas s’y risquer. Je préfère, en ce qui me concerne, la sécurité d’un entresol discret. Lorsqu’on voyage beaucoup comme moi, c’est dans ces endroits sûrs que l’on va. On n’a pas toujours le temps, ni la possibilité de se créer des amitiés avec les gens que l’on coudoie et l’on recourt aux professionnelles, chez qui, d’ailleurs, l’on rencontre d’aimables visiteuses, des curieuses en quête d’imprévu pimenté.

C’est ce que je fais ; car, étant toujours en camp volant je ne puis faire autrement, la plupart du temps. Ce qui me m’empêche pas de regretter de ne pas connaître les flagellantes qui ont signé quelques lettres que j’ai lues, longtemps après. Quel dommage de ne pas m’être trouvée là, quand Georgette V. V. clamait sa détresse ? En voilà une que j’aimerais approcher ! Avec quel empressement lui viendrais-je en aide ! avec quel zèle la tirerais-je de sa langueur ! Quelles fessées, telles qu’elle en réclame, saurais-je lui administrer, à cette sympathique créature d’élite dont je comprends trop le tourment pour n’y vouloir compatir !

J’en ai rencontré déjà de semblables, grâce au ciel, et elles se sont louées de mes efforts, je m’en vante. Que de fois, écoutant les doléances d’une jeune femme, que je tenais dans mes bras, lui ai-je dit, entre deux baisers, que je savais bien ce qui lui manquait, ce dont elle avait un criant besoin ! et l’ai-je invitée à venir me voir ! Seule à seule, je la sauverais, je lui rendrais la sérénité…

Quand elle venait, il ne se passait pas un long temps avant que j’eusse fait le nécessaire, selon le rite que vos héroïnes, pour la plupart, connaissent si bien…

Elle me remerciait ensuite. En effet, cher Monsieur, partageant nos idées sur le rôle de la fessée, j’ai fait quelques prosélytes et, grâce à moi, et j’en suis fière, il s’en administre, en ce moment, sous la calotte des cieux un certain nombre dont je suis l’instigatrice.

C’est ce dont, je le répète encore, j’ai raison de me vanter. Car, s’il est un cas où l’on ait le droit de s’enorgueillir, c’est bien d’avoir inculqué à des amies le goût d’une bonne chose et de leur avoir montré la manière de s’en servir. Des prosélytes, je certifie avoir, pour ma part, fait une vingtaine. J’entends, par là, vingt flagellantes réellement pratiquantes, convaincues, zélées. Je passe sous silence un nombre qu’il m’est vraiment impossible d’évaluer et qui doit s’élever au triple, peut-être, de simples « amateuses » qui ont pris, certes, du plaisir à être fessées par moi, mais que je ne pense pas être devenues, à leur tour, des initiatrices, des propagandistes.

Tandis que les vingt dont je parle, les vingt enthousiastes et ferventes, c’est dans ma profession que je les ai choisies. Comme j’ai occasion de les rencontrer souvent, je suis renseignée par elles-mêmes. Le bon grain que j’ai semé — dans un bon terrain, choisi par moi — a levé et, chaque année, j’apprends que la récolte est bonne, qu’elle est meilleure même, chaque fois. Les vingt missionnaires répandent avec fruit la bonne parole, le bon exemple, le tout puissant exemple.

N’ai-je pas le droit de m’en applaudir, dites-moi, cher Monsieur ? Dites-moi aussi comment je m’en applaudirais mieux, sinon par des claques crépitant sur des rondeurs fermes comme celles que vous nous décrivez.

signé : Myriam.

LETTRE III

À l’exception de quelques trente lignes qui la commencent, nous publions avec plaisir cette lettre d’un Monsieur.

Comme elle s’adresse exclusivement à nos lectrices, c’est à celles-ci que nous recommanderons spécialement l’auteur sympathique des lignes que voici.

… Depuis un certain nombre d’années, j’éprouve très vivement et jusqu’à l’obsession un goût singulier pour la flagellation active et surtout passive, c’est à dire le désir de donner la fessée et plus encore de la recevoir de personnes jeunes et vigoureuses. Cependant pour diverses raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, je n’ai pu trouver encore l’occasion favorable de satisfaire ce goût qui autrefois me paraissait étrange et bizarre, alors qu’aujourd’hui je le trouve naturel, depuis que j’ai trouvé par de multiples ouvrages que ce goût est assez fréquent chez les hommes, comme chez les femmes et les jeunes filles.

Dans ma jeunesse, je n’ai presque jamais été corrigé par mes parents, sauf quand j’étais tout petit, cependant d’assez bonne heure j’aimais à faire le maître qui corrige les mauvais élèves en donnant à mes camarades plus jeunes des claques sur le derrière, par dessus la culotte. Bientôt, j’éprouvai aussi le désir d’être battu, de recevoir des claques ou des gifles de la main des condisciples que j’aimais le mieux.

Malheureusement, ils ne m’en donnaient jamais et je le regrettais sans oser par amour-propre le trop manifester. Un peu plus tard, adolescent de seize, dix-huit, vingt ans, je n’éprouvais aucun attrait vers les relations sexuelles. Je n’y pensais même pas.

Quand j’avais vingt ans, voyant une belle fille de mon âge, ou une jeune femme d’allure élégante et fière, au yeux audacieux, à la bouche rieuse, et effrontée, j’étais partagé entre un double désir. Ou bien, pouvoir retrousser ses jupes pour lui donner le fouet sur sa croupe rebondie, ou bien recevoir d’elle, à nu, une solide fessée, si elle avait l’audace et la vigueur nécessaires pour me l’administrer aussi forte que je le désirais.

Quelques années plus tard, me trouvant à l’étranger et assez longtemps en Italie, ce même goût pour les corrections manuelles, que j’aurais voulu moins donner que recevoir, continua de me poursuivre partout, sans que je puisse en détourner ma pensée et mon imagination.

Rencontrant assez souvent ces belles jeunes Italiennes, assez provocantes pour l’ordinaire, je ne songeais pas, comme tous mes compagnons, à les rechercher pour le motif qu’elles espéraient, mais je me disais seulement : « Comme je voudrais connaître quelques-unes de ces belles jeunes filles aux yeux noirs, à la bouche énergique et sensuelle, aux mains longues et fortes, pour recevoir d’elles quelques fessées vigoureuses qui me feraient crier de douleur. »

Parfois une réflexion un peu différente me venait à l’esprit : « Que j’aurais de plaisir à humilier par une fessée à nu, telle ou telle de ces créatures si fières de leur beauté, si orgueilleuses dans l’aurore de leurs vingt ans ! Mais peut-être ne serais-je pas le plus fort et ce serait moi qui récolterais la fessée ! »

D’ailleurs, timide et craintif par nature, je n’eus jamais la hardiesse d’aborder pour cela quelques unes d’entre elles, ni de faire allusion à mes singuliers désirs.

Depuis des années, pour calmer mes nerfs et mes désirs intenses de flagellation, il m’est arrivé, des centaines de fois, de me donner, à moi-même, de nombreuses claques, aussi vigoureusement que je le pouvais, dans une chambre isolée, parfois au point d’en garder les marques quelques jours.

C’était bête peut-être, mais que voulez-vous ? Cela me faisait du bien, me calmait les nerfs et c’était salutaire à ma santé.

Malgré ces exercices de vigueur sur ma propre personne, dans la suite, mes singuliers désirs, que je ne pouvais satisfaire, bien loin de se dissiper au milieu des occupations de la vie, ne firent qu’augmenter et s’exaspérer, surtout après les jours pénibles de la guerre et de ma démobilisation.

À ce sujet, la lecture de vos livres si intéressants et si documentés, que je connus à partir de 1922, fut pour moi une véritable révélation. Je me croyais une exception dans le monde, un être bizarre ayant, depuis des années, des idées et des goûts que personne n’avait et voici que j’apprenais par vous, cher Monsieur, que nombre de gens dans le monde avaient des goûts semblables ou analogues ! Des femmes jeunes, des jeunes filles, des adolescents, des jeunes gens et même des hommes intelligents et cultivés, aussi bien d’ailleurs que des gens du peuple, trouvaient du plaisir et une réelle satisfaction à donner le fouet à d’autres gens qui étaient heureux de le recevoir.

De plus, ces hommes et ces femmes, ces jeunes gens et ces jeunes filles, aussi contents de recevoir une énergique fessée que de la donner, étaient beaucoup plus nombreux qu’on pouvait le croire.

Cette constatation me réhabilitait à mes propres yeux et me fortifiait dans cette idée fixe de trouver une ou deux jeunes filles d’une vingtaine d’années, ayant vraiment comme moi le goût et la passion de la flagellation active et passive, et d’autre part assez hardies, assez vigoureuses et d’esprit assez large pour m’administrer, même malgré moi, la correction manuelle longue et sévère que je désirais et dont j’avais un si grand besoin.

J’ajoute qu’il me paraîtrait aussi ridicule qu’odieux de demander un service semblable à une mercenaire quelconque.

Autant j’accepterais volontiers et avec plaisir une fessée aussi rude, aussi forte et aussi prolongée qu’on voudra, de la main d’une jeune fille ou d’une jeune femme, hardie et vigoureuse que je connaîtrais et qui me serait sympathique, autant j’aurais une invincible répugnance à donner ou recevoir une correction même légère de quelqu’un qui me serait antipathique.

Pour moi, en effet, la flagellation — ou pour parler plus simplement — la bonne fessée n’est point cette brutale et sadique correction qui a pour but de faire souffrir une personne plus faible ou pour satisfaire la lubricité du flagellant.

Elle est un jeu violent et innocent, un sport vigoureux et esthétique entre des personnes qui, ayant les mêmes goûts, trouvent leur plaisir à se donner de bonnes claques ou des coups de verge, de martinet, sur les parties du corps qui semblent destinées à de salutaires corrections manuelles ou autres.

Maintenant, je vais dire ce que j’apprécie encore dans la fessée passive.

Ce ne sont pas seulement les claques, plus ou moins fortes et cinglantes, mais aussi l’humiliation d’être sous la domination de quelqu’un plus jeune que moi, en qui je reconnais une supériorité. Plus encore, c’est la honte pénible et délicieuse d’être bousculé, claqué, fouetté par une de ces grandes et belles jeunes filles de vingt ans, comme j’en ai connu quelques-unes, qui ont dans le sang le besoin de commander, la passion de dominer tous ceux qui les approchent.

Ces créatures de force et de volonté sont tout naturellement flagellantes actives. Elles trouvent dans une fessée fortement administrée la satisfaction de leur tempérament ardent et énergique, de leur caractère volontaire et facilement dominateur. Pour l’ordinaire, elles ont le geste vif, la main prompte pour corriger quiconque voudrait leur résister, que ce soient quelques-unes de leurs compagnes moins fortes, ou des jeunes gens moins robustes qu’elles.

Je comprends qu’elles éprouvent une joie réelle à manifester la supériorité de leur force, et à tenir, pour ainsi dire, entre leurs mains leurs amis plus faibles. Leur sens et leur âme vibrent ardemment, tandis que leur main claque longuement et vigoureusement une croupe féminine ou masculine, fortement rougie.

Ne les accusez pas de méchanceté ou de dureté de cœur. Ce n’est que l’excès d’un besoin d’autorité, qui trouve ici son dérivatif.

Elles ont cette autoritaire main de femme dont parlait récemment un écrivain contemporain, qui s’impose doucement, fortement, irrésistiblement, tant par la vigueur physique que par l’énergie, la volonté de leur personnalité. N’est-ce pas le désir intense de toute femme ou jeune fille ardente, forte et volontaire de dominer l’homme, son rival. Il y a, sans doute, à Paris, en France et ailleurs, un certain nombre de personnes ayant ce goût, plus ou moins vif et qui brûlent de le satisfaire, activement ou passivement. Mais, elles ne se connaissent pas entre elles et n’osent parler, même à leurs meilleurs amis ou amies, de cette passion innocente et sans danger, considérée comme peu avouable par le pharisaïsme contemporain.

Cependant, à mon avis, cette passion, ce goût du Fouet, ce sport cinglant présente sûrement moins d’inconvénient et de dangers que la boxe ou le foot-ball ou même certains sports féminins. En tout cas, contenu dans de justes limites, il n’est pas immoral et il a même certains avantages hygiéniques et réellement moraux.

Parmi toutes ces jeunes filles d’une vingtaine d’années environ, qui travaillent à Paris où en banlieue, dans les bureaux, les magasins, les ateliers, il en est beaucoup qui, tout en aimant bien à s’amuser gentiment et à rire, n’en tiennent pas moins à rester honnêtes et sérieuses. Elles ne voudraient pas compromettre leur réputation et leur avenir en fréquentant habituellement les jeunes gens, à l’insu de leur famille. Soit qu’elles vivent dans des pensions de famille, soit qu’elles habitent en chambres meublées, faisant ménage à deux ou quatre ensemble, elles travaillent courageusement et durement toute la semaine. Aussi, le dimanche, ont-elles grand besoin de se reposer et de se détendre un peu les nerfs. Ne pouvant, pour la plupart, pratiquer les sports trop élégants c’est à dire trop coûteux des jeunes filles du monde, elles font ensemble de longues promenades à la campagne ou, quand il fait mauvais, si elles s’amusent à la maison, entre amies, à se rougir réciproquement, quoi d’étonnant qu’elles y trouvent leur plaisir et arrivent à se passionner pour un exercice aussi salutaire qu’inoffensif ?

Faut-il les en blâmer ? Nullement, car si aucun dommage n’en résulte pour elles, elles n’ont fait de tort à personne, qu’elles n’auraient pu scandaliser que si elles n’avaient observé les conditions de discrétion qu’il importe de ne jamais oublier. Félicitons-les d’avoir choisi cette façon-là de s’amuser, alors qu’il en est tant d’autres plus fâcheuses et plus déplorables.

Comme le Monsieur L. B. des lettres V et VI parues dans Suzanne Écuyère, « pour son malheur je suis né garçon ». Mais la nature capricieuse en me donnant un corps d’homme m’a doté d’une âme féminine. Par le tempérament, le caractère, les goûts, les sentiments je me rapproche de la femme. J’en ai la délicatesse et la susceptibilité, la sensibilité exagérée, le goût du détail, etc. C’est pour cela sans doute que je suis plus à l’aise avec les jeunes filles et les femmes qu’avec les hommes. Pour cela aussi que je n’éprouve pas les désirs des relations sexuelles avec les femmes, mais simplement des désirs d’affection et d’amitié sensibles. De là ce goût si vif de la flagellation active et surtout passive. Et aussi ce besoin de la recevoir de jeunes filles ou de jeunes femmes, afin d’en ressentir davantage l’humiliation et la sévérité. De là enfin cette impuissance physique à m’y soustraire, devant la vigueur physique et morale de belles filles de vingt ans !

Signé : P. E. L. S.

LETTRE IV

Cette lettre émane de l’auteur des lettres XII et XIII parues dans Paulette trahie que nos lecteurs se rappellent pour les avoir lues avec intérêt. Celle-ci est encore plus complète que les précédentes, de la même plume, et contient des faits curieux. Notre aimable correspondant suédois voudra bien trouver ici nos vifs remerciements, nos sincères compliments — ainsi qu’une pressante invitation à nous écrire encore, autant pour notre instruction que pour notre agrément.

V., Suède, 22 mars.
Cher Monsieur,

Je vous remercie de bon cœur pour votre seconde lettre et je me réjouis beaucoup parce que vous avez trouvé ma lettre concernant les bains de verges, etc. digne d’être publiée dans un ouvrage de votre main. Ayant enfin trouvé le loisir nécessaire, je veux maintenant accomplir ma promesse en vous donnant quelques nouveaux renseignements sur l’usage des corrections corporelles dans l’éducation suédoise.

Pour commencer avec quelques remarques générales, je peux vous assurer que la fessée est une punition très commune dans les familles. La plupart des enfants suédois l’ont, sans doute, subie, étant petits. Mais dans la plupart des maisons, ils ne sont guère punis en cette manière après leur dixième ou douzième anniversaire. Cela n’empêche pas que les parents, qui fouettent leur progéniture à treize, quatorze et quinze ans, sont nombreux.

Quand il s’agit de petits garçons ou de petites filles, c’est en général la maman qui joue le rôle de fouetteuse, le père étant occupé à son travail. Mais dans beaucoup de familles, la mère est trop faible pour cette tâche et le papa est obligé de fesser garçons et filles quand ils ont mérité cette punition.

Les grands fils sont presque toujours fouettés par le père. Je me souviens d’une mère qui fouettait rudement son fils, alors âgé de seize ans, chaque fois qu’il rentrait tard, le soir ; mais cette mère sévère était veuve.

Dans la plupart des familles, où l’on fouette des fillettes au-dessus de douze ans et des jeunes filles, c’est la mère qui leur donne la fessée, surtout quand la demoiselle doit l’avoir avec une verge de bouleau, c’est à dire à nu. Certaines gens sont de l’avis qu’il est choquant et trop humiliant pour une grande jeune fille d’être fouettée sur les fesses nues par un homme, même quand cet homme est son père. Si la mère n’a pas la force nécessaire pour fustiger sa fille, coupable de quelque défaut grave, on se tire quelquefois d’embarras en agissant de la manière suivante :

Le père fouette la jeune écervelée avec un rotin. Auparavant, les jupes de la demoiselle ont été dégrafées ou troussées ; mais il lui est permis de garder son pantalon toujours fermé, qui sert à mitiger quelque peu la douleur produite ainsi. Et surtout à sauvegarder la pudeur de la jeune fille.

Mais, un grand nombre de pères, surtout dans le peuple, ne se font aucun scrupule de fesser ces demoiselles à nu.

En voici deux exemples :

Une jeune fille me raconta comment son père, un ouvrier, l’avait couchée en travers sur ses genoux et fessée avec une verge de bouleau, à l’âge de quatorze ans, et déjà en apprentissage.

Une autre, à quinze ans, particulièrement grande et forte, recevait le même punition.

La fille d’un instituteur m’a dit que son père la fouetta avec une verge, à l’âge de quatorze ou quinze ans. Il s’enferma avec elle dans une chambre, ne désirant pas la corriger devant témoins. « Et je ne criai pas, me dit-elle avec une certaine fierté. Maintenant, à dix-sept ans, mon père, j’en suis sûre, me punirait encore de la même façon, si je le méritais. »

Enfin, il y a des familles où la femme prête son concours à son mari, quand il s’agit de la fessée d’une grande fille. La mère la tient, le père la claque ; ou inversement.

Dans le premier cas, qui est vraisemblablement le plus commun, l’épouse tient la jeune personne étendue sur un sopha ou courbée sur le siège d’une chaise, tandis que le père mortifie le derrière filial. Une femme que j’ai rencontrée, il y a une dizaine d’années, avait été fouettée de cette manière à dix-neuf ans et il lui était donné d’assister fréquemment à de semblables corrections à une jeune sœur qui en avait seize.

Voici un exemple de fille de quinze ans fessée en quelque sorte régulièrement, que je puis certifier. C’est la fille d’un fonctionnaire demeurant ici.

À la date où je vous écris, elle a exactement quinze ans et quatre mois. Élancée et svelte, blonde, elle est douée d’un visage agréable. Pendant ces trois dernières années, elle a reçu bon nombre de fessées et les voisins ne le pouvaient ignorer, n’étant pas sans entendre cris et claquements.

Cet usage est-il en décroissance ou non ? D’après ce que j’en puis savoir personnellement, il est plus répandu qu’il y a vingt ans. Mais, je ne veux pas me borner à énoncer ma seule opinion, quelque étayée qu’elle soit de renseignements certains et je tiens à vous en donner d’autres preuves objectives.

En 1922, dans le journal « Brokiga Blad », on agita la question des châtiments corporels, à cause d’un fait récent dont le scandale avant ému l’opinion publique.

Voici une lettre reçue par le journal :

« J’ai entendu des personnes expérimentées dire que la fessée est, dans certains cas, bonne, utile et efficace. J’ai même entendu une femme raconter qu’elle en avait reçu, étant adulte, et que cela avait été bon pour elle. »

La lettre était signée.

Quant à la fessée dans les écoles, je vous en ai parlé dans ma première lettre anglaise que vous avez si exactement traduite. Je me bornerai donc à affirmer que ce châtiment est permis par la loi dans les écoles populaires et dans beaucoup d’autres établissements d’instruction. Les professeurs et les instituteurs n’ont donc nullement besoin de l’autorisation des parents pour infliger des châtiments corporels à leurs élèves. Je vous en citerai donc un seul exemple, parce que celui-là est tout récent et je suis placé on ne peut mieux pour en garantir l’authenticité.

Vers la fin d’octobre dernier, le principal journal bolcheviste suédois « la Politique, journal du peuple (Folhet Dagblad Politiken) » ouvrit, avec l’appui de plusieurs parents, une campagne contre un instituteur de l’école populaire de Kungsholmen (un faubourg de Stockholm), nommé Bergmann, qui avait dirigé pendant l’été la colonie de vacances, de Myntarbyholm, près de Kapellshar, dans l’archipel, au nord-est de Stockholm.

Ce pédagogue avait employé des châtiments corporels, très souvent. La plupart des enfants avaient reçu des fessées. C’était tantôt avec le rotin, avec des verges ; ce l’était tantôt à nu, tantôt sur le pantalon. Les fillettes, elles privilégiées, l’étaient toujours avec la verge et après que leur pantalon fut abaissé. Le nombre de coups était, à la vérité des plus minimes et inférieur à vingt. Mais, une des fillettes, de onze ans, reçut une fessée tellement sévère que les marques en restaient visibles, trois semaines après.

Les articles étaient accompagnés de dessins. L’un de ces dessins que publiait « Politiken » représentait un instituteur à six bras, comme le Shivâ hindou, fustigeant un garçon, étendu à plat sur un banc. Un autre dessin mettait en scène un garçon et une fillette causant ensemble. Le garçon disait : « Moi, je suis revenu de l’île singulièrement hâlé partout. Les coups de soleil m’avaient rôti. Je ne pouvais rester couché. » La fillette répondait : « Ah ! moi, quand je revins de Mintarbyholm je n’étais pas hâlée partout. L’état de ma peau, en un seul endroit, n’empêche de m’asseoir. »

Presque tous les grands hommes prirent le parti de M. Bergmann et l’affaire en resta là ; les attaques contre lui n’aboutirent à rien.

Quant à la fessée passionnelle, je ne la crois pas très répandue en Suède. Certes, il est des hommes aimant à fouetter des femmes, et il en est d’autres qui aiment à être fouettées par elles. D’autres encore aiment les deux rôles, actif et passif. Mais, je ne crois très nombreuses aucune de ces trois classes.

Je ne connais, pour ma part, aucun exemple de cette passion entre hommes. Cela ne veut pas dire que la chose n’existe pas.

Il y a certainement des femmes aimant à fesser des adolescents ou des garçonnets. Je me souviens d’une dame d’environ vingt-cinq ans, qui me disait que rien ne lui était plus agréable que d’administrer, à l’occasion, une bonne fessée à un garçon récalcitrant. Surtout quand cette fessée elle l’infligeait avec une verge de bouleau dont elle le cinglait bien. À nu, bien entendu ; car elle goûtait puissamment la joie de le déculotter.

Mais, il en est aussi et surtout, je crois, parmi les femmes aimant fouetter, qui préfèrent fesser des fillettes et des jeunes filles. Je ne les crois pas quand même extrêmement nombreuses, de même que les femmes aimant à être fortement fessées.

Pour moi, le nombre considérable de femmes se soumettant à la fessée, que je qualifie de « bonne fessée » c’est à dire constituant une rude claquée, de la main de leurs maris ou de leurs amants, le font uniquement par amour de l’homme, plutôt que par amour de la fessée en elle-même.

Pourtant, j’ai entendu parler d’une jeune fille qui lorsque son père la fouettait trouvait les corrections trop courtes et qui était véritablement éprise de la flagellation.

On trouve des enfants aimant à fesser d’autres enfants. Je me souviens d’une fillette d’une douzaine d’années qui se plaisait aux fessées, en quelque sorte continuelles, qu’elle infligeait à son frère, de quatre ans plus jeune.

Quant à la fessée passionnelle entre femmes, je ne puis dire avec certitude si l’usage s’en développe.

Maintenant, d’une manière générale, la fessée est donnée fortement ici. Le nombre de coups est restreint, mais chaque coup est donné avec une force admirable. Telle est la règle ici ; quoique des exceptions soient à remarquer et je compte vous en parler.

Les pensionnats de jeunes filles sont assez rares chez nous. Dans toute la Suède, il n’en existe qu’une vingtaine. Dans les plus grands, pas de châtiments corporels. Dans les petits pensionnats, il est extrêmement difficile d’obtenir les renseignements. Il y a quelques années ; des lettres d’anciennes élèves de l’un de ces établissements furent publiées dans un journal suédois.

Voici un bref résumé du contenu de ces deux lettres :

La fessée administrée avec des verges de bouleau était la seule punition en usage dans cette pension que le journal appelait « école du moyen âge ». Toutes les élèves dont l’âge variait entre dix et dix-sept ans la reçurent au moins deux fois. Pendant l’hiver on plaçait les verges dans des pots d’eau, pour les tenir en bon état de souplesse. Les petites étaient fouettées par une sous-maîtresse ; mais les plus grandes jouissaient du privilège de l’être par la directrice et dans une chambre particulière. La jeune fille déboutonnait elle-même son pantalon, s’étendait sur un banc auquel la fixait une courroie à la taille et une autre aux jambes. Grâce à ces courroies, elle pouvait ainsi tordre légèrement la partie intéressée sur laquelle s’abattaient les cinglures.

Les deux dames qui avaient écrit ces lettres dépeignaient les fessées, comme très douloureuses ; mais elles étaient d’accord aussi pour en reconnaître l’effet moral nettement profitable et il ressortait de leur témoignage qu’elles la recommandaient plutôt qu’elles le condamnaient à l’égard des jeunes filles.

D’après le journal « Fâdernes ladet », du 26 juillet 1924, il semble que la fessée ne soit pas moins en usage dans un autre pensionnat qu’il cite. Je me bornerai à citer une tête de colonne de ce quotidien :

« Une surveillante qui fouette des jeunes filles de quinze et de dix-sept ans avec des verges et qui les embrasse sur la bouche ensuite. »

Il s’agit d’un établissement nommé : « Almska Stiftelsen », à Ulrikstad, près de Stockholm. Naturellement, je ne puis certifier la véracité du journal : tout ce que je sais, c’est que rien ne l’a démentie.

Les garçons sont-ils plus ou moins fouettés que les filles, ici ? Je suis convaincu que les petites garçons jusqu’à douze ou treize ans, sont fouettés plus souvent que leurs sœurs et cela, simplement, parce qu’ils sont plus turbulents et, aussi, plus méchants. Mais, au-dessus de treize ans, je crois qu’alors apparaît l’inverse. Je crois fermement qu’on fesse alors plus de grandes filles que de grands garçons.

Les raisons d’ordre esthétique contribuent sans doute à cela. Mais il y aussi d’autres causes. Une grande fillette ou une jeune fille n’opposerait guère une résistance sérieuse à sa mère si celle-ci lui ordonne de se préparer pour une fessée. Je pourrais vous citer plusieurs exemples de la docilité étonnante de jeunes demoiselles devant un tel ordre. Un garçon du même âge ne se soumettrait guère sans résistance et la mère se contentera souvent de quelques soufflets ou quelques coups de rotin se distribuant au hasard. Dans la classe ouvrière, la fille reste à la maison, pour aider sa mère et son frère travaille au-dehors : cela est aussi une raison pour que sa sœur plus que lui reste plus longtemps soumise à l’ordinaire punition enfantine.

La fessée est plus répandue, cela est certain, dans l’aristocratie, la grande bourgeoisie, le clergé et les classes rurales que dans la petite bourgeoisie et parmi les ouvriers urbains. Je vous citerai un exemple de la sévérité avec laquelle les filles de la noblesse sont parfois traitées. Je tiens le récit d’un témoin oculaire : vous devinerez aisément que ce témoin n’est autre que la gouvernante dont il s’agit dans l’historiette.

Dans la maison où elle était gouvernante, la fille des maîtres, (baron et baronne authentiques) lui manqua de respect. Elle en avertit la baronne. Celle-ci, indignée, résolut de punir sa fille sévèrement, et pour rendre le châtiment plus vexant et par cela même plus efficace, fit venir pour y assister les domestiques femmes.

La scène sa passa comme elle se passe d’ordinaire dans les milieux modestes. Assise sur une chaise, la mère étendit la grande jeune fille de quinze ans sur ses genoux, lui leva la robe et lui administra une fessée des plus claquantes, à nu, telle que l’aurait infligée à sa gamine une mégère appartenant à la classe ouvrière ou à la petite bourgeoisie.

Contrairement aux prédications luthériennes des États-Unis qui, pendant la guerre reprochaient aux mamans de la région lyonnaise de fouetter leurs enfants, ainsi que vous le rapportez dans votre aimable lettre, le clergé de la Suède, lui, n’a pas cette vaine pudibonderie hypocrite et il seconde hautement l’usage de l’antique fessée dont il continue à proclamer les mérites, prêchant même d’exemple. Car je connais un pasteur qui punissait très souvent un fils, de quatorze ans, de cette même manière.

Je puis même vous donner une preuve toute fraîche de la prédilection pour la verge chez notre clergé :

Le journal « Svenska Morgenbladet » du 21 février 1925 relatait que le pasteur Ernest A. à Gnarp, en Helsingland, une province au nord de Stockholm, avait donné la fessée avec une verge de bouleau aux vingt élèves, garçons et filles, de l’école de Masugn. Sur les fesses mises à nu, précisait le journal.

Pour prouver que les ministres de l’église Suédoise n’ont aucune aversion contre la fessée en public, je voudrais alléguer une histoire, datant d’une vingtaine d’années. Dans la province d’Elghult, en Smaland, un pasteur corrigea une fillette de douze ans, à la mairie du pays. Je décrirai la scène d’après un dessin publié dans un périodique. La fillette était couchée à plat sur une table, sur laquelle son torse reposait, tandis que ses jambes pouvaient se mouvoir dans le vide. C’est ce dont elles ne se privaient pas dans le dessin. Son pantalon défait avait été rabattu, sa chemise levée et l’on voyait à nu ses fesses s’offrant sans voiles à la verge que brandissait le pasteur.

À la campagne, des fessées de ce genre ne sont pas rares et les fillettes sont toujours complètement déculottées de pareille façon, quand le pasteur les corrige.

Dans la littérature suédoise contemporaine, on trouve souvent des allusions au fouet et même des descriptions plus ou moins réalistes sont données de fessées qui ne diffèrent pas de celles que vous connaissez dans d’autres pays.

La littérature spécialement consacrée à la Flagellation n’est pas très développée chez nous. Je me souviens de quelques courtes nouvelles imprimées dans la revue « Gazetten », en 1923. Mais il faut faire mention du livre excellent « Aga-Boken », (livre des Corrections corporelles), une collection de soixante-sept lettres en 1921, avec préface et notes de M. C. S. Dahlin, qui les avait au préalable, publiées dans le journal « Fadermeslandet » (La Patrie). Le livre contient un choix restreint de riches matériaux, car dans ma collection se trouvent quatre cents lettres sur cette question, découpées dans dix journaux de revues différentes.

La bonne foi et la sincérité des lettres publiées sont incontestables, en ce qui en concerne la majeure partie. On y trouve des lettres de pères, de mères, de tuteurs et curatrices, de patrons, de patronnes, de frères aînés, etc. Il y a aussi des lettres de jeunes femmes, témoignant de corrections subies par elles dans leur enfance ou leur adolescence. Des pédagogues érudits, des médecins traitent la question. Enfin, la question est présentée aussi sous une autre face et des protestations s’élèvent sous la plume de correspondants non moins convaincus, mais d’opinion contraire.

J’aurais voulu vous parler aussi des instruments de correction usités ici et qui diffèrent quelque peu de ceux que vous employez en France. J’aurais désiré également vous entretenir de la persistance de quelques pratiques bien curieuses se rapportant en Suède, à la fessée et probablement inconnues à l’étranger. Mais ma lettre est, déjà bien longue et je suis effrayé de l’étendue que je suis arrivé à lui donner.

Je le suis non moins à la pensée que je vais vous donner bien de la peine pour remettre en français véritable le mien qui doit laisser tant à désirer ! Je m’en excuse et vous remercie d’avance si vous jugez que quelques passages méritent d’être reproduits.

signé : Un Citoyen Suédois.
E. J. L.

LETTRE V

Une dame, institutrice libre, nous adresse à la suite de deux lettres celle-ci qui est longue ; mais dont il n’y a rien à retrancher, car elle exprime finement, des nuances délicates de sensualité raffinée, bien féminine.

Si nous passons sous silence les lettres précédentes, c’est qu’elles contenaient uniquement, toute une courtoise appréciation, étendue et détaillée, de nos livres.

… Ce qui me plaît le plus à lire dans la correspondance que vous recevez et dont vous voulez bien nous faire part, ce sont les lettres des dames et des demoiselles. Je possède tous vos livres depuis un an seulement. J’ai lu d’abord Paulette trahie et, aussitôt j’ai tenu à me procurer les précédents.

J’ai donc lu ces lettres les unes après les autres, mais en une seule fois et non année par année.

Que je regrette de n’avoir pas eu connaissance de vos livres si empoignants dès leur mise en vente. Avec quel plaisir et quel empressement j’aurais correspondu avec plusieurs des signataires de ces lettres tant suggestives dont il est une dizaine qui m’ont plu par-dessus tout, m’inspirant une irrésistible sympathie pour leurs auteurs.

Non seulement Georgette V. V., mais encore l’équipe des six sportives, et d’autres aussi et surtout Marguerite-Edmée que je place la première de toutes !

Oh ! cette Marguerite-Edmée ! elle m’a conquise et j’ai pour cela des raisons que je vais vous dire. Mais il faut vous armer de patience et d’indulgence, Monsieur, parce que la lettre que je vous adresse est loin d’approcher de la sienne que je ne suis pas seule à trouver aussi bien écrite qu’émouvante. Pour ma part, j’éprouve une véritable confusion à oser vous adresser mes confidences, moi qui n’ai pas son charme épistolaire.

J’ai fait lire sa lettre à beaucoup d’amies et toutes, de mon avis, l’ont admirée pour son style captivant autant qu’elles se déclarent touchées par la passion communicative dont chaque ligne est imprégnée.

Je m’excuse donc de ma hardiesse à venir après elle, et à ma façon dépourvue de tout mérite littéraire, vous exposer les causes, les conditions de la vocation de flagellante qui s’est emparée de moi, il n’y a pas longtemps car je suis jeune encore, tout juste autant que Marguerite-Edmée.

Sans vous dire tout d’abord à quel degré je suis flagellante et à quelle catégorie j’appartiens, je vais remonter, si vous le permettez, à l’origine du goût que j’ai pris pour le Fouet et essayer d’en rechercher, sinon les motifs, tout au moins les circonstances qui ont déterminé cette orientation.

Pour commencer, je vous dirai que j’ai été élevée avec beaucoup de soin par mes parents et que je n’ai eu, dans ma famille, aucun mauvais exemple de nature à me pervertir, en admettant que soit une perversion une prédilection pour le Fouet, ce qui ne me paraît pas démontré. Je n’ai eu, non plus, aucune fréquentation douteuse, à l’école communale d’abord, dans les cours élémentaires, puis dans les cours supérieurs, jusqu’à mon bachot. Je n’ai jamais été fouettée à l’école pour la raison que le fouet y était interdit. Je ne l’ai pas été par ma mère au-delà de onze ans et seulement de loin en loin. Ma mère ne présentait rien d’une flagellante, mon père ne porta jamais la main sur moi et je n’ai eu, dans ma parenté, ni dans mon entourage, ni tante ayant l’habitude de corriger ainsi ses enfants, ni même de dame amie de ma famille chez qui j’aurais eu l’occasion de voir administrer à ses enfants, filles ou garçons, des corrections de ce genre.

Jusqu’à l’âge de quatorze ans, les seules fessées que j’aie pu voir donner l’étaient à des bébés et encore je pourrais les compter. Il y en a eu si peu ! Encore même n’étaient-ce pas des fessées dans l’acception véritable et complète de l’expression. Il s’agissait plutôt de quelques claques seulement, une dizaine, appliquées très légèrement, à des marmots de dix-huit mois, de deux ans, de trois ans les plus grands. J’avais entendu souvent au Square, au Luxembourg, aux Tuileries, des mamans, des gouvernantes, des nourrices, des nurses anglaises menacer des petites filles, des petits garçons d’une fessée ; mais, jamais je n’en avais vu infliger à ces enfants âgés, les plus vieux, de six, de sept ans. J’en comptais dix, alors.

Mais, un peu plus tard, au Bois de Boulogne, il m’arriva d’entendre des mères en parler à de plus grands. La première fois, c’était à un garçon de douze ans ; la seconde fois, quelques jours après, c’était à une fille, de douze ans également et j’avais leur âge. Cela fit sur moi une certaine impression. Oui, cela rencontra en moi un écho étonné et c’est de là que date l’attention que je portai à un châtiment que, depuis un an, je ne connaissais plus pour mon compte.

Nous habitions rue Mirabeau et nous allions souvent au Bois de Boulogne. C’était même notre unique but de promenade, dans la belle saison, à maman et à moi, le jeudi. Souvent avec papa, nous y retournions le dimanche, On y déjeunait, on y dînait sur l’herbe, du côté de Ranelagh principalement, et même plus loin, vers Suresnes. Avec ma mère, en semaine, c’est du côté de Suresnes que nous allions d’habitude, et, pendant les vacances, presque tous les jours. Papa déjeunait à son bureau, maman et moi nous emportions le nécessaire.

Je vous disais qu’à douze ans, en entendant menacer d’une fessée une fillette de cet âge, d’une «bonne fessée » pour être exacte, j’avais éprouvé une certaine émotion. Cela tenait peut-être à la personnalité physique de cette enfant qui était grande et développée, bien plus que moi. Si je savais son âge, c’est que sa mère l’avait dit, l’instant d’avant, en causant avec maman, sur le banc où toutes deux, étaient assises. Sans quoi, je lui en eusse donné plutôt quatorze.

Jouant avec sa fille ensuite, je n’osai pas lui parler de cette menace que j’avais entendue quelques minutes auparavant et qui me laissait rêveuse. Mais ma curiosité qui s’éveillait brusquement me poussait à la questionner à ce sujet et je n’y aurais pas manqué si j’étais restée plus longtemps en sa compagnie. Grande plus que moi de presque toute la tête et forte à proportion, elle me semblait presque une jeune fille à côté de moi et, le lendemain et les jours suivants, évoquant, par la pensée, recevant la correction, j’étais quelque peu troublée d’un émoi bizarre et bien nouveau, à m’imaginer, dénudée pour la correction, cette grande et grosse blonde dont les fortes jambes, sous la jupe courte, découvertes jusqu’à mi-cuisses, faisaient deviner quel épanouissement charnu devait s’offrir à la main maternelle.

J’y pensai de plus en plus, surtout, je crois, en raison de l’expression employée par sa maman, et chaque fois que je me trouvais en présence d’une grande fillette bien en chair, l’idée me venait qu’elle était peut-être, elle aussi, soumise à des corrections manuelles spéciales, qualifiées « bonnes ». Leurs fesses en étaient dignes par leur amplitude que je soupçonnais, même quand cette amplitude ne se révélait pas grâce à une jupe ajustée ainsi, que, du fait de la mode, cela se présentait déjà à cette époque.

Cette idée devenait déjà chez moi une sorte d’obsession qui durait depuis deux ans entiers, quand, une fois, au Bois de Boulogne, encore, et ayant alors quatorze ans, m’étant écartée de maman en poursuivant des fillettes à peu près de mon âge dont je venais de faire la connaissance et avec qui je jouais à cache-cache, je me trouvai dans un fourré en présence de trois jeunes filles, de grandes jeunes filles alors, qui s’amusaient à des jeux beaucoup moins innocents.

À genoux dans l’herbe, deux d’entre elles en tenaient une troisième, couchée à plat. Elles avaient retroussé sa jupe et l’une et l’autre la claquetaient par-dessus le pantalon. Très serré le pantalon moulait les formes de leur amie qui devait avoir une vingtaine d’années, de même que les deux autres. Toutes trois coquettement mises appartenaient assurément à la classe bourgeoise et aisée. C’étaient des jeunes filles de bonne famille.

En semaine, en juillet, le Bois, le matin est peu fréquenté. Elles se croyaient bien tranquilles et s’amusaient librement. À ma brusque arrivée, elles s’arrêtèrent, surprises un moment ; mais, me voyant seule et ne se troublant guère à la vue d’une enfant, les deux fouetteuses reprirent leur jeu, sans se gêner, et recommencèrent de plus belle à claqueter leur camarade.

Cela se passait dans la partie du Bois que vous connaissez sans doute, et qui avoisine la mare de Saint-James. L’endroit était désert, ce matin-là, comme il l’est à cette heure, en pareille saison. Sans doute, me crurent-elles, me voyant nu-tête, venue seule de Neuilly et non accompagnée de ma mère que j’avais laissée à cent mètres de là. Elles continuèrent et excitées peut-être encore par ma présence — cela est possible — l’une d’elles eût l’idée, m’observant clouée sur place par une curiosité ardente que trahissaient mes regards, de pousser plus loin la hardiesse de leur piquante distraction. En une seconde, sans hésiter, elle rabattit la culotte et me montra, en plein, la croupe rebondie, toute nue de son amie…

C’était bien la première croupe féminine qu’il m’était donné d’examiner dans cet état d’absolue nudité. L’autre jeune fille, qui, avec elle, retenait sur le sol la déculottée, éprouvait la même joie et toutes deux semblaient m’inviter à la partager. Elles regardaient tour à tour le beau derrière si bien présenté sans voile, puis moi-même qui leur paraissais si vivement intéressée. Elles devaient lire dans mes yeux le plaisir, que je prenais à la contemplation de ce qu’elles me montraient, de ce qu’elles offraient si généreusement à ma vue charmée. Leur expression de visage que je n’ai pas oubliée indiquait qu’elles jouissaient de l’émoi que je manifestais par mes regards, à la fois étonnés et ravis.

La croupe étalée devant moi était de toute beauté et j’en ai conservé le souvenir ineffaçable. La peau très blanche, les formes parfaites des deux belles fesses étroitement serrées sont à jamais fixées dans ma mémoire visuelle et je voudrais savoir dessiner pour en reproduire l’aspect attrayant, supérieur, à tout ce qui s’était jusque-là présenté à ma vue.

Elle aussi, la jeune fille fouettée se tournait vers moi, c’était une brune aux yeux passionnés que je n’oublie pas non plus.

Celle qui avait rabattu la culotte fit en sorte de dévoiler plus complètement les fesses admirables, tirant la chemise en haut, puis elle prit, à pleine mains, des deux à la fois, la belle chair et l’expression qui l’animait alors témoignant d’un plaisir souverain. Sous l’étreinte double des mains amies, les fesses se remuaient tout exprès, me semblait-il, pour que je visse quel bonheur on goûtait ainsi, et c’est alors que j’entendis celle qui pétrissait la croupe palpitante me dire :

— Tu voudrais qu’on t’en fasse autant, dis ? Ça te fait envie ? tu voudrais qu’on te claque aussi sur les fesses ?…

Je n’en écoutai pas davantage. Je ne sais quel effroi m’envahit, quel sursaut pudique me rejeta en arrière. En proie à un désarroi total, je m’en fus, affolée, comme si je venais d’assister à un spectacle qui m’eût perdue si j’étais restée une seconde de plus…

Me précipitant hors du fourré, je rejoignis la route en courant et, rencontrant mes deux camarades à ma recherche, je repris le jeu de cache-cache sans souffler mot de ce que j’avais vu. Je prétendis m’être égarée à leur poursuite ; elles attribuèrent mon bouleversement à l’ardeur de ma course et ne se doutèrent de rien d’autre.

Rentrée à la maison, je ne cessai de penser à la scène du fourré. Les belles fesses nues étaient restées devant mes yeux, ouverts maintenant, je le savais, sur un monde encore inconnu hier. Surtout un monde d’idées, de désirs, d’aspirations, de sensations ! En même temps qu’il me semblait que cette découverte ne faisait que confirmer la connaissance d’un secret que depuis deux ans je pressentais…

Oui, le secret qui venait de m’être révélé, je le connaissais par intuition, du jour où j’avais entendu une mère menacer sa fille d’une bonne fessée. Ce secret, c’était celui-ci, et je le savais maintenant avec certitude : un grand bonheur réside dans le fait de fesser et dans celui d’être fessée…

Il n’y avait plus pour moi aucun doute. J’étais, à présent, instruite du grand mystère. De ce jour, je cessais d’être une enfant. Désormais, toute vibrante, j’allais vivre pour cet idéal : fesser et me faire fesser. Fesser celles dont j’aurais fait choix et me faire fesser par elles. Désormais, je ne connaîtrais que ce double but.

Mais, maintenant que j’étais instruite du grand mystère à la fois double et un, quand donc, comme la mère entendue il y a deux ans, quand donc pourrais-je administrer à une gamine charnue une bonne fessée ? Quand donc, pourrais-je de la main d’une belle brune, pareille à celle que j’avais surprise à l’œuvre, ce matin, quand donc, pourrais-je moi aussi, recevoir cette bonne fessée qui, je le savais me rendrait si heureuse ?

Je n’avais pas encore connu une nuit aussi agitée que celle que je passai…

Le lendemain, au réveil, je brûlais encore de retourner au Bois.

Je décidai sans peine maman à regagner le même endroit ombreux. Je courus au fourré. Quelle déception ! Le lieu si bien choisi pour les jolis ébats était désert. Qu’avais-je donc espéré, dans ma fiévreuse insomnie ?

Je revis avec émotion l’herbe foulée à la place où, vautrée, le genou d’une amie appuyé sur ses reins, la brune, étalée, remuait ses belles fesses, avides de claques et de caresses… Je m’attardais là, à rêver… Avais-je été assez sotte, hier, de m’enfuir ainsi !

On déjeuna, maman et moi, toutes les deux. À deux heures, la dame de Puteaux vint avec ses filles. Nous reprîmes nos jeux et cette fois, une idée germa en moi, qui devait racheter ma bêtise de la veille.

J’entraînai les deux fillettes, l’une de douze ans, l’autre de treize, dans le fourré chéri. On se roula dans l’herbe… Tout d’un coup, m’emparant de la plus jeune d’abord, je la retins, couchée comme l’avait été la belle flagellée. Je la retroussai et ma fantaisie inattendue ne la révolta nullement. Au contraire, elle me laissait faire. Je fis mine de la fouetter sur son pantalon, puis m’enhardissant, soudain, je lui rabattis sa courte culotte et mise à l’air ses jeunes fesses qui, si elles ne rivalisaient pas avec la riche paire dont je gardais l’orgueilleux souvenir, étaient jolies à voir, fraîches et rondes, les premières qui eussent l’étrenne de ma main !

Sa sœur riait comme moi ; de concert nous nous mîmes à fouetter la gamine, après que je l’eusse fait avec amour. Moi, d’abord et seule. Combien timide encore cette première fessée ! La peur du bruit me retenait ; mais déjà, m’enchantait mon initiative. Je ne me reconnaissais pas. Quelle audace m’était donc venue ?

Après, je pris l’autre qui ne demandait pas mieux et ce fut mon tour ensuite.

J’avais chargé la petite de faire le guet. Je voulais être fessée comme il faut. La plus grande s’y appliquait, de son mieux, amusée et contente. Amusée surtout ; car nul vice n’était encore en elle. J’aurais voulu qu’elle me claquât plus fort. Une sensuelle ardente, une flagellante passionnée avait éclos en moi, et attendait du Fouet de violentes caresses ! J’étais heureuse de m’entendre dire que mes fesses devenaient rouges.

Quinze jours après, une autre circonstance, en quelque sorte fatidique, devait achever définitivement mon initiation commencée, et cette fois, me sacra flagellante forcenée. Je n’avais cessé de profiter de tout instant de solitude, chez nous, pour me claquer moi-même, tant bien que mal.

La femme de ménage de maman fut obligée de partir pour son pays, à l’occasion du mariage de sa sœur et se fit remplacer chez nous par une amie, pendant quinze jours. Pour ce temps, nous dûmes renoncer à nos promenades au Bois.

La remplaçante, une veuve, d’une quarantaine d’années, native de l’Allier, grande et vigoureuse brune, avait une fille dont elle nous parlait souvent, de quinze ans, et qui, apprentie modiste rue de la Paix, lui donnait du tracas. Nous la vîmes, dès le second jour, Elle vint chercher sa mère, un dimanche à midi.

C’était une assez jolie fille, taillée sur la même patron que sa mère, mais à qui elle ressemblait tout de même en mieux ; coquette et même élégante, elle avait attrapé le chic parisien. Or, sa mère raconta à maman qui Je répéta, à table, le soir à papa devant moi, que pour la tenir elle ne se privait pas de la battre et les corrections qu’elle lui infligeait n’étaient jamais autres que des fessées.

Cette fois encore, la même expression intervenait et, ses corrections, la mère les qualifiait de bonnes fessées.

Il y avait toute raison de croire l’adjectif justifié ! Il suffisait de voir la maman pour deviner la rudesse des fessées qu’elle était capable d’administrer. Et moi, à l’examen de sa fille, adolescente épanouie et robuste, une femme déjà, pour mieux dire — et cela sans aucune exagération, j’éprouvai, à la savoir soumise à cette correction à laquelle je ne faisais plus que penser sans cesse, une émotion incomparablement plus vive qu’à évoquer la grosse fille de douze ans qui figurait si souvent dans mes rêves. Comment, cette grande jeune fille que tous les hommes devaient regarder avec des yeux de convoitise recevait des fessées de sa mère ? Des fessées, à titre de corrections, c’était, me semblait-il, bien autre chose que des fessées entre jeunes filles folâtrant ensemble ! Une joie indicible me transporta et, quand le second dimanche, elle vint encore à midi prendre sa mère, je la déshabillai des yeux, mieux que ne l’avais fait à sa première visite. Elle était très bien tournée et, ce qui m’apparut avec évidence, c’est qu’elle possédait sûrement une paire de fesses sculpturales dont ses reins très cambrés accentuaient la saillie. À la pensée que, la veille encore, sa mère avait rapporté à maman l’avoir corrigée, le vendredi soir, pour son retour tardif de l’atelier où, mensongèrement, sa fille prétendait avoir veillé à la pensée que c’était la deuxième fois depuis une dizaine de jours, et qu’à chacune ç’avait été une bonne fessée je me doutais, en regardant cette belle fillette que j’en aurais pour une partie de la nuit à me consumer, en m’imaginant la scène.

Car les fessées en question, d’après l’aveu de sa mère, revêtaient une vigueur extraordinaire. Selon sa comparaison, au sortir de ses mains, sa fille en avait les fesses rouges « comme ce fauteuil ». Or, le fauteuil qu’elle désignait était recouvert de damas franchement cramoisi.

Aussitôt que je le pus, je mis à profit une demi-heure où je restai seule pour me fesser de toutes mes forces, enchantée d’apercevoir dans la glace l’ardente rougeur de ma peau.

Je m’imaginais être à la fois la grosse fille et celle qui la fouettait. Je ne savais au juste qui je devais envier le plus d’elle ou de sa mère.

À cette vigoureuse adolescente je suis redevable d’avoir fait une découverte concernant ma mentalité de flagellante et cela fixe, à mon avis, un point de ma sensualité un peu spéciale.

Ce deuxième dimanche, lorsqu’elles partirent de chez nous, vers midi, nous étions, maman et moi, dans l’entrée. Papa, descendu pour se faire raser avant le déjeuner, ne remontait pas, s’attardant sans doute à causer avec quelque ami. Nous en fîmes autant avec la femme de ménage et sa fille.

Maman ayant complimenté la jeune modiste sur sa bonne mine et son air sage, sa mère, alors, loin d’y souscrire, donna libre cours à ses récriminations et, ressassant ses griefs, rappela, avec une insistance qui me faisait frissonner de bonheur, les corrections qu’elle se trouvait si souvent dans la nécessité de lui infliger.

Je crois fermement ne pas être méchante et ne l’avoir jamais été. Pourquoi alors ce rappel cruel des corrections humiliantes de cette jeune fille, mon aînée, énoncé crûment devant moi et en sa présence, provoquait-il chez moi une explosion de plaisir inexprimable ? Ce n’est pas uniquement sans doute parce qu’il s’agissait de fessées et que le mot trivial était prononcé. Quoique je fusse chaste, le côté érotique du châtiment ne m’échappait pas, administré à une jeune personne de cet âge et surtout de cette complexion.

Mais, de voir s’empourprer son visage, je jouissais doublement parce que, à la joie sensuelle de penser à de si belles fesses claquées nues, se mêlait une délectation cruelle de la honte qu’elle éprouvait à ce que ce châtiment cuisant à son amour-propre plus encore qu’à son épiderme fût nommé sans réticence et en quelque sorte décrit cyniquement devant moi, plus jeune et qu’elle voyait témoigner d’une joie cruelle.

Étonnée moi-même de mon plaisir intense, j’en analysais très bien la nature sur le moment et je m’en rendais trop compte pour ne pas m’en féliciter. En effet, heureuse à ce point de pouvoir repaître de mes yeux la honte témoignée par ses joues, par tout son visage rouge jusqu’aux oreilles, aurais-je pu l’être davantage si je les avais repus de ses belles fesses teintées du même ton à la fin d’une belle fessée ?

Cette contenance, cette montée pourpre à la figure d’une jeune fille à qui, devant témoins, on rappelle des fessées récentes, je m’en suis souvenue bien souvent, même maintenant où il m’est donné de contempler des paires de jeunes fesses enluminées par mes soins. Il m’est délicieux le lendemain, de faire rougir mes victimes de la veille jusqu’au blanc des yeux, sur un simple regard que je leur décoche, sur un petit geste de la main que j’ébauche et qui leur rappelle avec précision la correction vexante dont je les ai cruellement humiliées.

Mais, le côté nettement cruel que je discerne dans mon plaisir n’existe pas toujours. La plupart du temps, c’est avec des amies que je m’amuse à ce jeu où n’entre en rien l’idée d’humilier. Elles sont consentantes et le plaisir est réciproque, car elles me fouettent à leur tour. Pourtant, il m’arrive quelquefois de rechercher avant tout à savourer la honte d’une jeune personne présomptueuse que je fesse malgré elle.

C’est ainsi que, cet été, en villégiature chez une amie, aussi flagellante que moi, j’ai eu le bonheur de pouvoir fesser avec sa complicité une jeune fille de quinze ans.

Nous l’avions déjà menacée de correction sans la laisser dans l’ignorance de ce que ce serait et il nous était déjà infiniment agréable de constater l’effet de la seule menace. Ce ne fut pas sur le ton de la plaisanterie que nous la mîmes à exécution et je ne vous cacherai pas non plus que j’éprouvai le plus grand plaisir à cette fessée administrée avec tous les raffinements les plus mortifiants.

Elle la méritait et nous étions sûres qu’elle n’en dirait rien à sa mère. Nous savions d’avance qu’elle en serait particulièrement émue. Notre attente fut dépassée par la réalité et le trouble profond qu’elle a ressenti d’avoir été corrigée en gamine constitua, à notre avis, la majeure partie de l’efficacité du châtiment.

À ses leçons des jours suivants, il y avait non seulement plaisir à observer la persistance du même effet moral atteint, mais c’était encore, pour nous deux, l’occasion d’une étude bien intéressante de notre sensualité la plus délicate, en même temps que de celle de la jeune fille. À son âge, j’aurais voulu que l’on me traitât ainsi.

Aussi, ne fus-je pas surprise lorsqu’elle se soumit dans la suite au même châtiment, chaque fois que nous vîmes la nécessité d’y recourir à nouveau. J’avais, pour ma part, prévu cette évolution chez la jeune personne qui n’avait jamais été fouettée dans sa famille. Et pourtant, ce fut, chaque fois, une bonne fessée. Si elle tira, de ce régime, un profit indéniable, pour le progrès de ses études, ce n’est pas ici le point à souligner. Mais, sans sortir des limites de la sensualité, nous fîmes, en son cas particulier, une observation que je crois d’intérêt général.

À quinze ans, la sensualité, non encore déterminée dans un sens formel, est singulièrement complexe chez les jeunes filles. Celle-ci, se révéla bientôt la flagellante passive que nous avions devinée en elle. Nous sommes heureuses de ne pas nous être trompées dans nos espérances. Cette jeune fille, en effet, peut s’attendre à de grandes joies dans l’avenir si elle persévère, ce dont nous la croyons capable.

Il serait curieux de savoir ce qu’elle deviendra. Puissions-nous, à son sujet, ne pas nous leurrer dans nos conjectures !

Je vous assure, Monsieur, qu’une telle étude est passionnante et qu’en dehors de toute sensualité grossière, il y a là matière à exercer ses facultés d’analyse en restant sur le terrain exclusif de la psychologie.

C’est pour en arriver à vous dire simplement cela, Monsieur, c’est pour vous soumettre finalement ces quelques dix ou douze lignes que je vous ai écrit cette lettre interminable et singulièrement diffuse. Je n’ose pas vous prier d’excuser la banalité de tant de feuillets, en considération de celui qui la termine et que je crois être le seul digne de retenir un instant votre attention, Pour un esprit délié comme le vôtre, est-il un sujet plus digne d’intérêt que la mentalité, la psychologie de la jeune fille ? J’entends : de la jeune fille normale, c’est à dire intelligente et pudique, en même temps qu’évoluée, ainsi qu’elle l’est, à notre époque, dans la partie moyenne et la plus nombreuse de la société.

Signé : Albertine-Armande.

  1. Voir : « Monsieur Paulette », voir « Suzanne Écuyère », voir « Paulette trahie », ouvrages parus dans la même collection.


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