Bourassa et l’Anti-Laurierisme/M. Bourassa isolé


M. BOURASSA ISOLÉ.

LE MOUVEMENT NATIONALISTE ET LE JUGEMENT DE MGR. LANGEVIN.


Le divorce éclatant qui se fait jour continuellement, entre le groupe Bourassa et les conservateurs canadiens-français, est un évènement remarquable.

En dehors des conservateurs, de quoi se compose le parti de M. Bourassa ? Comme l’a dit « La Patrie » : ce sont les conservateurs qui ont fourni les fonds pour les campagnes de M. Bourassa et qui font vivre son organe, « Le Devoir ».

Ils s’aperçoivent aujourd’hui que leurs sacrifices pécuniaires n’ont abouti qu’à l’exaltation du prestige personnel de M. Bourassa, et qu’ils restent Gros-Jeans, comme devant. Le rêve de Perrette qu’ils avaient tant caressé a été interrompu par le soubresaut de M. Bourassa, lorsqu’il lui a été proposé de conclure une alliance avec le parti conservateur. Le pot au lait s’est brisé. Adieu, veau, vache, cochon, couvée !

Le parti conservateur canadien-français se trouve donc aujourd’hui sans chef, sans organe, sans cohésion, sans point de ralliement.

Mais M. Bourassa, où en est-il ?

Il a d’abord réussi à avoir un organe quotidien. C’est énorme pour lui. Et cet organe quotidien, fondé avec les fonds des conservateurs, et soutenu par les abonnements des conservateurs, n’est absolument que bourassiste, et pas autre chose.

A-t-il, par contre, réussi à former un groupe à lui, un groupe personnel, assez nombreux pour avoir quelque influence sur la politique du pays ? Retranchez, des foules qui assistent à ses assemblées, les curieux indifférents et les conservateurs aujourd’hui désillusionnés, que restera-t-il ?

Que lui importe, après tout. Il a réussi à faire du tapage, beaucoup de tapage autour de son nom. Il a fait parler de lui comme d’une puissance politique, n’est-ce pas tout ce qu’il recherche ?

Il a maintes fois répété qu’il ne voulait pas fonder un parti ; qu’il ne visait pas au pouvoir. Un parti, mais c’est un esclavage, c’est le partage, avec des collègues, de l’élaboration et de la direction d’une politique positive. Il a toujours été réfractaire à tout partage de puissance, à toute collaboration ; Le MOI qui dicte ses actions n’admet ni supérieurs, ni même d’égaux. Il est absolument inapte à fonder un parti, il ne peut supporter que des disciples, des séïdes, des janissaires tels les Héroux et autres.

Voyez, en effet, comme tous les caractères quelque peu personnels, qui l’avaient d’abord suivi, s’écartent de lui. « La Patrie » nommait l’autre jour, M. N. K. Laflamme, M. Asselin, M. Jules Fournier, M. Armand Lavergne.

Prendre le pouvoir, ce serait également être forcé de concilier des intérêts, de gouverner avec l’aide d’influences dont il aurait à tenir compte, ce serait sacrifier, par conséquent, une partie de ses idées personnelles. Il n’en veut pas ; son incommensurable vanité ne peut en supporter la pensée. Il lui faudrait une dictature et il lui reste encore assez de sens pour comprendre que c’est un rêve irréalisable.

Il va donc se trouver, maintenant que les conservateurs ont ouvert les yeux, isolé en face des deux partis. Il est de force à parodier le mot célèbre : « Moi seul et c’est assez ! » Mais comment le jugeront les gens pratiques qui forment, en somme, la majorité de la population ?

Appliquons donc à son cas les principes posés par l’organe de Mgr. Langevin, « Les Cloches de St-Boniface », à propos de l’initiative isolée de M. Molloy en faveur des écoles catholiques du Manitoba.

L’isolement voulu de M. Bourassa le met précisément dans la même position — involontaire celle-là — de M. Molloy. Et qu’en disent « Les Cloches » ?

« Nous n’hésitons pas à dire que, dans les circonstances, il (M. Bernier) était parfaitement justifiable de refuser de seconder la motion, PUISQUE LES DEUX PARTIS POLITIQUES AVAIENT UNANIMEMENT DÉCIDÉ DE LA REJETER.

« UN COUP TIRÉ INUTILEMENT ET AU HASARD PAR UN SOLDAT INDISCIPLINÉ FAIT PLUS DE MAL QUE DE BIEN ; ET LOIN D’ÊTRE UN ACTE DE COURAGE, CE N’EST SOUVENT QU’UNE INSIGNE MALADRESSE. »

Nous plaçant, donc, au point de vue des intérêts catholiques du Canada, qu’il fait profession de défendre, nous n’avons, pour juger M. Bourassa, qu’à lui appliquer le jugement de Mgr. Langevin.