Bouquets et prières/Le Moineau Franc

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LE MOINEAU FRANC.




« Sacrebleu ! voilà le soleil,
Dit l’oiseau dont la plume pousse,
Il va sécher l’herbe et la mousse,
Et nous faire un monde vermeil :
Il fait tout, ce roi sans pareil.
Sacrebleu, voilà le soleil !


Je voudrais vivre cent mille ans,
S’il avait cent mille ans à vivre.
Pour le regarder et le suivre,
Suspendu sur les blés brûlans,
Quand même il pleuvrait des milans.
Je voudrais vivre cent mille ans !

Les milans ! qu’ils viennent un peu :
J’en ai peur comme d’une paille ;
Je m’en amuse et je m’en raille,
Les pieds croisés devant mon feu.
Voici le soleil, sacrebleu !
Les milans, qu’ils viennent un peu !

Bonnes gens, que cet astre est beau !
C’est l’écusson du divin Maître :
L’œuf ardent des âmes, peut-être,
Allumant tout comme un flambeau,
Ressuscitant larve et tombeau.
Bonnes gens ! que cet astre est beau !


Hardi les fleurs et les chansons !
Le printemps me monte à la tête :
C’est Dieu qui va payer la fête !
À vos rangs, messieurs les pinsons ;
La table est dressée aux buissons,
Hardi les fleurs et les chansons !

Mon habit vient d’un bon tailleur.
Il est léger pour les montagnes ;
Il plaît aux cités, aux campagnes.
Où le peuple n’est point railleur.
L’homme n’en fait pas de meilleur :
Mon habit vient d’un bon tailleur !

Le monde est assez grand pour moi :
Tout m’appelle au loin, tout m’avive,
Et je vais de mon aile vive,
Égayer la vitre du roi.
Je vole plus haut que la loi :
Le monde est assez grand pour moi !


Je suis rempli d’aise et d’amour,
J’ai cinq aurores et demie !
Il me faut au moins une amie,
Pour peupler un si grand séjour :
Je veux faire un nid à mon tour ;
Je suis rempli d’aise et d’amour ! »

Petit paysan des oiseaux !
Tu dis cela quand on t’écoute
Aux sillons de la grande route,
Ou sur la tête des roseaux,
Dont les femmes font leurs fuseaux,
Petit paysan des oiseaux !

Le cœur le plus triste est charmé,
De ta joie alerte et volante.
La mémoire y coule moins lente ;
Et s’il a jamais rien aimé,
Tout rêveur et tout désarmé,
Le cœur le plus triste est charmé !