Bouquets et prières/Le Dimanche des Rameaux

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le dimanche des rameaux.

LE DIMANCHE DES RAMEAUX.


Jour cher au pèlerin qui demande sa voie ;
Dont l’aube, à tout calvaire, allume un peu de joie ;
Beau jour ! où les enfans, des rameaux dans leurs mains,
Se promènent bénis entre tous les humains,
Affairés et contens de parcourir les rues ;
Rapportant au foyer leurs richesses accrues


Ce jour-là je cherchais aussi le rameau vert,
Pour appuyer mon sort tout penché de l’hiver :

J’avançais, je marchais de tristesse éblouie,
Tantôt sous le soleil et tantôt sous la pluie,
Attirée à l’éclat des cierges allumés,
Qui prêtent tant de grâce à nos rites aimés !

De sonores enfans les stalles étaient pleines,
Qui roulaient dans la nef d’innocentes haleines ;
Et Dieu seul entendit une plus humble voix
Qui chantait dans la foule et pleurait à la fois :


« Par le vent de l’exil de partout balayée,
Vraiment, je ne sais plus où je suis envoyée :
Oh ! les arbres du moins ont du temps pour fleurir,
Pour répandre leurs fruits, pour monter, pour mourir ;
Moi, je n’ai pas le temps. Ma tâche est trop pressée :
Dieu ! laissez-moi goûter la halte commencée ;
Dieu ! laissez-moi m’asseoir à l’ombre du chemin ;
Mes enfans à mes pieds et mon front dans ma main,
Je ne peux plus marcher. Je viens… j’ai vu… je tombe.
Je n’ai pris qu’une fleur là-haut sur une tombe,

Des chapelets bénis pour ceux que nous aimons,
Et j’ai blessé mes pieds aux cailloux des grands monts.


Dieu ! si je suis l’oiseau rasant la terre et l’onde,
Laissez-moi de mon fils presser la tête blonde ;
Mon fils ! grandi sans moi qui l’ai fait tout amour,
Sans moi, qui lui donnai tant d’âme avec le jour !
Dieu des faibles, mon Dieu ! si je suis votre fille,
Relevez mon passé dans ma jeune famille :
A mes tendres terreurs ne donnez pas raison ;
Laissez-nous dans un port contempler l’horizon ;
Dans ma précoce nuit allumez une aurore ;
Défendez aux chemins de m’emmener encore ;
Marquez de votre doigt une place pour nous,
Et ralliez le père aux enfans à genoux !»


L’orgue se tut : l’église éteignit sa lumière ;
Ma pensée en mon sein retomba prisonnière :
Mais je ne sais quel charme en coulant à mon cœur,
L’inonda de l’espoir qui brûlait dans le chœur.

Un vieillard me donna, tout ruisselant d’eau sainte,
L’un des mille rameaux dont verdoyait l’enceinte,
Et riche de ce buis qui riait dans ma main,
Du monde et de l’hiver je repris le chemin.



On eût dit qu’avec moi cheminait une amie,
La foi ! toute éveillée et toute raffermie !
Pendant que ses lueurs sillonnaient ma raison,
J’entendis devant moi s’ouvrir une maison ;
Puis le maître apparut qui, me voyant plus pâle,
Et de mon front plus triste interrogeant le hâle,
Me demanda mon sort et s’il ne pouvait pas,
Comme en des temps meilleurs, guider encor mes pas ;
Si je partais toujours ; si la belle patrie
Ne m’aimait pas enfin de l’avoir tant chérie !
Si l’Ange du voyage avait quitté mon seuil,
Et si pour moi la vie avait un doux accueil. »



Émue à cette voix qui plaint et qui protège,
J’écoutais ce pouvoir sans faste et sans cortège :

Mais la foule survint ; la foule me fait peur ;
Elle cherchait sa gloire, et j’écoutais son cœur.
Cédant au flot croissant la grille entre-fermée,
J’ai consacré d’un vœu cette demeure aimée ;
Et par-dessus les murs où rentrait l’amitié,
De mon rameau béni j’ai jeté la moitié.