Boileau - Œuvres poétiques/Chansons/Épitaphe d’Antoine Arnauld



XXII

ÉPITAPHE DE M. ARNAULD, DOCTEUR DE SORBONNE.


Au pied de cet autel de structure grossière[1],
Gît sans pompe, enfermé dans une vile bière,
Le plus savant mortel qui jamais ait écrit ;
Arnauld, qui, sur la grâce instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l’Église, a, dans l’Église même,
Souffert plus d’un outrage et plus d’un anathème.
Plein du feu qu’en son cœur souffla l’esprit divin,
II terrassa Pélage, il foudroya Calvin,
De tous les faux docteurs confondit la morale.
Mais, pour fruit de son zèle, on l’a vu rebuté.
En cent lieux opprimé par leur noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté ;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N’auroit jamais laissé ses cendres en repos,
Si Dieu lui-même ici de son ouaille sainte
A ces loups dévorans n’avoit caché les os.

  1. Antoine Arnauld, mort en Flandre le 8 août 1694, dans sa quatre-vingt-troisième année, est enterré dans un faubourg de Bruxelles, sous l’autel d’une petite chapelle.