Bodin - Le Roman de l’avenir/Notes sur la préface

Lecointe et Pougin (p. 388-403).

NOTES

SUR LA PRÉFACE.


Un fragment de cette préface fut publié, etc.

C’est dans la Gazette littéraire du 17 février 1831.

J’ai pensé dès long-temps que, dans ce siècle si fertile en hardiesses littéraires, en systématisations historiques et en créations religieuses ou sociales, on devrait établir une sorte de registre des hypothèques pour la conservation des idées. J’y étais fort intéressé, moi qui voulais prendre date et hypothèque sur quelques idées, ou demi-idées, ou quarts d’idées ; car je crois en avoir tout comme un autre. Mais en attendant cet utile établissement, les revues et les journaux y suppléent jusqu’à un certain point.

C’est ainsi que j’essayai, dès l’an de grâce 1822, de faire du Walter Scott en français ; puis, après en avoir publié çà et là des lambeaux, je m’endormis là-dessus fort tranquillement, sans prétendre au brevet d’invention, mais seulement au brevet d’importation. Heureusement d’autres que moi exploitèrent cette mine avec beaucoup plus de succès que je ne l’eusse fait.

Vers 1828, je crus avoir une demi-idée neuve en entreprenant d’appliquer les procédés du Walter-Scottisme à l’antiquité : je voulus montrer des Grecs et des Romains, non plus chaussés du cothurne, mais parlant et agissant comme on peut supposer qu’ils parlaient et agissaient quand ils étaient en vie. Avant de m’endormir complètement sur cette demi-idée, j’eus heureusement celle de publier des fragmens de drame romain dans les revues et magasins littéraires, vers la fin de 1830. Il était temps, car on fit bientôt après (précisément sur le même sujet) quelque chose de semblable. Si, par hasard, ce n’était pas moi qui eusse fait naître l’idée, au moins je conserve la douce satisfaction de pouvoir exhiber la preuve que je l’ai eue tout seul de mon côté (sauf Ben Johnson).

À la même époque, vers 1829, je fus témoin d’expériences sur le magnétisme ; j’en fis moi-même pour dissiper mes doutes, qui étaient très-voisins de l’incrédulité. Je fus convaincu. Je crus avoir un quart d’idée : c’était d’introduire le magnétisme dans les arts et la littérature, comme un élément poétique et dramatique ; mais j’appris que l’Allemagne m’avait devancé, et je lus bientôt une nouvelle fort intéressante de M. Zschokke, où l’état d’extase somnambulique joue un grand rôle. Toutefois, je me hâtai de divulguer mon quart d’idée par la voie de la presse ; mais le temps de l’appliquer n’était pas venu, tant les préventions contre le magnétisme étaient générales en France. Je me contentai plus tard de risquer, comme essai, une petite scène magnétique et romanesque, qui fut publiée dans plusieurs recueils. Aujourd’hui que l’incrédulité des gens du monde a cédé tout à fait à l’éclat et à la fréquence des preuves, je vois avec grand plaisir que la littérature s’empare de cette merveilleuse source d’émotions et d’intérêt.

Mais le roman de l’avenir, cette idée, demie ou quart, si l’on veut, qui me trottait par la tête depuis une dizaine d’années, me tourmentait bien autrement ! Je publiai un fragment de la préface sans avoir fait une ligne du livre, de peur d’être devancé ; j’avais bien soin de ne mettre que ce qu’il fallait pour prendre date, mais non ce qui pouvait révéler mon plan. Et là-dessus encore je m’endormais… Mais ce sommeil était un vrai cauchemar : je ne lisais pas la moindre phrase qui touchât à mon idée, qui en approchât tant soit peu, sans trembler qu’on n’attrapât cette pauvre idée et qu’on ne la mît à profit avant moi. Le seul mot d’avenir me faisait frissonner. Cet état était intolérable ; s’il eût continué, je serais mort de mon livre rentré. Entre des frayeurs continues et une paresse peu ordinaire, je viens de prendre un parti violent…, la paresse a été vaincue (tant pis pour le public ! dira-t-on), et le livre a été écrit dans une vingtaine de jours. Le temps ne fait rien à l’affaire.

Je ne crois pas qu’on puisse faire plus candidement sa confession littéraire : c’est un petit bout d’étude sur les tribulations d’un paresseux qui, s’il ne fait rien, n’est pas du moins comme le chien du jardinier, et se plaît à rendre justice à ceux qui font à sa place ; toutefois, il ne voudrait pas tomber trop complètement dans l’oubli. C’est aussi une explication et une excuse que je devais pour la publication incomplète de cet ouvrage, auquel il manque évidemment une seconde partie.

Je demande pardon d’avoir parlé si longuement de choses fort indifférentes au lecteur.

Sur le Magnétisme.

Il n’est peut-être pas inutile de donner quelques explications sur le magnétisme aux lecteurs qui ne l’ont pas étudié. Voici ce que je publiais sur ce sujet, en 1829 ; il y avait alors une sorte de courage, car les plaisanteries d’Hoffmann (du Journal des Débats) avaient encore l’autorité de chose jugée ; aussi, quelques jours après cette publication, eus-je l’avantage de lire dans une feuille périodique que je n’avais pas écrit cela sérieusement, ou sinon que ma raison était en grand péril.

« Les phénomènes extraordinaires produits principalement sur la matière organique et sur l’ordre moral par l’influence connue sous le nom de magnétisme animal, ne peuvent plus être révoqués en doute que par ceux qui ne veulent pas se donner la peine de les vérifier : il est donc temps d’en déclarer l’existence, quoiqu’on ne le puisse pas encore sans s’exposer au ridicule. Mais la vérité vaut bien la peine qu’on brave pour elle un si petit danger, puisque dans d’autres temps on s’estimait heureux de lui sacrifier sa vie. Aujourd’hui passe pour le ridicule : dans dix ans il aura cessé ; car les faits sont plus vivaces que lui.

» Des expériences publiques, répétées plusieurs fois devant nombre de savans et de médecins, devraient pourtant avoir rendu incontestable pour les gens éclairés la réalité de l’agent dit magnétique, et de l’état singulier improprement appelé somnambulisme par les magnétiseurs. Une immense quantité d’expériences semblables reproduites chaque jour dans presque toute l’Europe offrent le développement d’un sixième sens ou de l’instinct élevé au plus haut degré ; elles montrent dans certains cas la puissance de la volonté humaine, portée à un point qui jadis put sembler miraculeux, et aujourd’hui peut aisément passer pour incroyable quand il n’a pas été observé.

» Voici donc une science nouvelle, ou plutôt renouvelée des anciens, qui naît au milieu des moqueries : souvent compromise par le charlatanisme, elle n’a plus à combattre que la prévention. Fondée sur l’examen, elle nous révélera peut-être un agent universel, entrevu dès la haute antiquité, mais trop souvent méconnu, et servant, soit dans les mains des hiérophantes ou des jongleurs, soit qu’il fût manifesté par hasard, à entretenir des croyances en des puissances surnaturelles, anges ou démons, intermédiaires entre la Divinité et la nature. Plus éclairés aujourd’hui que tout est ramené à d’immuables lois physiques, nous excuserons du moins nos pères d’avoir admis beaucoup de superstitions qui en partie étaient appuyées sur des phénomènes réels ; nous les plaindrons seulement d’avoir cru que le diable y fût pour quelque chose, et d’avoir arrêté par les supplices l’esprit d’observation qui eût pu s’exercer bien plus tôt sur ces faits et les expliquer scientifiquement.

» Mais il est peut-être bon que le scepticisme historique du dix-huitième siècle ait fait table rase pour tous les faits inexplicables d’après les lois de la physique alors connue, parce que le principe de l’immuabilité des lois de la nature a été établi dans les esprits. Les uns diront que c’est saper les religions par leur base ; les autres penseront qu’il faut d’abord chercher la vérité.

» Peut-être aussi que, loin de détruire les religions, cette science ne pourra que les épurer, en fortifiant leurs fondemens véritablement historiques, en les rattachant toutes à un ordre de faits qui poètise pour ainsi dire l’espèce humaine. Elle ira chercher jusque dans le passé antédiluvien de la Haute-Asie et de la Haute-Afrique les traces d’une sorte de révélation instinctive à laquelle il faut remonter pour concevoir l’histoire des anciennes sociétés. Enfin, l’agent magnétique, ou de quelque autre nom qu’on l’appelle, soit qu’on découvre en lui une modification ou une généralisation de l’électricité, du galvanisme, du mouvement, de la lumière ou de la vie, semble devoir conduire l’humanité à des notions sublimes, physiologiques ou psychologiques ; et, confié à la prudence et à la philanthropie, il est sans doute appelé à la soulager ou à la guérir de maux qu’on a crus incurables, à resserrer ses liens sociaux et à contribuer à son amélioration morale. Dès lors qu’il existe, il ne peut exister que pour une bonne fin. L’homme peut abuser de tout, mais l’usage utile prévaudra toujours sur l’abus.

» La médecine magnétique, qui, sans supplanter la médecine ordinaire, est appelée du moins à la diriger et à la perfectionner, ne sera pas l’un des moindres bienfaits réservés par la Providence à notre postérité. Les cures encore inexplicables qu’elle opère aujourd’hui sur un petit nombre de personnes se multiplieront à l’infini, et que d’expériences nouvelles ne doit-on pas espérer ! L’état d’insensibilité complet que le magnétisme peut quelquefois obtenir d’un malade fera tenter sans crainte et subir sans douleur des opérations chirurcales qui jusqu’ici effrayaient le désespoir lui-même. Enfin, et telle doit être sa principale destination pour éviter de graves inconvéniens, le magnétisme deviendra la médecine de famille et d’amitié. »

Voici ce que j’imprimais encore en 1832, en tête de mon petit roman magnétique :

« Il n’est pas du tout agréable de passer dans le monde pour s’occuper de magnétisme. Beaucoup de vos meilleurs amis vous considèrent alors avec une sorte d’inquiétude compatissante ; comme celle que nous inspirent les gens dont la tête n’est pas bien rassise. Je trouve cela tout naturel ; il y a quelques années que j’en usais ainsi avec les autres, et aujourd’hui, par la même raison, je suis presque honteux d’être signalé comme un adepte de Mesmer, de Puységur, et du bon M. Deleuze.

» Ne voyez-vous pas tout de suite les inconvéniens d’une réputation de ce genre ? En politique, cela vous classe infailliblement parmi les esprits faibles ; en philosophie, parmi les cerveaux creux ; en littérature, parmi les niais. Ainsi, par exemple, si jamais je trouve assez de confiance en moi-même pour ramasser dans mes paperasses de quoi remplir un ou deux in-octavo, et puis après cela que je m’avise, tout comme un autre, de me mettre sur les rangs pour l’Académie française, pensez-vous qu’une pareille note sur mon compte soit une bien bonne recommandation auprès de MM. les trente-neuf ? Supposez encore un député à nommer, et un candidat véhémentement suspect de magnétisme, comment l’accueilleront les électeurs avec un antécédent, ou, si vous voulez, un précédent semblable ? Je vois déjà venir toutes les railleries : Il veut magnétiser la Chambre, endormir l’Europe ; enfin, une nuée de traits qui tuent un candidat dans un chef-lieu d’arrondissement.

» Parbleu ! c’est une chose bien singulière ! Dans un temps où le magnétisme n’était pas encore publiquement constaté, alors que le charlatanisme se chargeait de l’exploiter en grande partie et que le mystère ajoutait à son merveilleux, il était du bon ton de s’en mêler, et chacun, sans risquer sa réputation, pouvait y croire tout à son aise. On croyait à cela et à bien d’autres choses. Je me souviens d’un vieux brave homme, ancien capitaine de dragons, qui, au retour de l’émigration, avait conservé, comme une sorte de bagage de l’Ancien régime, le magnétisme, la baguette divinatoire, nombre d’anecdotes sur M. le comte de Cagliostro, le tout entremêlé de citations de M. de Voltaire, et d’une quantité de remèdes de bonne femme empruntés au journal de Verdun. Le digne oncle ! il n’avait pas de plus grand bonheur que de donner ses recettes et d’administrer ses simples, et il croyait à leur efficacité aussi fermement qu’il était convaincu que, sans M. Necker, la révolution française n’aurait pas eu lieu ! Pardon de la digression.

» Je disais donc qu’avant la révolution il n’y avait nul inconvénient à croire au magnétisme, qui pourtant n’était rien moins que démontré ; et aujourd’hui que nombre d’expériences ont été faites solennellement en présence des plus célèbres facultés d’Europe, que de nombreuses cures ont été opérées publiquement dans un hôpital de Paris, à la face de tous les médecins, étudians et curieux qui ont voulu en être témoins ; aujourd’hui qu’une commission nommée ad hoc a conclu à l’existence des phénomènes du magnétisme animal et du somnambulisme ; aujourd’hui que vous rencontrez partout des gens qui ont vu, ou qui ont été guéris, ou dont les amis l’ont été, ou qui conviennent d’avoir éprouvé un effet quelconque de cet agent physique singulier, comment se fait-il qu’il y ait un peu de ridicule à passer pour étudier le magnétisme et pour y croire ?

» Voilà pourtant où en est maintenant la question. C’est une des bizarres inconséquences de l’humaine nature. Les uns croient par ce qu’ils ont vu ou éprouvé ; les autres ne croient pas, parce qu’ils n’ont pas eu de preuves ; et tous s’en tiennent là. Ceux qui n’ont pas été convaincus aiment mieux ne pas y croire que d’y aller voir ; et il leur est également commode de se moquer de ceux qui ont jugé que la chose valait la peine d’être vérifiée. Tâchons de savoir pourquoi cela.

» Quand il se fait une découverte dans les sciences physiques, et qu’elle est suffisamment constatée par les témoignages du monde savant, personne ne prend la peine de la révoquer en doute : on a plus tôt fait d’y croire sur la foi d’hommes spéciaux et capables, qui ont comme la procuration de l’humanité civilisée pour admettre les nouvelles vérités et leur donner cours. Quand j’entendis parler pour la première fois de l’action extraordinaire du galvanisme sur le système nerveux, même après la mort, je fus sans doute fort émerveillé ; mais le fait n’étant contesté de personne, je n’hésitai pas un instant à l’admettre. S’il eût été contesté, j’eusse pensé qu’il méritait bien qu’on s’en assurât, et je n’eusse rien négligé pour savoir parfaitement à quoi m’en tenir. Ainsi ai-je fait pour le magnétisme ; ainsi, ce me semble, devrait faire tout le monde, ou bien je ne sais plus ce qui est digne de curiosité, dans un temps surtout où tant de gens s’évertuent à chercher de la poésie.

» Mais, voyez-vous, il y a quelque chose qui nuit au magnétisme : c’est qu’il dévoile un côté du monde physique qui nous était entièrement inconnu ; c’est que la science, suivant son habitude, a irrévocablement fixé les lois du monde connu ; c’est qu’elle est fondée à regarder comme impossible ce qui semble déroger à ces lois, et ce que le vulgaire, moins scrupuleux qu’elle, admet tout bonnement comme merveilleux. Cette manière de raisonner est en effet fort plausible : ce qui a une apparence de merveilleux étant jugé impossible, on décide qu’il ne vaut pas la peine de s’en occuper. Mais combien d’autres faits, maintenant admis, ont passé autrefois pour merveilleux, parce qu’ils semblaient choquer les idées reçues, et sortir de l’ordre naturel ? Les phénomènes de l’électricité, du galvanisme, du magnétisme minéral, etc., ne parurent-ils pas merveilleux d’abord, et les explique-t-on bien aujourd’hui ? Eh bien, ceux du magnétisme animal doivent entrer dans le domaine physique, quoiqu’on ne les explique pas, et ils doivent avoir aussi leur loi, qui peut-être un jour sera connue et les expliquera.

» Oh ! pardon, voilà que je me laisse aller à traiter la question scientifique, et pourtant je me suis bien promis de n’en rien faire. Je ne veux que me placer au point de vue moral, poétique, philosophique, pittoresque, si vous voulez. Je ne dois vous donner ni un procès-verbal de clinique, signé de trois médecins, ni une théorie sur le magnétisme, ni une discussion pour ou contre : tout cela serait ici hors de propos.

» Cependant, il faut bien que je prenne mes précautions avec le lecteur sérieux. Ainsi, de grâce, laissez-moi ajouter quelques mots à ce préambule. Je vous assure donc que je crois au magnétisme, et même au somnambulisme, qu’il serait mieux d’appeler autrement[1] ; j’y crois, parce que j’ai examiné nombre de somnambules avec la prévention la plus défavorable d’abord, et ensuite avec la plus impartiale attention. Je vous dirai encore que l’appareil nerveux est principalement en jeu dans l’action magnétique, et qu’ainsi, moins il y a de sensibilité nerveuse, moins le magnétisme agit. On conçoit dès-lors pourquoi les femmes sont plus aisées à magnétiser que les hommes.

» Je crois aussi que le charlatanisme s’est souvent emparé de cette découverte, sans doute renouvelée des anciens, et que l’enthousiasme l’a exagérée ; mais, dîtes-moi un peu, quelle découverte en médecine n’a pas eu ses enthousiastes, ses fripons et ses dupes ?

» La panacée physique et morale, le moyen d’arriver à l’absolu à la vérité universelle : il y a des gens qui voient cela et bien d’autres choses dans le magnétisme. Quant à ceux qui ne sont ni dogmatiques, ni illuminés, mais qui observent les faits à l’aide de l’expérience et de la raison, qu’ils se bornent à étudier le plus possible de faits magnétiques, avec toute la prudence du doute ; mais qu’ils se gardent bien de faire aussi leur théorie, que d’autres faits viendraient bientôt renverser. De tout temps on a pensé que l’époque de la synthèse était venue : aussi, combien de systèmes ont passé sur cette planète, comme les générations, les monumens, les empires ! Dans deux mille ans on en fera d’autres qui seront supplantés plus tard. Pour moi, j’aime assez les systèmes, mais seulement comme méthodes. En voilà bien assez là-dessus. »

Enfin, l’incrédulité en matière de magnétisme est devenue tolérante et n’est plus moqueuse : c’est un grand pas. Et la science marche ; et les observations se multiplient et se recueillent ; et en Angleterre, où, il n’y a pas quatre ans, personne n’aurait daigné examiner la question, des médecins du premier mérite attachent leur nom à des publications spéciales sur l’existence et la puissance du magnétisme.

Des essais littéraires sur l’avenir

J’ai dit qu’on n’avait jusqu’à présent tenté en fait de littérature futuriste, que des utopies ou des apocalypses. En effet, je n’ai connaissance d’aucune action romanesque transportée au milieu d’un état social ou politique futur. J’ai trouvé dans la Biographie universelle l’indication des ouvrages suivans :

Mémoires du vingtième siècle, ou lettres d’état authentiques écrites sous Georges VI, relatives aux événemens les plus importans en Angleterre et dans l’Europe, etc., depuis le milieu du dix»huitième siècle jusqu’à la fin du vingtième et du monde, reçus et révélés en 1718. Londres, 1733 : in-8o, qui devait être suivi de cinq autres volumes. Cet ouvrage, qui fut saisi et qui est très-rare, dit la biographie, est du philantrope irlandais Madden.

Mémoire sur l’Europe vers la fin du dix-huitième siècle, publiés en 1710, 2 vol. in-8o, par mistress Manley. Je ne sais si c’est exact.

Il existe aussi en Angleterre un ouvrage assez connu intitulé The century of inventions, le siècle des inventions.

Ce ne sont là que des utopies sans action, comme l’an 2440 et le voyage de Kang-hi, par M. de Lévis, dont une analyse que je lus vers 1810 dans le Journal de l’Empire fit sur moi, alors écolier, une impression que je me rappelle encore.

Quant aux apocalypses et aux fins du monde, on en a essayé plusieurs en France et en Angleterre. Il existe, je crois, plus d’un poème intitulé The last man ; le plus connu est celui du célèbre Thomas Campbell. Je me souviens d’avoir entendu mentionner pour la première fois, il y a environ dix ans, un poème français dont le sujet est aussi le dernier homme, par Granville ; poème connu d’un petit nombre de curieux et que je n’ai jamais vu : Habent sua fata ! C’était Charles Nodier qui m’en parlait avec une prédilection, un enthousiasme dont je lui savais un gré infini. Il y a une jouissance pour les honnêtes gens littéraires à protester contre les arrêts de la célébrité ou plutôt les caprices de la vogue. Quoiqu’on dise que les bons ouvrages ne tombent point dans l’oubli, il y a tant de sots livres dont la réputation se perpétue, qu’on peut nier le premier point avec l’argument à contrario ! Puisque j’ai nommé Charles Nodier, je dirai ici que si le Roman de l’avenir eût dû être fait par tout autre que moi, c’eût été certainement à lui de le faire. Cette idée allait à la richesse de son imagination et à la souplesse de sa plume. Je regrette pour la littérature qu’il n’en ait pas été ainsi. Je n’ose dire que je le regrette aussi pour moi, parce qu’on ne me croirait pas.

Quant à l’Allemagne, j’ignore absolument ce qu’on y a essayé dans ce genre. J’ai lu un morceau fort remarquable de Ph. Chasles sur Jean-Paul Richter, génie original et digne d’un tel traducteur que Chasles ; je ne crois pas y avoir vu qu’il ait fait de l’avenir l’objet de quelqu’une de ses conceptions.

Si je publie une seconde partie, je pourrai bien y ajouter, dans les notes, le sommaire de l’ouvrage de Mercier. Ceux qui ne l’ont pas lu seront peut-être bien aises de trouver réunies en quelques pages toutes les idées, souvent aussi heureuses que bizarres, de cet homme d’esprit, mais écrivain diffus et déclamateur. On trouve dans le livre la plupart des opinions des économistes, et toutes les haines, et tous les enthousiasmes, et tous les jugemens impitoyables sur le passé, de l’école philosophique et sentimentale du dix-huitième siècle, et avec cela, à côté de chaque perfectionnement dans l’avenir, une interminable critique du présent, accompagnée de longs mouvemens oratoires. Mais comment peut-on éviter de porter l’empreinte de son époque, à quelque originalité qu’on puisse prétendre ? Toujours est-il que dans le long fatras des prédictions de Mercier il s’en trouve beaucoup de réalisées et qui sont aujourd’hui presque de la vieille histoire. La comparaison de son avenir avec notre présent est amusante surtout pour cela.

Je me souviens de m’être essayé dès long-temps dans ce genre, et sans beaucoup d’effort d’esprit, car il y avait déjà un commencement d’exécution à ma prophétie. C’était en 1822 : l’insurrection grecque avait éclaté et à-propos du curieux panorama de l’Athènes des Turcs, je publiais dans le Miroir l’article suivant, que je demande la permission de reproduire, par une faiblesse d’auteur retrouvant d’anciens opuscules.

Athènes en 1840.

» Grâce à l’illusion du Panorama, nous avons pu voir Athènes. Mais quelle Athènes ? Ce n’est plus celle de Périclès ! C’est Athènes telle que le temps, la guerre, la barbarie et les Turcs l’ont faite. Le peintre a rendu sa toile éloquente. Il fait détester encore plus le despotisme.

» Je n’essaierai point de relever par la pensée toutes ces nobles ruines, en me transportant aux jours où tant de grands hommes circulaient sous les élégans portiques dont je vois à peine les traces : de trop pénibles rapprochemens naissent de cette fiction déjà souvent reproduite. J’aime mieux me livrer à des images plus consolantes. Je laisse la comparaison du passé avec le présent, pour celle du présent avec l’avenir. Je m’efforce d’oublier Athènes florissante sous les lois de Solon, pour ne songer qu’à l’Athènes que nous promet le dix-neuvième siècle.

« Ce n’est pas dans la vaste enceinte du Pnyx que se discutent les lois et les affaires de l’état. Les sociétés ne se gouvernent plus en plein air : où sont les hommes qui pourraient se faire entendre de la tribune d’où tonnait Démosthène ? aujourd’hui les assemblées politiques sont des délégations, et les orateurs des mandataires. Les citoyens n’ont plus d’esclaves qui travaillent pour eux, et les ateliers de l’industrie ont vidé la place publique. Aux factions turbulentes d’une démocratie aveugle et passionnée, créant follement des idoles de popularité qui devenaient bientôt ses tyrans, succéderont peut-être la vénalité d’une représentation avilie ou des élections faussées par la violence. Mais quelles institutions n’ont pas leurs abus ? Si la police républicaine des anciens avait plus d’énergie et de grandeur, le régime trouvé dans les forêts, comme dit Montesquieu, offre plus de sécurité et de garanties aux individus ; c’est le gouvernement de la société moderne.

» Le Parthénon, ce glorieux monument du génie de Phidias, est restauré. C’est là que le congrès d’Athènes tient ses séances. Quel palais plus digne d’un corps de législateurs que le temple de Minerve ? Les Propylées, que détruisirent les bombes vénitiennes, viennent d’être relevées. Une foule immense remplit ces superbes vestibules et se porte vers le Parthénon : la garde civique d’Athènes est sous les armes ; j’entends tonner le canon de l’Acropolis. Quelle solennité célèbre-t-on ? C’est l’anniversaire de la délivrance de la Grèce et en même temps l’ouverture d’une session législative. Le cortège se dirige d’abord vers une haute colonne élevée à la mémoire des hommes qui ont servi la cause de l’indépendance grecque. Leurs noms y sont inscrits ; je m’approche, je reconnais parmi eux des noms français, et je sens mon cœur tressaillir. Plus haut est une grande inscription dont je ne peux lire que le mot alliance. S’agit-il de celle des peuples ? Je suppose que c’est plutôt de la fameuse alliance des rois au commencement du siècle ; mais l’éloignement de l’inscription m’empêche de savoir comment elle est jugée par la postérité.

« La prison turque, cette vieille tour, reste d’un fort vénitien, est rasée. La colonne de la délivrance a été érigée sur son emplacement. Devant ces grottes obscures, qui furent les cachots de l’aréopage, sont des jardins délicieux, des retraites commodes et paisibles. Près du lieu où Socrate et Phocion burent la ciguë, habitent des hommes vertueux proscrits de leur pays pour leurs opinions politiques ou leurs idées religieuses. Galilée ou Sydney, s’ils vivaient, y trouveraient un refuge. Les Athéniens modernes ont voulu que jusqu’au moment où la tolérance et la liberté seront établies sur toute la terre, ces jardins soient l’asile de ceux que poursuivent l’arbitraire et le fanatisme. O la plus illustre des victimes de l’intolérance, Socrate, tu dois trouver ta mort dignement expiée !

« Les ports de Phalère, de Munychie et du Pirée ont recouvré leur antique splendeur. Une forêt de mâts y est rassemblée. De vastes et savantes constructions offrent une heureuse sécurité aux vaisseaux de vingt nations. Le commerce de l’Asie et de la Méditerranée y trouve un entrepôt ouvert à tous ses produits, et le commerce indigène est protégé par la belliqueuse marine d’Hydra dont les premiers efforts furent si glorieux, qui força ensuite les Dardanelles, qui bombarda Constantinople. C’est à Hydra que stationnent les vaisseaux de haut bord de la marine athénienne.

« Des platanes se sont élevés de nouveau dans les jardins d’Académus. C’est là que le premier corps littéraire d’Athènes se rassemble. On ne s’y évertue point à déclamer des lieux communs dans un langage apprêté. On s’y occupe de choses plus graves et plus utiles. On y professe les principes éternels de la morale et de la religion extraite des livres des Platon, des Cicéron, des Rousseau, des Francklin. Le gymnase de Ptolémée est une succursale de l’Académie. On y enseigne les lettres grecques, et en même temps les littératures de l’Europe moderne. Là où l’aréopage tenait ses séances, je vois le palais de justice d’Athènes ; un jury éclairé y a remplacé les Anitus. Au lieu de ces lois de Dracon écrites, disait un ancien, avec du sang, les Athéniens ont un code basé sur les principes des Bentham et des Beccaria. Rien n’empêche les avocats de Thessalie ou de Macédoine de venir à Athènes défendre leurs amis.

« Je vois une école d’enseignement mutuel là où était l’école turque, dans laquelle de pauvres enfans recevaient d’ignorans dervis plus de coups de fouet que d’instruction : une imprimerie occupe l’emplacement de la mosquée du bazar ; enfin je découvre le fameux socle sur lequel était la tribune d’où les orateurs d’Athènes gouvernaient le peuple par la parole. Une balustrade entoure ce monument vénérable auquel se rattachent tant de souvenirs glorieux, ce point d’appui d’où le levier de l’éloquence faisait mouvoir tant de milliers d’hommes armés pour la patrie. Un portique s’élève au-dessus de ces pierres si majestueuses dans leur simplicité rustique, et sur le fronton on lit ces mots : Athéniens, vous êtes représentés.

Saint-Malachie et la fin du monde.

J’ai dit quelque part que l’action se passe vers la fin du 20e siècle. Les personnes qui connaissent la curieuse prophétie de Saint-Malachie, moine irlandais, doué sans doute d’une seconde vue plus longue que celle de ses compatriotes, et qui mourut à Clairvaux, dans les bras de Saint-Bernard, son ami, ces personnes-là, dis-je, devront me savoir gré d’avoir donné quelque répit à ce pauvre monde qui, suivant la susdite prophétie, ne vivrait pas jusque là. En effet, d’après Saint-Malachie, il ne doit plus y avoir que douze papes d’ici la fin du monde. Or, en évaluant à dix ans la durée moyenne du pontificat, ce qui est beaucoup trop, si l’on songe au soin que prennent les cardinaux de poser la thiare sur les têtes les plus caduques, pour rapprocher leur chance d’y arriver, nous n’en aurions plus que pour cent vingt ans.

On sait les singulières rencontres qui se sont opérées entre cette prophétie et la réalité. Une devise en deux ou trois mots est attribuée à chaque pape depuis le douzième siècle, et plusieurs se sont appliquées sans qu’on en forçât beaucoup le sens. C’est ainsi que la devise Aquila rapax, tombant sur Pie VII, a été expliquée par la confiscation des états pontificaux par l’aigle impériale. Les continuateurs du commentaire n’auront sans doute point manqué pour les devises suivantes : Canis et coluber pour Léon XII, Vir religiosus pour Pie VIII, De balneis Etruriæ pour Grégoire XIV. Pour faire plaisir aux amateurs, je vais leur donner la fin de la prophétie, c’est-à-dire les douze papes qu’il nous reste à faire.

1
Crux de cruce.
7
Pastor et nauta.
2
Lumen in cælo.
8
Flos florum.
3
Ignis ardens.
9
De medietate lunæ.
4
Religio de populata.
10
De labore solis.
5
Fides intrepida.
11
Gloria olivæ.
6
Pastor angelicus.
12
In persecutione.


extrema sacrœ romanæ ecclesiæ sedebit Petrus Romanus qui pascet oves in multis tribulationibus, quibus transactis, civitas septicollis diruetur et judex tremendus judicabit populum.


FIN.
  1. Le somnambulisme magnétique, c’est le développement d’un sixième sens, ce sens qui se révèle quelquefois dans les pressentimens, les sympathies, et tant d’autres phénomènes de la vie ordinaire ; c’est, si l’on veut, l’instinct naturel stimulé à tel point qu’il a des perceptions que nous refusent nos sens dans l’état de veille. Nous ne savons ni pourquoi ni comment cette faculté se développe ainsi ; les somnambules ne peuvent nous rendre compte du genre de leur perception, de leur vision. Mais, du moins, les gens qui se donnent la peine d’observer le fait ne peuvent le nier. J’en ai vu bien d’autres chez le docteur Chapelain, cet ardent expérimentateur magnétique, qui a sacrifié toute sa carrière médicale aux progrès de la science, et qui, chemin faisant, opère des cures étonnantes