Boccace, d’après ses œuvres et les témoignages contemporains

Boccace, d’après ses œuvres et les témoignages contemporains
Revue des Deux Mondes3e période, tome 88 (p. 373-413).
BOCCACE
D'APRES SES OEUVRES ET LES TEMOIGNAGES CONTEMPORAINS

I. Fr. Corazzini, le Lettere edite ed inédite di messer Giovanni Boccaccio. Firenze ; Sansoni. — II. Attilio Hortis, Studj sulle Opere latine del Boccaccio. Trieste ; Julius Dase. — III. Dr Markus Landau, Giovanni Boccaccio, Sein Ieben und seine Werke. Stuttgart ; Cotta. — IV. Attilio Hortis, Giovanni Boccaccio ambasciatore in Avignone. Trieste ; Hermanstorfer.


I

Tout porte à croire que Boccace est né à Paris. Cela blesse le patriotisme de quelques Italiens, mais cela ne flatte pas le mien. Je ne suis pas touché outre mesure d’apprendre que le premier air qu’il respira fut celui des bords de la Seine. Boccace est bien Italien par le génie, et sa gloire est incontestablement florentine ; mais il est né à Paris. Il nous apprend lui-même que son père était à Paris le 11 mars 1314 ; et il était naturel que le fils n’oubliât pas cette date. Le vieux Boccace assistait à l’exécution de Jacques de Molay, grand-maître des Templiers. Ce souvenir fixe l’époque de son séjour à Paris. Si le père était à Paris en 1314, si le fils, comme Pétrarque nous l’apprend, est né en 1313, ces faits viennent à l’appui du récit que l’on trouve dans une ancienne chronique. Boccace le père, étant à Paris pour ses affaires, s’éprit d’une jeune fille « de condition moyenne, entre noble et bourgeoise. » Il ne la trouva point sévère, et en eut un fils. On aimera peut-être à se rappeler, en lisant le Décaméron, que Boccace avait pour mère une pauvre fille, folle et légère, de notre vieux Paris écolier et joyeux. Peut-être avait-il reçu d’elle, avec le sang, sa complexion joviale, et, en même temps, cette inquiète disposition à se plaindre, qui fît toujours alterner ses accès de tristesse avec ses plus folles boutades de gaîté. D’elle lui venait peut-être le contraste même de ce caractère inconstant, susceptible, agité, déraisonnable, mais bon au fond, tendre et passionné. J’aime à le croire, et on peut bien le supposer. Mais s’il eut quelque touche, comme il est certain, de l’esprit français du moyen âge, plein de bonne humeur robuste et de polissonnerie bourgeoise, il la reçut à la cour des Anjou de Naples, entre ses vingt et ses trente ans, non à Paris, avec le fait de sa nourrice. C’est à peine s’il passa à Paris les premiers mois de sa vie. Un document nous fait croire que le père revint à Florence en 1314. L’enfant avait un an tout au plus, et la mère était sans doute abandonnée.

Cette douteuse naissance, en voyage, à l’étranger, donne à Boccace, plus qu’à tout autre, ce caractère de littérateur errant, qui sera celui des humanistes de la renaissance.

Le doute ne peut porter que sur la naissance parisienne de Boccace ; sa bâtardise, au contraire, est avérée. Suarez, qui écrivait au XVIIe siècle l’Histoire d’Avignon, affirme avoir vu, dans les archives avignonnaises, une dispense papale par laquelle Boccace était autorisé, quoique bâtard, à recevoir un bénéfice ecclésiastique.

Le père de Boccace, dit Filippo Villani, erat vir industrius, ce que je traduirais en langage moderne : « Il était dans les affaires. » Il était attaché à la maison des Bardi, une des banques florentines les plus puissantes. Dans toutes les villes commerçantes de l’Europe s’ouvraient, dans un quartier spécial, les comptoirs des Lombards ; on appelait ainsi génériquement tous les Italiens. Les comptoirs des Florentins étaient répandus sur tout le monde connu, de l’Egypte aux Flandres. Comme l’Angleterre moderne, Florence était trop petite pour nourrir et occuper tous ses enfans : elle les envoyait au loin faire fortune.

Boccace naissait dans cette classe marchande de Florence, pour le plaisir et l’instruction de laquelle il allait dépenser toutes les ressources de son esprit ; il en est l’image. Il la détesta par momens pour ses graves défauts, pour son inconstance, ses injustices, et le besoin inquiet de nouveauté qui lui faisait dédaigner chaque lendemain ce qu’elle avait adoré la veille ; il la détesta, la maudit, l’injuria, mais ne put jamais tout à fait se passer d’elle.

Puisque Boccace est né d’un marchand florentin, il me paraît oiseux de se demander, comme on l’a fait, s’il était noble. Son père ne sortait pourtant pas du petit peuple, car il fut investi de plusieurs fonctions publiques. Il fut en 1332, un des prieurs, chargés du gouvernement de la ville. Les prieurs des arts, c’est-à-dire des métiers, étaient des marchands, dont le pouvoir avait supplanté celui de l’ancienne noblesse féodale et impériale. Le commerce étant la vie même de l’état et presque sa raison d’être, une sorte de syndicat commercial s’était transformé en pouvoir politique.

La famille de Boccace n’était pas anciennement florentine. Elle tirait son origine de Certaldo, un gros bourg, coquettement étage, comme tant d’autres bourgs toscans, au penchant d’une colline. Le lieu est charmant, la nature gracieuse et riche. La rivière Elsa qui baigne le pied de la colline, donne la fraîcheur à une fertile et riante contrée. C’est une de ces vallées heureuses des affluens de l’Arno, aux paysages avenans et modérés, où, dans une vie traditionnellement simple et rustique, se sont formés tant de grands esprits. C’est un horizon de vignes, de moissons et d’arbres, un paisible recoin du monde, où l’on vit aujourd’hui des produits de la terre, dans une insouciance douce, tout comme on devait y vivre au temps de Boccace. Certaldo fut toujours pour lui un refuge de paix, après les fatigues des voyages, les agitations inquiètes de la vie florentine et la liberté fastueuse de la cour de Naples. Il préféra toujours ce lieu à tout autre, et, aimant à afficher l’indépendance assez hautaine qu’il y goûtait, il ajouta sans cesse à son nom le nom de son village et signa : Jean de Certaldo.

D’après un acte de 1318, le vieux Boccace était, à cette date, propriétaire depuis quatre ans à Florence. Il n’était pas marié, sans doute, lorsqu’il ramena à Florence son petit enfant parisien[1]. Son mariage avec Margherita di Gian Donato de’ Martulis fit à l’enfant une situation pénible. Les bâtardises étaient aisément tolérées par les mœurs du moyen âge, bien plus relâchées, en ce point, que les nôtres. Mais il n’est pas à croire que toutes les italiennes aient eu l’âme aussi grande que Valentine de Milan, et aient pu aimer, sans arrière-pensée, l’enfant qui leur avait été a dérobé. » La maison paternelle fut sombre pour celui qu’on n’y avait point désiré. Il n’y connut ni sourire, ni tendresse, et son enfance malheureuse se passa dans le silence et la crainte. On ne saurait se tromper, en effet, sur les allusions très claires qui sont à la fin de l’Ameto, et nul n’a douté que Boccace n’ait voulu désigner son père et la maison paternelle dans les vers si tristes que je vais traduire : « Là on ne rit jamais, ou bien rarement. La maison est obscure, et muette, et très triste… La vue affreuse et cruelle d’un vieillard glacé, rude et avare, m’angoisse à toute heure et m’afflige. » L’histoire de son enfance et de sa jeunesse est celle d’une vocation contrariée, ainsi qu’il arrive pour bien des artistes et des poètes. Il était naturel que le père destinât son fils à la carrière lucrative qu’il parcourait lui-même. Il était naturel aussi que Boccace se plaignît du temps qu’on lui faisait perdre. Il avait passé d’abord quelques années à l’école d’un maître de grammaire, Giovanni Mazzuoli, de Strada. En même temps, « comme il était d’usage pour les jeunes Florentins, » on lui avait enseigné très complètement l’arithmétique, c’est-à-dire, sans doute, la comptabilité commerciale et la tenue des livres. Au sortir de l’école, son père lui fit passer six ans chez un commerçant, pour faire son apprentissage. Il n’avait guère plus de dix ans quand ses études furent ainsi interrompues.

Pourtant, dès les jours où il alignait péniblement des chiffres, chez le marchand à qui on l’avait confié, il aimait les belles-lettres. La grande ombre de Dante avait passé sur son jeune esprit. « Il fut, disait Boccace, mon premier guide, ma première lumière. » Quelques-uns en ont conclu, contre toute vraisemblance, que Dante put être son maître. Les paroles de Boccace ont un sens plus large. Malgré les injustices, les passions et l’exil, Dante avait rempli Florence de sa gloire. Nous savons, par Sacchetti, que les âniers et les forgerons chantaient par les rues des vers de la Divine Comédie. Les bouches florentines étaient pleines de cette poésie, qui avait, d’un coup, fixé la langue et la pensée d’un peuple. Il était naturel que l’âme éveillée d’un enfant précoce fût saisie d’une ardente admiration pour le poète, dont les vers résonnaient à tous les carrefours. Une grande figure se dressait devant ses yeux, symbole de poésie, de haute culture d’esprit, de science, de mystérieuse philosophie. L’enfant malheureux et inquiet avait neuf ans ; une grande rumeur venait de se répandre : en exil, au loin, était mort celui dont chacun parlait, le grand voyant, pour qui la terre, le ciel et les enfers n’avaient pas eu de secrets. Le moyen âge donnait aux poètes et aux savans, qu’il confondait souvent, une étrange auréole de pouvoir magique, de science occulte, de surnaturelle révélation. La connaissance des hommes et des choses, des mots et de leur puissance, paraissait surhumaine. On imagine sous quelle céleste et mystérieuse forme Dante devait apparaître à l’esprit d’un enfant florentin, saisi dès lors du désir passionné d’apprendre.

Les études commerciales s’en trouvaient mal, et des fantômes passaient entre les yeux de l’enfant et les chiffres bien rangés des comptes en partie double. Le père s’en aperçut après six ans passés. Puisque l’enfant voulait apprendre et devenir semblable à ceux qui savaient le latin, il résolut de le tourner au moins vers une profession où le latin était d’un bon profit, et d’en faire un homme de loi. Après le métier de banquier, ceux de notaire ou d’avocat étaient parmi les plus lucratifs. Boccace avait seize ans. Son père, toujours en voyage pour les affaires de la maison des Bardi, faisait un séjour à Naples, où il s’occupait d’acheter des grains en Pouille et de les transporter à Pescara, pour le compte du gouvernement napolitain. Il avait emmené l’enfant avec lui, et le laissa entre les mains de quelque maître. Boccace vécut à Naples comme un pauvre enfant abandonné. Ses études juridiques, nous dit-il, s’y poursuivirent, tant bien que mal, pendant six ans, jusqu’à ses vingt-deux ans. Son père poursuivait toujours la fortune, et elle le fuyait, si nous en jugeons par le peu de biens qu’il laissera dans son hérédité. Il passait sa vie en voyages. Nous savons notamment qu’il était de nouveau à Paris en 1332. C’était un de ces « chiens de Lombards » que nos ancêtres aimaient peu.

Le fils, cependant, trouvait à Naples, dans le spectacle d’une cour française et dans les mœurs d’un pays grec, ce que la civilisation pouvait offrir alors de plus raffiné, de plus élégant et aussi de plus dissolu. Il nous apprend qu’il avait une maîtresse, et il la décorait du nom antique de Pampinea, « une jeune nymphe qui m’a trouvé digne de son amour, et m’y a retenu assez longtemps. « Il dit aussi qu’il commença à aimer la poésie, un jour, en face de la tombe de Virgile, au pied du mont Falerne. L’antiquité sortait des tombeaux, toute jeune et vivante, en une nouvelle incarnation.

Aucune ville n’offrait plus que Naples l’attrait des plaisirs faciles et la tentation de l’oisiveté. Sous son ciel presque oriental, avec son peuple à la fois remuant et paresseux, elle s’étend au bord de la mer bleue, parmi des sites voluptueux. Tout n’y était alors que luxe et réjouissance. De riches marchands, une noblesse élégante, une cour peuplée de poètes et de gens d’esprit, l’esprit délié des Grecs, la gaîté gaillarde des Français, le commerce oriental, les souvenirs partout présens de l’antiquité romaine, en faisaient, par le plus curieux mélange, une ville unique au monde.

L’été, la société élégante s’en allait respirer à Baia la fraîcheur de l’air marin. « Non loin, dit Boccace, du beau mont Falerne, entre l’antique Cumes et Pouzzoles, est la gracieuse Baia, sur la rive marine. Nul ciel ne couvre plus beau ni plus doux lieu. Les bains y sont très sains, le ciel très pur. Les débris antiques qu’on y voit, nouveaux pour les esprits modernes, leur sont occasion de plaisir. » Comme au temps d’Ovide, Baia est une plage à la mode. La musique, la danse réunissent les dames et les cavaliers, et aussi la chasse, la pêche et toute sorte de libres distractions. Chaque coin ombragé de la plage est couvert de jeunes gens et de jeunes femmes en somptueuses toilettes. Là se disent les bons mots, les propos galans se nouent les intrigues[2], se chantent sonnets et chansons. On y essaie l’effet des toilettes nouvelles, et on déploie, sous le soleil, le chatoiement des étoffes rares.

Les fêtes sont bien variées, par le contraste des usages français apportés par les princes d’Anjou, et des antiques coutumes romaines qui sont restées dans les mœurs du pays.

Cette société frivole s’en allait, de gaîté de cœur et en chantant, vers les sombres malheurs politiques dont Pétrarque, juge non prévenu, avait noté les symptômes certains. Mais qui les pouvait prévoir, sous le paternel gouvernement du roi Robert le Sage, que chantaient les poètes, et qui vivait, comme un prince de contes des fées, en pleine fantaisie littéraire et artistique ? Il est le premier exemplaire des princes de la renaissance ; comme Pétrarque et Boccace ont cru continuer Virgile et Varron, Robert, de la meilleure foi du monde, a pris Auguste pour modèle.

Naples est voisine des premières sources de la littérature italienne. C’est parmi un étrange mélange de peuples, sous l’influence d’un prince allemand épris de civilisation orientale, Frédéric II, dans la Sicile et l’ancienne Grande Grèce, que les muses italiennes se sont éveillées. A la cour de Robert, la poésie sicilienne rencontrait la provençale, sa sœur aînée, comme elle attachée aux formes métriques rares et difficiles, vouée comme elle à l’expression un peu factice d’amours quintessenciées. Les Français, pour leur part, apportaient leur goût pour les longs récits et pour les romans de chevalerie. Les moines calabrais, en possession de la vraie tradition hellénique, répandaient le goût des études grecques et enseignaient la langue de leurs pères, oubliée dès longtemps des Latins. Tel ce singulier Barlaam que Boccace put connaître, qui enseigna à Pétrarque le peu qu’il sut de grec, et trouva moyen d’intéresser à ses querelles et à ses idées le monde latin comme le monde hellénique.

Une autre aurore s’est levée, et les rayons en brillent jusqu’à Naples. Le XIIIe siècle a vu ressusciter en Toscane les arts du dessin, et l’Italie du Sud, où ces arts ne sont jamais tout à fait morts, accueille avec joie les maîtres qui les rajeunissent. Les nobles Napolitains faisaient venir de Rome des statues et des débris antiques pour en orner leurs maisons, et le roi attirait les artistes les plus fameux. Giotto, laid et chétif, mais rayonnant de génie naturel, peignait au château de l’Œuf des scènes de la Divine Comédie. Et le roi, plein de respect et d’admiration, passait ses journées auprès du peintre, prenant plaisir à la grâce hardie de son langage florentin, souffrant de lui les saillies les plus mordantes, le comblant d’honneurs, voulant le retenir à Naples et en faire « le premier homme de son royaume. »

Il y a quelque trace de toutes ces influences dans les premières œuvres de Boccace. Il dut lire avec passion tous les romans et fabliaux français qui lui tombèrent entre les mains. Il fit des efforts pour s’approprier la langue latine, comme en témoignent des vers latins assez faibles, qui remontent sans doute à cette époque. Il n’apprit point le grec, ou du moins n’en posséda que quelques mots, qu’on lui voit souvent employer à contre-sens et hors de tout propos. Mais il commença son éducation antique et fit preuve, dès ses premières œuvres, d’une connaissance déjà grande des auteurs et de la mythologie. Il cherchait à s’instruire de toutes les façons, entrait en relations avec des géomètres et des astronomes, comme Paolo Geometra et ce fameux Génois Andalone di Negro, dont les idées nouvelles sur la cosmographie préparaient les prochains progrès de la navigation. Il ne méprisa aucune des connaissances spéciales qu’il pouvait acquérir avec de pareils hommes. Il apprit même un peu de médecine. D’après le type que s’étaient formé les grands esprits de ce temps, le poète devait être un homme universel, et aucune connaissance humaine ne devait lui rester étrangère.

L’oubli paternel le rendant presque absolument libre, Boccace se livra à la vocation de son enfance, la poésie. Tout devait l’y porter. Le sort des poètes n’avait jamais été plus doux, ni les honneurs qu’ils recevaient plus grands qu’à Naples en ce moment. La jeune gloire de Pétrarque commençait à traverser le monde, et le roi Robert, avant de l’attirer près de lui, échangeait avec l’illustre amoureux des vers et des complimens. Boccace avait déjà fait des sonnets et des chansons, dans la manière des Siciliens et des Provençaux, quand il acquit la qualité qui lui manquait pour être vraiment poète, un amour officiel et noble. Son amour pour Maria d’Aquino, fille naturelle de Robert, nous est affirmé par les historiens, la tradition et de nombreux passages des œuvres de Boccace. Il l’a à peine caché sous des allusions très transparentes, désignant même les dates et les jours, dans un amphigouri astronomique et mythologique où il n’est pas trop malaisé de se débrouiller. Il a enveloppé son nom et celui de sa maîtresse dans un poème, par un de ces artifices d’acrostiche où se sont complu les poètes de l’époque : et qu’un public prévenu devait pénétrer sans peine.

Comme ce puéril arrangement de lettres était de mode provençale, de même l’amour qu’il avouait en le dissimulant. Il était de toute nécessité que les poètes s’avouassent amoureux. En effet, la poésie n’avait guère d’autre matière que l’amour, et cet amour, chanté dans de petits poèmes savans, aux formes difficiles, était peu réel, puisqu’il était d’obligation. L’amour était une des premières règles de la poésie, et, plus généralement, une forme d’esprit distingué, un témoignage de l’élévation de l’âme. L’amour du poète représentait, en quelque sorte, son brevet d’homme du monde ou de gentilhomme.

L’amour de Boccace est en tout conforme à la tradition des poètes. Il n’aurait eu garde de choisir pour amante poétique une des femmes du commun qu’il aima. Il lui fallait une grande dame, pour que son amour fût une matière digne de poésie. Il tomba amoureux soudainement, et cela encore était dû aux convenances : le coup de foudre était le seul début que l’on admît. Boccace le reçut le samedi saint, 27 mars 1334. Or, la semaine sainte était un temps consacré, par l’exemple de Pétrarque et de plusieurs autres, à de pareils accidens. Par un sentiment assez profane, il semblait que la semaine douloureuse fût bien faite pour voir naître un amour qui devait être malheureux. En voilà assez pour donner des doutes sur la réalité des sentimens de Boccace. Je suis bien tenté de suivre l’avis de Brantôme, qui s’y connaissait, et vivait encore au temps des poètes amoureux : « Je croy, dit-il, qu’il n’a jamais heu tant de faveurs de ceste grand’dame, comme il en a escrit, et qu’il s’est forgé en sa cervelle et fantasie ce beau subject, pour en escrire mieux. »

J’ajoute que Boccace ne devait pas être beau. « vrayment oui ! il étoit bien ung bel oyzeau ! » dit encore Brantôme, qui avait vu son portrait. Boccace a laissé de lui-même un portrait peu flatteur, tracé, à vrai dire, dans une de ces heures de mauvaise humeur ou il arrive à un homme de se calomnier, avec l’espoir secret de n’être point cru sur parole. Il se représente comme « laid, pauvre, querelleur, timide, bègue, louche et déjà obèse. » Enfin, prenant pour la première fois un pseudonyme qui lui sera familier, il s’intitule : spurcissimum Dioneum, — « le très immonde Dionée. » Filippo Villani et d’autres, qui eurent toutes raisons d’être bien informés, ne le peignent pas sous des couleurs si vilaines. Il était grand d’abord, un peu fort dès sa jeunesse, d’aspect avenant et joyeux. La bouche était belle, les lèvres épaisses et un peu sensuelles. Il avait au menton une fossette qui se creusait lorsqu’il riait. En ajoutant ces traits à ceux du portrait précédent, on aura, je pense, une image assez ressemblante.

Parlant de son caractère, Boccace se dit « timide et querelleur. » Il n’y a point autant de contradiction qu’on le croirait. Susceptible et ombrageux à l’excès, par un orgueil assez haut placé qui domine tout son caractère, il suppose facilement aux autres, et même à ses amis, de mauvaises intentions ; alors il se monte à une indignation bouillante. Il s’emporte en invectives outrageuses, et se croit l’homme le plus méconnu et le plus blessé de la terre. Mais sa colère est courte et rare. Tant que son sensible orgueil n’a pas été atteint, il est le plus pacifique des hommes. Il laisse tout passer en souriant, si bien qu’on a pu lui reprocher de l’indifférence. Acciaiuoli le nommait méchamment : « Jean des tranquillités, » (Johannes tranquillitatum). Il fut très sensible à l’épigramme, et la supporta avec tant d’impatience qu’elle devait bien avoir quelque vérité.

L’homme dont j’ai tracé, autant qu’il se peut, le portrait, était-il fait pour plaire à une grande dame de la cour ? Je n’en décide pas. Il faut bien dire qu’il était jeune, « ayant à peine duvet au menton. » Cela est un attrait. Il était spirituel et de la plus plaisante conversation, et cela en est un autre. Et, d’autre part, la bonne renommée des belles Napolitaines est déjà trop ébranlée par l’histoire pour qu’une aventure de plus y puisse nuire beaucoup. Aussi je ne tranche rien. On devra seulement se souvenir que, si Boccace s’attribua poétiquement des bonheurs qu’il n’eut pas, il n’aurait pas admis qu’on pût lui en faire un crime. Il a défendu les poètes et lui-même du reproche de mensonge qu’on leur adressait souvent, et a soutenu que fiction n’était pas mensonge : Fingendo, non mentiendo.

Quel qu’ait été l’avancement de Boccace dans les bonnes grâces de Maria d’Aquino, il n’est pas douteux, du moins, qu’il la prit pour dame poétique. Il écrivit pour elle, et l’introduisit même discrètement comme personnage dans ses histoires romanesques. Il y figurait lui-même, et y faisait figurer les dames et les cavaliers de la petite coterie mondaine où il s’était affilié. Maria d’Aquino y porte le nom charmant de Fiammetta, qui semble la décrire tout entière dans sa grâce alerte. Si Fiammetta nous est connue, si Dionée l’est aussi, il ne s’ensuit pas que des aventures réelles nous soient contées dans les romans et les poèmes de Boccace. Bien souvent, je pense, Boccace parle par allusions et allégoriquement. Les familiers de la cour de Naples devaient l’entendre aisément. Mais pour l’entendre à notre tour, il nous faudrait une clé, que n’ont point donnée les commentateurs contemporains, et faute de laquelle il sera prudent d’éviter toute tentative d’interprétation.

Si ces romans et ces poèmes nous fournissent peu de renseignemens historiques, ils restent les monumens d’une littérature jeune et charmante. Ils ont aux yeux de l’artiste la valeur de ces fresques de la première renaissance dont le sens caché n’a jamais pu être pénétré. Les sources de l’inspiration sont si communes, aux XIVe et XVe siècles, entre les poètes et les peintres, qu’il est naturel de les comparer. Dante fait songer aux vastes compositions religieuses qui s’étendent sur les murs des campi santi et des églises. Mais Boccace, en avance sur son siècle, fait prévoir les exquises allégories mythologiques du XVe siècle. En lisant l’Ameto ou la Vision amoureuse j’ai eu devant les yeux une fresque de Gozzoli, un tableau de Mantegna. J’ai vu passer, sur un riche paysage de tapisserie fleurie, parmi des arbres sveltes et de gracieux animaux, ces figures élégantes dont le regard profond et l’inexplicable sourire plongent l’âme en un trouble délicieux.

Cet art sort d’élémens connus, d’histoires françaises et de traditions italiennes, de légendes populaires et de lectures antiques : Benoît de Sainte-More y a sa place, et Virgile, les Siciliens et les Provençaux, le dogme chrétien et les mythologies, les poèmes de la Table-Ronde, les romans grecs et les historiens romains. Boccace n’a rien inventé : il n’est dans son art ni le premier ni le seul. On n’est jamais cela : le premier est toujours imparfait ; le seul tomberait dans l’oubli. Un grand artiste résume le travail des siècles. Avant Boccace, les Français avaient écrit de longs récits romanesques, qui, malgré leurs beautés, n’ont pas mérité de rester les types d’une littérature, comme la Fiammetta et la Vision amoureuse. Boccace n’a même point inventé une forme poétique nouvelle. Les Provençaux avaient épuisé tous les artifices de la métrique. On ne peut même lui attribuer l’honneur d’avoir créé le huitain épique, cette belle et sonore ottava rima que l’Arioste devait illustrer. En reste-t-il moins le fondateur de l’épopée italienne, moitié romanesque et moitié plaisante, l’ancêtre des Pulci et des Arioste ? Et parce qu’il n’est ni le premier ni le dernier à avoir raconté des histoires, pour le plaisir de raconter, ad narrandum, non ad probandum, ne garde-t-il pas une place à part parmi ceux qui se sont livrés à ce charmant plaisir d’esprit ? D’élémens disparates, mal digérés par un jeune marchand florentin, il est sorti des œuvres, déraisonnables à coup, sûr, maladroites quelquefois, mais frappées du sceau d’un art nouveau. Nous arrivons à une de ces heures marquées pour l’esprit humain, où du long mélange des races et des pensées sort l’expression complète d’un idéal.

Boccace, plus que tout autre, a fourni la matière à ceux qui, après lui, ont voulu écrire pour toucher ou divertir, pour le rire ou les larmes. On le retrouve dans Chaucer, Hans Sachs, Lope de Vega, Shakspeare, La Fontaine, Musset. Des histoires vieilles comme nos civilisations latines ou plus vieilles sont restées dans le monde sous la forme où le conteur toscan les a réduites et non sous une autre. D’autres ont vu plus haut ; aucun n’a vu si vrai. D’autres ont été guidés par une conscience plus épurée, vers des sommets plus âpres et de plus surhumaines sources d’inspiration. Mais dès que Boccace fait entrer ses personnages en scène, on ne peut se défendre ; on s’arrête, on regarde, on est pris : jeunes, vieux, touchans, ridicules, hommes, femmes, contemporains ou légendaires, tous vivent, parlent, agissent, aiment, haïssent. Nous les connaissons, nous les avons vus. C’est la vie.

Dès l’abord, le poète se meut dans un monde qui lui appartient, factice, mais vivant, à la fois antique et médiéval, lieu moyen entre les derniers conteurs du monde romain et les nouvelliers de la renaissance. Plus tard, l’érudition fera connaître assez l’antiquité, pour qu’il ne soit plus possible de la peindre avec cette charmante fausseté, cette naïveté si sincère. Boccace n’a peint ni des Romains ni des Grecs, mais des Napolitains du XIVe siècle, qui peut-être n’étaient pas si différens qu’on le croirait des Romains et des Grecs. Dans ses tableaux de la nature, il y a quelque souffle de Théocrite ; dans l’enchevêtrement des aventures, quelque souvenir d’Apulée. L’inspiration de ses récits est antique, à coup sûr, bien que l’antiquité y soit travestie de la plus bizarre façon, et que la confusion des noms païens et des sentimens chrétiens y soit extraordinaire. Par la confusion des images et des mots se préparait l’éclosion des arts antiques dans une société chrétienne. Le mélange de toutes les idées ne pouvait être plus complet que dans Boccace, auquel sa naissance, son éducation de hasard, la corruption des milieux où il avait vécu, n’avaient pu mettre à l’âme que bien peu de notions précises. D’ailleurs, il écrivait pour des sociétés frivoles, et surtout pour des femmes.

On doit beaucoup aux femmes pour la formation de la langue italienne. C’est pour elles que Pétrarque et Boccace ont écrit en italien, pour elles qu’ils ont brisé en une « phrase courte et incisive » la lourde période du latin médiéval. Mais il est remarquable que, tout en consacrant une si grande part de leur œuvre aux femmes, ils méprisaient cette part de leur œuvre et méprisaient les femmes. Pétrarque les méprisait dans le profond de son âme hautaine, et Boccace croyait le devoir, comme philosophe. Il les considère comme « d’esprit lent, » les déclare « avares, entêtées et orgueilleuses ; » il les veut « soumises et obéissantes à l’homme, » qui leur est en tout supérieur. Elles sont incapables de pensées sérieuses, et bonnes seulement « pour le fuseau et la quenouille, » Il les offense par des proverbes incivils qu’il cite avec complaisance : « Mieux vaut un bon porc qu’une belle fille ; » et cet autre, auquel il donne toute son approbation : « Un bon cheval et un mauvais veulent de l’éperon ; une bonne femme et une mauvaise veulent du bâton. » En somme, il les regarda comme des créatures inférieures, qui ont, par conséquent, un mérite extraordinaire à bien faire, mais doivent, si elles font mal, être aisément excusées. Tel est le fond de la morale relâchée du Décaméron. Mais il aurait dit d’elles, comme Érasme : « Un animal inepte et fou, mais au demeurant plaisant et gracieux. »

C’est un trait de son talent de les avoir mieux connues et mieux décrites qu’aucun autre auteur du moyen âge. Il faut arriver au XVIIIe siècle pour trouver, sinon des caractères féminins aussi ingénieusement étudiés, au moins une description aussi détaillée de la beauté et de l’ajustement des femmes. Les traits dont il les peint forment d’ensemble un véritable type de beauté gracieuse et vivante. Mais ce type ne ressemble en rien aux figures de femmes qu’on voit dans les peintures de la même époque. Il est tout idéal.

Le costume est plus idéal encore. Les ajustemens du moyen âge étaient étroits et compliqués. Le goût de Boccace, au contraire, est pour une sorte de libre simplicité : il aime les robes flottantes, sans manches, largement ouvertes au cou, fendues sur les côtés et retenues seulement par quelques nœuds espacés, les manteaux fixés sur l’épaule gauche, passant sous le bras droit et tombant un peu plus bas que la taille. Ce sont là les vêtemens d’une nymphe de Virgile, non d’une Italienne du XIVe siècle.

Mais cette dame virgilienne devient toute naturelle et vivante dès qu’elle est à sa toilette. Boccace ne se lassera pas de décrire des toilettes. S’il préfère les simples ajustemens antiques que j’ai dits, il s’occupe pourtant de toutes les modes, et son esprit curieux, et toujours avide d’images sensibles, prend plaisir à toutes. Il fait mention des modes flamandes, anglaises, cypriotes, grecques, arabes. Il blâme l’indécence des robes d’Alexandrie. Il reproche aussi (et nous verrons qu’il est moraliste à ses heures) l’immodestie des costumes masculins de son temps : car l’antique robe italienne, aux plis droits, faisait alors place aux pourpoints ajustés et aux chausses collantes à la française. D’un autre côté, comme il voit souvent les choses sous un biais satirique, il se plaît à décrire tous les artifices de la coquetterie. Je ne pense pas que notre temps connaisse plus d’onguens et de fards pour la peau, d’essences et de teintures pour les cheveux. Ce sont des inventions de toute sorte, des recettes mystérieuses, de petits fourneaux, de petits alambics, des brosses, des spatules, des fioles. Il faut lire, au Corbaccio, le récit du mari qui s’englua les lèvres pour avoir embrassé sa femme avant qu’elle fût bien séchée.

Par ces détails de vie matérielle, on aperçoit le grand raffinement de la civilisation napolitaine. C’est un monde élégant, spirituel, corrompu, gracieux, muni d’une religion superficielle et peu sérieuse. Comme dans toute société raffinée, les femmes tiennent un rang de haute autorité. Laissez mourir seulement le roi Robert, dont la grave, douce et sereine figure couvre encore quelques années les désordres intimes du royaume. Alors domineront, sur un pays décomposé, quelques femmes, illustres à jamais par leur luxe, leurs vices, leurs remarquables talens, Jeanne, l’impératrice Catherine, et cette merveilleuse intrigante, Filippa la Catanaise. « De nos jours, le monde est aux femmes ! » dit Boccace, et il s’en indigne ; car n’oubliez pas qu’il méprise les femmes, qu’il est partisan des vieux usages et de la haute autorité maritale. Il s’indigne pour le principe et se soumet fort doucement. Comme le monde où il vit, il est lui-même « tout aux femmes. »


II

Boccace était revenu à Florence en 1341 ou 1342. Son père était devenu veuf ; mais, malgré ses soixante ans et son caractère morose, il ne put longtemps supporter la solitude. Il se remaria avec Bice Bostichi, et en eut un fils, Jacopo, dont notre Boccace fut tuteur en 1350, après la mort du père.

Boccace avait quitté Naples avec d’amers regrets : « Pensez, dit-il, si je fus dolent, et de quel cœur amer j’abandonnai ce lieu gracieux. Là, tout est beauté, noblesse, mots plaisans, mérites singuliers, exquise bonne grâce et amour. Là où je vais n’est que mélancolie et tristesse… Ah ! combien se peut dire heureux qui se possède tout entier en liberté ! Oh ! vie joyeuse et belle plus que toute autre ! » Après plus de dix ans de cette liberté, il revoyait le toit paternel détesté. Il y demeura peu, et en fut peut-être chassé par les nouveaux projets matrimoniaux de son père. Bien peu de temps après son retour, le 13 décembre 1342, il achetait une maison dans la paroisse Sant’Ambrogio.

Il continua à Florence sa vie napolitaine, et nous apprend, en se noircissant lui-même, comme d’habitude, qu’il y jouissait d’une assez médiocre renommée. Ses poèmes et ses romans de cette époque, les meilleurs et les derniers, l’Ameto, la Fiammetta, étaient destinés à son public napolitain, et continuaient la série commencée à Naples. Son principal établissement est désormais en Toscane ; il y garde ses livres, et les nymphes qu’il évoque sont des « nymphes fiesolanes. » Mais la ville reste napolitaine[3]. La Fiammetta, qu’il écrivit à ce moment de sa vie, reste son chef-d’œuvre et un des plus beaux romans du monde. Les amours de Pamfilo, jeune marchand florentin, et de Fiammetta, noble Napolitaine, le départ de Pamfilo et son ingratitude, le désespoir de Fiammetta, tels sont les élémens de ce simple drame, où la vie déborde et la passion parle toute pure. Qui restera froid aux lamentations de la femme abandonnée, consumée d’amour, de regret, de jalousie, de remords ? C’est une des plus belles figures de femme désespérée que l’art ait peintes. C’est une Ariane, mais une Ariane moderne et chrétienne, et la confusion de son inutile péché est plus de la moitié de sa douleur. Je ne pense pas qu’après les vers immortels de Catulle, rien d’aussi beau, en ce genre, ait été écrit. Le talent de Boccace est en pleine floraison. Il s’est défait du fatras grec et romain qui encombrait souvent ses premières œuvres : « vous ne trouverez ici, dit-il, ni fables grecques pleines de nouveaux mensonges, ni batailles troyennes dégouttantes de beaucoup de sang. » Mais vous y trouverez cette plastique idéale et antique qui rajeunit le génie italien, et vous garderez dans les yeux des images charmantes d’un paganisme tout pittoresque, comme celle-ci, qui semble détachée d’une fresque de Botticcelli : « Il me semblait être seule en un pré, que protégeaient des ardeurs du jour de beaux arbres feuillus. Et là, ayant cueilli diverses fleurs, car l’herbe en était toute diaprée, je les ramassais de mes mains blanches, en un pan de mon vêtement ; puis je les choisissais une à une pour en faire une belle guirlande et m’en orner la tête. Et ainsi parée, telle que fut Proserpine quand Pluton la ravit à sa mère, je marchais, à travers le jeune printemps, en chantant. »

Y a-t-il dans le Décaméron quelque trace de cet idéal ? Assurément. Je n’en veux pour preuves que ces charmans intermèdes qui séparent les journées, ces danses, ces chants, ces propos élégans, ces groupes charmans d’hommes et de femmes, parmi des paysages jeunes et virgiliens, semés de belles architectures antiques. Mais comment entendrons-nous alors les grossièretés qui vont passer sur les lèvres de ces poétiques interlocuteurs ? Les mêmes âmes sont-elles capables de passer ainsi de Virgile à Pétrone, de Théocrite à Apulée ? Ce contraste même nous est la preuve de la vérité du tableau qui nous est présenté.

Quoi qu’en dise l’auteur, tous les interlocuteurs du Décaméron sont Napolitains. Il reprend pour eux les pseudonymes mythologiques qui lui ont déjà servi à dissimuler ses amis de Naples. C’est Pampinea, c’est Pamfilo, c’est Fiammetta, avec ses « cheveux d’or crespelé, » ses « blanches et délicates épaules, » son teint frais, sa petite bouche rose et son œil « de faucon. » Enfin, c’est Boccace, qui, pour raconter les plus libres histoires de ce livre très libre, reprend son surnom déjà, connu : « le très immonde Dionée. » Mais c’est au penchant des collines toscanes, au-dessus du Mugnone et de l’Arno, que la compagnie s’assemble pour les chants, les danses et les histoires racontées. Le décor seul est florentin.

Le prologue du Décaméron semble en donner la date, puisqu’il contient l’immortelle description de la peste de Florence en 1348. L’assemblage des nouvelles et leur dernière rédaction doivent donc être postérieurs à cette date. Mais ces récits, pour la plupart, sous cette forme ou une autre, par écrit ou oralement, avaient été faits plus anciennement. Boccace nous apprend qu’il n’en forma le recueil que « par ordre supérieur. » L’ordre ne pouvait guère venir que de la licencieuse Jeanne, devenue reine de Naples, en 1343, par la mort de Robert, son aïeul. Boccace devait obéissance à une si haute volonté ; il ramassa donc, dans sa mémoire ou ses notes, les histoires que la cour de Naples s’était plu à lui entendre raconter. L’impression récente de la peste lui donna l’envie de la décrire, et il s’en fit un cadre.

Pas plus que pour ses premières œuvres, Boccace n’a ici inventé aucune histoire. Pour le bien prouver, il cite souvent ses auteurs, et même donne différentes versions, quand il y en a. La science moderne a fort heureusement cherché les sources de ces récits, et, de proche en proche, a remonté souvent jusqu’à l’inépuisable réservoir des conteurs indous. Les fabliaux, les chansons de geste, les romans grecs, les compilateurs de la décadence romaine, les traditions populaires, les superstitions locales, les légendes marines et orientales, les récits des voyageurs et des marchands, les bizarres croyances botaniques et minéralogiques du moyen âge, les recueils arabes et persans, les vies des saints, l’histoire même, tout a contribué à former cette singulière collection. Mais quelles que soient les origines dernières, il est probable que la plupart de ces histoires sont parvenues à Boccace sous une forme orale et populaire ; et comme il n’avait aucune intention didactique, il a donné libre carrière à son esprit et à son imagination, accommodant le tout aux mœurs et au goût de son temps.

Aussi le Décaméron présente le mélange le plus confus de principes, d’idées, de personnes, de peuples et d’époques. La morale y est tour à tour pure et relâchée, l’esprit catholique et païen. Il n’y a aucune unité et il ne peut y en avoir aucune. On y trouve le langage recherché des cours et la libre « grossièreté des gens de commerce. » Au fond, comme les hommes aiment toujours qu’on leur raconte ce qu’ils font et quels ils sont, Boccace a peint bien complètement son siècle, avide de fortune et d’aventures. Il regrette souvent les mœurs des ancêtres et leur « honnête simplicité, » corrompue par l’avarice des nouveaux âges. Mais cette avarice même est le principal ressort de tous ses récits. Elle jette les Italiens sur les côtes barbaresques ; elle remplit Alexandrie de Génois, de Toscans et de Siciliens ; elle leur ôte toute horreur pour les infidèles : Boccace n’a point d’animosité contre les Juifs ; il ne parle des Sarrazins qu’avec envie et admiration, et les regarde comme de parfaits gentilshommes. Leur civilisation éblouit les yeux ; leurs histoires prestigieuses enrichissent les imaginations. Leurs étoffes, leurs armes, leurs faïences, leurs ciselures arrivent dans les ports et se répandent partout : l’Italie s’emplit des « élégances d’Egypte, — morbidezze d’Egitto. » D’autre part, il vient de France je ne sais quel vent de chevalerie et de haute galanterie.

Lancé à travers le monde à la poursuite du savoir et de la fortune, l’Italien ne demande rien qu’aux ressources naturelles de son esprit délié. Dans le Décaméron, comme dans ses œuvres plus sérieuses, ce que Boccace se plaît le plus à montrer, ce sont les contrastes soudains de bonne et de mauvaise fortune, les élévations imprévues, les chutes soudaines, le brusque passage de la richesse à la pauvreté, de la gloire à l’infamie, de la misère à la toute-puissance. Dans ces dramatiques ou comiques alternances du sort, quelles sont les qualités qu’il nous fait surtout apprécier ? C’est une prestesse de décision, une promptitude de jugement, qui fournissent au moment du besoin l’acte à faire, le mot à dire. Le Décaméron donne le beau rôle rarement au meilleur, toujours au plus fin. Plus de la moitié du livre est remplie par les bons tours et les bons mots. Savoir en toute occasion se tirer d’affaire paraît un idéal social. Les mensonges spirituels ne sont pas l’objet d’une vive réprobation. Comment faire, en effet, sans mentir, pour commercer par le monde et sortir net de toutes les aventures ? « Petit, mais joli homme et plus propre qu’une mouche, le bonnet sur la tête, avec la chevelure blonde et bien peignée ; » tel je vois le marchand florentin, alerte, dispos et toujours prêt à tout. Ouvrez bien l’œil, si vous avez affaire à lui :


Chi ha a far con Tosco,
Non vuole easer losco !


Il reste tout pareil dans la vie civile, actif et avisé, agissant par calcul et parlant par bons mots, agité en somme et trop spirituel pour être raisonnable.

Qu’on ne s’y trompe pas pourtant : à travers ce tableau confus et vrai d’une société riche et trop civilisée transparaît par endroits le jugement dernier de l’auteur, qui est sain et honnête. Ainsi que dans Rabelais, on aperçoit dans Boccace un philosophe et un moraliste. Le philosophe est idéaliste et chrétien. Le moraliste est, comme Pétrarque, un disciple des derniers stoïciens. Ce qu’il enseigne, quand par hasard il enseigne à ses lecteurs sensibles et avares, c’est le mépris de la douleur et le mépris des richesses. C’est, en somme, la force d’âme ou la vertu, et c’est-à-dire « se vaincre soi-même. » — « Tous les hommes sont égaux, dit Boccace ; la vertu seule les distingue. » La dixième et dernière journée du Décaméron est tout entière consacrée au développement de ces hauts principes.

On trouve tout dans le Décaméron, même le rêve le plus éthéré, même un amour immatériel et idéal. Le Sicilien Gerbino s’énamoure d’une princesse, à travers les mers, sur la renommée de ses charmes et de ses vertus. Il navigue vers des contrées inconnues, pèlerin d’amour, poussé par un inexprimable désir de la perfection. L’anneau des fiançailles mystiques a été échangé par-delà l’Océan entre les deux amans spirituels. Ce récit fait songer aux poétiques inventions du moyen âge allemand, aux mythes du Graal, et l’on aime malgré tout le livre, si étrangement mêlé, où l’on en peut rencontrer de pareils.

Aux yeux du conteur de cour, gouailleur et débauché, passent des images célestes. On est au lendemain des croisades et de la chevalerie, des renoncemens de saint François et de ses poétiques visions. Presque à cette heure naît, pour l’extase perpétuelle, la vierge Catherine, forme immatérielle et presque céleste, âme prodigieusement illuminée. Quelle image se faire de ce temps si plein de contradictions ? À travers l’Italie bouillonne une vie plus intense qu’elle n’en connut jamais ; c’est dans les villes et les cours une agitation libre, un désordre des choses et des idées, une énorme licence, une universelle fermentation, d’où sortira, sous la pression de tyrans lettrés, le vin pur de la renaissance. Au-dessus planent des âmes sublimes, envolées à perte de vue dans l’idéal, humainement Pétrarque, divinement Catherine de Sienne.

Il était impossible que Boccace tînt son voluptueux auditoire dans les hauteurs ni s’y tînt lui-même. On donne toujours au public ce qui lui convient, et comme dit le proverbe italien : « À terrain mou, il faut une pelle de bois ; — A terreno dolce, vanga di legno. » Le terrain était mou, et la morale de Boccace ne le laboura pas bien profondément. La mauvaise herbe pousse en touffes très drues dans son champ trop riche, et on a peine parfois à y distinguer le bon grain. Les réflexions les plus graves et les plus morales se trouvent mêlées aux aventures les plus licencieuses. Mais la morale même ne reste pas constamment pure. Ou plutôt il y a une morale de second ordre, à l’usage des jeunes gens audacieux et des femmes galantes. Dans ce code trop commode, la sévérité d’une femme envers un amoureux est un péché grave, puni après la mort dans un enfer spécial dont Cupidon tient la clé. Mais surtout on reproche à Boccace son penchant à l’obscénité ; il est de ces esprits qui cherchent leur plaisir sans choix. Griselda fait bien oublier Monna Belcolore. Mais quel mélange ! Et dans ce mélange, il faut bien le dire, si le bien tient la meilleure place, celle du mal est grande encore.

Il ne faut pas, peut-être, se prononcer trop absolument sur la décence des œuvres littéraires, ni se montrer très sévère pour la crudité de l’expression ; car, à ce sujet, les convenances du monde varient. Il est remarquable que Boccace en observe quelques-unes : ainsi il s’excuse de nommer une « culotte » devant des dames. L’instant d’après, il parle de tout et du reste. La plupart des auteurs du moyen âge paraîtraient bien crus si on les lisait. On les trouverait innocens peut-être au prix des immoralités bien voilées, qui, depuis cent ans et plus, sont dans toutes les mains.

Un éminent écrivain disait ici même naguère : « Un historien risque fort de s’abuser, lorsque, dans ses jugemens sur les hommes, il s’écarte de l’opinion moyenne des contemporains[4]. » L’opinion moyenne des contemporains ne fut pas défavorable à Boccace : les mœurs acceptaient une prodigieuse liberté de parler et d’écrire. Boccace fut assurément entouré d’estime et de considération. S’il ne souleva pas contre lui la société tout entière, il est clair cependant qu’il choqua quelques personnes. En effet, il se défendit fort vivement dans une des préfaces du Décaméron. Tout d’abord, comme tant d’autres, il repousse le reproche d’immoralité, parce qu’il ne prétend rien enseigner. Il veut qu’on le lise comme il écrit, « largement, » et sans « s’attacher étroitement à chercher les intentions de l’auteur. » Sa seule intention est d’amuser, et il écrit pour les oisifs : « Qui a autre chose à faire, fait une sottise de lire ceci. » Et voici ce qu’il déclare sans façon à ses lectrices : « Ayant à parler à de petites femmes ineptes, comme vous êtes, ce serait sottise d’aller à grand’peine chercher et découvrir des choses très exquises, ou de mettre un grand soin à parler avec mesure. »

Cependant est-il tout à fait moral d’écrire des histoires licencieuses pour l’ébattement des femmes légères et des hommes galans ? Boccace ne le prétend pas. Il professa et il crut toute sa vie qu’il valait bien mieux être Dante ou Pétrarque que d’être lui-même. S’il n’écrivit point pour démoraliser, en vérité son livre démoralisa. C’est le châtiment des auteurs licencieux que les licencieux surtout les lisent. Bien peu de gens, je parle au moins des Français, cherchent dans le Décaméron les beautés de langue et d’imagination, les inestimables enseignemens qui y sont. Ainsi arrive-t-il à Rabelais, à Apulée, à d’autres encore.

Boccace, d’ailleurs, ne se fit pas grande illusion, et la vivacité même de sa défense prouve qu’il ne se sentait pas tout à fait innocent. Un peu plus tard, à tête reposée, il fut très sincère et recommanda bien à son ami Mainardo de’ Cavalcanti d’interdire à sa femme la lecture du Décaméron. Avec la violence habituelle de son expression, il s’accable alors lui-même d’injures. Aux yeux, dit-il, de ceux qui ne savent pas dans quelles circonstances le Décaméron fut écrit, je dois passer pour « un immonde entremetteur, un vieillard impudique, un narrateur d’infamies. » Il y mettait quelque exagération, mais il avait raison au fond, et même pour les honnêtes femmes de notre temps, qui en ont vu bien d’autres, je ne pense pas que le Décaméron soit une lecture désirable.

Les livres avaient alors peu de publicité. Les copies étaient rares et chères ; on se les passait de main en main. Un livre n’allait guère que droit à son adresse. Nous en avons, pour ce qui regarde le Décaméron, une preuve bien sensible. Pétrarque, lié avec Boccace de la plus étroite amitié, fut plus de vingt ans sans connaître le Décaméron. Boccace s’était gardé de lui communiquer ce livre compromettant ; le livre était resté aux mains des gens pour qui il avait été fait.

Enfin la partie grasse du Décaméron était pour faire rire, et cela lui mérite quelque indulgence. Le moyen âge fut bien plus gai qu’on ne pense. Un gros rire traverse ces siècles agités. Le rire s’attaque aux choses les plus respectables, car il naît toujours d’une inconvenance. Cependant, il est « le propre de l’homme, » et de plus le propre du Français. C’est ici une matière où nous ne devons pas nous montrer trop collets montés. Le rire de Boccace sort tout droit de nos fabliaux. Le sel attique ne vous fait que sourire : le sel gaulois fait éclater. On peut ne pas aimer la plaisanterie française, la gaudriole, pour la nommer d’un mot : elle choque, avec raison peut-être, des esprits délicats. Je ne leur donne pas tout à fait tort. Mais devant les gaudrioles du moyen âge, nous n’avons pas le droit d’être trop scandalisés ; nous découvrirons, par un sincère retour sur nous-mêmes, que notre goût n’a pas tant changé depuis les siècles. Nous aimons toujours les propos gras et les histoires polissonnes, sans penser que cela tire à conséquence. Je sais de fort honnêtes gens dont ces propos et ces histoires sont le plus grand plaisir. Et qui peut jurer qu’il n’en a jamais ri ?

Il n’y a pas de honte à avouer le plaisir qu’on a pris au Décaméron. De fort bons, honnêtes et religieux esprits l’ont pris avant nous et ne s’en sont pas cachés. A côté de choses qu’on ne peut qu’excuser, ce livre bizarre est plein de récits admirables et de beaux drames humains. Il est vibrant de vie et de vérité, écrit dans une langue parfaite, classique et populaire à la fois, dont les proverbes et les locutions de terroir sont comme la sève et la moelle. En somme, en faisant toutes ses réserves, on est bien tenté de lui accorder l’indulgence que ne lui refusa pas Pétrarque, fort de vingt-cinq ans de vertu et de vie ascétique : « J’y ai pris plaisir, écrivit-il à Boccace, et si parfois tu y tombes dans une liberté un peu licencieuse, je t’en excuse par l’âge que tu avais lorsque tu l’écrivis, comme aussi par le langage populaire dont tu as fait usage, par la frivolité des histoires, et celle des lecteurs que tu te promettais. »


III

Si Boccace n’eut pas l’intention d’être immoral, il eut encore bien moins celle d’être irréligieux. On a voulu faire de lui un précurseur de la réforme et de la libre-pensée. Ce sont des banalités qui traînent dans tous les ouvrages de seconde main. Il eut assurément quelque animosité personnelle contre les moines, et il a exposé tout au long ses griefs dans le traité de la Généalogie des dieux. L’étude des auteurs païens inquiétait quelques esprits religieux, et il régnait contre les poètes surtout de ridicules préjugés populaires dont bien peu de gens étaient tout à fait exempts, et qui avaient pénétré dans certains couvens. Boccace, à plusieurs reprises, eut à se heurter contre ces préjugés. Non qu’il ait jamais eu à souffrir aucune persécution ; en étudiant sa vie et celle de Pétrarque, on ne peut qu’admirer la complète liberté de parole dont ils jouirent sans cesse. Mais l’un et l’autre, esprits fort entiers et hautement susceptibles, supportaient difficilement la contradiction, et la regardaient volontiers comme une trahison et un outrage. Boccace entretint contre les moines un dessein de vengeance personnelle, et ses adversaires prêtaient souvent le flanc. C’est dans l’histoire ecclésiastique, plutôt que dans le Décaméron, qu’on doit chercher les preuves de la triste décadence où étaient tombés certains monastères, par l’absence prolongée du saint-siège et l’universelle licence. Le monachisme pur et intact, dont Pétrarque a parlé délicieusement et que Boccace a loué aussi, brillait encore en bien des lieux. Boccace s’attaque, dit-il, aux mauvais moines, non aux bons : le siècle était bien trop religieux encore pour qu’il pût penser nuire à la religion. Il n’y a pas dans le Décaméron un mot qui soit décidément contraire à la foi chrétienne. Seule, la nouvelle des Trois anneaux sent bien le scepticisme. Mais ce n’est qu’un bon mot, et cela ne peut suffire pour contre-balancer les professions de foi dont le Décaméron abonde. Boccace, en son temps, ne passa nullement pour impie. Dans un mystère français représenté cinquante ans après sa mort, il figure parmi les témoins de la divinité de Jésus-Christ[5].

C’est un tour d’esprit particulier à quelques hommes de plaisanter des choses auxquelles ils croient le plus. Boccace plaisante de la religion et y croit fermement ; et aussi des revenans, des songes et de la sorcellerie ; cela ne veut pas dire qu’il n’y crût pas. On sait combien il s’est gaussé de la simplicité des pieux chercheurs de reliques. Et dans son testament, il est question des « reliques saintes que messer Jean Boccace, depuis un très long temps et avec une très grande peine, a fait venir de diverses parties du monde. » Les frivoles interlocuteurs du Décaméron railleront un homme « épais et sot qui dit des Pater noster, va au sermon, ne manque pas la messe, jeûne et ne sort pas de l’église. » Mais eux-mêmes observent le vendredi et vont le dimanche aux offices. Si l’on ne peut comprendre par quel arrangement de conscience des hommes païens par la pensée, licencieux par la conduite, ont pu rester attachés fermement à la foi chrétienne, on n’entendra rien à la renaissance italienne, et rien d’abord à Boccace.

C’était là un christianisme bien étouffé, sans doute, mais vivant et prêt à renaître. Boccace, dans l’état d’esprit où j’ai cherché à le montrer, était tout préparé à une grande crise morale et religieuse, où l’amitié de Pétrarque va le précipiter. Une haute amitié, conçue à la façon des sages antiques, était le complément nécessaire d’une vie philosophique. Une grande âme semblait donc incomplète à qui l’amitié n’avait pas été donnée. L’amitié de ces grands hommes eut quelque chose de tendrement passionné. Comme les beautés de l’esprit féminin leur étaient closes, on dirait qu’ils demandaient à l’amitié quelques-unes des hautes jouissances morales que donne l’amour. Leur cœur, traîné parfois dans des amours assez basses, goûtait avidement ce sentiment qui leur semblait seul pur, spirituel et dégagé des sens. Ils exaltaient l’amitié bien au-dessus de l’amour ; car l’amour exige toujours la présence, la vue, la possession, l’intervention de cette enveloppe terrestre et méprisable. L’amitié qui unit les âmes les unit même à distance, même à travers l’absence et la mort. Pétrarque entretint des relations d’étroite amitié avec des hommes qu’il fut vingt ans sans voir. Certes, il y a dans ces sentimens, comme dans la vie de ces charmans penseurs, quelque chose de factice. Mais n’est-ce pas la sincérité qui fait la force des sentimens ? Dans leurs amitiés si particulières, si excessives, ils furent, comme en toutes choses, délicieusement sincères. Leur amitié fut sans cesse fondée, comme ils le voulaient, sur l’amour de la vertu, de la science, sur le désir commun du salut de leurs âmes.

C’est un rare et merveilleux spectacle, un des plus beaux que nous puisse offrir le XIVe siècle. Le sentiment qui lie deux hommes si différent si absolus chacun dans leurs opinions et leurs préjugés, si passionnés, est parmi les plus nobles que conçoive l’humanité. Une franchise courageuse et même brutale, un dévoûment continuel, une merveilleuse délicatesse et une touchante indulgence réciproque, ont élevé Pétrarque et Boccace au-dessus de leur temps et d’eux-mêmes. En considérant comment une pareille liaison a pu se maintenir pendant près de vingt-cinq ans, sans déchirement comme sans relâchement, on est pris d’une profonde estime pour ces hommes, dont les faiblesses n’ont jamais profondément taché l’âme, dont les affectations littéraires n’ont jamais corrompu la native simplicité. On comprend que Pétrarque ait dit : « L’amitié est la première chose du monde après la vertu. »

Pétrarque eut de nombreux amis, je dis des amis tendres, tels que j’ai cherché à les décrire. Boccace n’en eut véritablement qu’un, et celui-là fut Pétrarque. Nous l’avons vu ombrageux, indépendant, se drapant avec orgueil dans son manteau troué de philosophe. Il se familiarisait aisément, mais ne se liait pas. Tout différent était Pétrarque, qui se professait sauvage et solitaire, mais donnait aisément son amitié, et parfois imprudemment. Boccace avait eu d’assez étroites relations avez Zanobi di Strada, son camarade d’enfance et le fils de son maître. Zanobi, bon homme, esprit assez médiocre, réussissait fort dans les cours, où sa facilité de caractère le rendait un courtisan aimable et peu gênant. Ses succès comme poète, que la postérité n’a ratifiés à aucun degré, le faisaient partout rechercher. Les lettres que Boccace lui écrivit ne respirent qu’un dédain à peine dissimulé.

Le Florentin heureux et hardi qui avait associé sa fortune à celle de la maison royale de IN api es, et avait triomphé avec elle, Nicolo Acciaiuoli, devenu grand sénéchal du royaume, n’était pas non plus resté l’ami de Boccace. Acciaiuoli s’inquiéta, comme tous les grands de son temps, de transmettre son nom à la postérité, et, assez ignorant lui-même, il eut une vue obscure de la grandeur des lettres, les regardant au moins comme un instrument de gloire. Prenant peu de soin de sa gloire, il n’avait aucun plaisir à préparer celle des autres. Zanobi répondit aux désirs du grand sénéchal bien mieux que Boccace. Les relations des deux anciens compagnons de jeunesse se refroidirent et se tournèrent plus tard en une inimitié aiguë.

Mainardo de’ Cavalcanti, Pino de’ Rossi, quelques autres encore, et même Francesco Nelli, ne semblent pas avoir pris dans le cœur de Boccace la place que, du premier coup, y occupa Pétrarque. Boccace vit en lui plus qu’un ami, un maître, un guide, ce que Dante avait vu dans Virgile, et plus encore. Las d’une littérature qui lui semblait frivole, il voulait marcher dans la voie qu’il se figurait être celle de science et de poésie : « Jusqu’ici, dit-il dans une églogue latine, tu as eu pour besogne de balayer des toits à porcs, de gratter ta gale, et de nourrir tes porcs des herbes que tu ramassais. » Aujourd’hui il convoite « les embrassemens de Sappho, » c’est-à-dire la science antique, la poésie latine, la gloire universelle, portée aux confins du monde par l’illustre langage latin, non bornée à la petite contrée où les gens du commun parlent l’idiome vulgaire. Dès longtemps il admirait Pétrarque, et avant de le connaître il avait déjà écrit son panégyrique. Dans la poésie vulgaire, Pétrarque a brillé si fort que Dante seul l’offusque, et que Boccace, en lisant les Sonnets et les Triomphes, a brûlé une partie de ses propres poèmes. Mais bien au-dessus de Dante lui-même est monté Pétrarque, à la suite des Muses latines, et, retrouvant la veine de Virgile et d’Homère, il a, le premier depuis des siècles, fait résonner la lyre épique. Le monde entier attendait frémissant ce poème de l’Africa, dont le nom, hélas ! nous est à peine connu !

Pétrarque répondait encore à un autre besoin de l’âme de Boccace. En 1350, lorsque se rencontrèrent les deux grands Toscans, Pétrarque se rendait pieusement à Rome pour prendre part à la célébration du jubilé. Rappellerai-je les admirables sonnets de la seconde partie du Canzoniere, la peste de 1348, la mort de Laure ? La douleur et la mort achevèrent une œuvre commencée dès longtemps par la méditation, les lectures pieuses, les saintes amitiés. Las d’une gloire qu’il avait tant désirée, et dont il fut comblé au-delà de ses rêves, Pétrarque se trouva humble et sincère devant le spectacle de ses péchés, et réforma sa vie avec l’énergie passionnée qu’il apportait à toutes choses. Alors le besoin de son cœur le ramena à Rome ; il y avait passé jadis, poète triomphant, pour recevoir la couronne de laurier ; il y avait cherché, avec une émotion naïve, les souvenirs des gloires antiques, et rêvé une poétique et impossible résurrection du passé. Il y revenait pèlerin repentant et nouvel Augustin.

Tel Boccace le voyait approcher, comme un Messie de science, de poésie, de vertu. Pétrarque né et nourri dans l’exil, comme tant d’hommes de ce temps, voulait, au passage, visiter Florence, sa patrie, qu’il n’avait jamais vue. De tous les lettrés florentins qui attendaient Pétrarque, Boccace fut le plus alerte. Pétrarque était encore loin de la ville, lorsqu’il reçut de son futur ami un poème de bienvenue en latin. Il y fut sensible, et, avec cette abondance de cœur qui lui était naturelle, répondit par le don de son amitié à l’hommage qui lui était si spontanément fait. Il est fort probable qu’il accepta à Florence l’hospitalité de Boccace.

Au retour de Rome, Pétrarque s’arrêta encore quelques jours à Florence, et y fut comblé d’honneurs. L’esprit pratique des Florentins comprenait alors combien la gloire du poète pouvait devenir utile à la ville. L’université de Florence venait à peine de s’ouvrir, et il importait, pour sa renommée et le profit public, d’y appeler les maîtres les plus fameux. L’intérêt l’emporta donc sur les rancunes politiques, et on résolut de faire amende honorable à Pétrarque, tout gibelin qu’il fût, pour l’exil de son père et la confiscation de ses biens patrimoniaux. En même temps, on le supplierait de revenir dans sa patrie, afin que chacun pût profiter des trésors de sa science universelle. L’ambassadeur choisi ne pouvait être que Boccace. Il partit, portant une supplique assez élégante qu’il avait sans doute rédigée, et arriva à Padoue en avril 1351. Son ambassade sembla d’abord avoir un heureux succès. Pétrarque se montra flatté et touché de la démarche de ses concitoyens. Il ne refusa pas leur invitation, et fit même espérer son départ pour le 18 avril. Dès lors, Boccace, déchargé du souci de sa mission, put jouir sans arrière-pensée, pendant quelques jours, de la société de son ami. « Tous les jours, dit-il, se passaient à peu près de même. Tu te livrais à l’étude des choses sacrées, et moi, avide de posséder tes œuvres, j’en prenais copie. Et quand le jour s’inclinait vers le soir, nous nous levions et quittions nos travaux pour nous rendre dans ton petit jardin, que le printemps nouveau ornait déjà de feuilles et de fleurs. Assis ensemble et devisant, nous passions ce qui restait du jour en un repos calme et louable, jusqu’à ce que vînt la nuit. » Après la science et la poésie, la morale pratique trouvait place dans leurs discours. Pétrarque, pénétré de la lecture des pères de l’église, pressait son ami d’en venir, comme lui-même, au repos de la pénitence et de la vie chrétienne. « Mon glorieux maître, dit Boccace, m’a persuadé bien souvent, par ses avertissemens, de détourner mon âme de la jouissance des choses temporelles pour la diriger vers les éternelles. »

L’esprit inquiet de Pétrarque l’empêcha d’accomplir la promesse qu’il n’avait pu refuser à son ami. Au lieu de rester fidèle à l’Italie, pour laquelle il professait un amour singulier, il retourna à Avignon, qu’il prétendait détester. Les motifs de cette résolution sont mal connus. Parmi les principaux, on peut compter la méfiance que lui inspiraient ses compatriotes. Leur inconstance et leur perpétuel désir de nouveautés, qui fut, pendant deux siècles, l’éperon des artistes et des gens de lettres, étaient insupportables à un homme aussi sensible que Pétrarque. Il prévit qu’on l’accablerait de critiques après un engouement d’un jour. Ce qui s’ensuivit semble lui donner raison. En effet, apprenant qu’il leur manquait de parole, les Florentins, avec une précipitation qui fait peu d’honneur à leur générosité, rétablirent les décrets d’exil et de confiscation qu’ils avaient aboli dans leur premier élan.

Pétrarque ne revit jamais sa patrie, mais il resta l’ami de Boccace, dont la vie et le talent prirent désormais une direction nouvelle. Leur correspondance fut incessante, et les lettres qui nous restent n’en sont peut-être pas la centième partie. Pourtant les deux amis ne tardèrent pas à différer assez gravement d’opinion. Pétrarque repassa les Alpes au printemps de 1353, sans savoir aucunement où il irait ni ce qu’il ferait. Bien des villes et des princes lui offraient l’hospitalité ; il n’avait que le choix. Malheureusement, il passa à Milan, et comme il n’avait jamais bien su résister aux instances, et, pour tout dire, aux hommages, il se laissa arrêter par les Visconti, qui, comme tous les princes, estimaient à un très haut prix la gloire de le posséder. C’était tout justement le parti qui devait déplaire le plus aux Florentins. Boccace entra dans une grande colère patriotique, et écrivit à son ami, sous une forme allégorique, la lettre la plus violente et même la plus outrageuse. Il ne craignit pas de taxer de « crime » le séjour de Pétrarque chez l’implacable ennemi de sa patrie. Il attribua à son ami les motifs les plus vils, et osa lui appliquer la fameuse imprécation de Virgile contre « la faim maudite de l’or. »

Il est remarquable que ces invectives offensantes et hyperboliques n’amenèrent aucun refroidissement dans leur amitié. L’habitude d’exagérer sa pensée, venue des rhéteurs romains, avait ôté de leur force aux mots, et il ne faut pas juger de l’impression des contemporains par celle que nous ressentons. Bien peu de temps après cette violente querelle, nous retrouvons les deux amis adonnés à la plus paisible et cordiale correspondance. L’exil avait rompu pour Pétrarque les liens du patriotisme. Boccace, quoi qu’il en eût, ne put jamais se dégager de ces liens. Il vécut, non en poète international et « citoyen du monde, » mais en citoyen de Florence, patrie glorieuse à servir, comme Athènes jadis, mais ingrate. Les Florentins, dit-il, sont « bavards et peureux comme des grenouilles ; » leur ville « est pleine de paroles pompeuses et d’actes pusillanimes, esclave, non de mille lois, mais d’autant d’opinions qu’il y a d’hommes, toujours en armes, et frémissante de guerres civiles et étrangères, pleine de gens superbes, avares et envieux. » Les opinions politiques de Boccace nous paraissent incertaines, et gouvernées souvent par l’imagination et la passion. Il a mal parlé, tour à tour, du peuple, des rois et des nobles.

Malgré des variations qu’explique la confusion où étaient les partis politiques italiens, ces opinions sont démocratiques, et surtout très formellement guelfes. Il est plein d’animosité pour l’empire allemand, dont Dante et Pétrarque attendaient tout salut.

Il semble pourtant que la fermeté de ses opinions guelfes ait paru douteuse aux Florentins. Il était en effet fort tolérant dans la pratique, ne réprouvait pas avec assez d’horreur les doctrines impérialistes de Dante, et se permettait de plaindre des gibelins exilés, tels que Pino de’ Rossi. Les démocraties vont toujours aux extrêmes, et cette modération pratique n’était pas faite pour plaire. On a supposé, avec quelque vraisemblance, que Boccace finit par prendre rang parmi les suspects de gibelinisme ou ammoniti. Mais, longtemps avant ce temps, les clabauderies de ses concitoyens lui étaient à charge, et la vie florentine ne lui était acceptable que par intermittences. Il était souvent en voyage et souvent à Certaldo. Dans l’intervalle de ses voyages, il exerça à Florence des magistratures municipales, et accepta des ambassades qu’il ne pouvait refuser. C’étaient des charges fort coûteuses, mais obligatoires. Les républiques, comme les princes, aimaient alors à choisir pour ambassadeurs des gens de lettres, habiles à parler, à écrire, à ordonner leur pensée, instruits de la politique par la lecture des auteurs.

Après son voyage à Padoue et son inutile tentative auprès de Pétrarque, l’année n’était pas terminée qu’il devait repartir pour le Tyrol, chargé d’une délicate négociation auprès du marquis de Brandebourg, fils de Louis de Bavière. En 1354, à l’approche de Charles IV, qui descendait en Italie, attendu et acclamé d’avance par tous les gibelins, les Florentins, n’ayant pas la conscience bien nette, envoyèrent Boccace à Avignon pour protester de leurs bons sentimens. Il y retourna dans la même intention en 1365, et, dans le même voyage, s’arrêta à Gênes, où il était accrédité auprès du doge. Enfin, lorsque en 1368, le pieux Urbain V, cédant aux désirs de l’Italie, résolut de mettre fin au veuvage de l’église romaine et ramena le saint-siège de la « captivité de Babylone, » Boccace porta à Rome les complimens de la république pour un retour que l’on espérait définitif. Il devait réclamer aussi la réforme ecclésiastique, que la longue absence du pape avait rendue nécessaire.

Dans les lettres de créance qu’il a reçues pour ces diverses ambassades, Boccace se voit orné des titres les plus distingués : il est « maître, seigneur, notre très honoré concitoyen, homme très circonspect. » Il retrouve, pour paraître heureusement dans les cours, les façons de sa jeunesse et le bon air de la cour napolitaine. Il reçoit d’ailleurs à la cour des papes le meilleur accueil, sans que personne ait l’air d’avoir rien à lui reprocher. Il s’y présente, il est vrai, comme l’ami de Pétrarque. En 1365, à Avignon, le cardinal Philippe de Cabassole, patriarche de Jérusalem, un des plus saints, un des plus sages du sacré-collège, prend Boccace dans ses bras, en présence même du pape, et l’embrasse tendrement ; il l’accable de paroles affectueuses et de questions sur la santé de Pétrarque. Trois ans plus tard, Urbain V, pape réformateur, à la renommée absolument pure, le recevait avec honneur, comme il écrivait lui-même, « par considération pour ses vertus : » S’agit-il vraiment encore du « très immonde Dionée ? »

Pour servir une diplomatie aussi subtile et changeante que celle de Florence, pour rester lié d’autre part à la maison royale de Naples, dont l’histoire est pleine de terribles mystères, Boccace dut parfois cacher sa véritable pensée sous le voile de l’allégorie. A l’imitation de Pétrarque, il écrivit des églogues politiques que les contemporains eux-mêmes avaient peine à comprendre. Le bonheur a voulu qu’un d’entre eux, le moine Martino da Signa, demandât à Boccace des explications sur ces petits poèmes si obscurs et si curieux. Boccace a livré sa clé dans une lettre assez explicite ; mais cette clé n’ouvre pas tout. Il ne nous révèle que ce qu’il veut bien et nous laisse ignorer bien des choses. C’est là pourtant que nous devons chercher sur ses sentimens intimes des renseignemens précis. Après l’interprétation si sagace de M. Hortis, le voile semble à peu près levé. Un trésor de faits nouveaux est ouvert pour l’histoire, la politique, la vie et l’esprit de Boccace. Les sentimens de Boccace, tels que nous les découvrons dans les églogues, sont souvent bien différens de ceux qu’il professa publiquement. On le trouve dur pour Jeanne de Naples, disposé à la croire coupable du meurtre de son mari André, sévère pour Louis de Tarente, impitoyable pour Acciaiuoli. Je ne vois pas que Boccace ait jamais tiré grand profit de cette dissimulation. Il faut se rappeler qu’il était, plus qu’aucun de ses contemporains, passionné et changeant, et on doit l’accuser tout au plus de contradiction.

Les poèmes latins de Boccace sont écrits dans une langue rude et assez peu correcte, avec de fréquentes erreurs de prosodie. Dans les momens mêmes où l’énergie de la pensée et le sentiment du rythme latin leur donne une certaine beauté, on sent ce qu’il y avait d’artificiel dans cet effort pour ressusciter une langue morte. L’erreur où tombèrent ainsi les plus grands esprits du XIVe siècle était pourtant bien plus naturelle qu’on ne croit. La langue latine était l’idiome universel des lettres, des sciences, de l’église et des affaires. Boccace et Pétrarque lui durent de répandre sur toute l’Europe leur renommée et le trésor de leur érudition. En France, au XVe siècle, il fallut d’abord traduire le Décaméron en latin, pour pouvoir ensuite le faire passer en français.

Les écrits latins de Boccace en prose témoignent d’une belle érudition. Ce sont encore, comme le Décaméron, des œuvres d’imagination, et leur dessein est de divertir et de donner à penser, par le récit de belles histoires et d’aventures singulières. Seulement le public qu’il recherche est bien différent, et il s’adresse à tous les bons esprits de l’Europe lettrée. Il est remarquable pourtant qu’il ne perd pas de vue tout à fait la cour de Naples. Le livre des Dames illustres est dédié à une proche parente de l’Acciaiuoli, et la reine Jeanne y est louée avec un excès qui surprend lorsqu’on vient de lire les églogues satiriques. Les mêmes personnes qui avaient ri des farces grasses du Décaméron ne craignaient pas qu’on leur fît un peu de morale sous une forme encore romanesque et divertissante.

En rompant avec le parler vulgaire, Boccace avait rompu avec les sujets contemporains, et le moyen âge tient très peu de place dans le livre des Dames illustres. Il semble que l’histoire des hommes eût perdu toute beauté depuis la chute de l’empire romain. Si les hommes du moyen âge reparaissent dans les Malheurs des hommes illustres, c’est que le dessein de ce livre est plus vaste. C’est en quelque sorte l’histoire de la Fortune que Boccace a prétendu écrire, et, recueillant par tous les siècles les malheurs éclatans et les plus retentissans coups du sort, il a parcouru toutes les générations humaines, « non pas même par bonds, dit-il, mais au vol. » C’est une vision ou un songe, forme de composition bien familière au moyen âge, sorte de drame où l’auteur lui-même a un rôle. Tous les grands hommes défilent dans sa modeste chambre de Certaldo, depuis Adam et Eve jusqu’à Charles d’Anjou. Le poète demande à chaque passant son histoire, l’écoute et en raisonne avec lui, le blâmant ou l’approuvant, le raillant même à l’occasion. Cette œuvre n’est point celle d’un historien. Chaque personnage reste un type moral. Chaque histoire est un thème de philosophie ou d’érudition. Le résumé moral est donné par Pétrarque, qui paraît aussi enfin dans cette étrange procession, « le visage modeste, les tempes ceintes de laurier vert, vêtu de drap rouge, digne de tout honneur et de toute gloire. » Pétrarque est en effet présent dans ces livres singuliers d’imagination, de morale et de science mêlées. Les pensées de Boccace, sinon ses mœurs, sont pliées vers un idéal pur et haut. La conversion de son esprit a précédé celle de sa vie. L’amitié de Pétrarque l’anime de plus en plus pour le labeur d’érudit, la patiente découverte de l’antiquité classique, la recherche, la copie des manuscrits. Il n’est guère une lettre entre les deux amis où il ne soit question de livres. Ce sont des échanges incessans.

L’enthousiasme pour son nouveau maître n’avait pas fait oublier à Boccace le maître de son enfance, son premier guide dans le sentier des muses. Il voyait avec regret que Pétrarque, par une négligence ou un dédain dont il s’est mal justifié, n’avait point lu la Divine Comédie. Boccace, brave comme toujours en amitié, ne supporta pas la petitesse qu’il devinait dans l’âme de son ami. En 1359, il lui envoya un manuscrit de l’épopée divine, accompagné d’un poème latin à l’honneur de Dante, « poète et théologien. » La postérité doit lui savoir gré d’avoir nettoyé l’âme de Pétrarque des hésitations mesquines de l’égoïsme. Pétrarque se sentit blessé du reproche qu’il devinait sous les paroles laudatives de Boccace, et, tout en voulant se défendre, fit des aveux sincères. Il reconnaît qu’il n’a point lu la Divine Comédie, et en allègue une raison qui n’est pas forte : dans sa jeunesse, alors qu’il rêvait d’acquérir la gloire par des vers écrits en langue vulgaire, il désirait par-dessus tout être lui-même et ne passer pour l’imitateur de personne ; il évita donc de lire un auteur dont il craignait la souveraine influence. Ayant renoncé à la langue italienne, il lui devient plus aisé de rendre hommage à Dante, et il le fait avec quelques réserves, mais en termes chaleureux.

Quoiqu’il excusât Dante d’avoir écrit en italien, Boccace ne pensa pas qu’on dût suivre son exemple. Le seul effort de l’art et de la poésie devait être la résurrection de l’antiquité. Cet effort fut celui de la renaissance, et Boccace le prépara mieux qu’aucun autre par ses grands travaux d’érudition. Il y montre un esprit singulièrement critique, malgré ce culte pour les auteurs, qui lui fait dire : « Je crois aux auteurs plus qu’à mes propres yeux. » Dans son curieux Traité de géographie antique, il ne manque pas d’appeler en témoignage les navigateurs de son temps. Il parle de leurs dernières découvertes, telles que les îles Canaries, et paraît avoir des connaissances cosmographiques assez étendues. Sa sagacité, dirigée par les anciennes observations d’Hérodote et de Pomponius Mela, lui fait remarquer les coquilles fossiles que l’on ramasse dans les montagnes, et qu’il trouve sur les collines mêmes de Certaldo. Il en tire des conséquences géologiques fort justes.

Le Dictionnaire géographique, composé, dit-il, à ses momens perdus, est comme l’annexe de son vaste traité de la Généalogie des dieux, auquel il travailla pendant près de trente années de sa vie, y faisant sans cesse des additions, et ne se lassant jamais de le remettre sur le métier. Ce livre est le résumé de toutes ses études et de toute l’érudition de son temps. Il fut le premier à entreprendre une étude approfondie de la mythologie, à coordonner les renseignemens innombrables et contradictoires des auteurs, à mettre quelque jour dans un chaos où tous ses prédécesseurs s’étaient perdus. Il avait abordé ce travail colossal à son retour de Naples, et avant sans doute de connaître Pétrarque, à la prière d’un prince français, Hugues de Lusignan, roi de Chypre.

Dans ce traité, si longuement élaboré, Boccace n’arrive pas partout à des résultats nets et sûrs. On s’y attend bien. Pourtant il a une vue personnelle et souvent juste de l’antiquité. L’érudition, le désir d’être informé n’était pas d’ailleurs le seul but qu’il poursuivit. Il cherchait encore dans la mythologie un enseignement et un ornement pour la pensée. Son but est littéraire et moral. Il est persuadé d’ailleurs que la mythologie n’est qu’un tissu d’allégories, inventées par les poètes pour voiler leur pensée, et d’où les hommes, par leur ignorance, ont tiré les fausses croyances du polythéisme. « Il faut être fou, dit-il, pour ne point voir dans Virgile un sens caché. » Aussi il cherche des interprétations à tout, prêt à dire avec Pétrarque « qu’il ne faut jamais craindre de donner une interprétation, quand bien même le poète dont on s’occupe n’y aurait jamais pensé. » Même quand il s’y perd, il est toujours curieux de le voir démêler ce qui lui paraît dans chaque mythe réalité et fiction. Pour lui, Jupiter est un roi puissant qui régna en Thessalie. Prométhée, jeune prince studieux, céda volontairement le trône à-son frère cadet, et se retira dans le Caucase pour y étudier l’astrologie, qu’il enseigna ensuite aux Assyriens. La fable, au contraire, de l’enlèvement d’Orythie par Borée est une allégorie, pour signifier le vent qui enlève les brumes du haut des sommets montagneux. Cette tendance d’esprit n’est-elle pas le contraire de la crédulité ? N’est-ce point déjà le besoin de réalité sensible qui anima les artistes comme les savans de la renaissance ?

Boccace ne connaissait d’auteurs grecs que ceux qui avaient été traduits en latin. De l’antiquité romaine, il possédait presque tout ce que nous en possédons, bien plus absolument que la moyenne de ses contemporains. Parmi les poètes, seul Lucrèce peut-être lui était mal connu. Aucun prosateur de quelque importance ne lui a fait défaut. Nous le voyons faire constamment usage de Tacite, que Pétrarque n’a jamais cité. Outre les auteurs de l’époque classique, il a mis à contribution les pères de l’église, et surtout Lactance, les grammairiens, les compilateurs, les polygraphes de la décadence, Priscien, Censorinus, Valère Maxime, Aulu-Gelle, Macrobe. Ces auteurs un peu oubliés eurent sur le moyen âge la plus profonde influence. Tels encore les poètes chrétiens Prudence, Sedulius, Arator, Juvencus ; et ce singulier écrivain, qui tenait déjà au moyen âge, en unissant la fantaisie la plus folle au besoin de la plus sèche information, Martianus Capella, qui intitulait son traité grammatical : les Noces de Mercure et de Philologie. Boccace possédait des auteurs que notre siècle a découverts dans des palimpsestes après des éclipses de plusieurs siècles. En possédait-il que nous ayons tout à fait perdus ? Ce problème de critique et beaucoup d’autres sont résolus en perfection par M. Hortis. Son étude ne pouvait être plus complète ni plus ingénieuse.

Dans les deux premiers livres de son traité, Boccace nous montre son esprit comme une vaste encyclopédie de la science romaine. Dans les derniers, il nous apprend ce qu’il prétend faire de toute cette science. En répondant à ses critiques et aux adversaires de sa pensée, il va nous montrer son idéal, non l’idéal sensuel de sa vingtième année, mais la conquête définitive de son esprit, après de longues et laborieuses études. Il a découvert enfin le champ de la pensée tant désiré. La dernière perfection de l’esprit humain lui apparaît dans la poésie, qui n’est point la versification et l’art d’aligner les mots, mais une sorte de haute maîtrise intellectuelle et morale. « La poésie, dit-il, est une solide science fondée sur les choses éternelles. » Aussi il n’a pas l’orgueil de se prétendre poète : Pétrarque ne pensait pas l’être non plus. Le poète est le maître du monde : il doit tout savoir et tout enseigner. Il a horreur du vulgaire, il n’aime que les pensées chastes. Ses leçons doivent être cachées sous un voile : les fictions des Romains et des Grecs, les figures de la Bible, les paraboles de l’évangile recouvrent un enseignement exquis. Le propre de la vraie poésie est d’avoir un sens mystique ; aussi est-elle faite pour les meilleurs, non pour le peuple.

Ces théories hautaines ne pouvaient manquer de froisser bien des gens. Reprenant pour un instant sa plume de nouvellier, Boccace nous décrit ses critiques en quelques traits vivans. Il les fouaille de main de maître, avec cette violence mordante qui lui est naturelle. Ce sont d’abord les oisifs, qui, en tout temps, ont trouvé mauvais qu’il y eût des laborieux : « Le pauvre homme, disent-ils, que de temps il a perdu, que de papier il a noirci ! N’aurait-il pas mieux fait de boire, de dormir et de devenir amoureux ? » Puis ce sont les soi-disant sages, qui, pour avoir vu le dos de quelques livres de philosophie, se pensent philosophes, et traitent toutes les belles inventions des poètes de fadaises et de fables bonnes à amuser les enfans. Bien près de ceux-là viennent les savans adonnés à des sciences inférieures : les jurisconsultes qui cachent sous leurs toges et leurs bonnets fourrés l’avarice et l’ignorance, les médecins, que Pétrarque a instruit Boccace à mépriser ; ceux-là ont beau jeu, dit-il, à relever les erreurs des autres : « Leurs erreurs à eux sont cachées dans la terre ! »

Boccace prend plus à cœur l’opposition qu’il rencontre chez quelques moines et gens d’église. Ceux-ci avaient plus d’un grief contre lui, et je ne pense pas que son amour de la poésie fût le principal. Un certain nombre de moines assurément voyaient d’un mauvais œil la floraison nouvelle des études classiques. C’était une vieille querelle, née sur les débris du monde antique au lendemain de la victoire de l’église. On en trouve la trace chez les pères latins et grecs, tels que Basile et Jérôme. Au XIVe siècle, une sorte de positivisme athée prenait en Italie des proportions alarmantes. « Les épicuriens sont innombrables, » dit Benvenuto d’Imola, et il ajoute, avec quelque exagération sans doute : « On les compte, non par centaines de mille, mais par milliers de mille. » On rencontrait ces athées parmi les poètes et les savans, tels que ce Guido Cavalcanti, qui osait dire : « La mort des hommes est toute semblable à celle des bêtes. » Ces blasphémateurs se réclamaient de noms antiques, ou que le vulgaire croyait tels, Épicure, Aristote, Averroès. La passion politique venait brouiller encore davantage les idées. L’averroïsme était fréquent surtout parmi les gibelins, ennemis du pape et souvent ennemis de Dieu. Il avait pour patron ce prince à moitié sarrazin, rebelle et excommunié, ami des sciences arabes et des mystères orientaux, Frédéric II, dont le peuple se rappelait, comme par légende, les étranges et fantastiques orgies. Les études classiques, l’impiété et le gibelinisme ne faisaient qu’un pour bien des esprits. On sait combien de gibelins Dante a placés dans les enfers, tout gibelin qu’il fût lui-même. Sur de telles prémisses, des juges ignorans ne pouvaient-ils condamner l’érudition et la poésie tout entières ?

L’église pourtant ne tomba jamais dans ces préjugés. Les papes français semblent n’avoir rien eu plus à cœur que de s’entourer d’Italiens lettrés. Les meilleurs amis de Pétrarque et de Boccace, et les plus savans, ont été des ecclésiastiques comme Nelli, des moines comme Martino da Signa et le père Marsili. Il serait aisé de démontrer, par cet exemple et bien d’autres, que la résistance des couvens à l’humanisme ne fut point générale, et n’eut pas l’importance qu’on lui a attribuée. On exagère certainement beaucoup lorsqu’on répète que Pétrarque et Boccace, premiers penseurs modernes, affranchirent la pensée humaine. Tout penseur original affranchit toujours en quelque chose la pensée. Mais cela n’empêche pas de mettre les choses à leur place. Boccace et Pétrarque furent bien de leur temps : ils s’appliquèrent très sincèrement à accorder leurs études et leur foi. Ils mirent, comme il arrive toujours aux hommes, quelque excès dans leurs prétentions, et exaltèrent l’homme de lettrés plus haut peut-être qu’il ne convient, préparant par leur exemple cet homme de lettres de la renaissance propre à tout et prêt à se mêler de tout. Ce que j’en dis n’est point pour méconnaître les très grands services qu’on leur doit. Boccace résista très justement à des théories religieuses excessives, qui ne furent jamais celles de l’église, et il en prit occasion pour renouveler ses déclarations d’attachement à la foi catholique.

Il ne vivait pas sans trouble de conscience. Sa pensée pas plus que sa vie n’étaient tout à fait conformes à ce modèle religieux que Pétrarque lui présentait sans cesse. Il traînait son âge mûr dans des amours peu nobles, dont son Corbaccio nous donne une assez triste idée, et dont des enfans naturels étaient les preuves vivantes ;

La foi simple de l’homme du moyen âge allait tout d’un coup renaître dans l’âme de Boccace. Un jour, au commencement sans doute de 1362, Gioacchino Ciani, moine chartreux, entra chez lui pour y accomplir, dit-il, un message, au nom de Pietro Petroni, abbé de son couvent, mort récemment en odeur de sainteté[6]. À l’heure de mourir et de paraître devant son Créateur, l’abbé vénéré avait joui d’une vision céleste. Il lui avait été donné de voir à la fois le ciel et les enfers. Les jugemens de Dieu sur plusieurs lui avaient été révélés, et il avait chargé son disciple Ciani de les prévenir que la mort était proche pour eux et qu’ils eussent à se réformer. Il avertissait Boccace, qu’il n’avait jamais vu et qu’il ne connaissait aucunement. Et même, si tant est que le zèle du messager n’ait rien ajouté aux paroles du bienheureux, Boccace fut invité à renoncer à la poésie, c’est-à-dire, comme il le comprit aussitôt, à l’étude des auteurs païens. Il se sentit troublé au fond de son âme, et prit aussitôt le parti de se réformer. Cette naïveté, cette spontanéité de foi complètent bien le portrait qu’on peut se faire de Boccace. Le moine et lui sont bien chacun dans leur rôle, et pour rien au monde je ne voudrais effacer cette page de la vie de Boccace.

Boccace n’eût pas été lui-même, s’il n’eût mis dans ses projets de réforme quelque exagération. Il écrivit aussitôt à Pétrarque pour lui décrire le trouble de son âme, sa terreur de la mort et du châtiment éternel. Il lui annonçait même le dessein désespéré de renoncer aux lettres pour toujours et de détruire tous ses livres. La réponse de Pétrarque est ce qu’on pouvait attendre de ce grand esprit, reposé dès longtemps dans la calme possession de la plus pure religion. Il semble vraiment qu’on entende parler un Basile ou un Chrysostome. Il met d’abord Boccace en garde contre cette facilité à accepter pour vrai, du premier coup et sans preuves, un fait miraculeux. La circonspection à ce sujet doit être extrême, car les erreurs sont fréquentes et l’imagination nous induit souvent en erreur. Mais en admettant même que le chartreux ait dit vrai, et que le père Petroni ait été favorisé d’une vision, en quoi cette vision doit-elle troubler Boccace, et qu’a-t-il appris qu’il ne sût déjà ? Que sa mort est prochaine ? — La mort est toujours prochaine, et la vie la plus longue n’est qu’un clin d’œil auprès de l’éternité. Qu’il devait réformer sa vie, se préparer à la mort ? — L’ignorait-il ?

Pour ce qui est des belles-lettres, des livres et des auteurs antiques, Pétrarque ne pouvait admettre l’avertissement, d’où qu’il vînt. Avec son érudition aisée et une complète sécurité de conscience, il prend la défense des lettres, s’appuyant sur les pères et les enseignemens mêmes de l’église. Si pourtant Boccace persiste dans son dessein et veut se de faire de ses livres, qu’il en fixe le prix et ne les cède à nul autre qu’à Pétrarque. Tant de prudence et de cordialité ramenèrent le calme dans l’âme du nouveau converti.

Sa conversion fit grand bruit, et quelques-uns pensèrent qu’il ne pouvait faire moins que d’entrer au couvent pour pleurer ses péchés. L’idée de voir Boccace moine, qui, à première vue, nous paraît folle, ne sembla pas telle aux Florentins d’alors. On la trouva naturelle, puisqu’on l’imagina. Pourtant il n’alla point jusque-là, et se contenta de mener désormais une vie raisonnable. Il avait presque cinquante ans.

Rendons grâces au ciel que Pétrarque ait su persuader à Boccace de continuer son labeur d’érudit. Nous devons, en effet, à ces deux grands hommes, un service que nulle reconnaissance ne pourra payer : ils nous ont sauvé les poèmes d’Homère que, sans leur industrieux dévoûment, nous ne posséderions peut-être pas. Le moyen âge n’a connu Homère que par des résumés et de fâcheux arrangemens. En 1353, un manuscrit en avait été donné à Pétrarque par Nicolas Sigeros, ambassadeur de Jean Cantacuzène auprès du pape. Comme un rare trésor, Pétrarque le conservait dans sa bibliothèque, mais le livre restait lettre close pour lui comme pour Boccace. Personne ne pouvait leur servir d’interprète, jusqu’au jour où Pétrarque, par l’entremise d’un ami padouan, eût mis la main sur un étrange personnage, Grec de langue, sinon de nation, le Calabrais Léonce Pilate. Pétrarque le fit connaître à Boccace, qui l’arrêta, tandis que de Venise il se rendait à Avignon pour chercher fortune, et le persuada, non sans peine, de venir à Florence et d’y donner des leçons à l’université.

Boccace et Pétrarque offrirent une preuve singulière de leur dévoûment aux lettres grecques, en supportant pendant des années ce désagréable personnage, le logeant chez eux, l’hébergeant, le payant même. D’où venait-il et quel était-il ? Les deux amis l’ignoraient. Ils le savaient Calabrais, bien qu’il se donnât par vanité pour Grec et citoyen de Thessalonique. C’était là, paraît-il, une prétention commune à la plupart des Calabrais. Léonce paraît avoir été de cette race de Grecs, coureurs d’aventures, drogmans, valets, hommes de tous métiers, dont la Méditerranée est encore sillonnée. Était-il savant, au moins ? Boccace le croyait : il lui entendait citer des auteurs inconnus, Lycophron, les Commentaires de Didyme, la Vie d’Homère par Callimaque. Son assurance était surtout merveilleuse pour trancher de tout et ne sembler rien ignorer. Il s’imposait par là à ses hôtes, malgré son mauvais caractère. Sombre, hargneux, mal poli, difficultueux, « il a dû, dans sa jeunesse, dit Pétrarque, être portier du labyrinthe de Crète. » Il était parfaitement laid, la barbe longue et sale, les cheveux noirs, hérissés en broussailles, la face renfrognée. Mais il possédait la clé du paradis fermé aux deux ardens lettrés ! Dans les mauvais momens, il leur arrivait de l’envoyer au diable, et Pétrarque va jusqu’à le traiter de « grosse bête. » Puis ils oublient tout et ne voient plus dans ce grossier et malpropre personnage que le guide qui les conduit vers Homère et Platon. Boccace le reçut chez lui à Florence, et le décida à commencer cette traduction d’Homère pour laquelle Pétrarque prêta le manuscrit, qu’il tenait de Sigeros.

Il faut entendre en quel élan d’enthousiasme Boccace proclama la conquête acquise à tant de frais et de peine : « C’est moi, dit-il, qui, le premier, ai rappelé en Toscane les livres d’Homère, exilés depuis tant de siècles. C’est moi, premier entre les Latins, qui ai entendu lire l’Iliade par Léonce Pilate. C’est moi encore qui ai obtenu qu’ils fussent lus en public. Je n’ai pas tout compris clairement, soit ! Mais j’ai compris ce que j’ai pu, et si cet homme admirable était resté plus longtemps parmi nous, nul doute que je n’eusse tout compris. »

La traduction de Léonce Pilate, dont M. Hortis a pour la première fois publié un fragment, est littérale et obscure. On ne s’étonnera pas d’entendre dire à Boccace qu’il ne comprenait pas tout. Léonce savait médiocrement le latin, et l’on se demande s’il savait suffisamment le grec. Son interprétation, si imparfaite qu’elle fût, ne s’acheva que lentement et laborieusement. En effet, c’est en 1360 que Pétrarque prêta son manuscrit à Boccace, et en 1364 la traduction était à peine terminée. Après 1367 seulement, Pétrarque put en obtenir une copie complète. Boccace ne supporta pas tout ce temps la fatigante société du traducteur. En 1363, Léonce ne pouvant plus se souffrir à Florence, Boccace l’avait conduit à Venise auprès de Pétrarque. Malgré ses travers toujours croissans et sa mauvaise humeur constante, qui assombrissait la gaîté naturelle du vieux philosophe, Pétrarque le retint assez longtemps ; car on attendait de lui une traduction des Dialogues de Platon. Pourtant, au bout d’un ou deux ans, Pétrarque était tout à fait à bout de forces. Il avisait Boccace qu’il avait laissé Léonce partir pour Constantinople, sans faire aucune instance pour le retenir. Il lui avait seulement donné une lettre pour l’empereur Jean Paléologue. Sitôt arrivé, Léonce regretta d’être venu, et supplia Pétrarque de le rappeler en Italie. Mais Pétrarque, à peine libéré, n’y consentit à aucun prix, et demeura plus d’un an inflexible aux prières de Léonce. Sa bonne âme à la fin se laissa toucher, et, en janvier 1367, Léonce naviguait vers Venise. Dans la mer Adriatique, une tempête violente assaillit le navire, et, tandis qu’il s’accrochait au mât pour résister à la force du vent, le premier traducteur d’Homère mourut, comme Ajax, frappé de la foudre.

Si l’homme est naturellement inconstant dans ses desseins, l’homme de lettres l’est plus que tout autre ! Ainsi raisonnait Pétrarque, en pensant à Léonce Pilate. Il eût pu être confirmé dans cette sage réflexion par un retour sur lui-même et l’exemple de son ami Boccace. Jusqu’à ce que la maladie l’eût cloué sur place, Boccace voyagea ; il lui était impossible de rester longtemps au même lieu, et il vivait toujours incertain du lendemain. Il se détachait de plus en plus de Florence, et nous voyons qu’en 1362, il donnait sa maison à son frère Jacopo. A Certaldo, il ressentait avec aigreur la gêne de son étroite fortune, cette pauvreté dont il menait si grand bruit, et dont il avait tout à fait convaincu Pétrarque. Cependant son indépendance lui faisait refuser les invitations princières, l’offre de fonctions lucratives, comme celles de secrétaire apostolique, que Pétrarque lui avait fait proposer par le pape. Pétrarque lui-même ne se lassait pas de lui offrir, avec sa parfaite bonne grâce, une hospitalité complète, et désirait ardemment s’unir à lui pour finir ensemble leurs jours. Boccace ne se lassait pas de refuser, et il semble que sa hautaine indépendance ait jeté quelque ombre sur leur amitié.

Cependant, par besoin de mouvement et désir de renouveler les souvenirs de sa jeunesse, Boccace se laissa deux fois attirer à Naples. En 1362, il se rendit à l’invitation tant de fois refusée du grand sénéchal. Il dut y être décidé par l’intervention de Francesco Nelli, homme lettré et charmant, ami de Pétrarque, qui occupait alors une fonction à Naples. On a élevé des doutes sur l’authenticité d’une lettre que Boccace écrivit à Nelli après ce désastreux voyage. Le ton appartient si bien à Boccace qu’on ne saurait la rejeter tout à fait, en admettant pourtant quelques interpolations. Elle nous montre bien le caractère de parvenu, qui était celui d’Acciaiuoli, et son orgueil démesuré. Tenant cette fois Boccace, se croyant sûr de le garder et de le faire travailler pour sa gloire, il le traite en domestique. Il le loge, non dans son palais, comme un prince des lettres, mais dans un mauvais corps de logis, près des cuisines, parmi ses gens, tourbe infecte de Grecs dégoûtans. La susceptibilité de Boccace était légitimement éveillée : vieux, obèse, malade déjà, illustre en tous lieux, il avait quitté tout, et jusqu’à son précieux Léonce Pilate. Il est curieux de voir pourtant avec quelle violence outrée il exhale son courroux. Pour se remettre, il s’en alla à Venise, chez son grand ami, dans cette belle maison au bord du grand canal, des fenêtres de laquelle on voyait entrer et sortir les galères superbes, chargées de marchandises et venues du bout du monde.

En 1370, il se laissera de nouveau entraîner à Naples par une invitation acceptée bien à la légère et s’en trouvera plus mal encore.

Nous le suivons à Milan en 1359, à Naples en 1362, à Venise en 1363, à Avignon en 1365, à Rome en 1368, à Naples de nouveau en 1370. Est-ce là le résumé de cette vie agitée ? Non pas. Il nous faut encore placer deux voyages à Venise. Je crois pouvoir fixer la date du premier à 1367. Boccace avait quitté Certaldo le 23 mars, pour aller visiter Pétrarque. Il avait été retenu quelque temps à Florence, et, lorsque, poursuivant son chemin, il fut parvenu à Bologne, il apprit que son ami avait déjà quitté Venise, pour rendre, à Pavie, cette visite annuelle aux Visconti, que Boccace blâma toujours. Malgré le grand dépit que lui causa cette nouvelle, il poursuivit sa route, ayant affaire à Venise. Un peu plus loin, il rencontra le gendre de Pétrarque, Francesco di Brossano : « J’ai admiré, dit-il, sa taille très haute, son visage placide, sa parole grave, ses façons douces. » Débarqué à Venise, il est assailli par des amis qui insistent tous pour le recevoir chez eux ; mais il suit Francesco Allegri, avec qui il est venu de Florence, et à qui il a donné parole. Un scrupule de convenance l’empêchait d’habiter sous le toit où Pétrarque avait laissé seule sa fille Francesca, que Boccace nomme Tullia, comme fille du moderne Tullius Cicéron : « Si je n’avais eu, dit-il, aucun ami pour me recevoir, j’aurais mieux aimé demeurer à l’auberge que de vivre chez Tullia en l’absence de son mari… Tu connais, toi, la pureté de mon âme : tout le monde ne la connaît pas. Ma tête blanche, à vrai dire, et mon âge, et la masse pesante de mon corps malade, sans parler de ma loyauté, auraient pu écarter tout soupçon. Mais j’ai préféré m’abstenir. En ces sortes de choses, tu le sais, on en croit plutôt la mauvaise renommée, si mensongère soit-elle, que la vérité. »

Pourtant il va visiter Francesca. La charmante jeune femme, dont la gracieuse vertu fut l’ornement des dernières années de Pétrarque, reçut avec joie l’ami qu’elle savait si cher à son père. Elle rougit d’abord un peu, puis prit son courage et embrassa tout simplement Boccace, qui demeura ravi de tant de naturel et de bonté. Elle lui offrit tout ce qui pouvait lui plaire, la maison, le jardin, et surtout les livres de Pétrarque. Boccace lui trouva la grâce d’un enfant et la gravité d’une matrone. Il l’admira autant que faisait Pétrarque. Ce n’était pourtant ni une héroïne ni une savante. Elle était simple, bonne et honnête. On s’assit dans le jardin, avec quelques amis, passant le temps en honnêtes propos. Voici venir une enfant, la petite-fille de Pétrarque, qu’il avait nommée Eletta, du nom de sa propre mère. L’enfant avait cinq ans. Elle était bien élevée, se présentait avec timidité et saluait avec un sourire. Boccace la prit dans ses bras sans qu’elle eût peur. Il était tout ému, songeant à sa fille Violante, qu’il avait récemment perdue. Violante eût été plus grande, ayant quelques années de plus ; mais le père retrouvait en Eletta toutes les grâces de son enfant, le regard clair, le parler naïf, les façons ingénues. La ressemblance lui semblait parfaite, sauf pour la couleur des cheveux, « car la tienne, écrit-il à Pétrarque, a une chevelure d’or, et les cheveux de la mienne étaient noirs et roux. » L’enfant resta longtemps sur les genoux de Boccace. Il la regardait et l’écoutait sans se lasser. A la fin, il n’y put plus tenir et se détourna pour pleurer.

Francesco di Brossano revint à Venise après quelques jours. C’était un homme simple, franc et bon, tout semblable à sa femme ; il semble que Boccace comme Pétrarque, après leur vie compliquée et l’effort de leur âme toujours tendue, aient trouvé le plaisir du repos dans la société de ces natures primitives. Brossano combla Boccace de prévenances, le visitant sans cesse, lui offrant libéralement sa table et sa maison. Il eut enfin une attention à laquelle Boccace, toujours à court d’argent, ait particulièrement sensible. « La veille même de mon départ, dit-il, comme il était déjà tard, Francesco, qui sait que je suis pauvre (et je ne l’ai jamais nié ! ), m’entraîna dans un coin retiré de la maison ; de là ne pouvant parvenir à me persuader par ses paroles, il saisit mon pauvre bras de ses mains gigantesques, et me força, tout rougissant, à accepter une très large preuve de sa libéralité. Puis il s’enfuit en me disant adieu, et me laissa là. » Boccace couronne son récit par cette exclamation comique : « Fasse Dieu que je puisse un jour le rembourser ! »

Les détails de ce récit nous renseignent mieux que quoi que ce soit sur le caractère de Boccace et la physionomie de ses dernières années. Nous apercevons ce qu’il y avait de bonté et de droiture au fond de ce caractère si variable. On peut aimer cet homme qui, après avoir tant remué d’idées et d’images, tant traversé d’aventures, prenait plaisir encore à la société d’une enfant de cinq ans.

L’année suivante, à l’automne, il retournait visiter Pétrarque, qui, las de Venise, déjà malade et préoccupé de mille façons, s’était retiré à Padoue, pour s’y consacrer tout entier aux charges pieuses de son canonicat.

Les deux amis ne devaient plus se revoir. La maladie calma l’humeur vagabonde de Boccace. Après son dernier retour de Naples. en 1370, il semble qu’il ne quitta plus guère Certaldo. Sa santé était devenue tout à fait mauvaise. Il avait des essoufflemens pénibles et souffrait à monter les escaliers. Cependant il revint encore à Florence, dans l’automne de 1373, pour y remplir un devoir et y recevoir un honneur qui fut le couronnement de sa vie littéraire. Les Florentins, dès lors, n’entendaient plus complètement la Divine Comédie, et, pour que les enseignemens contenus dans le poème national pussent être conservés aux nouvelles générations, les prieurs de la ville avaient décrété qu’un commentaire public en serait fait aux frais de la république. On allouait au titulaire de cette chaire spéciale un traitement fort large de 100 florins d’or. Nul n’était plus capable que Boccace de s’acquitter d’une pareille charge. Il avait écrit déjà une vie de Dante, conçue, à vrai dire, sur le modèle des beaux contes moraux qui sont dans les Malheurs des hommes illustres, comme un roman plutôt qu’un chapitre d’histoire. Mais il n’a jamais écrit autrement l’histoire, et ne songea assurément qu’à honorer son maître.

Dans son commentaire sur la Divine Comédie, il mêlera de même la fantaisie, la morale et l’érudition. Il commença son cours, avec le plus éclatant succès, le dimanche 23 octobre 1373. Comme il s’agissait de choses saintes, les leçons se donnaient dans une église, San-Stefano, près du Ponte Vecchio. Elles furent interrompues au bout de trois mois. Il survint à Boccace une cruelle maladie de peau, qui n’était point la gale, comme le disent la plupart des historiens[7]. Pétrarque, dont les préjugés contre les médecins étaient invincibles, avait longtemps obtenu de lui qu’il souffrit sans leur secours. Il eût peut-être mieux fait de persévérer dans cette résolution. Nous apprenons en effet qu’ils lui firent subir un traitement atroce, le torturèrent avec des ventouses scarifiées, et le laissèrent dans un grand état de faiblesse. Il n’était plus que l’ombre de lui-même, et ceux qui ne l’avaient pas vu depuis quelque temps ne le reconnaissaient pas. Il ne pouvait presque pas remuer, et ne quittait plus Certaldo.

Coluccio Salutati, qui venait parfois l’y voir, nous apprend le peu que nous savons sur ses dernières années. Il ne vit jamais de vieillard plus aimable ni plus gai. Boccace échangeait ses dernières lettres avec Pétrarque, qui finissait sa vie, lui aussi, dans sa solitude d’Arqua. Boccace lui cherchait encore quelques petites querelles, comme c’était sa coutume, mais sans que leur amitié en souffrît. Ces deux mourans restaient jeunes et vivans, par l’amour des lettres et de la vérité. Ils étaient détachés de toutes choses et se préparaient à la mort.

C’est alors que le Décaméron tomba dans les mains de Pétrarque, et son esprit, tourné à l’universelle indulgence, le jugea, comme j’ai dit, sans rigueur. Son âme si pure prit un plaisir extrême aux angéliques aventures de Griselda. Pensant plaire à Boccace et lui montrer le cas qu’il faisait de son récit en le revêtant d’une forme immortelle, il traduisit la Nouvelle en latin. Sur ce beau témoignage finit cette grande amitié.

Les nouvelles étaient lentes à venir à Certaldo, et Pétrarque était mort depuis deux mois, quand une lettre de Francesco di Brossano en apprit la nouvelle à Boccace. Rien qu’à la vue de l’écriture de Brossano, Boccace devina la terrible nouvelle. Il eut une profonde douleur, et ne s’occupa plus désormais que de réunir les œuvres de son ami. Pétrarque en mourant ne l’avait pas oublié ; le legs qu’il lui faisait était familier et délicat : « A Giovanni de Certaldo, avait-il écrit dans son testament, je laisse (et j’ai honte que ce soit une si petite chose pour un si grand homme), cinquante florins de Florence pour s’en acheter un habit de chambre, pour les nuits d’hiver qu’il passe à travailler. »

Il lui restait peu de nuits et de jours à passer. Avec sa grande amitié allait presque finir sa vie. Cette même année, au mois d’août, il avait fait un testament rempli de sentimens pieux. Il voulut dormir son dernier sommeil dans un couvent d’augustins, à San-Spirito, s’il mourait à Florence, à San-Jacopo, s’il mourait à Certaldo. Il léguait tous ses livres à son confesseur, fra Martino da Signa, moine augustin du couvent de San-Spirito. Les livres tant aimés devaient reposer sous la garde des moines. La paix était bien faite.

Le 21 décembre 1375, Boccace mourut. Ce fut une grande douleur. Le troisième flambeau de l’Italie s’était éteint. La fin du XIVe siècle était triste. Dante, Pétrarque, Boccace, Giotto, tous les hommes étaient morts, qui avaient, après dix siècles, revivifié l’antique gloire latine. On ne voyait pas encore poindre l’aurore du glorieux XVe siècle. On était à une de ces heures de l’histoire où tout semble fini.

Les hommes du XIVe siècle avaient semé une bonne semence, qui devait lever pour la gloire de leur pays et de l’esprit humain. Il faut suivre le chemin des œuvres de Boccace à travers les littératures européennes pour mesurer combien nous lui devons. Il me suffira d’avoir dégagé la physionomie et indiqué à grands traits l’histoire de sa vie. Je voudrais avoir servi au moins à détruire l’opinion vulgaire que beaucoup de Français ont de lui, le rangeant parmi les écrivains égrillards, non loin de Crébillon fils et du marquis de Sade. Je crois plus proche de la vérité l’image légendaire que se font de Boccace les paysans des environs de Certaldo. Il est demeuré à leurs yeux comme une sorte de sage et de sorcier, initié aux secrets de la nature et doué d’un pouvoir surhumain. Quand il sortait de sa maison et voulait traverser la vallée profonde, il jetait, par un geste, un pont de cristal d’un flanc à l’autre des coteaux, et marchait impassible au-dessus des hommes et de leurs demeures. C’est bien l’image de la poésie telle qu’il la concevait, arche immense jetée sur l’infini.

Est-ce tout à fait sa faute si nous ne le connaissons que par ses côtés les plus bas ? Ne faut-il pas s’en prendre à nous si nous ne savons pas le suivre sur son pont de cristal ?


HENRY COCHIN.

  1. D’après la dispense citée par Suarez, l’enfant était illégitime, mais non adultérin.
  2. « Plus d’une y est venue Lucrèce, qui s’en retourne Cléopâtre. » (Boccace, Sonnet 69.)
  3. Boccace alla-t-il à Paris, comme plusieurs auteurs l’ont cru sur la foi d’une nouvelle du Décaméron ? Le fait est douteux. Cependant j’ai lieu de croire qu’il savait le français.
  4. Voir l’article de M. G. Valbert sur Ranke, dans la Revue du 1er août 1886.
  5. La vengence Nostre Seigneur Jhesu-Christ, mystère représenté à Metz en 1437 (Voir Louis Paris, Toiles peintes et tapisseries de la ville de Reims.)
  6. Pietro Petroni a été béatifié. Bolland. 20 mai.
  7. Les passages trop courts où il parle de sa maladie ne suffisent pas pour établir un diagnostic certain. Cependant, de l’avis d’un savant médecin auquel je les ai soumis, son affection de peau n’était certainement pas la gale. Le plus probable, c’est qu’il était atteint du diabète, et toutes les souffrances diverses dont il se plaint devaient provenir de cette cause unique.