Déom Frères, éditeurs (p. 295-297).


LES ROIS



I

T’en souvient-il encore
De la Fête des Rois,
Chez tante Éléonore ?
J’avais douze ans, je crois
Une robe à ramage.
La médaille d’argent
Des « grandes du couvent »
Brillait à mon corsage.
Georget, le beau cousin,
Arrivé du matin,
Cachait sa cigarette.
En me contant fleurette.


II

Quel gâteau merveilleux
Masse pyramidale
Où le sucre en spirale,
Étincelant de feux,
Parfumé d’oranger.
Dentelait une crèche :
Jésus-Roi, le berger,
Le bœuf, l’âne : evêche,
Tout en sucre nouveau.
Tantine, grave et belle,
Découpait le gâteau…
Quelle heure solennelle !…

III

Soudain, un cri vibrant :
— La fève !… à moi la fève !
Je suis reine ! Ah ! quel rêve !
Viens, mon Prince Charmant !
Georget semble aux abois
— Mon titre de noblesse
Il est… là qui… m’oppresse !…
En avalant le POIS,
J’ai failli m’étouffer.
— Avaler sa couronne !…
Ah ! ah ! ah ! qu’elle est bonne.
Et tous de s’esclaffer !…

IV

« Sotte aventure, ure ! ure ! »
Clame la troupe en rond.
« Salut ! prince bouffon ! »
Mais voyant sa torture :
— Silence ! Écoutez-moi !
Par droit de souveraine,
Je fais Georget mon roi.
Sortez de mon domaine
Chagrins, soucis et peine.
Soyez gais, je le veux :
Le bonheur d’une reine
Est un peuple d’heureux !


V

Et Georget, comme un preux :
— Je jure, noble dame,
De n’avoir d’autre flamme
Que celle de vos yeux !
— Tu semblais attendri
Et moi j’étais émue ;
Serment du colibri
À la fleur ingénue !
Amour de papillon !
Où donc est le sillon
Qu’a creusé dans la vie
Notre idylle fleurie !