Blanqui - Critique sociale, I/Economistes/Laveleye

Félix Alcan (1p. 253-256).
IV. Laveleye, sur les crises commerciales et monétaires

IV

LAVELEYE


SUR LES CRISES COMMERCIALES ET MONÉTAIRES


Il dit :

« Les économistes s’accordent à ne pas admettre un excès général de production, parce que, dans ce cas, tous les produits s’échangeraient, comme avant, les uns contre les autres, avec cette différence que chacun en aurait davantage. Il ne peut donc y avoir surabondance que sur un point ou deux du marché. »

Voilà une bonne plaisanterie. S’il y avait triple production de toutes choses, tout s’échangerait comme à l’ordinaire, sauf que chacun aurait triple portion.

Et qu’en feraient-ils tous, de ce superflu ? S’il se transformait en or et en argent, passe ; tout serait au mieux. Mais qui donc voudrait acheter trois fois plus qu’il ne lui est nécessaire de marchandises impossibles à conserver, et dont on ne pourrait se défaire contre argent ? Il faudrait donc procéder par troc en nature. Mais à quoi bon troquer ? Deux tiers inutiles d’une marchandise étrangère ne valent pas plus que deux tiers inutiles d’un produit qu’on a fabriqué soi-mème. On est aussi embarrassé de l’une que de l’autre.

Ces économistes ont d’étranges axiomes. Ils lâchent de ces énormités, et personne ne fait la moindre observation. Adoptée à l’unanimité l’hérésie, si monstrueuse qu’elle soit.

« L’or est la monnaie divisionnaire du billet de banque, comme le billet de banque l’est du chèque, le chèque de la lettre de change, et la lettre de change des virements de partie et des comptes courants. »

L’or, monnaie divisionnaire, comme qui dirait monnaie de billon de la grande monnaie, billets de banque, chèques, lettres de change, virements de partie et comptes courants, tous grands seigneurs de papier, qui deviennent en deux heures de simples torcheculs, quand l’humble monnaie divisionnaire les lâche d’un cran. Comme c’est ingénieux, en effet, de changer l’ombre en réalité, et la réalité en ombre. Un beau matin, toute cette fantasmagorie s’évanouit, et bienheureux ceux qui on daigné conserver un peu de la pauvre monnaie divisionnaire.

Les importations de marchandises en Angleterre dépassent habituellement de plus d’un milliard les exportations.

Cet excès d’importation n’est que le tribut payé à l’Angleterre pour l’intérêt de ses capitaux placés à l’étranger. Une grande partie de ce revenu lui est envoyée en marchandises qu’elle consomme.

D’après Laveleye, les crises commerciales et monétaires, périodiques en Angleterre, aux États-Unis et en France, proviennent de trois causes : 1o un excès de circulation fiduciaire qui, se substituant à la monnaie métallique, fait déguerpir l’or devenu inutile, et qui s’en va chercher fortune ailleurs ; 2o un excès des importations sur les exportations, qui nécessite le paiement, en métal, de la différence, et par conséquent la sortie des métaux ; 3o un débordement d’entreprises industrielles ou d’emprunts étrangers qui exigent des versements ou des engagements à terme qu’on ne peut payer, par suite de l’écoulement de l’or.

Le spécifique contre ces trois maladies, d’après Laveleye, est une hausse de l’escompte à la Banque. Dans les deux premières maladies, la hausse de l’escompte rappelle l’or par l’appât d’un intérêt plus élevé. Dans la troisième maladie, la hausse de l’escompte attire aussi l’or dans ce placement avantageux et supplante ainsi les feseurs d’entreprises qui ne trouvent plus preneurs pour leurs actions.

« La monnaie a, comme agent tarifé de la circulation, des caractères tout à fait exceptionnels, et la rareté seule de cet agent suffit pour amener des crises. »

La monnaie n’est agent tarifé de la circulation qu à titre de métal précieux, et le billet de banque, à cours forcé ou libre, ne l’est à son tour qu à titre de représentant du métal précieux. Le métal est tout. L’estampille de l’État n’est rien. Elle ne fait que consacrer ce qu’elle ne pourrait ni empêcher, ni modifier.

Ce n’est pas comme agent tarifé que l’or éteint toute dette, c’est en sa qualité d’or, et l’État pourrait tarifer n’importe quelle marchandise, que cette empreinte légale ne lui donnerait pas pouvoir d’éteindre la moindre dette. Le billet de banque n’est quelque chose que comme substitut du métal.

Fort du Taureau, juillet 1871.