Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XXXVI


XXXVI.

Établissement d’une Distillerie


Au milieu des préoccupations que lui causaient le coût et la surveillance des travaux de l’Église et du Collège, M. Joliette n’avait détourné en rien, le cours de ses entreprises industrielles. Le commerce du bois qu’il continua jusqu’aux dernières années de sa vie, lui procurait les ressources nécessaires à ses pieuses fondations.

D’autres entreprises avaient occupé quelque temps, cette intelligence qui ne pouvait rester en repos.

C’est ainsi qu’en 1840, de concert avec M. E. Scallon, il avait établi une distillerie de whisky qui donnait de l’occupation à une trentaine de personnes. Pendant une année, elle fonctionna, rendant un bénéfice au-delà de toute espérance, lorsque tout-à-coup un incendie la détruisit de fond en comble. L’élément destructeur arriva d’une manière si inopinée, envahit si rapidement l’édifice qu’on ne put rien sauver. Tonneaux d’eau-de-vie, machines, appareils distillateurs, tout devint la proie des flammes. On ne voit pas que ni M. Joliette ni M. Scallon aient eu l’idée de tenter de nouveau la fortune sur ce point.

Quelques personnes trop sévères sans doute, ont reproché à M. Joliette sa coopération à l’établissement de cette distillerie. Telle n’est pas notre opinion, et voici pourquoi : M. Joliette poursuivait un but noble, digne de son grand cœur et de sa haute intelligence : la fondation d’un village et l’établissement d’une paroisse. Il usait ainsi les forces vives de son âge mûr, pour la prospérité de son pays et la gloire de l’Église. Dans ce dessein, et pour se procurer les ressources pécuniaires nécessaires à l’avancement de ses œuvres, il encourageait toutes les industries honnêtes, toutes les légitimes entreprises commerciales.

La fondation d’une distillerie opérée dans le but de procurer à sa population une plus grande somme de travail, de faire un commerce honnête, ne lui semblait pas une entreprise blâmable. L’abus probable d’une chose bonne en elle-même, ne saurait être une raison d’en condamner le raisonnable usage. M. Joliette, en homme sage et éclairé, que le préjugé et le fanatisme ne pouvaient ni égarer, ni jeter dans les extrêmes, croyait qu’il était permis de se livrer à cette exploitation et qu’il ne saurait y avoir de faute, à faire des liqueurs fortes un usage nécessaire ou utile, pourvu que cet usage fût prudent et modéré.

D’ailleurs tout le monde sait que ce n’était pas le goût des boissons enivrantes qui l’avait tourné et poussé vers cette branche d’industrie.

Sa sobriété était exemplaire. Il ne prenait jamais d’eau-de-vie ; dans les repas, les petites réunions de famille ou d’amis, il n’usait que d’un peu de vin. Lorsque, dans ces circonstances, on portait des santés, un seul verre de vin lui suffisait pour toutes. Il détestait souverainement les ivrognes qu’il renvoyait impitoyablement de son service, lorsqu’après deux ou trois avertissements, ils retombaient dans leurs premières habitudes.

Quelque temps après la construction de sa distillerie, il avait songé à l’établissement d’une manufacture de verre. L’entreprise était résolue, mais les conseils de ses amis le détournèrent de ce projet qui resta abandonné pour toujours.

Cependant une autre entreprise plus vaste que les précédentes préoccupait l’esprit du fondateur de l’Industrie : cette entreprise, qui devait épuiser ses forces et le conduire au tombeau, c’était un chemin de fer destiné à relier son village au fleuve St. Laurent.