Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XXX


XXX.

Établissements Religieux.


Au milieu de la prospérité matérielle de son village, M. Joliette n’oublia pas les établissements religieux dont la fondation devait couronner sa belle carrière. Il était profondément pénétré de cette conviction qu’une société, qu’une association quelconque ne saurait prospérer sans la religion. Il reconnaissait que cette dernière est la base, le fondement indispensable de tout progrès véritable, comme de toute vertu et de toute grandeur.

Aussi l’aimait-il de tout son cœur, cette religion pour l’honneur de laquelle il sacrifia une partis de sa fortune. Il la vénérait dans la personne de ses ministres dont les plus marquants figuraient au nombre de ses amis les plus chers.

Le Vénérable Évêque de Montréal avait en grande estime ce généreux citoyen. Cette haute considération, qui ne souffrit jamais d’atteinte, ne manqua pas d’être payée d’un juste retour de la part de l’Hon. Joliette.

Ce fut en témoignage de son dévouement pour l’Église, ainsi que pour remplir le vœu de la population dont il était le père, que dans l’automne de 1841, il suppliait Monseigneur I. Bourget de lui permettre d’ériger à l’Industrie, un temple dont il ferait tous les frais de construction.

En attendant que le nouvel édifice put être livré au culte divin, il sollicitait pour son village, la faveur d’avoir l’Office divin tous les dimanches et les fêtes. Le prélat, qui connaissait ses bonnes dispositions, lui accorda de grand cœur, ce qu’il avait déjà sollicité en vain, auprès de feu Mgr . Lartigue.

« Nous permettons, disait l’Évêque dans un décret, nous permettons qu’une chapelle soit bâtie par contribution volontaire, sur la terre que l’Honorable Joliette et sa femme promettent de donner pour sa fondation. »

Le curé de St. Paul, qui s’était offert pour desservir la nouvelle mission, reçut en même temps que M. Joliette, la réponse favorable de l’Évêque.

Voici un extrait de la lettre que Sa Grandeur, Monseigneur Bourget lui adressa à cette occasion.

Montréal, 7 Décembre 1841.


Monsieur,

« Pour récompenser les généreux sacrifices qu’ont fait et que veulent encore faire vos seigneurs et seigneuresses, et encourager le zèle et les bons sentiments du village d’Industrie, je me rends à vos demandes instantes et réitérées, en vous permettant de biner tous les dimanches et fêtes, à la chapelle située au dit village d’Industrie ; cette permission est pour un an, à commencer du 8 décembre courant. Ne manquez pas de remercier la Vierge Immaculée, car c’est à Elle que vous êtes redevable de cette faveur. J’espère qu’elle bénira ce pauvre village et qu’elle en fera un village de saints, ce qui est très-digne de sa grande miséricorde, et ce que je lui demande de tout mon cœur. »

Ig. Évêque de Montréal.
Rev. F. M. Turcotte, curé de St. Paul


Construction d’une Église.


Quelques jours après, dans le haut du moulin le plus voisin du château, (le moulin brûlé en 1863), une chapelle fut préparée pour recevoir, chaque dimanche, les habitants de la localité. À chaque solennité, c’était toujours un nouveau et édifiant spectacle, que la vue de cette fervente population appelant les bénédictions célestes sur elle et sur ses bienfaiteurs. Mais la modeste chapelle devait faire place à un temple plus digne de la future paroisse de St. Charles Borromée. C’était là, le plus vif désir du fondateur du village d’Industrie.

Avec son activité ordinaire, il s’était déjà mis à l’œuvre. Des riches carrières, qui bordent la rivière de l’Assomption, sortit bientôt la pierre nécessaire pour l’érection de la nouvelle Église. Au printemps suivant, tous les matériaux étaient rendus sur place. On se mit au travail avec une incroyable ardeur.

L’activité fut si grande qu’au treize juin, cédant à la sollicitation de M. Joliette, Mgr . Bourget put venir faire la bénédiction de la première pierre de l’Église de St. Charles. Le jour de la cérémonie s’annonça d’abord sous les couleurs les plus tristes. Il pleuvait à torrents. M. Joliette, qui se promettait tant de joie pour la circonstance, désespérait de l’arrivée de l’Évêque, lorsqu’à travers les brouillards et l’orage, il aperçut sa voiture s’arrêtant à l’entrée du manoir. Un cri de joie et de reconnaissance s’échappa de sa poitrine. Merci Monseigneur, du bonheur que vous me procurez en venant aujourd’hui bénir notre Église ! « Mon cher monsieur Joliette, reprit l’Évêque avec un doux sourire, convenez qu’il faut bien vous aimer pour vous faire visite en un jour comme celui-ci ; mais, poursuivit-il, nous devons nous réjouir, car cette pluie abondante, c’est la rosée du ciel qui fécondera la bonne semence que vous venez de jeter sur le sol de l’Industrie. »

Malgré le mauvais temps, un grand concours de peuple assistait à la cérémonie. Monseigneur ne put s’empêcher d’adresser la parole à cette population qui était accourue pour le voir et entendre sa voix toujours aimée. Lorsqu’après avoir expliqué, avec son onction ordinaire, les cérémonies imposantes de la bénédiction, il en vint à parler de l’immortalité des œuvres entreprises pour la gloire et l’honneur de l’Église, de la grandeur du citoyen qui se sacrifie pour sa religion et sa patrie, un murmure approbateur parcourut l’assistance transportée : tous les cœurs palpitaient sous le coup d’une violente émotion, et l’on vit tous les regards pleins d’admiration, d’amour et de reconnaissance se diriger vers M. Joliette, l’objet de ces justes éloges.

Pendant ce temps-là, confondu dans la foule, baissant humblement la tête, le noble seigneur ajoutait, par sa modestie, un nouvel éclat à la gloire si pure de ses vertus de foi, de dévouement et de patriotisme.

Ce zèle ardent, cette générosité inépuisable qu’il montrait pour la construction de son Église devinrent contagieux pour la population de son village qui ne voulut pas rester en arrière dans une si belle œuvre. Les habitants étaient pauvres : ils donnèrent de leur pauvreté ; on les vit offrir le secours de leurs bras, de leurs chevaux, de leurs voitures pour aider à la construction de leur temple.

Leurs efforts, couronnés splendidement par la générosité de la famille seigneuriale de Lanaudière, eurent un résultat si efficace, que le treize Octobre 1843, l’Évêque de Montréal descendait de nouveau à l’Industrie pour procéder solennellement à la bénédiction de l’édifice religieux. Pour le plaisir de nos lecteurs, nous leur mettrons sous les yeux le compte-rendu de la circonstance, publié dans le temps, dans les « Mélanges Religieux. »

Il y a dans ces lignes d’intéressants détails qu’il importe de conserver.

« Mercredi, douze courant, Monseigneur de Montréal avait consacré l’autel de l’Église de St. Paul avec toute la solennité d’usage ; le soir du même jour, le seigneur Joliette envoya son carrosse traîné par deux chevaux, pour transporter l’Évêque au village d’Industrie. Il y arriva vers le couchant du soleil par un très-beau temps. Tout le village avait un air de fête et ses habitants se trouvaient sur la rive principale, où passa l’Évêque suivi d’un nombreux cortège. Ce fut le lendemain qu’eut lieu la bénédiction de l’Église.

L’Église de St. Charles est bâtie d’après un très-beau plan et des proportions telles qu’elles rendent cet édifice un des plus élégants du pays. Elle a cent-dix pieds de long, trente-deux de haut, et cinquante de large. Elle a deux rangs de fenêtres ; le deuxième rang de moindre dimension sert à éclairer les galeries latérales qui se prolongent jusqu’aux angles des chapelles. Un beau jubé est construit au bas de l’Église. Le portail de l’édifice est en pierres de taille exploitées et taillées sur le lieu même.

À la suite de l’Église, et aux murs mitoyens, sont la sacristie et un presbytère à deux étages, de quarante pieds sur trente, ce qui forme cent-cinquante pieds de maçonnerie. Les ouvrages doivent se continuer immédiatement, et au mois de mars, l’Église sera complète ; voûte en plâtre, murs imités en marbre, galeries décorées, bancs du meilleur goût, sanctuaire orné, etc. On couvre maintenant le clocher en fer-blanc ; il y a place pour trois cloches qui ne se feront pas attendre longtemps ; j’ai compris qu’elles arriveraient dans le cours de l’année.

Le presbytère doit aussi être fini au mois de mars. Une ferme sur laquelle l’Église est bâtie est donné par le seigneur Joliette pour aider à la subsistance du curé auquel cent louis sont assurés annuellement, outre le casuel, le revenu de la ferme et quelques dîmes.

Quelques minutes après huit heures, commença la cérémonie qui se fit avec toute la solennité possible, au milieu d’un concours tel, qu’au moins un tiers des assistants ne pût trouver place dans l’Église. Il était plus de onze heures, lorsque la consécration de l’autel fut terminé. M. Quiblier avait été invité pour faire le discours dans cette circonstance. Quoiqu’il eût accepté l’invitation, une indisposition l’empêcha de s’y rendre. Il fallut qu’un des prêtres présents, M. le Grand-Vicaire Manseau montât en chaire et improvisât un discours de circonstance.

Le seigneur Joliette, le seul auteur du bel établissement au Village d’Industrie, méritait la reconnaissance publique : les habitants du village n’ont fourni que quelques matériaux bruts : bois rond, pierre, chaux, sable, point ou presque point d’argent. L’orateur les louant sur le zèle, la piété, la générosité démontrés par leur superbe édifice dont la première pierre avait été bénite quatre mois auparavant, s’est arrêté et a repris : La vérité et la justice demandent de moi, dans ce moment, quelque chose de plus. Je dois le dire, cet édifice magnifique est le fruit des efforts généreux d’un honorable citoyen bien connu de tout cet auditoire, d’un citoyen dont la grande âme a conçu et réalisé un projet sans précédent et unique quant aux moyens qu’il a employés, — unique, par l’esprit de bienveillance et de vraie philanthropie qui a présidé à cette œuvre admirable, oui, œuvre admirable que je ne peux louer que faiblement, mais qui sera louée et mieux appréciée par la génération présente, et par toutes celles qui la suivront ; elle doit être appréciée surtout par tous les citoyens de cette localité qui doivent en tirer le principal avantage.

C’est à eux surtout, qu’est imposé le devoir d’une reconnaissance continuelle, et, ils le rempliront ce devoir par les égards, la franchise et la probité qu’ils apporteront dans leurs rapports avec leur commun bienfaiteur, etc.

Le village d’Industrie contient quatre-cents communiants. L’exploitation des bois, les moulins à carder, à fouler, etc., etc., tout cela, produit par le génie de M. Joliette, doit faire surgir dans cette place une ville à l’avenir. Ce monsieur est comme le père nourricier de toute la population.

« Jeudi, treize courant, le tout s’est terminé par un banquet, où une cinquantaine d’amis prirent place.

Village d’Industrie, 18 Octobre 1842.

Les commentaires sont ici inutiles ; qu’il suffise de faire remarquer avec le regretté Grand Vicaire Manseau, que la gloire dont l’Hon. Joliette a entouré sa vie par la fondation d’une ville et la construction d’une Église, vivra à jamais dans le souvenir des citoyens objets de sa munificence.

Nonobstant les immenses sacrifices déjà accomplis, le bienfaiteur de l’Église voulut parachever son œuvre. La voûte, les galeries, les peintures des murs, les autels, les décorations du chœur, les bancs, la chaire, etc., tout fut terminé au printemps suivant :

À ces dépenses considérables, le généreux donateur avait ajouté celle d’une maison pour le public, d’une cuisine au presbytère, des granges, remise, hangar pour l’usage du curé, de l’entourage du cimetière, des cours, des jardins, etc., etc. Joignons à cela, l’achat des vases sacrés, des ornements sacerdotaux, des parures de l’autel, et nous aurons une idée des sacrifices qu’il dût s’imposer. Il semblait que sa bourse ne devait pas plus s’épuiser que la générosité de son cœur.

Jusqu’à cette époque, l’Église du village d’Industrie n’était qu’une succursale desservie par le curé St. Paul. Cet état de choses ne pouvait durer. Au premier janvier de l’année 1843, M. Neyron fût nommé curé résidant de la paroisse de St. Charles Borromée. Le nouveau curé ne remplit ses fonctions que pendant dix mois, après l’écoulement desquels, il fut remplacé par le Révd. Antoine Manseau, l’un des Grands Vicaires de Mgr . l’Évêque de Montréal. Deux mois après l’installation du deuxième curé de l’Industrie, le 23 décembre 1843, Monseigneur Bourget lançait le décret de l’érection canonique de la paroisse de St. Charles.

La nouvelle circonscription ecclésiastique comprenait une étendue de territoire de forme irrégulière, d’environ huit milles de longueur sur deux milles de largeur. L’érection civile, demandé par l’Honorable B. Joliette, n’eut lieu qu’en juin 1845.