Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XXVIII

XXVIII.

M. Joliette, juge et père de la population de son village.


Durant le laps de temps qui suivit sa résignation de mandataire du peuple, M. Joliette fut sollicité plus d’une fois, d’entrer de nouveau dans la politique. Il refusa constamment de se rendre à ces instances. Un but unique, constant lui faisait concentrer toutes ses ressources matérielles et intellectuelles vers le charmant village qui, comme une fleur bien-aimée, croissait sous sa tutelle protectrice et s’épanouissait sous le regard de son amour.

Nous avons déjà dit que M. Joliette avait cessé l’exercice de sa profession de notaire. Cet office était rempli par un citoyen dont la ville de Joliette a appris à respecter l’intégrité, le dévouement et cette aimable modestie qui est le caractère distinctif du vrai mérite. Cet honorable monsieur, que personne ne saurait méconnaître sous ce portrait, est M. J. O. Leblanc, Ecr., ex-régistrateur du Comté de Joliette.

Quant au fondateur de l’Industrie, il n’en rendait pas moins à l’égard des habitants de la localité, les services qu’on pouvait attendre d’un notaire savant et dévoué.

Pendant de longues heures, il se prêtait de la meilleure grâce du monde, à écouter les demandes qu’on lui adressait sur les questions litigieuses. Il se montrait, tout à la fois, le père dévoué et le juge impartial de cette population qui se groupait autour de son manoir. Il arrêtait les procès ; admonestait les citoyens coupables de quelqu’injustice ; les engageait à la réparation des torts qu’ils avaient causés : faisant le tout, avec tant de bonté, d’esprit de justice, de prudents ménagements, que chacun, renonçant à sa prétention ou à son ressentiment, se trouvait heureux de se rendre à ses raisons et à ses avis paternels.

Sa patience était admirable : car, malgré les manières rudes, les répliques parfois grossières et injurieuses des parties dont il avait à régler les différends, jamais, ni le ton de ses réponses, ni l’altération de son visage, ne laissaient apercevoir l’indignation ou l’impatience qui aurait éclaté chez un caractère moins trempé, moins accoutumé à réprimer ses saillies.

Et lorsqu’au sortir de ces longs entretiens, après l’heureux dénouement d’une affaire embarrassée, on venait lui demander ce qu’il exigeait pour sa peine : « Ce n’est rien, mes amis, leur disait-il ; soyez toujours unis ; je serai assez récompensé de mes conseils, si j’apprends que vous vivez en paix et que vous êtes toujours de bons citoyens et surtout de bons chrétiens. »


SA CHARITÉ.


Ce n’était pas seulement par sa douceur qu’il s’attirait l’affection de la population, car sa charité n’était pas moins admirable que sa bienveillance.

C’est un fait publiquement avéré par tous ses contemporains, que jamais un malheureux n’a frappé en vain, à la porte de son manoir.

Il allait jusqu’à prévenir les demandes des nécessiteux en leur envoyant avec libéralité de quoi soulager leur misère.

Rencontrait-il un homme sans occupations, il l’arrêtait sur le champ, l’amenait avec lui, et lui mettant en main un instrument de travail, il lui disait : « Eh bien ! mon ami, voici un moyen de gagner honorablement ta vie et celle de ta famille. Fais cette besogne, tu viendras ensuite recevoir la récompense de ton labeur. Il en sera ainsi tant que tu n’auras rien à faire chez toi. »

Comme tous les grands cœurs, M. Joliette aimait à garder le secret de ses bonnes œuvres.

Mais c’était en vain que sous le voile de sa modestie, il s’efforçait de les dérober à tous les regards, leur parfum les révélait et les faisait bientôt découvrir.

Souvent, vers le soir, on le voyait se diriger vers une ou deux des plus pauvres habitations de son établissement. À son aspect, la joie renaissait dans l’âme de la mère affligée ; les petits enfants, le front rayonnant de bonheur, s’approchaient avec confiance de celui qu’ils chérissaient comme un père. Après quelques unes de ces douces paroles, qui tombaient sur les plaies du cœur, comme un baume bienfaisant, après avoir glissé quelques pièces d’argent dans la main tremblante de la mère reconnaissante, l’heureux seigneur repartait, au milieu des bénédictions de cette famille consolée, emportant dans son âme plus de bonheur que s’il eût gagné une fortune.