Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XLV

XLV.

Deuil de sa mort.


Il serait difficile de peindre la consternation que répandit par tout le village, la funeste nouvelle de sa mort. Pendant les trois jours de son exposition, un morne silence régna sur l’Industrie plongée dans le deuil. On vit les scènes les plus attendrissantes. Une foule de malheureux, pour qui M. Joliette avait été une seconde Providence, accouraient tout désolés au manoir. Là, après s’être mis à genoux pour prier, ils demandaient qu’on enlevât le suaire qui recouvrait les traits de celui qui les avait tant aimés et secourus. À la vue de leur bienfaiteur inanimé, ils éclataient en sanglots ; leur douleur n’aurait pas été plus grande, s’ils avaient perdu leur propre père.

Mais ce n’était pas seulement la classe indigente qui venait épancher sa tristesse et ses regrets sur la tombe entr’ouverte de l’Honorable Joliette. Toutes les classes de cette société dont il avait été l’ami, le protecteur et le conseiller, manifestèrent publiquement leur profond chagrin. À peine le glas funèbre eut-il porté au sein des familles la navrante nouvelle, que sur-le-champ, les travaux cessèrent, les boutiques et les magasins furent fermés ; et même, lorsque la terre eût recouvert la dépouille mortelle du seigneur de Lavaltrie, les citoyens du village d’Industrie s’engagèrent à porter le deuil pendant un mois, à s’abstenir durant ce temps, de toute réunion bruyante, de chant et de musique « comme gage du sentiment de profonde tristesse dont ils étaient sincèrement pénétrés. »

Ce ne fut pas seulement au village d’Industrie que fut pleuré et regretté l’Honorable Joliette. De toutes les parties du pays s’élevèrent en sa faveur, des témoignages de profond regret. Ce fut pour rendre un hommage solennel à ses vertus politiques, qu’à sa mort, sur la proposition de son Président, la chambre d’Assemblée fut ajournée, et que durant la session, les orateurs les plus distingués firent l’éloge de la belle et utile carrière de monsieur Joliette.

Inspirée par la reconnaissance, la poésie vint aussi à son tour, jeter quelques-unes de ses fleurs sur la tombe du Fondateur de l’Industrie.

Ses accents plaintifs dûs au talents d’un jeune protégé de M. Joliette sont un si fidèle écho de la douleur commune, que je ne puis résister au désir d’en citer quelque chose.

« Village inconsolable, ô plaintive Industrie !
« Vierge, dont la beauté par les pleurs est flétrie,
« Prends tes habits de deuil et suspends tes travaux
« Pour prier et gémir au milieu des tombeaux !
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« Cet homme qui faisait ta gloire et ton bonheur,
« Déjà n’est plus pour toi qu’un sujet de douleur !
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« Son nom est immortel, son mérite et sa gloire
« Inscrits en lettres d’or, brilleront dans l’histoire.
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« Ah ! quand je reverrai ce palais magnifique,
« Où le grand homme assis au foyer domestique,
« Avec les compagnons de ses rudes travaux,
« S’égayait avec eux, comme avec des égaux,
« Ou laissait volontiers même une affaire urgente
« Pour consoler le pauvre ou la veuve indigente.
« Ah ! quand je reverrai la rapide rivière
« Qu’une digue retient dans son lit prisonnière,
« Et dont chaque printemps, le cours capricieux
« Entraîne un pont flottant d’un bois si précieux !
« Quand j’entendrai rouler ces machines bruyantes,
« Et tourner sourdement tant de meules bruyantes !
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« Quand je voyagerai sur ces routes de fer
« Dont l’effroyable bruit semble imiter l’enfer,
« Et dont les chars brûlants, fidèles à leurs traces,
« Par un élan rapide, effacent les espaces !
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« Et quand je reverrai ce collège, orgueilleux
« De porter à jamais, un nom si glorieux !
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« Et quand j’irai prier dans le riche et saint temple,
« Où le fidèle adore et le prêtre contemple
« Le Dieu qui tous les jours descend sur nos autels
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« Enfin quand je prierai sur les restes livides
« De l’auteur libéral de tant d’œuvres splendides,
« Mon cœur, comme en proie aux tourbillons
« Que tournent en grondant les fougueux aquilons,
« Sentira bouillonner la source de ses larmes
« Comme au jour où sa mort a causé nos alarmes !
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« Pleurez riches, pleurez cet homme estimable !
« Le meilleur citoyen, l’ami le plus aimable,
« Vengeur de l’opprimé, défenseur de la paix,
« Heureux du seul plaisir de semer les bienfaits ;
« Digne ami du savoir, protecteur de l’étude,
« Comprenant tout l’État dans sa sollicitude ;
« Traitant comme les siens, vos plus chers intérêts,
« Il a bien mérité vos plus cuisants regrets.

« Pleurez surtout, pleurez, ô fils de l’indigence !
« Vous que le sort partage avec moins d’indulgence ;
« Car vous ne serez plus l’objet de ses soins ;
« Hélas ! il a cessé d’entendre vos besoins !
« Le vieillard en lambeaux a vu mourir son frère,
« La veuve son époux, l’orphelin son père,
« L’infirme le soutien de ses pas incertains,
« Le malheureux l’ami qui lui tendait les mains.
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« Oh ! qui que vous soyez que la douleur anime.
« Qui voyez dans cet homme un titre à votre estime,
« Gardez son souvenir et donnez-lui des pleurs,
« Faites monter vers Dieu, l’encens de la prière.
« Allez-y, quand le jour vient ouvrir sa carrière ;
« Allez-y, quand le soleil baissant vers son coucher,
« Donne plus de hauteur à l’ombre du clocher.
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« La prière du cœur que l’Église commande,
« Est le dernier devoir que le chrétien demande,
« En passant de la mort à l’immortalité,
« Et du séjour des maux, dans la Félicité.