Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XL


XL.

Maladie de M. Joliette.


Dès les premières atteintes de sa maladie encore peu grave, ses parents, ses amis, M. le Grand-Vicaire Manseau à leur tête lui proposèrent de passer soit en Europe soit aux États-Unis, pour aller redemander à la température d’un climat plus doux la conservation d’une santé si précieuse à toute la population ; mais il leur répondit : « Mes bons amis, si le bon Dieu veut opérer ma guérison, il le fera bien sans le secours de ce voyage. D’ailleurs, je ne me sens pas assez de courage, pour quitter mon Village et m’exposer au danger d’aller mourir, sans consolations, sur une terre étrangère… Avec la grâce de Dieu, je rendrai mon dernier soupir sur ce sol si cher à mon cœur. »

Il ne souciait guère de recourir aux secours que la médecine aurait pu lui procurer. À plusieurs reprises, il empêcha ses parents d’aller quérir pour lui, les médecins les plus habiles de Montréal, parceque, disait-il : « ils ne peuvent rien faire pour moi dont la constitution est ruinée et épuisée. »

Enfermé dans son manoir, cet homme dont l’énergie extraordinaire s’était déployé sur un si vaste théâtre, ne s’occupait plus d’aucune affaire temporelle.

La pensée de l’éternité absorbait toutes les facultés de cette puissante intelligence. Sa méditation était parfois si profonde, qu’il ne s’apercevait pas de l’entrée de ses amis qui venaient le visiter. La tête appuyée sur sa main, il songeait à la vanité de la vie, et à la futilité de la gloire mondaine, à la seule grandeur de la vertu qui donne l’immortalité et les joies du ciel. Perdu dans ces réflexions, ils n’en était tiré, que lorsqu’il entendait son nom résonner à son oreille. Alors, faisant effort sur lui-même il reprenait un visage plus joyeux, accueillant tout le monde, avec son urbanité accoutumée.


Ce qu’il pensait des mauvais Livres.


Quoique habituellement peu causeur, sa maladie, son isolement qui le privaient de ses distractions ordinaires, l’avaient rendu plus communicatif. Il n’aimait guère à parler d’entreprises industrielles, mais il s’occupait volontiers de sujets moraux et religieux. Un jour, en présence de son neveu, le seigneur de Lanaudière et de son agent, M. Chs. Panneton, il fit tomber la conversation sur l’état moral de la société.

Après que ces deux amis eurent exprimé leur mutuelle opinion sur les causes de l’immoralité toujours croissante parmi la jeunesse, il garda un instant le silence, puis il reprit douloureusement : « Oui, cela n’est que trop vrai, l’immoralité de la société a sa source malheureuse dans la lecture des romans irréligieux, fruits délétères de l’impiété et de la corruption du cœur. Rien de plus funeste pour les jeunes âmes, que le poison distillé de ces coupes maudites sur les bords desquelles on parsème traîtreusement les fleurs séduisantes d’une littérature abâtardie et souillée dans sa source.

Une fois dans ma vie, et c’est trop, j’eus le déplorable malheur de promener mes regards curieux sur une de ces productions séductrices du jeune âge. Cet écrit me faussa les idées, et il me fallut toute l’autorité des sages et paternels avis d’un inappréciable ami, tout l’ascendant de l’éducation religieuse de ma première jeunesse, pour ramener mon esprit au droit sentier de la vérité. Mes amis, ajouta-t-il, gardez-vous, comme du plus subtil poison, de la lecture des écrivains impies et immoraux. »


Son jugement sur les reformes.


Dans une autre circonstance, il s’entretenait des religions réformées, causant longuement sur la position de nos frères séparés, en Canada. Il lui semblait presqu’impossible que les protestants lettrés ne reconnussent pas la divinité de la religion catholique, dont les preuves sont si frappantes pour tout esprit réfléchi. « S’ils en nient la bonté et la divinité, disait-il, c’est parce qu’ils ne veulent pas rendre témoignage à la lumière ; car il est impossible qu’ils demeurent dans la bonne foi, s’ils se donnent tant soit peu de peine pour chercher la vraie doctrine. »