Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre X

X.

Découverte du site qu’occupe aujourd’hui la Ville de Joliette.


Nous avons dit précédemment que M. Joliette avait été chargé de l’administration de la seigneurie De Lanaudière dont il était l’un des cohéritiers. Sur les terres de St. Paul, à la distance de deux milles de l’emplacement qu’occupe aujourd’hui Joliette, s’élevait, au pied de l’une des cascades de la rivière, un vaste moulin à farine abandonné depuis 1826 et tombé aujourd’hui en ruine.

La surveillance de cet établissement amenait souvent M. Joliette en cet endroit.

Dans une des visites que fit le jeune seigneur sur les beaux domaines que son épouse lui apportait en dot, il côtoya un jour les mille sinuosités de la rivière l’Assomption depuis l’endroit appelé aujourd’hui « Vieux Moulin, » jusqu’aux profondeurs de la seigneurie de Lavaltrie.

Accompagné d’un ami, il s’avançait silencieux à travers l’épaisseur des bois, admirant les cascades murmurantes de cette rivière limpide qui se déroulait sous les arceaux de la forêt vierge, en ce moment toute retentissante des harmonieux concerts des oiseaux.

C’était en 1823, par une délicieuse journée du mois de juin. Sous le ciel serein, le soleil souriait amoureusement aux fleurs nouvellement écloses, versant dans l’atmosphère parfumée par les arômes des plantes, la douce et vivifiante chaleur projetée par les rayons d’or de son disque embrasé.

La nature dans toute sa fraîcheur, étalait aux regards, le spectacle de ses rameaux en fleurs, de ses mousses chatoyantes, de ses tendres gazons, de ses jeunes ombrages, des perles de la rosée scintillante à travers le feuillage, du cristal des eaux, reflétant comme des miroirs, l’image tantôt gracieuse, tantôt bizarre des plantes, des bois et des rochers semés sur leur cours ; en un mot, elle présentait, sous l’éclat de sa charmante parure, toute la magnificence de sa résurrection printanière.

Les deux explorateurs foulaient, en ce moment, ce sol de l’industrie que devaient féconder tant de travaux et de vertus.

Tranquillement assis sous les riants ombrages, nos deux voyageurs contemplaient avec délices les beautés de ce site solitaire qui aurait inspiré les poétiques accents de plus d’un amant de la belle nature…

Inclinée vers le Sud-Ouest par un gracieux détour, la rivière qui jusqu’alors, coule tranquille et profonde sur un fond uni et sablonneux, change subitement d’allure : parsemée de cascatelles, elle roule bruyamment sur un lit de cailloux, ses eaux blanchissantes d’écume.

Sur sa rive occidentale, la plaine parfois légèrement ondulée, se déroule agréablement au regard. Un riche manteau de verdure semble la recouvrir tout entière, dérobant à la vue, le triste aspect des marécages que la persévérance et l’industrie assainiront bientôt.

Sur le fond du paysage, apparaissent avec un heureux agencement de couleurs et de formes, mille ornements divers ; ce sont les verts érables, les pruches aux teintes si sombres, les noirs sapins, les ormes aux longs et flexibles rameaux, les hautes épinettes rouges et blanches, les pins gigantesques, les merisiers touffus et les bouleaux mobiles.

De ce côté, vis-à-vis du premier rapide, le rivage est peu élevé ; la plaine monte insensiblement jusqu’à la hauteur d’une quinzaine de pieds environ, au-dessus du niveau de la rivière. Dès lors, le terrain enfermé dans le coude formé par les eaux, offre sur une grande distance, une surface plane et richement boisée.

C’est là, qu’on abattra plus tard, ces pins superbes qui serviront à la construction du moulin, premier berceau de la nouvelle colonie. C’est là encore, que, dominant les têtes vulgaires, s’élevaient les fronts altiers de ces ormes magnifiques qu’on aurait voulu conserver, mais qui sont disparus dans les incendies de la forêt.

Un seul, survivant d’un autre âge, a échappé à la destruction ; il a été laissé, comme un témoin du passé, comme un poétique souvenir des gloires de ces forêts vierges.

Il est là, avec sa taille d’athlète, ses rameaux séculaires, ombrageant majestueusement le manoir seigneurial vide et désolé. Comme un saule pleureur penché sur le bord d’un tombeau, il semble, lui aussi, porter le deuil de ses possesseurs d’autrefois.

Sur le versant oriental de la rivière, en face de St. Thomas, un tout autre horizon s’offre à la vue. Dans tout le parcours extérieur du circuit dont nous avons parlé, les rives sablonneuses s’étendent d’abord en une jolie terrasse, puis, un peu plus loin changeant d’aspect, elles commencent à s’élever graduellement jusqu’à une si grande hauteur qu’elles dominent presque les sommets des bois de la plaine opposée.

Ces côteaux pittoresques et charmants sont couronnés eux aussi de la plus luxuriante végétation. Le pin, la pruche, les bois francs, tels que le merisier, le hêtre, le bouleau, et surtout l’érable et le plaine y croissent abondamment.

Quelle impression la vue d’un pareil tableau ne dût-elle pas faire sur l’imagination de M. Joliette ! quels éclairs durent illuminer son génie hardi, lorsque les rayons radieux du soleil reflétés sur les chûtes, faisaient jaillir dans les airs mille arcs-en-ciel ravissants ! De quels rêves d’or, de quels brillants projets son cœur et son esprit ne durent-ils pas être bercés et agités à l’aspect de cette belle rivière d’un parcours d’une centaine de lieues, à travers les riches forêts de la vallée et des sommets des Laurentides !…

D’un rapide coup d’œil, il avait compris tous les avantages d’une position si exceptionnelle. Placé au centre d’un territoire très-étendu, et déjà en partie, ouvert au travail de la colonisation, l’établissement qu’il projetait d’asseoir en ce lieu, ne pouvait manquer de prospérer rapidement. Une rivière aussi riche en pouvoirs d’eau, aussi avantageuse pour la descente des bois dont regorgeaient les montagnes et les plaines, c’en était assez, pour faire concevoir les plus belles espérances.

Quelques heures après, les deux visiteurs rebroussaient chemin pour retourner à St. Paul.

Dès lors, un projet unique absorba toutes les réflexions de M. Joliette.