Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre VI

VI.

B. Joliette admis à la pratique du Notariat.


Le jeune Joliette avait terminé ses études légales. Muni de bonnes recommandations et des certificats flatteurs de son digne patron, il partit plein de confiance pour aller se soumettre aux épreuves de l’examen. Ce jour fut pour lui un beau triomphe et l’occasion de nombreuses félicitations de la part des amis que sa bonne conduite avait attirées autour de lui.

Ce fut le trois Octobre mil-huit-cent-dix, qu’il reçut de Sir James Craig, sa commission de notaire. Il y avait près de 6 ans qu’il avait commencé sa cléricature.

Combien, en entendant les réponses si justes de son protégé et les compliments que lui adressaient les examinateurs, le cœur du bon oncle, J. E. Faribault, dut battre de joie et d’espérance ! Il aimait son neveu comme son fils et ce qui redoublait son affection, c’est qu’il était payé d’un juste retour.

Une nouvelle ère allait donc commencer pour B. Joliette. Derrière lui, il voyait déjà se replier et disparaître les scènes riantes de son printemps. Déjà plus de vingt années avaient fui, rapides comme l’éclair ; il était au seuil d’un nouvel avenir dont il lui tardait de voir entr’ouvrir les portes.

Le jeune homme pauvre, qui, après de rudes épreuves, beaucoup de fatigues, de travail et de soucis, est enfin parvenu à vaincre toutes les difficultés de la situation, voit enfin poindre ce jour désiré qui réalisera ses plus chères espérances, doit sentir palpiter son cœur, sous l’effet d’une bien douce émotion.

C’est le voyageur empressé, qui, après avoir franchi les déserts et les solitudes, aperçoit enfin, du sommet d’une montagne qu’il vient de gravir, la patrie, le clocher de son village, le toit de ses pères.

En effet, celui-ci n’a pas le cœur plus joyeux, ne respire pas plus à l’aise que l’étudiant qui, après les anxiétés de l’examen, emporte sur son cœur le parchemin chéri, désiré depuis si longtemps.

C’est le premier triomphe de la vie ! Quel suave parfum il doit apporter à l’âme confiante, de cette jeunesse, avide d’honneur, et dont le cœur s’ouvre aussi naturellement à l’espérance du bonheur, que le calice des fleurs aux rayons du soleil qui les fait s’épanouir !

Et, il est si doux de se bercer que ce succès n’est que le premier anneau d’une longue chaîne de prospérité !…

Illusion du jeune âge ! Combien il serait à souhaiter que tes charmes ne s’évanouissent sitôt !

Hélas ! bien souvent, les orages du cœur, le vent du malheur et de l’adversité viennent déchirer trop soudainement les voiles trompeurs qui nous laissent entrevoir la vie, comme un Éden délicieux, où nous n’avons qu’à tendre la main pour cueillir les fleurs odorantes et les fruits savoureux.

Toutes les âmes cependant ne se prennent pas du même enthousiasme : certains esprits plus sérieux n’osent se flatter que le chemin de la vie sera pour eux sans épines et sans douleurs. Barthélemi Joliette fut du nombre de ces derniers. D’un naturel réfléchi, il entrevoyait l’avenir avec ses phases inconstantes, variables à l’infini : ses alternatives de succès et de revers, ses sacrifices tempérés par l’espérance, ses travaux et ses souffrances adoucis par les joies de la vertu et le témoignage d’une conscience heureuse de l’accomplissement de ses devoirs.

Il était en droit cependant, d’envisager d’un regard confiant, la carrière qui s’ouvrait devant lui, sous les plus beaux auspices. Sa commission professionnelle, il l’avait bien et dûment acquise par six années d’un travail rude et constant.

Il se mit aussitôt à l’œuvre, et dès la première année de sa vie publique, on vit dans sa personne et dans ses actes, l’homme vertueux et intègre qui, pendant quarante ans, honora la profession de notaire par une conduite sans reproche.

À cette époque, le village et la paroisse de l’Assomption étaient déjà florissants. De plus, l’état d’aisance dans lequel se trouvait la population des lieux circonvoisins, ayant son centre d’affaires au même village, contribuait à rendre plus favorable à M. Joliette, les succès de l’avenir.

La confiance publique ne tarda pas à prouver au jeune notaire combien l’on savait apprécier son savoir, sa rectitude de jugement et sa probité.

Son bureau était le rendez-vous de cinq à six paroisses. Il suffisait qu’une affaire parût embrouillée pour qu’on recourût au discernement de M. Joliette.

Ce surcroît de labeurs l’obligeait à passer souvent les jours et les nuits sans sommeil ; c’était à peine s’il pouvait expédier cette multitude d’affaires dont on le surchargeait, de toutes parts.

Homme de conseil, il avait la patience d’écouter pendant des heures entières, les raisons, les disputes des deux parties qu’il lui fallait accorder. C’est ainsi qu’il exemptait une foule de procès insidieux et de chicanes : source de tant de désordres et de tant d’implacables rancunes.

Mais ce qui est admirable, ce qui fait le plus bel honneur à M. Joliette, c’est sa générosité et son désintéressement. Jamais on ne le vit exiger aucune rémunération pour les conseils qu’il donnait, et pour lesquels il sacrifiait des moments si précieux.

Belle et précieuse qualité trop rare de nos jours !