Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/Zoroastre

Texte établi par Michaud, A. Thoisnier Desplaces (Tome 45p. 585-604).

ZOROASTRE, réformateur et scribe sacré du magisme, nous apparaît au milieu des ténèbres de l’antiquité orientale avec les nombreux attributs et les caractères de législateur, de prophète, de pontife, de hiérophante et de philosophe. En vain pourtant les savants du premier ordre se flatteraient de tracer l’histoire complète de sa vie et de ses dogmes, tant l’absence, l’incertitude ou l’inanité des documents opposent d’obstacles à une telle entreprise. Autour des fragments mutilés ou interpolés du Zend-Avesta se groupent avec les monuments énigmatiques de Persepolis et les bas-reliefs mithriaques du 4e siècle, d’une part ces légendes fabuleuses qu’enregistre indifféremment dans ses poëmes ou dans ses histoires la crédulité asiatique, de l’autre quelques traditions éparses dans les œuvres des peuples occidentaux, auxquels le nom du célèbre apôtre d’Ormuzd ne fut point inconnu. Qu’avec ces faibles données on parvienne à saisir quelques linéaments de cette grande figure, sans doute la chose n’est point impossible ; mais il est probable que jamais on ne reconstruira Zoroastre tout entier. On l’a essayé cependant, et si l’on n’a pas réussi complétement, du moins a-t-on vu naître quelques résultats intéressants sous la plume des hommes illustres qui ont concentré leurs travaux sur le zoroastrisme, et par les recherches desquels le problème originairement unique, et par là même confus et vague, s’est subdivisé en une foule de questions partielles. Rendre compte de toutes ces questions, de la manière dont elles se suivent, s’engendrent, se lient et se croisent, de la solution donnée à quelques-unes, de l’incertitude ou de la divergence qui s’est manifestée dans l’examen de quelques autres, enfin de leurs relations avec plusieurs problèmes historiques collatéraux ou parallèles, tel est le but que nous nous proposons dans cet article, qui ne sera pas seulement l’exposé biographique des événements qui ont signalé et rempli la vie de Zoroastre, mais qui de plus présentera succinctement un tableau complet des diverses opinions qu’on s’est formées sur son compte. Commençons par donner la vie de Zoroastre selon les poètes orientaux et les Gaures, encore fidèles à la-religion du magisme. À l’exception de quelques mots tirés ou des traditions orales de cette peuplade reléguée sur les frontières de l’Hindoustan, ou des historiens mahométans, les particularités dans


lesquelles nous allons entrer reposent toutes sur l’autorité du Zerdust-Namah (Histoire de Zoroastre) et du Tcheugrengatch-Namah (Histoire du brame Tchengrengatcha), deux poëmes en langue persane moderne qui appartiennent au même auteur, Zerdurst, fils de Behram, et qui paraissent avoir été composés vers la fin du 16e siècle, quoique l’annaliste poete. en se nommant dans le dernier chapitre du Zerdust-Namah, certifie qu’il écrit l’an 647 d’Iezdedgerd, c’est-à-dire l’an 1276 de notre ère. Selon ces ouvrages, Zoroastre descendait du sang des rois de Perse et comptait parmi ses aïeux le célèbre Féridoun. Porochasp était le nom de son père. Dogdo ou Dogdhu, sa mère, étant déjà avancée dans sa grossesse, fut épouvantée sur la destinée de son fils par un songe aussi effrayant que compliqué. Le devin auquel elle alla confier sa frayeur la rassura sur l’avenir et lui prédit la haute mission et la gloire de Zoroastre. Trois mois après paraît l’enfant destiné à répandre sur la terre le culte des Amchapands : son entrée dans le monde ne coûte ni larmes ni douleurs à sa mère ; la chambre tout entière est illuminée d’une clarté symbolique ; les artères de sa tête battent avec tant de force qu’elles soulèvent la main appuyée sur son front ; enfin le sourire brille sur ses lèvres, et cette circonstance si rare, rapportée par Pline (liv. 7, chap. 16) et par Solin (chap. 1), est regardée comme le pronostic de la science la plus vaste et la plus profonde. Aussi déjà les magiciens ennemis du vrai culte tremblent à la nouvelle de cette naissance miraculeuse. Ils ont bientôt résolu de faire périr l’enfant redoutable ; et dès lors ils ne s’occupent plus que de lui dresser des embûches. Mais Ormuzd protége la faiblesse du prophète au berceau. En vain Douranseroun, chef de la coalition, s’apprète à faire tomber le glaive sur son jeune ennemi ; en vain des esclaves le placent au milieu d’un désert sur un bûcher ; en vain on l’expose successivement sur la route étroite que suivent les bœufs et les chevaux ou dans l’antre des loups, dont on a tué les petits : la main qui tient le sabre levé se sèche, les flammes ne produisent que la sensation d’une douce chaleur : un taureau, une jument, une louve défendent successivement Zoroastre ; deux brebis descendent des montagnes pour lui présenter leurs mamelles. Retrouvé au bout de quelques jours par sa mère, il est confié par Porochasp à un vieillard, dont les soins le garantissent jusqu’à sept ans du contact d’Ahriman et des attaques des magiciens. Ceux-ci d’ailleurs étaient découragés par le peu de succès de leurs tentatives, et l’un des plus habiles d’entre eux, Tourberatorch, leur avait déclaré l’inutilité de leurs efforts, et prédit la victoire que Zoroastre et Ormuzd remporteraient sur eux. On peut donc être étonné de voir dans la suite reparaître sur la scène et les magiciens et Tourberatorch lui-même avec le cortége ordinaire des maléfices et des enchantements. Telles furent les attaques auxquelles, depuis l’âge de sept ans jusqu’à celui de quinze, il fut constamment en butte. Une piété et une sagesse surnaturelles purent seules empêcher de tomber dans les piéges qui lui étaient tendus. Sa générosité et sa bienfaisance n’étaient pas moins remarquables : il prodiguait les consolations et les secours, arrangeait les affaires de quiconque s’adressait à lui, distribuait ses habits et ses biens et acquérait ainsi une grande célébrité parmi les peuples de l’Aderbaïdjan. A l’âge de trente ans, il se sentit attiré vers l’Iran (Zerdust-Namah, chap. 16), mais il ne fit qu’y passer et ne chercha point à y répandre de doctrine nouvelle : il n’avait point eu alors de conférence avec Ormuzd. Dans la suite, il quitte son domicile habituel et sa patrie, accompagné de ses parents. Arrivé sur les bords d’un fleuve, il ne voit point de bateau et songe déjà à revenir sur ses pas, quand, obéissant à une inspiration soudaine, il invoque le Seigneur et pose le pied sur les eaux qui ne s’enfoncent point sous son poids. Tous ceux qui le suivent en font autant et traversent à pied sec la surface du liquide. C’était le 30 espendarmad, ou dernier jour de l’année, et l’on célébrait les Farcardians, c’est-à-dire la féte des âmes de la loi. Zoroastre y assista, et, quelques jours après, reprit sa route vers une autre contrée, les yeux baignés de lames en songeant aux contradictions qu’il allait éprouver. Un pays brillant, fertile, semblable au Paradis, le conduit à une mer, dans laquelle il s’engage avec autant de confiance que sur le fleuve qu’il a traversé avec ses parents, mais dans laquelle il a de l’eau d’abord jusqu’au talon, ensuite jusqu’au genou, puis jusqu’à la ceinture, et enfin jusqu’au cou, sans que du reste il coure le moindre danger. Selon les auteurs orientaux, qui racontent religieusement le commencement de ce fait comme un prodige, les quatre hauteurs de l’eau étaient symboliques et signifiaient que la loi d’ormuzd recevrait dans le monde quatre accroissements à quatre époques différentes : le premier sous Zoroastre, le deuxième et le troisième sous les prophètes Uchederbamí et Uchedermah, vers la fin des temps et le quatrième, lors de la résurrection, sous Sosioch, qui rendrait l’univers pur comme le Paradis. De là, Zoroastre se rendit dans les montagnes, d’où Bahman, la main couverte d’un voile, l’emmène à travers la foule des anges jusqu’au trône d’ormuzd. Nous épargnerons au lecteur le détail des conversations dans lesquelles le futur réformateur du culte entre avec le bon principe et les Amchapands. Qu’il suffise de savoir que Zoroastre interroge successivement Ormuzd sur la morale, la hiérarchie céleste, les cérémonies religieuses, la fin de l’homme, les révolutions et l’influence des astres. Il finit en lui demandant l’immortalité ; mais bientôt. voyant par une révision surnaturelle tous les événements qui doivent arriver


jusqu’à la résurrection, il renonce à son vœu. Enfin, il reçoit de la bouche d’Ormuzd le Zend-Avesta, avec l’ordre de le prononcer devant le roi Gustasp, qui doit protéger la loi nouvelle et donner l’exemple de la piété et de la foi, et il reparaît dans le monde, le Zend dans une main et le feu céleste dans l’autre. Les magiciens et les dèves (mauvais génies), instruits de son retour, se rassemblent et forment une armée nombreuse pour s’opposer à son passage. La lecture d’un seul chapitre du livre divin suffit pour dissoudre cette coalition. Les dèves rentrent sous terre saisis d’effroi ; les magiciens demandent grâce ou tombent morts à ses pieds. Zoroastre se dirige ensuite vers Balkh et marche au palais de Gustasp, auprès duquel il veut être introduit ; mais, comme les gardes le repoussent, il fend le plafond ou la voûte du divan, où ce roi tient sa cour, et descend par l’ouverture au milieu des grands de l’lran et des sages les plus célèbres, rangés silencieusement autour du trône sur lequel siégeait le monarque. On conçoit la surprise des assistants ; mais cette surprise fait bientôt place à un autre genre d’étonnement lorsque Zoroastre, interrogé successivement par les sages sur toutes les sciences, répond à toutes les questions avec la plus grande facilité et développe sur toute espèce de sujet une érudition dont aucun d’entre eux n’a d’idée. Le prince, charmé, lui donne un logement magnifique près de son palais, et pendant deux jours encore le nouveau venu dispute avec les sages qui vainement épuisent leur science pour l’embarrasser. Quelques jours après, il présente le Zend-Avesta au roi, lui annonce sa mission et lui ordonne d’embrasser la vraie loi de ce Dieu qui a fait les sept cieux, la terre et les astres, qui lui a donné la couronne et la vie, et qui offre aux hommes fidèles adorateurs de sa puissance une gloire immortelle après la mort. Ni le magnifique langage du prophète, ni même la lecture du Zend-Avesta ne persuadent le monarque, qui demande du temps et des miracles pour croire. Zoroastre se fait arroser d’airain fondu et porte des flammes à la main sans être brûlé ; il plante près du palais un cyprès qui en quelques jours devient si gros que dix longues cordes peuvent à peine l’entourer : il dresse ensuite une grande salle sur les branches les plus élevées. Gustasp, frappé de ces prodiges, embrasse sa loi et se fait expliquer tous les jours le Zend. Le triomphe de Zoroastre n’était pourtant pas encore assuré. Ses ennemis et ses envieux gagnent son serviteur et vont cacher dans son appartement du sang, des ongles, des os de cadavres et autres objets réputés impurs par l’ancienne comme par la nouvelle loi ; puis, ayant accusé de sortilèges auprès du roi, ils engagent ce dernier à aller visiter par ses yeux la demeure du prophète. À la vue des ongles, du sang et des immondices qui semblent préparés pour des enchantements, le nouveau converti jette le Zend qu’il tient encore à la main, et, sans vouloir entendre la justification de Zoroastre, il ordonne de le renfermer étroitement. Cette détention durait depuis sept jours, lorsqu’un événement singulier fit éclater l’innocence de Zoroastre. Le cheval favori de Gustasp fut atteint d’une paralysie, ou, comme le disent les légendes, d’une maladie qui avait fait rentrer ses jambes dans son ventre. Aucun des sages ou des médecins ne connaissait de remède à ce mal ; et, après mille efforts infructueux, on désespérait de sauver l’animal, lorsque Zoroastre, averti de ce qui se passait, demanda à paraître devant le roi, promettant de guérir son cheval et de dissiper son chagrin. Il y réussit en effet, et cela à la vue de toute la cour que le bruit du miracle attirait autour de lui. Mais à chaque jambe qu’il faisait paraître hors du ventre de l’animal, il imposait à Gustasp une nouvelle condition, que ce prince n’avait garde de lui refuser. C’est ainsi que successivement le roi, Esfendiar, son fils aîné et son héritier présomptif, enfin la reine et toute la maison royale adoptèrent la loi d’Ormuzd et jurèrent de croire au Zend-Avesta. Il ne restait plus que la quatrième jambe à guérir quand Zoroastre demanda que l’on appelât le serviteur qui s’était laissé séduire par ses ennemis. Cet homme, ayant reçu l’assurance de sa grâce, dévoila le mystère et prouva ainsi au roi l’innocence du prophète, qui fut réintégré dans sa maison et redevint le favori de Gustasp. Aussi zélé pour la propagation du nouveau culte qu’il avait été attaché à sa première croyance, ce prince fit tous ses efforts pour que ses sujets suivissent son exemple, éleva partout de vastes atechgáhs, ou temples du feu. établit des mobeds, des destours, et écrivit aux gouverneurs des pays voisins de venir à pied visiter le cyprès de Zoroastre. Quelques-uns obéirent ; mais d’autres s’y refusèrent, et même empêchèrent leurs provinces d’accepter le culte nouveau. Cependant Zoroastre se rendait de plus en plus célèbre par des conversions éclatantes. La plus mémorable fut celle du brahme Tchengrenghatchah. Ce sage, un des plus habiles de l’Inde, avait résolu de venir lui-même convaincre de folie ou d’imposture aux yeux de toute la cour le prophète d’Iran ; et, dans cette espérance, il avait, pendant deux ans entiers, rassemblé les questions les plus épineuses et les plus difficiles à résoudre. La vie d’un homme, disait-il à quatre-vingt mille brahmes qui l’accompagnaient, ne suffirait pas pour en expliquer la moitié. Arrivé dans la capitale de Gustasp et admis à une conférence publique avec Zoroastre, il se préparait à lui adresser une de ses questions, lorsque le réformateur, prenant la parole, ordonna à un de ses disciples de lire à haute voix un des nosk : qui faisaient partie du Zend-Avesta. Ce nosk contenait la solution de tous les problèmes que Tchengrenghatchah avait si laborieusement et si longtemps


médités. Frappé d’un prodige aussi inouï, ce dernier renonça aux dieux de l’Inde et devint un des sectateurs les plus zélés de celui que naguère il traitait d’imposteur. Tous les sages qui l’avaient suivi imitèrent son exemple et portèrent le culte d’Ormuzd et des Amchadpands dans la belle péninsule d’où ils étaient sortis. Aussi retrouve-t-on encore des traces de cette antique religion dans les plaines de l’Hindoustan. Cependant, quels que fussent les succès et les accroissements de la nouvelle loi, elle se répandait encore trop lentement au gré de l’ardent réformateur et de Gustasp. Le pèlerinage du cyprès se ralentissait. Il fut décidé que le prince secouerait le joug du roi de Touran et lui refuserait le tribut accoutumé. « Comment un roi armé du collier de la loi de vérité pourrait-il payer tribut à celui qui adore les idoles ? » A entendre Zoroastre, il fallait même que le souverain infidèle cédât partie de ses provinces et livrât à Gustasp le royaume de Tchin. On alla jusqu’à l’en sommer par lettres. Ardjasp, tel était le nom du prince touranien ; Ardjasp, à la lecture de cette impérieuse et ridicule sommation, répondit que si Gustasp ne se hâtait de congédier le vil enchanteur qui l’abusait, il lui déclarerait la guerre et réduirait ses villes en cendres. Ces menaces étaient de nature à épouvanter ; et Djamasp, vieux ministre d’Iran, était d’avis de mettre de la prudence dans les relations avec le prince ennemi. « Qu’est-il besoin de prudence ? s’écrie Zoroastre ; on veut la guerre, faisons la guerre : marchons ! » La victoire, victoire sanglante. il est vrai, et souillée de deuil, est à Gustasp. En effet, après plusieurs batailles, où périssent et le frère du roi, Zézir, et les frères de Djamasp, la valeur d’Isfendiar fixe la victoire sous les bannières iraniennes. Mais bientôt le vieux prince, jaloux de son fils, le fait charger de fers et enfermer dans un cachot. Il part ensuite pour le Sistan, où Roustam et Zal, son père, commandent encore avec une autorité presque souveraine et résistent à toutes les innovations. L’arrivée de Gustasp change tout dans cette contrée, et des atechgahs s’élèvent de toutes parts comme par enchantement. Mais tandis que le royal prosélyte convertit ainsi les provinces, sa capitale, sans défense, est subitement saccagée et incendiée par Ardjasp. L’atechgâh central devient la proie de la destruction ; et Lohrasp, père du souverain, meurt les armes à la main, et hors du couvent où la dévotion le tient confiné depuis le jour où il a abdiqué en faveur de son fils Gustasp. Lui-même est battu, peu après, par l’armée touranienne et se réfugie sur une montagne près de Komech. Encore voit-il bientôt son refuge investi par les forces de son ennemi, et n’a-t-il de ressources que dans la valeur d’Isfendiar. Modèle de générosité comme de bravoure, à peine ce jeune héros a vu briser ses chaînes qu’il attaque l’antagoniste de son père, venge sur lui la mort de son aïeul et contraint les troupes de Touran à rentrer dans leur pays. Mais déjà Zoroastre n’est plus au nombre des vivants, et soit qu’il ait péri avec les victimes d’Ardjasp, au sac de Balkh, soit qu’il ait rendu paisiblement le dernier soupir dans son lit, il fait partie des esprits bienheureux qui siégent autour du trône d’Ormuzd. Telle est en substance la relation des seuls ouvrages orientaux que l’on puisse considérer comme retraçant la vie ou une époque de la vie de Zoroastre. On sent que nous avons dû la dégager des nombreuses inutilités et des absurdités dont le poëte n’a pas manqué de la charger. Au reste, il serait encore facile, pourvu que l’on voulût mettre à contribution les autres auteurs asiatiques et les fables des Parsis, d’ajouter aux prodiges qu’ils racontent sur le réformateur chéri de Gustasp. Mais ces historiettes, dont on pourrait remplir des volumes, ne jetteraient aucune lumière sur les points qui seuls peuvent être utiles aux recherches des historiens. On a dû remarquer dans l’analyse que nous venons d’offrir l’absence presque complète de dates et d’indications géographiques, la nullité des renseignements sur les dogmes et la morale de Zoroastre, le défaut de précision de tous les détails, enfin l’audace des exagérations. Comment, après avoir vu quatre-vingt mille brahmes ou chefs indiens se rendre ensemble en Iran pour être témoins d’une controverse religieuse, croire même aux choses vraisemblables certifiées par le même narrateur ? Comment ne pas révoquer en doute jusqu’à la réalité de cette guerre avec le prince de Touran et l’incendie de Balkh ? Essayons cependant de poser, d’après ce récit, les points capitaux de l’histoire contemporaine. Relativement à Zoroastre, des voyages, un long séjour sur des monts solitaires, des miracles à la cour d’un roi puissant, enfin l’établissement ou le rajeunissement du culte d’Ormuzd ; relativement aux faits eux-mêmes ou aux personnages en contact avec le prophète, Gustasp avec Lohrasp, Isfendiar, Bahman, Ardjasp. Tchengrenghatcha, une guerre ou plutôt deux guerres avec le roi de Touran, des expéditions vers l’Inde ou l’Iran oriental, tels sont les faits qui semblent résulter de tout ce qui a été exposé ci-dessus. Sont-ils tous admissibles ? Il est certain que lors même que nous aurions obtenu la réponse à cette question, il en resterait encore bien d’autres à faire. Mais il y en a quelques-unes qui doivent avoir la priorité sur toutes les autres ou qui se mêlent nécessairement avec elles, de telle sorte qu’il est impossible de les examiner isolément. De cette espèce sont celles qui roulent sur la patrie et l’époque de Zoroastre. On conçoit que l’histoire authentique des rois de la haute Asie doit être d’un poids considérable dans l’examen de ce problème. D’autre part, les contradictions ou les incertitudes historiques ne peuvent guère manquer de nous conduire à cette autre ques-


tion : N’y a-t-il eu qu’un Zoroastre, et s’il y en a eu plusieurs, combien y en a-t-il eu ? Question à laquelle s’oppose bientôt celle-ci qui n’est pas moins naturelle : Y a-t-il même eu un Zoroastre, et ne serait-ce point là une conception symbolique ou mystique divinisée dans la suite par la piété des Parsis ? L’origine et étymologie de ce nom célèbre deviennent dès lors un point de recherche important et doivent jeter du jour sur tous ceux qui précèdent. Reprenons à présent ces questions dans l’ordre inverse ; on voit qu’elles sont au nombre de cinq, et qu’elles peuvent être présentées sous la forme suivante : quel est le sens du mot Zoroastre ? Un homme du nom de Zoroastre a-t-il existé ? N’en a-t-il existé qu’un ? Où est-il né ? Quand a-t-il vécu ? La première, quoique simple en apparence, n’est pas exempte de difficultés. En effet, ce qui frappe d’abord dans le nom de Zoroastre, c’est que les éléments de ce mot sont tous d’origine hellénique (1[1]). Mais doit-il être question ici d’étymologie grecque ? Il faudrait pour cela supposer que les Grecs, qui les premiers ont parlé de Zoroastre, ont traduit son nom et lui ont fait subir un changement analogue à celui de Schwartzerdt en Mélanchthon, ou de Wurtwisen en Allassiderox. Or, c’est ce qu’on ne peut croire. Les noms de Zerdoust, Zerdoucht, Zeredoucht, Zaradoucht, répandus encore aujourd’hui en Asie, sont évidemment identiques avec celui de Zoroastre, et démontrent que la forme harmonieuse en usage chez les Grecs n’est qu’une dépravation du mot indigène. Les formes parsis mêmes ne représentent point fidèlement la prononciation antique qui est en pehlvi Zeratocht ou Zerlocht, et en zend Zeratokiro. Nous n’incidenterons pas plus longtemps sur ces modifications dont toutes les langues offrent tant d’exemples, et encore moins sur celles qui tiennent seulement à la déclinaison, et que Hyde (De religions celerum Persarum, p. 313) n’a point distinguées des autres. Mais, parmi les diverses altérations grecques, nous ferons remarquer les formes Zaradas et Zarasdes, qui semblent se référer au parsi, Zabratus ou Zaratus, qui viendrait plutôt du pehlvi, quoique l’on ait contesté l’identité de Zoroastre et de Zaratus. À cette dernière se rapporte aussi le Nazaratus de St-Clément d’Alexandrie. Revenons maintenant au mot Zend. Faut-il, pour en rechercher l’origine, avoir recours à l’hébreu ou au persan moderne ? Telle a été longtemps l’unique ressource des savants ; et l’on a eu à choisir entre l’étymologie hébraïque de Bochart, qui, s’étayant du passage de Diogène Laërce, mais changeant άστροθύτηζ en άστροθεάτηζ (contemplateur des astres), s’imagina que le mot zend venait de chouro-aster (il a contemplé les étoiles), et les quatre étymologies persanes que Hyde donne d’après le syrien Bar Bahloul. Jexeira, Ferdousi et le consul anglais aux Indes, Henri Lloyd (Histoire de la religion des anciens Perses, p. 154 de la traduction française). Selon ce dernier, Zerdoust signifie ami du feu. Telle est effectivement la traduction des mots persans modernes Ader-doust. Mais nous ne voyons pas quel rapport ces mots ont avec Zerdoust, et surtout avec Zérétochtro. Au reste cette opinion a longtemps été presque généralement admise faute de mieux, et elle se trouve consignée tant dans Hottinger (Hist. orientale, 2’édit., p. 586) que dans la Bibliothèque orientale de d’Herbelot, p. 931, art. Zoroastre. Nous ne parlons point de celle du P. Kirker, citée par Stanley (Hist. philosoph., édit. de Leipsick, 1711, p. 1111), ni de celle de Stanley lui-même. Toutes ces erreurs provenaient de l’ignorance où l’on était de la langue zende, dont le nom était à peine connu d’un grand nombre de savants. Mais quand, avec le Zend-Avesta, les presses françaises eurent publié un vocabulaire zend, dès lors les nuages commencèrent à s’éclaircir. Anquetil (Vie de Zoroastre, t. 1er, 2e part. du Zend-Avesta. p. 4) fut le premier à indiquer comme éléments du nom en litige les mots zends zéré ou zer, d’or, et techtré, astre dont l’éloge se trouve dans les Iechts, n° 87, où on le nomme distributeur de la pluie, et qui n’est autre que Sirius. Dans la suite, Herder a appelé plus spécialement l’attention sur cette étoile, une des quatre qui sont préposées à la surveillance des cieux et qui président aux myriades d’étoiles créées par Ormuzd au commencement du monde ; et enfin Rhode, dans son grand ouvrage, Die heilige Sage, etc., a montré des rapports symboliques et mythiques incontestables entre cette étoile et le législateur religieux auquel elle a donné son nom. Nous y reviendrons plus tard. Pour l’instant, il est une chose prouvée, c’est que la dénomination de Zoroastre n’est pas un de ces noms propres qui n’offrent point de sens ou qui désignent exclusivement des êtres humains. Primitivement et dans la langue usuelle c’est l’étoile de Sirius, dite par excellence l’étoile d’or, à cause de son éclatante splendeur. Au reste, sur cette première question, on peut consulter encore Plutarque, De anímant. general. in Tim., p. 124, édit. Wyttenb. ; Reinesius, In Suidam, éd. Ch.-G. Müller, p. 103 et suiv. ; Toup, Epist.. ad Suid., p. 137, édit. de Leipsick. Abordons maintenant le second sujet de discussion : A-t-il existé un homme du nom de Zoroastre ? Il est certain que la solu-


tion de la précédente question fournit un argument en faveur de la négative, et que ceux qui veulent voir dans les mythes, les symboles, les cérémonies et les personnages religieux des personnifications d’éléments astronomiques ne manqueront pas de faire trophée d’une conclusion qui voit dans le nom d’un prophète célèbre le nom d’un astre. Mais cette joie est prématurée. D’abord, et en thèse générale, en admettant les relations perpétuelles, exactes, incontestables entre les systèmes astronomiques et religieux, est-il évident que les noms des étoiles et des constellations soient antérieurs à ceux des personnages homonymes ? et Zéréthochtro, par exemple, vient-il de Zéré-Techtré, plutôt que Zéré-Techtré de Zéréthochtro ? Certes, ce n’est point à la simple inspection des noms qu’on peut décider ce point ; et si, dans le cas actuel, il arrive que nous donnions la priorité chronologique à l’étoile sur l’homme qui en porte le nom, ce ne sera point en vertu de ce principe vrai dans quelques occasions, mais ridicule dans sa généralité, que tout fondateur ou réformateur de religion est un être imaginaire et n’a qu’une réalité astronomique. On nous demandera peut-être comment, supposé que Zoroastre ait existé, il peut se faire qu’il y ait une connexion si singulière entre le sens de son nom et le rôle qu’il joue dans l’Iran. D’abord cette connexion n’est que médiocrement singulière, et nous voyons souvent les rois, les grands ou les sages de la Perse porter des noms où entrent comme éléments des idées de soleil, de lumière, d’astre, de pureté ou de force. C’est ainsi que les Grecs, adorateurs de Jupiter, d’Apollon et de Mercure, commençaient souvent leurs noms par les syllabes Hermo…, Apollo…, Dio…, et quelquefois le hasard faisait que ces noms convenaient parfaitement à leur profession, à leur caractère ou aux circonstances saillantes de leur vie. Ne pourrait-on point aussi soupçonner que le mot de Zoroastre, comme ceux de Pharaon, d’Emir, de Schah, est moins un nom propre qu’une dignité ? Cette dignité fut peut-être hiérarchique ou même mythique, ainsi que pourrait l’indiquer le titre d’Helius (on sait qu’en grec Ήλιοζ veut dire soleil), donné dans les mithriaques à une classe d’initiés. Enfin, et cette opinion est celle à laquelle nous devons nous arrêter, il est extrêmement probable que notre législateur ne porta point originairement le nom sous lequel il se rendit si célèbre, mais qu’il s’en revêtit dans le temps où il se préparait à opérer la rénovation religieuse de l’Iran. Grégorio dit formellement que son nom véritable était Mog, assertion que certes nous n’adoptons pas, et qui peut-être n’a d’autre fondement que la ressemblance des syllabes mog et mag ; mais cela prouve clairement que, dès les temps anciens, on avait soupçonné que Zoroastre n’est point le premier nom du réformateur. Peut-être fut-ce quelque temps un surnom que peu à peu l’on s’habitua à substituer à un nom plus ancien, que, par une raison quelconque, on évitait de prononcer. Au reste, quelle que soit l’hypothèse la plus plausible, toujours est-il que le sens naturellement astronomique du mot Zoroastre ne prouve rien contre l’existence d’un législateur et d’un sage de ce nom. En revanche, il ne prouve rien non plus en sa faveur. Essayons maintenant de sortir de cette indécision et d’atteindre par quelque moyen direct à une espèce de certitude. L’établissement du magisme, même avec les formes dites zoroastriennes, n’est point une démonstration suffisante ; car ce culte peut avoir été fondé par d’autres que par l’homme auquel les fils des mages en font honneur. Mais les livres zends, que lui attribue d’un commun accord l’Asie occidentale, nous mèneront peut-être à une conclusion plus avantageuse. Car, puisque ces livres existent, ils ont été composés par quelqu’un. Or, si originairement ce quelqu’un a seul écrit ou du moins publié ces livres ; s’il a vécu à une époque convenablement reculée, c’est lui que nous appelons Zoroastre. La question ne porte donc plus que sur l’âge ou l’authenticité de ces livres. Notons ici que par livres zends nous n’entendons que ceux dont l’ensemble forme le Zend-Avesta, c’est-à-dire les trois livres du Vendidad-Sadé et le Boundehech ; encore retrancherions-nous volontiers le Boundehech, qui n’existe aujourd’hui qu’en pehlvi, et qui a été si misérablement défiguré. Il ne peut donc être question ni du Sadder ni de cette foule d’opuscules apocryphes dont on gratifie Zoroastre, ni même des célèbres Oracles magiques, malgré toutes les analogies qu’ils présentent avec les doctrines du Zend. Plus bas, nous donnerons la nomenclature de tous ces écrits. Quant au Zend-Avesta, nous commencerons par avouer que nous ne le possédons point tel qu’il est sorti de la main de Zoroastre. D’abord le Boundehech n’est qu’une traduction du Zend en pehlvi, ou plutôt une compilation, rédigée en partie sur les livres sacrés, de fragments empruntés à des auteurs et à des siècles différents. On peut en dire autant des Iechts-Sadés ; et dans le Vendidad-Sadé lui-même, le commencement semble avoir été bouleversé et sans doute mutilé à plaisir ; ce qui est surtout indubitable pour les Izechnés. Mais ni le désordre introduit dans l’économie de ces livres, ni les interpolations ou les retranchements ne démontrent que l’ouvrage entier est apocryphe. Au contraire, toutes les preuves extrinsèques se réunissent en faveur de l’authenticité. Qu’on feuillette les historiens et les philosophes de la Grèce depuis Hérodote, qui esquisse l’histoire des guerres médiques environ quatre cent quatre-vingts ans avant notre ère, jusqu’à Porphyre, Ammien Marcellin et Photius ; partout, dans cet espace de plus de dix siècles, on retrouve les doctrines, les symboles, les idées, la manière du Zend-Avesta. Strabon (Géographie,


liv. 15) parle des Atechgâhs ou Pyrées de la Cappadoce ; et Pausanias décrit avec son soin ordinaire les temples du feu élevés en Lydie. Dans Xénophon (Cyropéd., liv. 8), on voit les mages, comme aujourd’hui les mobeds, chanter un hymne à la divinité au lever de l’aurore ; et Agathias, liv. 2, fait mention de la fête remarquable dans laquelle on tue le serpent et les créatures d’Ahriman. Hom, avec sa double nature et son double caractère ; Hom, tour à tour législateur divin et arbre de vie, se retrouve dans Plutarque, de Iside et Osiride, ainsi que cette lutte si célèbre entre les deux principes, lutte dont s’occupent d’ailleurs Platon, Aristote, Hécatée d’Abdère, et d’autres encore. Le dogme bien plus élevé de Zervane Akerene, principe unique et suprême, base de la dyade militante, générateur et modérateur des puissances qui ont créé et qui gouvernent le monde, se lisait au rapport de Damascius (De principiis, voy. Wolf, Anecdota grœca, t. 3, p. 2591, dans les historiens Hermippe, Eudème et Théopompe, et dans Théodore de Mopsueste, selon Photius. Enfin, il n’est pas jμsqu’aux noms de Sag-Did et d’lecht-Ormuzd qui ne se soient glissée, le premier dans Eusèbe, Prœparar. Evang., liv. 6, p. 277 ; le second dans Minucius Félix, Octav. 26 ; et Ammien Marcellin, liv. 23, parle formellement des communications de Gustasp, qu’il nomme Hystaspe, avec les brahmes de l’Hindoustan. Remarquons en passant que dans cette collection des livres des mages il est souvent question de faits et de personnages historiques, et que cependant jamais on n’y traite d’événements, jamais on n’y nomme de prince ou de héros postérieur au 5e siècle avant J.-C. Les renseignements géographiques sont aussi des preuves irréfragables d’une haute antiquité : car si d’une part on n’y trouve en ce genre rien qui fixe décidément l’époque à laquelle vivait l’auteur du moins est-il évident que les descriptions, ainsi que les noms de lieux, de villes, de provinces, ne peuvent avoir aucun rapport avec la géographie moderne de cette contrée de l’Asie, qui s’étend de l’Euphrate aux bouches du Sindh. En vain l’on s’armerait, pour nous combattre, de la note diplomatique signifiée par Gustasp et son prophète au roi de Touran, et par laquelle ils lui demandent le royaume de Tchin (la Chine). Il est clair qu’ici l’auteur oriental a usé largement, et en poëte qui ne craint point d’être chicané par ses lecteurs, du droit commode d’anachronisme. Son royaume de Tchin peut faire pendant au divan que quelques pages plus haut il donnait à Gustasp. Mais comme ni l’une ni l’autre de ces absurdités ne se trouve enchâssée dans le Zend, quoique plus d’un Guèbre soit de force à les répéter, il est impossible d’infirmer par là aucune des conséquences que nous tirons en faveur du recueil sacré. Vainement aussi on croirait pouvoir tirer un argument de la mesure prise par Artaxare Ier, au commencement de son règne, pour la fusion des sectes nombreuses qu’avait enfantées le zoroastrisme. On sait, en effet, que le fondateur de la dynastie sassanide, après avoir soustrait l’empire aux faibles descendants d’Arsace et créé une nouvelle monarchie perse, voulut aussi rendre à la religion de Zoroastre tout l’éclat dont elle avait brillé pendant les siècles qui suivirent sa naissance, et que, regardant un concile général comme le moyen le plus sûr de réconcilier les soixante et dix sectes zoroastriennes, il rassembla autour de lui quatre-vingt mille mages, que des épurations successives réduisirent à sept, et qui enfin convinrent de s’en rapporter à leur jeune collègue Erdaviraph. Ce dernier remplit trois coupes d’un vin soporifique, les but et ensuite tomba dans un sommeil profond pendant lequel il fut transporté dans les cieux et eut une longue conversation avec Ormuzd sur tous les points contestés du Zend-Avesta et du magisme. Réveillé au bout de sept jours, il raconta sa vision, et dès lors toutes ses décisions devinrent la base de la foi des Perses. Or, ne pourrait-on pas soupçonner que le Zend lui-même a été fabriqué par Erdaviraph, afin de mieux assurer sa domination sur les consciences ? Ce soupçon s’évanouira de lui-même si l’on songe que les soixante et dix sectes, unanimes dans l’adoration d’Ormuzd, ne différaient que sur l’interprétation des livres saints, et que, par conséquent, ces livres saints existaient antérieurement aux querelles des sectaires. Mais les livres n’auraient-ils pas été perdus et ensuite remplacés par un ouvrage d’Erdaviraph ? Nous répondons qu’il est impossible que le Zend-Avesta ait été ainsi perdu dans un pays où tout le monde le révérait également, et où sans doute il en existait, comme aujourd’hui, au moins un exemplaire dans chaque atechgâh. Il est vrai qu’une tradition universellement reçue en Asie porte qu’Alexandre, voulant détruire le culte du feu dans la monarchie qu’il venait de conquérir, ordonna de remettre entre ses mains tous les livres de Zoroastre, et qu’effectivement on lui en remit vingt-six. Mais est-il présumable que les mages, si attachés à un culte qui pour eux était la source des honneurs, des richesses et de la puissance, et auquel d’ailleurs ils pouvaient croire, aient livré soit tous les ouvrages, soit tous les exemplaires, sans en réserver quelques-uns, ou, si l’on exigeait que chaque temple en donnât un, sans en faire prendre copie ? Notons aussi que, quelques-uns de ces livres étant devenus le bréviaire des mages, il était facile sans doute à ce corps hiérarchique, en réunissant ses souvenirs à une époque plus heureuse, de retrouver le Zend à peu de choses près dans son état primitif ; et l’on ne peut douter que, si réellement les ouvrages saints ont été livrés au conquérant macédonien, on ne les ait ainsi reconstruits immédiatement après sa mort. Les généraux qui se proposaient le partage de la


vaste succession laissée par ce prince ne s’occupaient sans doute guère de la religion des vaincus ; et dans ce cas même il est impossible d’admettre que, gouvernant alors avec une autorité presque souveraine, chacun dans une province, ils aient tous déployé une égale sévérité contre les possesseurs des livres zends. Serait-ce donc à une époque postérieure, et quand les califes renouvelèrent la prétendue persécution d’Alexandre contre le magisme, que la supposition d’un recueil canonique aurait eu lieu ? Mais, d’abord, comment dans ces temps d’ignorance les faussaires orientaux, encore moins instruits et plus dupes de leur imagination que les Grecs, auraient-ils eu l’art de se conformer si exactement pour l’histoire, la géographie et la religion, aux données de l’antiquité, sans jamais laisser percer l’esprit d’un siècle plus moderne ? Ecoutons ici Anquetil (Journal des savants, ann. 1769) : « Lorsque les chrétiens combattaient la religion des « Perses, et dans le temps où les mahométans, leurs ennemis déclarés, attaquaient leur culte et leur empire, qu’ils les traitaient d’idolâtres sur l’idée générale qu’ils s’étaient formée de leur religion, et que les vrais ouvrages de Zoroastre, monuments de cette religion, étaient répandus en Perse, dans l’empire romain, un imposteur a composé les livres zends qu’il a donnés pour ceux du législateur des Perses. Loin de se rapprocher des ennemis de sa religion, ce faussaire a rassemblé dans son ouvrage exactement ce que les Grecs et les Latins, depuis Hérodote jusqu’à Photius, nous disent des mages, de leurs dogmes, de leurs cérémonies, c’est-à-dire qu’il a écrit ce qui était écrit, connu, ce qui animait les ennemis des Perses contre eux. De plus, il a eu l’attention de ne rapporter, dans vingt et un volumes, aucun trait d’histoire, de ne nommer aucun roi, aucune puissance ennemie, aucun prêtre postérieur à Gustasp et à Zoroastre, ou du moins le hasard a fait disparaître les ouvrages où il en faisait mention. Ce fourbe a choisi, on ne sait pourquoi, une langue morte et entendue pourtant des prêtres perses, qui traduisirent bientôt ses livres en langue vulgaire (en pehlvi). Les sectaires perses, tels que Manès et Mazdek, qui étaient en état de découvrir la fourberie, ne l’ont pas soupçonnée. Les mahométans n’ont pas relevé l’imposture. Les chrétiens, persécutés par les Perses et attentifs sans doute à leur conduite, ne la leur ont pas reprochée. Enfin le faussaire a si bien réussi que ses ouvrages ont passé depuis chez les Perses et chez les mahométans pour les vrais ouvrages de Zoroastre ; et les livres qui avaient perpétué la connaissance de la langue zende, ceux qui, depuis Zoroastre jusqu’aux 3e et 4e siècles, avaient porté le nom de ce législateur, ont été absolument abolis, il n’est pas même resté de traces de leur existence, quoiqu’ils continssent exactement les mêmes dogmes que ceux de l’imposteur. Si l’on trouve le projet vraisemblable et l’exécution de ce projet possible, le monstre d’Horace (Humano capiti, etc.) ne doit rien présenter de ridicule, et le pyrrhonisme triomphera sans peine de l’évidence. » Il nous semble qu’après la lecture de ce passage il est impossible de soupçonner encore la supposition des livres zends qui sont parvenus jusqu’à nous. Quant aux interpolations nombreuses, loin de prouver contre l’authenticité du recueil, elles semblent au contraire déposer en sa faveur ; car on n’interpole que des livres authentiques, de même que l’on n’attribue à un auteur les ouvrages qu’il n’a point faits qu’autant qu’il en a composé un grand nombre. L’existence d’un homme, d’un législateur nommé Zoroastre est donc pour nous un fait incontestable. Mais n’y en a-t-il qu’un ? Les Orientaux sont unanimes sur ce point. Chez les Grecs et les Latins au contraire il est à chaque instant fait mention de plusieurs personnages de même nom. Ainsi Platon parle d’un Zoroastre de Pamphylie, ami de Cyrus. Avant Hostane le Mage, dit Pline (Hist. nat., liv. 30), vécut Zoroastre de Proconèse. Selon Cedrenus, la Perse donna le jour à un Zoroastre, célèbre astronome. D’autres nomment un Zoroastre de Chaldée, probablement le même que celui dont Pythagore aurait été le disciple à Babylone, et que le Zoromasde, savant chaldéen, auteur d’ouvrages sur les mathématiques et la physique, mentionné par Suida.. Enfin on peut remarquer que Zoroastre dans Agathias est qualifié de fils d’Ormuzd (δ Ώρομασδέωζ), tandis que dans Clément d’Alexandrie, il porte le titre de fils d’Armène ou d’un Arménien (δ Άρμενίου), nom propre que les savants regardent comme une dépravation d’Άρειμανίου, Ahriman. Cette divergence n’indiquerait elle pas deux Zoroastres ? Cette multiplicité de témoignages a été pour quelques écrivains tellement imposante qu’ils n’ont point hésité à reconnaître trois, quatre et même cinq Zoroastres, sans prétendre néanmoins assigner l’époque de chacun d’eux. Il en serait alors de Zoroastre, disent-ils, comme il en est de Bacchus et d’Hercule : on a réuni sur un seul des homonymes tout ce qui avait été opéré par chacun d’eux. L’abbé Foucher (Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. 27, p. 254, etc.) n’en veut admettre que deux, au moins comme personnages historiques et religieux, et Zoëga, Abhandlungen über, etc., en s’écartant de lui dans plusieurs particularités, tombe d’accord sur ce point. Au contraire Hyde (De relig. vel. Pers., chap. 24, p. 308), Prideaux (Histoire des Juifs, t. 1er, p. 384}, Beausobre (Hist. du manichéisme, t. 1, p. 361), et les philologues les plus illustres de l’époque actuelle, ne reconnaissent qu’un homme de ce nom. Ce n’est pas que des personnages obscurs ou insignifiants n’aient pu le porter tout


comme le réformateur de la Perse. Mais ce n’est pas là que gît la difficulté ; il s’agit seulement d’examiner si les aventures mises par la tradition et les documents authentiques sur le compte de Zoroastre sont celles d’un ou de plusieurs individus. Or, si l’on fait abstraction des détails ridicules ou incroyables, et d’ailleurs inutiles, la vie entière de notre prophète se réduit à deux points, une réformation religieuse et la rédaction du Zend-Avesta. Certainement il ne serait nullement extraordinaire que le réformateur n’eût point écrit : le christianisme offre un exemple frappant de cette conduite dans le chef de la religion. Mais il semble encore plus naturel d’écrire. Ainsi agit Mahomet : ainsi agit Zoroastre, si nous nous en rapportons au Zend-Avesta, dont nous avons plus haut démontré l’antiquité. Dès lors il devient nécessaire de n’admettre qu’un personnage, et tout l’édifice de Foucher croule de lui —même comme inutile et vain. En effet, à l’entendre, le premier Zoroastre aurait fondé la religion du magisme, et le second n’en aurait été que le régulateur et le scribe. L’erreur du docte académicien vient de ce que, comme presque tous les savants de l’époque, il se laissait abuser par une équivoque de mots. Zoroastre, disait-on, était le chef du magisme. On entendait par là qu’il en était le fondateur, et une fois cette hypothèse admise, comme des documents ultérieurs prouvaient irréfragablement que la religion des mages était antérieure à l’époque à laquelle on place presque unanimement Zoroastre, on a été obligé d’imaginer un autre prêtre ou prince de ce nom. Tout cet échafaudage devient superflu lorsque l’on songe que Zoroastre n’a jamais été que réformateur d’un système religieux infiniment antérieur. De plus, cette supposition, purement gratuite, laissait les choses absolument dans le même état ; car, avant le règne de Cyaxare Ier, sous qui Foucher fait vivre le premier Zoroastre, les mages existaient et enseignaient une religion analogue à celle qui régna encore quinze siècles en Perse, et dont notre prophète ne prétendit que régulariser les formes en les ramenant à leur pureté primitive. Il ne reste donc à ce système que l’avantage d’expliquer plus aisément que tout autre quelques difficultés chronologiques ; nous y reviendrons. Pour l’instant, remarquons que le but de l’auteur n’est point rempli. Mieux vaudrait avec Zoëga, qui au moins fait preuve de profondeur, identifier le premier Zoroastre avec Hom, premier auteur des formes de ce culte que Zoroastre prétendit réformer et rendre fixe par des livres canoniques. Mais ici la solution en apparence si contraire à ceux qui ne reconnaissent qu’un Zoroastre est tout à fait dans leur sens : car par là même on leur accorde ce point qu’un seul et même Zoroastre vint, n’importe de quelle manière, modifier les croyances et les cérémonies religieuses de l’Iran et consigna ces modifications dans le Zend-Avesta. Qu’une religion primitive, la même au fond, régnât depuis dans le pays, et que Hom en ait passé pour l’inventeur, c’est ce qu’il est impossible de nier ; mais c’est une question secondaire pour l’éclaircissement de celle que nous examinons : et quand enfin on prouverait que Hom s’est nommé Zoroastre, il est évident que ce n’est point du nôtre qu’il s’agirait. Quant aux passages des anciens sur des Zoroastres de Pamphylie, de Proconèse, etc., il est évident que ces auteurs étaient abusés par des titres d’ouvrages pseudonymes. L’immense réputation de Zoroastre dans tout l’orient, réputation qui s’est soutenue jusqu’à nos jours, et qui est telle que les musulmans, jadis destructeurs et encore aujourd’hui ennemis de son culte, lui donnent l’épithète d’El Hakim, c’est-à-dire le Sage, engagea un nombre infini de faussaires à mettre sous son nom des écrits apocryphes, et quelques-uns, sans doute, croyant le nom seul capable d’imposer aux lecteurs, sans même qu’il y eût identité de personnes, créèrent des Zoroastres de tout pays. Au reste, telle n’est pas l’origine de ceux que l’on nomme Zoroastre de Chaldée, Zoroastre de Perse : car ici l’on ne peut guère voir qu’une erreur qui prend sa source dans les voyages et les diverses résidences du législateur. C’est donc avec raison que cette fois on se décidera pour la tradition orientale, en réduisant à un le nombre des Zoroastres. Il reste maintenant à déterminer en quel pays il prit naissance. On ne peut nier que ce ne soit dans une des provinces situées au delà de l’Euphrate, la Médie, la Perse ou la Bactriane. Mais on voit que les auteurs qui ont parlé de Zoroastre comme d’un Persan ont songé non pas à la Perse proprement dite, autrefois Perside, aujourd’hui Fars ou Farsistan, mais au vaste empire fondé par Cyrus et étendu par Darius Ier, des bords de l’Indus aux côtes de l’Hellespont et de la mer Egée. L’incertitude ne porte donc que sur la Médie et la Bactriane. Comme incontestablement ce fut dans cette dernière contrée que Zoroastre remplit sa mission, beaucoup de savants inclinent à croire qu’il y naquit. Mais si l’on réfléchit que longtemps la Bactriane et la Médie formèrent un même corps politique, sans pourtant s’être encore fondues dans l’empire gigantesque qui depuis engloba la Chaldée, l’Assyrie, l’Asie Mineure et l’Égypte, on verra qu’il revient au même de faire naître le réformateur en Médie. Or, c’est ce que disent unanimement les Orientaux, qui lui assignent pour patrie l’Aderbaïdjan ou ancienne Atropatène, si remarquable par ses sources de naphte, son sol chargé de matières résineuses et le bitume qui flotte à la surface de ses lacs, et dont la combustion spontanée développe souvent au milieu d’une nuit obscure des flammes brillantes. On peut donc sans inconvénient se ranger à leur opinion, et même, s’il faut choisir parmi les villes qui revendiquent l’honneur d’avoir donné le jour au législateur du royaume, on peut, avec l’im-


mense majorité de ces mêmes Orientaux l’accorder à Ourmyagh, cité assez considérable située sur un lac du même nom. Reste la dernière question, et celle de toutes qui présente les plus graves difficultés : quand vécut Zoroastre ? Ici les anciens et les modernes se divisent à l’envi. Les écrivains mahométans, les Hindous, les Mobeds, s’accordent tous à placer l’ère de Zoroastre sous Gustasp. Mais quel est ce Gustasp ? Sans doute aux yeux de quiconque est habitué aux transformations des syllabes et aux apparences multiformes qui se plaisent à revêtir les mêmes mots en passant d’une bouche à une autre, Gustasp, Gostasp ou même Vestasp, comme l’écrivent quelques-uns, est le même qu’Hystaspe ; et personne n’ignore que Darius I eut pour père un nommé Hystaspe. Mais Gustasp est-il justement l’Hystaspe dont il est parlé dans Hérodote comme du père de Darius, ou Darius lui-même (car on peut présumer que ce prince portait le même nom que son père, et d’ailleurs Darius semble aussi avoir été un nom honorifique ou de dignité) ? La plupart des modernes, en adoptant cette opinion, que confirme le passage d’Ammien Marcellin cité plus haut, en ont conclu que Zoroastre vivait au commencement du 5e siècle avant J.-C., et à la fin du 6e, sous les rois de Perse Cyrus, Cambyse et Darius Ier. Tels sont entre autres Hyde, Anquetil, Kleuker (traduct. allemande du Zend-Avesta, Appendice), Jean de Muller, Malcolm, de Hammer et une foule d’orientalistes, d’historiens et de philologues illustres. Il n’en reste pas moins à prendre parti sur deux points assez embarrassants. D’un côté, la plupart des anciens, Hermodore le Platonicien, Eudoxe, Hermippe et l’auteur contesté des Magiques, plaçaient Zoroastre cinq à six mille ans avant la naissance de Platon et même avant la guerre de Troie. Quelques autres, plus modestes ou croyant se rapprocher du vraisemblable, substituent aux milliers des centaines, et ne donnent par conséquent au prophète qu’une antiquité de six cents ans, relativement à l’expédition de Xercès en Grèce. Tel était Xanthus de Lydie, du moins s’il faut en croire Diogène Laërce (Vie des philosophes, Introduct.), tel du moins s’il faut donner la préférence aux manuscrits qui portent έξακόσια (600) sur les deux où on lit en toutes lettres έξασχίλια (6000) (voy. Diog. Laërt., édit. Meiners, notœ ad Proœmium). Justin, livre I, en fait un roi de la Bactriane, contemporain de Ninus. De l’autre, il semble que plusieurs des points les mieux avérés de l’histoire de Zoroastre ne peuvent se concilier avec l’époque de Darius, et ne peuvent s’expliquer qu’en transportant les faits quelques siècles plus haut. De là les nombreuses divergences et les systèmes des orientalistes, qui ont chacun argumenté de leur côté, et qui, partant de bases différentes pour arriver à des résultats contraires, se sont très-bien réfutés les uns les autres, mais ont été beaucoup moins heureux lorsqu’il s’est agi d’établir que tandis qu’il fallait se borner à détruire. Ainsi Foucher, partant de l’assertion de Xanthus de Lydie et du passage où Pline parle d’un Zoroastre de Proconèse, place le fondateur de la religion de l’Iran sous Cyaxare I, autrement Darius le Mède, et prétend par là expliquer la guerre ou plutôt la double guerre avec le roi de Touran, le sac de Balkh et la mort violente de Lohrasp et du prophète. Volney (Chronologie d’Hérodote, Œuvres, t. 2, p. 43) s’attache de préférence au texte de Justin, et hésite si peu à placer Zoroastre sous Ninus et Sémiramis, qu’il consacre ensuite (p. 50-68) un paragraphe (§ 3) à fixer les années de sa naissance ; de ses principales actions et de sa mort, et que dans les tables chronologiques annexées à son ouvrage, on trouve les lignes suivantes : Le Mède Zoroastre nait vers 1250 ; — Zoroastre commence à répandre sa doctrine ; première guerre de Bactriane, 1220 ; — Zoroastre va à Bactres (Balkh), 1208 ; seconde guerre de Bactriane, 1207 ; — révolte de Zoroastre, 1181. Enfin Rhode, après avoir tourné contre le système de Foucher les armes d’une logique irrésistible et montré combien il avait mal saisi la difficulté, s’éloigne encore plus que lui de l’époque hystaspéenne ; et, sans autre preuve que la coïncidence souvent frappante des doctrines du Zend-Avesta avec celles du brahmaïsme, il élève tout à coup et le législateur et le livre qu’il a écrit à une hauteur d’antiquité à laquelle on ne pourrait rien comparer. Il n’est aucune de ces idées qui ne soit sans réplique. À Foucher on peut répondre d’abord que rien n’oblige à s’en rapporter aveuglément à Xanthus de Lydie ; que les livres qui portaient son nom du temps de Diogène de Laërte avaient, selon Athénée, été fabriqués par un certain Denys Scythobrachion vers le temps de Jules César ; que, si le passage indiqué par Diogène s’est jamais trouvé dans les écrits d’un Xanthus, au moins il n’est point prouvé que ce soit le Lydien (voy. Creuzer, Fragm. historic. graec. antiquissim., p. 225 ; et Maix, ad Ephorí fragment., p. 76 et suiv.) : ensuite qu’au lieu de Έξακόσια, adopté par Meiners, il faut, selon toutes les apparences, lire, avec deux manuscrits, Έξακισχίλια, six mille, nombre plus fabuleux et plus étrange au premier abord, mais plus en harmonie avec les idées des Grecs sur le merveilleux auteur de la loi religieuse des Perses, et qui d’ailleurs aura été facilement confondu avec l’Έξακόσια, parce que l’on aura écrit en abrégé Εζακ. χ., ce qui semble faire en lettres et en chiffres six cents. Au reste, en plaçant Zoroastre sous Cyaxare Ier, il s’en faut de beaucoup qu’il atteigne les six cents ans en question : ce nombre se trouve réduit à cent cinquante, seul espace compris de l’an 630, époque probable, dit-il, de la mort de Zoroastre, à l’expédition de Xercès en Grèce ; et n’est-ce pas se tirer beaucoup trop cavalièrement d’embarras, ne d’alléguer le peu d’exactitude chronologique des anciens ? Quant à


la facilité avec laquelle il explique dans son système certains détails de la Légende, nous dirons plus tard ce qu’il faut en penser. Le soin que Volney a mis à comparer et à contrôler les unes par les autres les diverses traditions ne le préserve pas non plus d’interprétations gratuites. On ne peut sans doute qu’applaudir au tableau des analogies existantes entre les anciennes idées religieuses et la loi zoroastrienne et à l’équation des mots Touran et Assyrie. Ici il fait vraiment avancer la science d’un pas en détruisant cette ancienne idée que le Touran est à l’est de la mer Caspienne et au nord de l’Iran, ce qui l’assimilerait à l’ancienne Scythie. Telle est en effet l’idée des auteurs orientaux de la vie de Zoroastre ; mais cette opinion n’avait d’autres fondements que leur ignorance et la ressemblance du mot Touran avec celui de Tourkestan, contrée effectivement située à l’est de la mer Caspienne ; et il serait ridicule d’y attacher plus d’importance qu’au passage où l’auteur du Zerdust-Namah fait demander par Gustasp à Ardjasp le royaume de Tchin. Ces écrivains se démentent eux-mêmes, quand, obéissant à une tradition différente, ils disent que quelques-unes des provinces d’Ardjasp étaient à l’occident de la mer Caspienne. Elles y étaient toutes, et le mot de Touran (la montagne), identique avec celui de Taurus, était opposé à celui d’Air-an ou Ir-an (la plaine), et formait un vaste empire en deçà du Tigre, tandis que l’autre empire s’étendait de ce fleuve aux Paropamises et à l’Indus. C’est donc avec assez de probabilité que l’illustre chronologiste voit la double invasion des armées touraniennes en l’Iran dans les deux expéditions de Ninus contre Oxuarte ou le roi de l’Oxus, expéditions qui se terminent, l’une par une retraite désastreuse, l’autre par la dévastation et la soumission du royaume dont on ne parle plus que comme d’une satrapie sous Asar-Adan-Pal. Cette explication cependant ne l’emporte pas sur celle de l’hypothèse précédente, qui nous montre les Scythes descendant de leurs montagnes, s’emparant du plat pays, s’y maintenant plusieurs années, ce qui eut lieu sous Cyaxare Ier et enfin pliant à leur tour sous le maître légitime, qui vient reconquérir son royaume et les tailler en pièces. Le plus raisonnable sans doute est de les combiner ensemble de telle sorte que les deux invasions successives, par exemple, soient tirées de quelques vagues souvenirs des conquêtes de Ninus, tandis qu’au contraire les détails de l’invasion victorieuse, et la courte durée de la conquête, auront été empruntés aux traditions non moins incertaines et incomplètes du règne de Cyaxare. Mêler ainsi les particularités de deux actions étrangères l’une à l’autre et chronologiquement éloignées n’a rien que de très-ordinaire chez un peuple dont l’histoire est peu différente des Mille et une nuits. Exigera-t-on après cela qu’ils soient fidèles à cette même chronologie tant de foi violée, au point de ne mettre que sous Nínus ou sous Cyaxare Ier les événements empruntés à l’histoire de leur règne ? Non, ils les transporteront hardiment aux temps de Darius Ier, soit qu’ici ils s’abusent par l’identité des noms (Cyaxare Ier est aussi appelé Darius le Mède), soit que leur légèreté habituelle et leur insouciance du vrai les conduisent naturellement au mensonge plutôt qu’à la vérité. C’est donc en vain que Volney, tirant avec rigueur les conclusions des prémisses qu’il a posées, décide qu’Ardjasp est Nínus et Gustasp Oxuarte. Quant au système qui recule Zoroastre dans les ténèbres d’une antiquité indéfinie, et selon quelques-uns antédiluvienne, il est impossible de l’admettre si l’on songe au contenu du Zend-Avesta, à la répétition fréquente du nom de Gustasp, qui ne saurait y avoir été interpolé tant de fois, aux préceptes qui prouvent une civilisation et une sociabilité déjà avancées, aux traces nombreuses et évidentes de judaïsme que tous les commentateurs y ont remarquées. Songe-t-on d’ailleurs que le Zend-Avesta contenait vingt et un livres, masse énorme, et que, lors même qu’avant le déluge quelques hommes privilégiés auraient connu l’écriture, il eût été impossible, avec les âpres et peu flexibles instruments qu’on employa longtemps pour peindre la pensée, de buriner une aussi considérable série d’ouvrages ? Il faut donc en revenir au sentiment de ceux qui font de Zoroastre le contemporain du grand Darius. Que ce prince se soit ou non nommé Hvstaspe, toujours est-il très-probable que toute la dynastie à laquelle il transmit le trône fut connue dans l’Asie sous le nom d’Hystaspides ou Hystaspes. Ainsi, dans la suite, le premier Ptolémée fut souvent désigné par le nom de Lagus, qui était celui de son père. Ainsi, plus tard encore, on dit les Arsacides ou les Arsaces. D’ailleurs, et cette raison est péremptoire, le nom de Gustasp se trouve dans la liste des rois de Perse selon les Orientaux, et quelque fautive, quelque défectueuse que soit cette liste, il nous semble qu’on peut aisément la ramener à celle que donnent les Grecs. C’est ce que l’explication suivante rendra indubitable. En effet, selon l’opinion la plus reçue chez les Orientaux, deux cent soixante-huit ans séparent l’avènement de Gustasp de la conquête totale de la Perse par Alexandre : or, les Grecs ne comptent que deux cent six ans d’intervalle entre ces deux événements. La cause de cette différence est un double emploi de soixante-deux ans, double emploi occasionné par la réunion de deux Artaxercès en un seul personnage. Il résulte de là qu’écrivant longtemps après les événements, au milieu d’un pays dénué de bonnes traditions et sans livres, sans documents quelconques, ceux qui s’imaginèrent de refaire sous les califes l’histoire ancienne de la Perse ne purent réunir que quelques noms : ces noms sont justement ceux qu’il a été impossible d’oublier, Hystaspe ou Gustasp, en quelque sorte fondateur de la monarchie, Darius ou Darab, qui en est dépossédé par Iskander, et Artaxerce ou Ardechir. Deux princes de ce nom avaient occupé le trône, l’un quarante et un ans, l’autre quarante-six, et avaient dû laisser de profonds souvenirs. Quant à la reine Homaï, nous ne savons où les mahométans ont pu trouver mention de cette princesse, dont ne parle aucun historien grec. À présent que l’on réunisse d’une part les années des deux Artaxerces avec celles de Xercès II, de Sogdien et de Darius Ochus, qui séparent le premier du second, et de l’autre celles d’Ochus, d’Arsès et de Darius Codoman, on aura ici trente-trois, là cent quinze ans, total cent quarante-huit. Or, les cent douze années du règne d’Ardechir-Bahman, jointes à trente-six que donnent ensemble les règnes d’Homaï et de Darab, composent aussi un laps de temps de cent quarante-huit ans. Reste le commencement de la dynastie représenté par un seul prince, Ke-Gustasp, et par cent vingt années. Ce chiffre se trouve à peu de chose près le résultat des règnes amoncelés de Darius Ier (37 ans), de Xercès Ier (21), d’Artaxerce Ier (41), de Xercès II (2), de Sogdien (7), et de Darius Ochus (19). Il est donc évident que les quatre derniers règnes sont comptés deux fois et compris d’abord dans le règne de Gustasp, ensuite dans celui d’Ardechir-Bahman ; et l’erreur a dû être d’autant plus facile pour des historiens sans instruction et sans critique, qu’ils partaient de deux faits à peu près incontestables, ainsi exprimés : 1o de Ke-Gustasp à Ardechir (Artaxerce ll) il y a 129 ans (en réalité 120) ; 2e d’Ardechir (ici c’était Artaxerce 1er ) à la mort de Darab il y en a 148. Ceci posé, on peut demander sous lequel des six rois représentés par le nom de Gustasp vécut Zoroastre. Tout semble indiquer Darius Ier, qui effectivement eut des guerres aux extrémités orientales et occidentales de son royaume, et que l’histoire grecque, écrite cette fois par des contemporains, nous montre tantôt remettant sous le joug les Babyloniens révoltés, franchissant le Danube pour conquérir les plaines glacées de la Scythie, assujettissant les villes de l’Ionie, et tombant sur la Grèce ; tantôt tournant ses forces sur les provinces limitrophes de l’Inde, et en annexant des lambeaux à son empire. Tel est justement l’ensemble qu’offre la légende de Zoroastre : des démêlés avec le roi de Touran, et une invasion dans les Indes. Peu importe ensuite qu’à propos de ces démêlés ils amènent sur la scène un roi Ardjasp, qui peut-être ne fut pas réellement contemporain de Ke-Gustasp, et qu’ils amoncèlent des événements passés, les uns sous Ninus, les autres sous Cyaxare ler ; le fait central, authentique, qu’ils ont brodé à leur guise, ne s’en montre pas moins clairement. De plus, on sait que Darius pendant la longue durée de son règne donna le premier une constitution au vaste empire dont Cyrus n’avait point eu le temps d’être le législateur, et qui, pendant les règnes agités de Cambyse et du mage Smerdis, avait sans doute senti le besoin d’être gouverné d’après des lois fixes et une règle uniforme ; La religion seule, dans les temps reculés où la civilisation était encore si imparfaite, pouvait remplir un tel but, et réunir en un faisceau les divers royaumes soumis par le génie de Cyrus. Aussi ne conteste-t-on point que les opérations de Zoroastre furent faites dans un but et dans un sens politiques autant que dans des vues religieuses. C’est ce que la lecture du Vendídad et du Boundehech achève de mettre hors de doute. Enfin les Perses et les mahométans nous présentent aussi souvent leur Ke-Gustasp à lsthakar qu’à Balkh, alors chef-lieu du magisme et métropole de la nouvelle religion. Or, lsthakar est Persépolis, et ce n’est qu’à partir de Darius que cette ville magnifique devint le séjour des monarques persans. Dans la suite même, elle fut aussi la capitale religieuse de tout l’empire. C’est là que les princes reçurent la consécration royale, que les mages tinrent leurs assemblées les plus célèbres, que l’art couvrit les murailles, les temples, les palais, les tombeaux, de symboles sacrés et d’hiéroglyphes. Persepolis. berceau et sépulcre des rois, cité lumineuse des fils du Soleil, était pour les pieux sujets de la race hystaspide, ce que Jérusalem était pour les Hébreux, et ce que dans la suite la Mecque fut pour les musulmans. Mais rien de tout cela n’existait encore avec cette prédominance de formes à la naissance de cette religion : Hérodote même, qui se tait complétement sur Zoroastre, et dont le silence a été allégué fort mal à propos, il nous semble, comme une preuve de l’antériorité du prophète sur le monarque, dit formellement que les Perses, adorateurs des éléments et des astres, ne leur élevaient ni temples, ni autels, ni simulacres. Cette simplicité excessive doit-clle être considérée comme état primitif d’une religion qui dans la suite se surchargea de cérémonies dramatiques et (l’ornements empruntés aux arts ? ou bien n’est-elle que la simplification d’un culte originairement plus compliqué et plus riche ? Cette dernière supposition ne peut soutenir l’examen. En effet, sans nods demander lequel est le plus conforme à la nature et à la marche ordinaire de l’esprit humain d’aller du simple au composé ou du composé au simple, qui ne voit que, puisque longtemps après Darius la Perse et même l’Asie Mineure étaient remplies d’Atechgàhs, où se rassemblaient les disciples de Zoroastre, la complication des rites suivit la simplicité ? Comment d’ailleurs, si cette extrême épuration du culte avait eu lieu après la mission de Zoroastre, et la promulgation du Zend-Avesta, qui en est si éloignée ; comment, disons-nous, Hérodote aurait-il nié l’existence des temples, des autels en Perse ? Ces temples, ces autels sans doute auraient été vides ou consacrés à d’autres usages que ceux de la religion ; mais ils auraient été debout, et lors même que quelques-uns eussent été détruits, comment l’historien n’au-


rait-il pas fait mention et de leur ruine et de la révolution à laquelle leur destruction se rattachait ? De même, si Zoroastre, si ce philosophe illustre dans tout l’Orient avait vécu ongtemps avant lui, comment son nom aurait-il été omis dans ce recueil si exact des traditions alors en vogue dans l’orient ? Tout s’explique si l’on fait de Zoroastre un contemporain d’Hérodote. En effet, autant, grâce à l’imprimerie, à la célérité des communications et à la diffusion des connaissances, il est facile aujourd’hui de connaître parfaitement les événements contemporains, autant alors l’absence de toutes ces circonstances rendait en quelque sorte insaisissable la connaissance de ces événements, à moins qu’ils ne fussent de nature à froisser, à servir de grandes masses. Or, la réformation de Zoroastre ne semble presque avoir été d’abord qu’une affaire de cour, qu’un essai tenté dans une province lointaine ; et c’est à la longue qu’on voit les doctrines et le code du réformateur gagner du terrain et arriver au rang de culte dominant et de religion de l’empire. Peut-être même cette révolution commencée sous Darius ne se consomma-t-elle que sous Xercès ou sous Artaxerce. Mais l’on ne peut douter qu’à cette étpoque Zoroastre ne fût mort. Anquetil, qui,’après l’assertion formelle du petit Ravaet, folio 63, lui donne soixante-dix-sept ans de vie, le fait naître l’an 589 avant.l.-C., et mourir en 512. Peut-être vaudrait-il mieux avancer cette époque d’environ vingt-cinq années, et par conséquent distribuer ses principaux événements sur l’espace compris entre 564 et 487. Par là du moins on verrait plus longtemps ensemble Darius et Zoroastre. On expliquerait aussi avec plus de facilité les voyages du philosophe à Babylone et ses conférences avec Pythagore, voyages et conférences qui durent avoir lieu avant l’époque de sa prétendue mission et ses excursions dans l’lran. Tous les historiens s’accordent à faire voyager Pythagore en Orient vers le temps de Cambyse, qui, selon quelques-uns, l’aurait fait prisonnier en Égypte. Zoroastre était alors âgé d’environ trente-six ans ; ce qui ne choque nullement les traditions orientales, qui le font arriver à la cour de Darius âgé de quarante ans (dans notre système il en aurait eu quarante deux), et ce qui cadre parfaitement avec l’idée que l’on doit se faire de cette absence de dix ans, de cette vie solitaire sur les montagnes, et de cette retraite dans une grotte que tout annonce avoir été un laboratoire astronomique. On n’objectera pas sans doute que, dans cette hypothèse, Zoroastre se trouverait avoir cinq ans de moins que Pythagore, né, selon Dodwell (De eme Pythagore), l’an 569 avantl.-C. Pythagore venait conférer avec les sages de la Chaldée, plutôt que se faire leur disciple, et qu’est-ce d’ailleurs que cette différence d’âge ? Ces points principaux une fois admis, quel sera le résumé le plus probable de la vie de Zoroastre ? Le voici : né dans l’Ader- baïdjan, vers la fin de l’empire des Ilèdes, et peu d’années avant l’avènement de Cyrus au trône de Perse (soit vers 564 avant J.-C.), il passe sa jeunesse dans la pratique de la sagesse et de la vertu, et médite une réformation religieuse. l’abaissement des Mèdes conquis par les hordes belliqueuses de Cyrus excite encore en lui ce désir dont l’accomplissement rendra du moins une espèce de suprématie à la nation subjuguée, et tempérera l’orgueil des vainqueurs. C’est donc lorsque toute l’Asie en deçà de l’lndus obéit au neveu de Cyaxare (536 avantl.-C.), ou peu après le commencement de ce nouvel état de choses, qu’il prélude à l’exécution de son projet par un voyage dans l’lran, c’est-à-dire dans la Bactriane, la Médie, et toutes les contrées situées à l’ouest du Sindh et à l’orient du Tigre. La vue des obstacles qu’il sera obligé de surmonter, de l’indocilité des Perses, du peu de bonne foi et de bienveillance des mages, actuellement dépositaires des systèmes religieux. lui fait verser des larmes : il sort de l’lran, les yeux humides et le cœur rempli d’amertume en songeant à la tâche épineuse qu’il s’est imposée (534). Cependant il n’y renonce pas, et soit pour attendre des temps plus heureux, soit pour ajouter à la somme de ses connaissances en astronomie, en physique et en philosophie naturelle, se préparer à l’exécution des merveilles que l’ignorance publique regarde comme des miracles, irréfragables témoins d’ime révélation, et rédiger cette encyclopédie religieuse qu’il va prêcher sous le nom de Zend-Avesta ou parole de vie, il’met la mer Caspienne entre lui et l’Iran, et se confme dans une retraite studieuse, tantôt au sommet des montagnes arméniennes, tantôt au sein de la populeuse et savante Babylone, observatoire perpétuel des Chaldéens, asile des sages de la Judée, but des pèlerinages scientifiques de Pythagore. Pendant qu’il converse, qu’il écrit, qu’il observe, l’empire passe en d’autres mains, et le sceptre de Cyrus, soustrait à la furibonde démence de Cambyse par l’artifice d’un faux Smerdis, se fixe eniin dans la maison du fils d’Hystaspe. C’est ce prince qui doit fondre en un corps des membres pèle-mèle et violemment réunis sous sa domination, et promulguer le Zend-Avesta. Zoroastre, âgé de quarante-deux ans, parait, sans doute de concertavec Darius, au milieu de la Bactriane, que ce prince visite momentanément ; et l’écIat des prodiges qu’il exécute confond et irrite ses ennemis. Aussi, tandis que le monarque, son prosélyte, veut déjà remplir ses provinces d’Atechgåhs, tantôt ils s’efforcent de noircir Zoroastre par des calomnies bientôt réfutées pa r le prophète et punies par le prince, tantôt ils excitent en secret es sujets à prendre les armes. Ainsi l’ancienne capitale de l’Assyrie, choquée peut-être de ce qu’on veut épurer son sabéisme, aussi ancien que le monde, et lui substituer la pyrodulie et la pyrométrie, se déclare indépendante du royaume


d’lran ; et cette guerre de la partie ancienne de la Perse contre la partie touranienne ne se termine par la victoire qu’après une sanglante alternative de revers et de succès et un intervalle de quatre ans. instruit par cette lutte, Darius n’emploie plus que la douceur et la persuasion pour convertir. Il envoie ses fils dans les diverses provinces, plante le célèbre cyprès, et institue le pèlerinage. Des brahmes mêmes viennent comme pour disputer contre l’excellence de la nouvelle religion, qu’au fond ils ne devaient pas plus haïr que l’ancienne, puisque ni l’une ni l’autre n’était celle des Védas et des Beths, et ils cédent, dès le commencement de l’entrevue, la victoire à Zoroastre. Rentrés ensuite dans leur patrie avec des croyances différentes de celles qu’ils avaient emportées, ils veulent sans doute y étendre le zoroastrisme ; et Darius prète à leur éloquence le secours de ses soldats ; mais, pour indemnité, il annexe à ses vastes domaines quelques peuples de l’Inde (les Orites, les Arbites, les Pasirites, etc.). C’est sans doute au milieu de ces événements que Zoroastre meurt au comble de la gloire, et dirigeant, du fond des temples de la Bactriane, ou du haut du cyprès, qu’il a fait qualifier du titre d’arbre de vie, les affaires religieuses de l’empire de Perse. Au reste, nous devons rappeler que, selon quelques écrivains orientaux modernes, il meurt au sac de Balkh, avec Lohrasp, père de Darius. Mais comme cette version ne s’appuie ni sur la majorité ni sur l’authenticité des témoignages, on peut sans scrupule la négliger ; et c’est à tort que l’abbé Foucher, s’en exagérant l’importance (voy. le Mëm. déjà cité, Mém. de l’acad. du îmeript., t. 27), a été conduit, eu grande partie par ces renseignements, à imaginer ses deux Zoroastres. L’abdication de Lohrasp, sa retraite, sa vie monacale, sa mort violente au milieu des sujets qu’il commandait, malgré son grand âge, et au milieu des nombreux sectateurs de la nouvelle religion, sont peut-être aussi des faits d’une autre époque, gratuitement transportés sous Darius, et rattachés sans raison à la vie de Zoroastre. Peut-être aussi ne sont-ils qu’une altération presque méconnaissable de l’histoire du faux Smerdis, prédécesseur et non père de Darius, assassiné au milieu de ses mages par les satrapes perses. Confondant ce massacre, immortalisé dans la suite par l’institution d’une féte dont Hérodote traduit le nom par celui de Magophonie (massacre des mages), avec celui dont les Scythes purent se souiller dans leurs guerres avec l’Iran, les modernes Asiatiques s’imaginèrent probablement que cette vaste boucherie tenait à une invasion étrangère et non à une réaction politique, à un changement de dynastie, à un revirement de la puissance momentanément reconquise par les Mèdes, et presque aussitôt ravie à ceux-ci par les Perses. Ils pensèrent aussi que ce prince, toujours enfermé au milieu de ses mages, avait abdiqué pour se livrer aux pratiques d’une haute dévotion, et que par conséquent il était le père du roi alors régnant. De cette manière, il devient inutile d’examiner qui fut ce Lohrasp, de se demander s’il faut y voir Hystaspe lui-même, élevé par son fils au gouvernement de la Bactriane, ou Cambyse ou Cyrus, que la plupart cependant s’accordent à reconnaître dans Ke-Khosrcu. Il est à propos maintenant de répondre à quelques questions relatives soit au rôle religieux et politique, soit à la moralité de Zoroastre. Touchons d’abord le premier point : Zoroastre fut-il un imposteur ? fut-il, comme l’insinue ou le lui reproche hautement Anquetil, cupide, violent, persécuteur ? Relativement à l’accusation d’imposture, on a allégué contre notre philosophe sa retraite dans une grotte, ses prétendues conférences avec Ormuzd, ses espèces de miracles ou opérations magiques, enfin ses prophéties. Il est facile de répondre à la première de ces objections : la grotte qui sert d’asile au futur législateur n’a point seulement pour destination de le soustraire aux regards pendant dix ans, afin de faire croire au vulgaire qu’il a passé ce temps en conférences avec Drmuzd ; cette grotte est un laboratoire de chimie. un observatoire astronomique, un cabinet d’études : c’est la qu’il écrit la loi divine ; c’est de là qu’il contemple les astres ; c’est la qu’il prépare es compositions chimiques qui doivint le préserver du eu et le faire paraître invulnéra e aux yeux même des sages ses antagonistes. Porphyre, qui le décrit d’après Eusèbe (ds Amro Nympluu-um), le présente comme plein de représentations symbo iques des éléments et distribué par zones qui imitent les zones terrestres. Les monuments égyptiens abondent en efïlgies de ce genre, et l’on peut y comparer l’antre des Brahmanes, où l’on allait adorer les images des dieux. Ajoutons à cela que cette grotte, emblème du monde, ou grotte cosmique, se rapportait particulièrement aux mystères de Mithra, comme nous le prouverons ci-dessous, et l’on conviendra dès lors qu’un sage, qu’un philosophe put fort bien s’ensevelir dans la retraite sans songer à se faire passer pour un dieu. Mais telle a toujours été la manie de ceux qui prétendent assigner des causes aux démarches des grands hommes : Empédocle, usant descendre dans le cratère de l’Etna, est un insensé qui veut faire croire au monde qu’il a été enlevé au ciel ; Zoroastre allant étudier dans la solitude n’agit que pour abuser par le même mensonge ses crédules compatriotes ! Répudiant cette vaine supposition, voyons s’il en sera de même des autres faits allégués. Oui, certes, Zoroastre publia qu’il avait conversé avec Ormuzd ; oui, certes, il s’annonça comme apte à faire des miracles, et il en fit aux yeux de toute la cour. Mais souvenons-nous que ces miracles, dont la science formait alors la magie, hom longtemps auguste et vénéré chez les Orientaux, n’étaient que des faits naturels alors inconnus du vulgaire, et produits


par des opérations soigneusement cachées à l’œll des profanes, c’est-à-dire des ignorants. Memes réflexions sur ce que l’on nommait prophéties, divination, etc. Originairement ce n’étaient que les prédictions des phénomènes astronomiques, quelquefois les prévisions d’une intelligence plus habile que la foule a juger les effets et les causes, à percer le dédale du cœur humain, il saisir les mystères et les mouvements de la politique. Dans la suite les astronomes, ridiculement entétés des chimères de l’astrologie, y firent aussi entrer cette science illusoire. Manquèrent-ils de bonne foi ? Non, et quoiqu’ils n’eussent point de conversation réelle avec les dieux ou des génies supérieurs, ils purent croire que, grâce à ces connaissances sublimes, ils entraient en commerce réglé avec les intelligences d’un monde meilleur, et que chaque trait qu’ils ajoutaient à la somme de leurs notions était une révélation intérieure de la divinité. De là a dire et à proclamer comme réalité ce qui primitivement n’est qu’une abstraction, une audacieuse figure de rhétorique ou une équivoque, il n’y a qu’un pas, et cette imposture était au plus un charlatanisme nécessaire aux yeux des hommes qui voulaient discipliner des masses aveugles et grossières, sur lesquelles ils croyaient ne pouvoir obtenir de l’ascendant que par l’erreur. Qui oserait dire qu’aujourd’hui même ces idées sur la manière d’endoctriner et de régir les peuples sont complétement détruites ? et quelle force durent-elles avoir il y a plus de deux mille ansl Aussi voyons-nous partout les idées de civilisation et de société s’établir de par une révélation et à l’aide de faits qualifiés de miracles. Il n’est point jusqu’à Pythagore qui, en instituant son école de mathématiciens, n’insulte au bon sens en racontant ses métamorphoses, en montrant sa cuisse d’or, en rappelant ses conversations avec Apollon. Ne balançons donc pas a mettre Zoroastre au nombre des imposteurs qui ont annoncé des mensonges à la face des peuples ; mais ajoutons, pour lui rendre justice, qu’il ne consentit à l’imposture que parce qu’il la croyait indispensable pour conduire la foule dans les voies d’une religion élevée et d’une morale pure. Tel est en effet le mérite du Zend-Avesta, et quoi qu’en disent quelques écrivains, nous ne voyons pas que sa conduite ait démenti ses préceptes. Rien ne prouve que, passionné d’abord pour un système religieux des plus nobles, il soit ensuite devenu courtisau et persécuteur. Rien ne prouve non plus qu’en se rendant à Balkh. il ait obéi à des espérances sordides et suivi les conseils de l’avarice. Sans doute la Bactriane faisait, des une époque très-reculée, le commerce de l’or que l’on retirait des montagnes voisines ; mais en même temps la Bactriane était depuis longtemps civilisée, et c’est là que les mages faisaient alors leur résidence principale. C’est donc là que Zoroastre devait se rendre de préférence. Reste à apprécier maintenant et la caractère et le rôle de cet homme célèbre dans le drame dont il est le principal acteur. Nous avons avancé que ce rôle se borna in celui de réformateur. En effet, bien antérieurement à Zoroastre, il existait dans l’lran un culte analogue et presque identique. Ce culte même n’est pas le premier qui se montre dans l’ordre chrono ogique et il est précédé d’une autre religion simple, vague, et dont il est presque impossible de saisir la forme. On sait que, selon les mahométans et les par ses modernes, l’ancienne monarchie perse fut successivement régie par trois grandes dynasties, avant lesquelles auraient existé, s’il faut s’en rapporter a l’autorité, au moins douteuse, du Dabistan (Calcutta, 1809) et du Desatir (Bombay, 1830, avec trad. persane et angl.), les Mahabadiens, dits aussi Yezdaniens, Sipassiens, Sassanicns, Fersendadjis. Des quatre dynasties que nous fournirait ce calcul, la quatrième seule est postérieure in Zoroastre. Faisons abstraction de celle-ci. Aux trois qui nous restent correspondent trois âges religieux différents. Ala tête du second et sous le célèbre Dchemchid (selon les uns, Sem, suivant les autres. l’Achaamenes des Grecs), se fait voir Héomo, Hom, Oum ou Omomi. À la tète du troisième et sous Gustasp, se présente Zoroastre. Le premier ne semble être sous l’influence d’aucun prédicateur de révélations : la loi de cette première époque est la loi naturelle. Celle de Dchemchid et de Hom est la loi parlée ou révélée. Celle de Zoroastre et de Gustasp est la loi écrite. Mais quels rapports y a-t-il entre ces trois ensembles religieux ? Ne diffèrent-ils entre eux que par l’ancienneté et l’avantage d’avoir été : le second révélé, le troisième fixé par l’écriture ? Ou bien faut-il, avec Zoëga, faire passer successivement les peuples de l’lran ar toutes les phases des aberrations religieuses, les conduire de famulétisme ou fétichisme. qualifié adiacritolàtrie, et se compliq uant, d’une part, avec la nécrodulie (culte des morts), de l’autre, avec l’hestiolàtrie (adoration du foyer), au culte du feu, des éléments et des astres ; épuiser ensuite ce sidérasse qui prend la création pour le créateur et l’être inorganique et brut pour le moteur intelligent ? Ces conceptions, froidement analytiques et certes peu en harmonie avec la tendance et la marche naturelles de l’esprit humain, n’ont en leur faveur aucune probabilité historique. Le Desatir lui-même ne dlonne que peu de renseignements sur ce culte primitif. Cependant, comme on sait que la religion prêchée sous Dchemchid anathématisait le culte des devs, il faut admettre que le vulgaire du moins ou que quelques sectaires rendaient hommage ù ces intelligences malfaisantes. Cet hommage était-il combiné avec le culte des bons génies, ou ne s’adressait-il qu’aux principes du mal, sans qu’on imaginåt qu’il dût y avoir dans le ciel un contre-poids ? C’est ce qu’il nous est impossible de décider, à moins que l’on ne trouve quelque documênt ulté-


rieur. La première supposition semble pourtant de beaucoup la plus plausible. Quoi qu’il en soit, il est certain que, sous les princes pichdadiens, on reconnut l’existence et même la prééminence du bon principe, ainsi que celle de ses génies secondaires, sur Ahriman et ses créatures. Malgré cela, il paraît que, soit par suite de la terreur qui semble avoir été pour beaucoup dans les formes et les rites des religions anciennes, soit afin d’avoir des auxiliaires pour commettre le mal, beaucoup de mages s’attachèrent au culte des mauvais génies. Selon Zoëga, toujours aussi tyrannique, aussi inflexible dans ses analyses, les peuples, à cette époque, auraient admis le dua isme, mais en attribuant la même puissance aux deux principes ; et ce serait plus tard, à l’apparition de Zoroastre, par exemple, que l’on aurait considéré Ahriman comme inférieur à son rival en pouvoir, ainsi qu’en durée, et plus tard encore, que, par une épuration transcendantale, on aurait élevé au-dessus et d’ormuzd et d’Ahriman un principe suprême, unique, vraiment absolu et tout›puissant. Creuzer repousse formellement cette gradation, comme peu conforme au génie de l’Orient (il eût pu dire de toute l’humanité), et développe l’opinion que nous avons exposée la première. Au reste, il avoue, avec Herder, que tout ce qu’on peut avancer sur ce point se réduitàdes conjectures plus ou moins ingénieuses, tirées des localités, des accidents extérieurs, et peut-être des relations de peuple à peuple, toutes causes occasionnelles de dogmes que l’on a regardés comme primordiaux et fon «  dament aux. Ainsi la vue d’un sol imprégné do naphtc et brillant d’illuminations spontanées les conduisit au culte du feu. L’habitude de demeurer sur des cimes élevées les familiarisa de bonne heure avec la connaissance de quelques faits astronomiques. De là bientôt l’astrologie et le sabéisme. Or, ces deux faits, avec la pyrodulie ou la pyrométrie, sont justement ce que toute l’antiquité attribue aux mages. Il ne reste plus qu’à assigner l’origine de l’idée de dualité ou de lutte. Mais on sent comment elle naquit chez des peuples belliqueux et sans cesse en guerre entre eux ou avec les nations voisines. Il suffisait d’ailleurs de voir le soleil s’abaisser derrière les monts qui les séparaient du pays ennemi pour identifier sur-le-champ les idées de ténèbres et de mal, les idées de lumière et de bien ; et dès lors il était naturel, lorsqu’on avait personnifié chacun des principes, de concevoir entre eux un combat perpétuel, une opposition de tous les lieux et de tous les moments. Peut-être, ajoute Creuzer, les mystères, les symboles et les cérémonies de llithras dateraient-ils de cette époque. Quant à Zoroastre, si l’on ignore ce qu’il abolit, ce qu’il conserve. ce qu’il modifia, au moins sait-on i peu près en quoi consiste son édifice religieux. Un dieu, unique, immuable, suprême, universel, espace, temps, vérité, sagesse et vie de tous les êtres qui n’existent qu’en lui et par lui (Zervane Akerene, c’est-à-dire le temps sans limites, est son nom) ; deux principes opposés, Ormuzd et Ahriman, le premier, auteur de tous les biens, le second, auteur de tous les désastres et de tous les crimes ; six Amchapands, les premiers êtres de la création après Ormuzd et son ennemi, vingt-huit lzeds et les innombrables Fervers, six Devs, implacables ennemis des Amchapands contre qui ils ne cessent de combattre, vingt-huit esprits malfaisants subalternes, et enfin un nombre immense de mauvais génies du dernier ordre, tels sont les linéaments primitifs de ce culte où domine dans toutes les parties l’idée de combat. La création elle-même entre dans la lutte et y prend une part active. Une partie de l’univers est ahrimanienne : l’autre sort des mains et sert la cause d’Ormuzd. Au reste cette guerre des deux principes ne doit durer que douze mille ans, partagés en quatre grandes périodes chacune de trois millénaires. Pendant la première, Ormuzd règne sans partage, et crée l’étincelante armée des cieux. Attaqué au commencement de la seconde, il propose la paix, ne peut l’obtenir, et bientôt précipite son ennemi dans les abîmes de l’enfer, où il est enseveli pendant le reste du second âge. Mais la lutte se renouvelle et devient plus active dans le troisième. Ahriman blesse mortellement le taureau qui périt, mais dont l’épaule droite engendre Kaimorts, le premier homme. L’opposition des deux principes se prorogera ainsi jusqu’au bout du douzième millénaire, époque à laquelle, selon les uns, il sera anéanti, selon les autres, il reviendra à la vertu qui était sa nature primitive, et offrira avec ses Devs, ainsi qu’Ormuzd avec ses Amchapands, un sacrifice éternel à Zervane Akerene. (Voy. Gœrres, Mythengeschichte, t. 1er, p. 223-236), Rhode, Die heilige Sage, etc., p. 169 et suiv. ; Zend-Avesta, Anquetil, t. 2, p. 592 et suiv., Exposit. du système théol. de Zoroastre). Au reste cette idée d’opposition et de guerre n’est pas seulement sensible dans la bataille que soutiennent l’un contre l’autre Ormuzd et Ahriman. On la trouve symbolisée de mille manières. Ainsi la lumière et les ténèbres, le jour et la nuit, l’été et l’hiver, le ciel et la terre, le taureau et le serpent ne sont que des mythes et des emblèmes de cette pensée fondamentale. On la retrouve encore dans les époques de la création et la composition du calendrier liturgique si fidèlement calqué sur elle dans tous ses détails, que l’illustre Herder (Denkmale der Vorwelt) s’écrie : « La religion d’Iran est comme une fête perpétuelle en l’honneur de l’œuvre divin. » De là encore les conceptions fabuleuses de la licorne et de la martichore, animaux imaginaires dotés par l’allégorie l’un des qualités et de la bienfaisance d’Ormuzd, l’autre de la cruauté et de la puissance exterminatrice d’Ahriman. Ceci nous amène naturellement à parler des représentations en usage dans le culte zoroastrien. Il


est aujourd’hui parfaitement convenu, tant d’après les passages des anciens bien lus et bien interprétés que d’après les textes formels et l’esprit du Zend-Avesta, que les Perses n’étaient point idolâtres, et que, familiarisés avec les notions les plus hautes comme les plus pures sur la Divinité, ils ne rendaient au feu, aux astres, aux planètes, qu’un culte de dulie. Aussi Payne Knight (Inq. into the symbol. lang., § 93) les nomme-t-il les purítains du paganisme. On tomberait cependant dans une grave erreur si l’on pensait que leur culte resta aussi simple que celui des Juifs, et qu’ils ne représentèrent point les êtres supérieurs. Non-seulement ils représentèrent souvent les lzeds et les Fervers avec des formes humaines ; mais les monuments de Persépolis sont, comme les ruines de l’Égypte ancienne, remplis de figures ou de membres d’animaux allégoriques, qui, tous sans doute sont les emblèmes de quelques divinités. Parmi les principales se remarque la tête d’épervier (ίέραξ, l’oiseau sacré par excellence) pour représenter Zervane Akerene. Le lion, l’hyène, l’aigle, le corbeau, occupent aussi un rang distingué dans cette bizarre galerie, un des monuments les plus curieux du zoomorphisme ; et l’on retrouve des degrés analogues dans les divers grades des initiations mithriaques. Ces initiations, si fameuses dans l’Occident, à partir du second siècle de notre ère, et dont, quoique le Zend-Avesta se taise sur elles, il faut certainement rapporter l’origine à la caste sacerdotale d’Iran, nous présentent aussi un grand nombre de traits symboliques relatifs au zoomorphisme. La robe léontique, donnée à une classe d’initiés, est depuis le haut jusqu’en bas chamarrée de figures d’animaux. Les bas-reliefs mithriaques s’accordent tous à représenter le Dieu invincible, le Dieu soleil, Mithra immolant d’un coup de poignard le taureau primordial sur lequel il est porté, et qu’attaquent simultanément un chien, un serpent, un scorpion. Ce n’est point ici le lieu de faire l’historique des mithriaques, ni d’examiner le sens précis de leurs allégories, double tâche qu’ont remplie avec autant d’érudition que de génie Creuzer (Relig. de l’antiq., liv. 2, ch. 1, p. 378-382 de la trad. française) et Silvestre de Sacy (Mystère du pagan. de Ste-Croix, t. 2, p. 147-150). Il nous suffit de constater que des animaux y sont encore représentés, et toujours dans un sens allégorique, ce qui exclut également et l’idée de simplicité et le soupçon d’idolâtrie. Ne nous étonnons point cependant si quelquefois le peuple prenant le signe pour la chose signifiée, et peu apte à remonter du symbole au génie qu’il représentait, fut accusé de rendre hommage à des objets inanimés. Tel est l’inconvénient de toute religion qui veut mettre l’abstrait sous des formes trop concrètes, et qui, au lieu de spiritualiser les choses de la terre, matérialise les êtres célestes. Cependant, quoique l’enseignement ésotérique fût réservé pour l’intérieur des colléges habités par les mages, les Perses étaient souvent rappelés par la voix de leurs prêtres a la véritable manière de concevoir la religion et les êtres supérieurs ; et ces hautes idées exercèrent sur eux une utile influence. Le principe de dualité ne fut pas moins avantageux à la nation, en persuadant aux individus que la vie n’est qu’une lutte contre le fatal Ahriman. De là l’énergie, l’activité, la puissance morale développée avec grandeur et éclat ; aussi voit-on le peuple de l’Iran, tant que le mahométisme n’a point détrôné la paisible religion de Zoroastre, commander en maître à une partie de l’Asie, et tenir un rang parmi les grandes nations. Il n’en est pas de même chez les Hindous, leurs voisins, pour qui le dogme de l’union à Dieu, considérée comme l’état de sainteté, a singulièrement affaibli le dualisme qui fait le fond de toutes les religions. Ici, l’abnégation de l’individualité, le sacrifice du moi, la contemplation, l’absorption de l’âme en Dieu ; voilà la suprême béatitude et la plus haute perfection : chez les Perses, au contraire, le principe vital, individuel, agit sans cesse virilement, et tient tendus les ressorts de l’âme. Outre cette influence salutaire qui fait du zoroastrisme la première des religions païennes, les prescriptions liturgiques sont presque toujours admirables par le but d’utilité générale auquel l’auteur semble aspirer. Sous les images de la lumière et des ténèbres se révèle définitivement un système d’économie politique dont l’agriculture est la base. Ormuzd est la source de tout bien : tout germe et croit sur la terre par sa parole. Or, l’adorateur d’Ormuzd doit être ici-bas son représentant et son imitateur. Le royaume de Gustasp doit être l’image fidèle de l’empire d’Ormuzd ; et tandis que le Touran, royaume visible d’Ahriman, est en proie au désordre et au malheur, l’Iran sera semblable aux paradis, par lesquels le grand être débuta dans la création : « O Sapetman Zoroastre, dit Ormuzd dans le Zend, j’ai créé un lieu de délices et d’abondance. Personne ne saurait en créer un pareil. Si cette terre de bonheur n’était venue de moi, ô Sapetman Zoroastre, aucun être n’aurait été capable de la créer. Elle se nomme Eeriene Veedjo, et elle surpassait en beauté le monde entier tant qu’il peut s’étendre. Rien ne fut jamais comparable à Eeríene Veedjo. » Ainsi, quiconque cultivait la terre honorait par là même Sapandomad, génie chargé de veiller à cette planète : pour lui, Khordad faisait couler ses ondes bienfaisantes, et Amerdad couvrait les arbres et les jardins de sa protection. De là résultait aussi la réprobation du jeûne, qui, loin d’être méritoire chez les mages, n’était pas même permis. Même interdiction sur le célibat. La sainteté spéculative n’est pour eux qu’un mot vide de sens, ou, pour mieux dire, il n’en est pas même question. Les purifications, l’entretien éternel du feu sacré que rien ne doit souiller,


et qu’il est expressément défendu de souffler avec la bouche, indiquent avec quel soin l’homme doit veiller sur lui-même et prendre garde de laisser ternir la pureté du cœur par le souffle du vice. Viennent ensuite les institutions politiques, la division du peuple iranien en castes, la nécessité d’obéir aux autorités qui viennent d’Ormuzd ou des lzeds, ses ministres, enfin la hiérarchie religieuse. À cette époque reculée où tout est indécis et naïf, les pouvoirs ne sont pas encore séparés, et l’espèce d’église ou société mystique que forment les Mazdeianíens, fidèles disciples des successeurs de Zoroastre, n’est que l’ombre et le reflet de la société politique bien plus réelle, et où le roi commande avec toute l’autorité d’un maître absolu, mais en se reconnaissant soumis à une loi unique et sacrée, qui a tout prévu comme la Providence, et qui comme elle se déclare compétente pour tout régir. — Les anciens attribuaient à Zoroastre un grand nombre d’ouvrages qui certainement étaient apocryphes. Tels sont entre autres ces traités sur es pierres, sur les plantes, sur l’art divinatoire, cités par Pline. Tel est l’Aiar Dehkarder, ou livre des mages, que lui attribuent les Parsis (voy. Placcius, Theatrum anonymorum, t. 1, chap. 6, n° 1298). Tel est aussi le livre des dogmes de la théologie chaldéenne, avec une exposition de celle des Perses et des Grecs, manuscrit qui se trouvait à la bibliothèque de Pic de la Mirandole, et qui fut perdu à sa mort. On doit peu regretter cette compilation d’un faussaire maladroit, si, comme l’écrit Heurn à Marsile Ficín (Philosoph. Barbar., comm. du livre 2, p. 123), le style en était inintelligible pour Pic de la Mirandole lui-même. Il ne faut pas tout à fait reléguer dans cette classe la courte mais célèbre collection dite Oracles magiques, en grec Λόγια μαγικά. Cet opuscule imprimé séparément, d’abord en grec, et avec des scolies dans la même langue (sous le titre de May. Λόγ. τών άπό Ζωροάστρον μάγων), Paris, Tilet, 1538, in-4o, en grec, 1564, in-8o, traduit en latin, par Jacques Marthanus, médecin à Paris, et publié avec un commentaire, Paris, 1539, in-.4°, ibid., 1558, donné de nouveau par Frédéric Morel (Zoroastris seu Majorum qui a Zoroastre prodierunt oracula heroíca), Paris, 1595, 1597, in-4o, avec une traduction en vers latins, et par le savant Patrizi (Magia philosophica, h. s. Fr. Patricii Zoroaster et ejus 320 oracula Chaldaica), Hambourg, 1593, in-16, et Venise, même année, in-fol., avec un traité sur les universaux, a été inséré depuis à la suite des Oracles des sibylles, Bâle, Opsop., 1599, in-8o, et 1607, in-8o, dans l’Histoire latine de la philosophie, par Stanley, dans la Phílosophia barbarorum de Heurn, enfin dans le Trinus Magicus de César Longin, 1630, in-16. Les éditions d’opsopæus, Bâle, sont principalement remarquables en ce qu’elles contiennent les commentaires de Psellus et de Gemiste Plethon sur les Oracles. Ceux-ci avaient déjà paru séparément, Paris, 1542. Tant de travaux sur un livre de quelques pages, et tant de publications successives prouvent quelle importance on y attachait. Comme les cinq cents vers qui le composent ont été, du moins en grande partie, extraits des ouvrages philosophiques de Jamblique et de Proclus, on supposait assez généralement que l’école néo platonicienne, par un artifice dont ces temps de décadence nous offrent mille exemples, avait supposé cet ouvrage, y insérant à son gré les doctrines de sa secte, et falsifiant les opinions étrangères pour les faire cadrer avec ces doctrines. La conformité du Zend—Avesta avec le ton et l’esprit de ces oracles ne permet plus le moindre soupçon de ce genre, et par conséquent on peut croire que les idées de ce recueil auront été fournies à quelque platonicien d’Alexandrie par un mobed qui lui traduisait les livres sacrés. Les seuls ouvrages dont on doive reconnaître Zoroastre pour auteur sont donc ceux qui entraient dans le Zend-Avesta. Ils étaient au nombre de vingt et un, et portaient le titre de Noslu. En voici la nomenclature et l’objet, selon le Ravaet Kameh Behreh du grand et ancien Ravaet de la bibliothèque royale. Elle diffère en quelques points d’une autre liste qu’on lit dans le Ravaet Bahman Poundji, le même que le grand Bavaet : 1° le Sezoud-.le¢h¢, nature de Dieu et des esprits (trente-trois fargards ou chapitres) ; 2° le Seroud-Guer : prières, pureté des actions, aumône, concorde entre les parents (vingt-deux chapitres) ; 3° le Féhechlmanare : foi et obéissance à la loi ; caractère de Zoroastre, du peuple saint, des actions louables et dignes d’ormuzd, jusqu’à la résurrection (vingt-deux chapitres) ; 11° le Bagh : contenu de la loi, idée véritable du Dieu suprême, raison de l’obéissance à la loi, moyen de combattre Ahriman et de concourir à la ruine de son empire (vingt et un chapitres) ; 5° le Duasdah-Hamast, c’est-à-dire les douze hamam, le peuple d’Ahriman, le monde céleste et le monde souterrain, la nature de tous les êtres créés, la résurrection (trente-deux chapitres) ; 6° le Nader : astronomie et médecine, influence des étoiles, etc. (trente cinq chapitres) ; 7° le Pardjem : quadrupèdes qu’il est plermis de manger, célébration et cérémonies de féte des Gahanbars, mérite de celui qui lit les Izechnés (vingt-deux chapitres) ; 8° le lietechté : autorité des rois, obéissance des sujets, devoirs des juges, fondement des États (cinquante chapitres) ; 9° le Bérech : actes et volontés des rois, conduite que doit tenir le bergerà l’égard du troupeau, le roi à l’égard du sujet, le juge dans le lieu de sa juridiction (soixante chapitres) ; 10° le Kesreb : la science du bien, la véracité, la purification et l’amélioration du pêcheur (soixante chapitres) ; 11° le Vechzaap : soumission du roi Vechtasp (ou Gustasp) à la loi (soixante chapitres) ; 12° le Kheclu : reconnaissance d’un Dieu suprême, foi, récompenses et punitions finales, obéissance au


roi, devoirs, états et rangs honorables de la société, etc. (vingt-deux chapitres) ; 13° le Sephand : l’homme en tous les faits qui concernent l’humanité (soixante chapitres) ; H’le Djerenlu : naissance et premières années de l’enliant (vingt-deux chapitres) ; 15° le Bagharum : hymnes aux anges de lumière, aux Izeds (dix-sept chapitres) ; 16° le Nic : -em : em loi des richesses ; comment doit se conduire re fidèle sectateur d’ormuzd (cinquante-quatre chapitres) ; 17° PA : parom : ouvrages surnaturels, épreuves et peines de l’homme juste pendant la vie ; jurisprudence des successions, thèmes généthliaques ou horoscopes(soixante-quatre chapitres) ; 18° le Dariuroudjed : maux de l’homme et des animaux ; divers préceptes, notamment à l’égard des prisonniers(soixante-cinq chapitres) ; 19° l’Askareai : les lois et les juges, emploi de la loi, connaissance des’devoirs (cinquante-deux chapitres) ; 20° le Vendidad : préservatifs contre les productions ahrimaniennes. les devs et leurs idoles (vingt-deux chapitres) ; 21° le Hadokht : moyens d’opérer des prodiges et des phénomènes qui semblent contraires à l’ordre de la nature (trente chapitres). À ces vingt et un Noslis doivent en être ajoutés encore trois, mais seulement à la fin du monde, et quand l’arrivée de Sossioch annoncera l’heureux instant où, conjointement avec Ormuzd, l’impur Ahriman sera réabsorbé dans le sein de Zervane Akerene. En attendant, il n’existe aujourd’hui dans le monde qu’un seul de ces vingt et un livres, le l/endidad, et quelques fragments des autres. Tous ces débris ont été réunis, avec une foule de morceaux beaucoup plus modernes, dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Zend-Avesta. Ce recueil, qui est pour les Parsis non-seulement ce que la Bible est pour les chrétiens et le Koran pour les disciples de Mahomet, une encyclopédie canonique, mais encore un rituel et un bréviaire. est resté pendant des siècles inconnu aux Occidentaux, qui en ignoraient ou défiguraient le nom de mille manières. Chardin (l/oyag¢enP¢›-u, t. 9, p. 138, 139, éd. in-12) fut curieux de le connaître. et commença à se le faire expliquer par un Guèbre qui passait pour le plus savant d’Ispahan. Mais le prix excessif que celui-ci voulut tirer et de son manuscrit et de ses leçons rebuta bientôt le savant voyageur, qui, s’exagérant lui-même la puérilité de quelques détails, déclara l’ouvrage vide d’intérêt et.de sens. Itesterait à savoir si véritablement cet ouvrage était le Zend-Avesta. Chardin parle de nombreux passages relatifs à Iezdedjerd IV, et par conséquent, de beaucoup postérieurs à Zoroastre. Mais ces passages peuvent n’avoir été que le résultat d’interpolations particulières à quelques manuscrits ; et tout porte à croire que celui du Guèbre à qui s’était adressé Chardin était vraiment le Zend-Avesta. Hyde. dans sOn Traité sur la religion du ancien : Perse : (pag. 24, 25, édit. in-lv), appela l’attention des savants sur le Zend, et invita les amis des sciences à se cotiser pour faire venir d’orient les matériaux nécessaires à une édition et une version de ce genre. Mais Hyde, en dépit de l’érudition qu’il affecte dans les langues anciennes de la Perse, ne connaissait ni le pehlvi ni le zend, et s’attendait à trouver dans l’Asie quelques traductions en langue moderne de ces livres inintelligibles pour lui. Ce qu’avait rêvé Hyde, et ce qu’il aurait été incapable d’accomplir, de quelque manière que ce fût, l’immortel Anquetil-Duperron, encore jeune, ou plutôt à peine arrivé à la jeunesse, osa l’entreprendre. Parti soldat et le sac sur le dos, il alla étudier dans les Indes les langues zende, pehlvi, parsie et sanscrite ; y traduisit sur une foule d’exemplaires collationnés avec soin tous les fragments réunis par les Guèbres dans le Zend-Avesta, et revint, au bout de huit ans, riche de cent quatre-vingts manuscrits, qu’il donna presque tous à la bibliothèque de Paris. Peu après, parut le résultat de ses travaux, sous le titre de Zend-Avesta, ouvrage de Zoroastre, contenant les idées théologiques, etc., Paris, 1771, 2 vol. en 3 tomes. Le Zend-Avesta se partage en deux grandes sections, savoir : 1° les livres zends, ainsi nommés de la langue dans laquelle ils sont écrits ; 2° le Boundehech, ouvrage pehlvi, qui vient immédiatement après les livres zends dans l’estime des Perses, et qui est à la fois une cosmogonie et une espèce d’encyclopédie scientifique, dans laquelle se réunissent des notions sur la religion et le culte, l’astronomie, l’agriculture, la vie civile, etc. Les livres zends sont tous canoniques. Nous avons touché un mot du Vendidad-Sadé, qui se subdivise en Vendidad (combat contre Ahriman), Izechné (élévation de âme) et Vispered (chef des êtres). Les autres sont les Iechts-Sadés, les Neaechs, les Patets, les Afrins, les Afergans, le Nekah, le Wispered et le Sirouzé, tous fragments en zend, pehlvi ou parsi des nosks détruits par le temps ou la persécution. À la traduction de ces divers morceaux, Anquetíl a joint un Discours préliminaire dans lequel il donne : 1° la relation de son voyage aux Indes orientales ; 2° l’Histoire de la retraite des Parses dans l’Inde, et des principaux événements qui concernent ce peuple jusqu’en 1760 ; 3° des détails relatifs aux différentes exemplaires des livres zends, à ces livres eux-mêmes et à l’ordre dans lequel il les a distribués. Ce discours avec un Appendice sur les poids et monnaies de l’Inde, sur des objets d’histoire naturelle ou de commerce, enfin sur les manuscrits qu’il a rapportés de son voyage, remplit la première partie du premier volume. La seconde commence par une notice détaillée des manuscrits déposés à la bibliothèque de Paris, un sommaire universel et une vie de Zoroastre. On peut y joindre les articles du même auteur dans le Journal des savants, et deux mémoires dans le Recueil de l’académie des inscriptions et belles-lettres, t. 31, p. 339-442, et t. 34,


p. 376-415. Kleuker a traduit le Zend en allemand, Riga, 1766, 3 vol. in-4o, et y a joínt, sous le titre d’Appendice (Anhang zum Zend-Avesta), 1er vol. en 2 tomes, 1781, 2 vol. en 3 tomes, 1789, in-12 les divers morceaux d’Anquetil, les mémoires de Foucher et ses propres réflexions. Cet appendice est de la plus haute importance, surtout dans la partie intitulée Persica, où l’auteur traite des institutions politiques et religieuses de l’lran. Outre tous ces ouvrages et ceux que nous avons cités dans le courant de cet article, on peut consulter Zoroastre, Confucius et Mahomet, considérés comme sectaires, législateurs et moralistes, avec le tableau de leurs dogmes, de leurs lois et de leur morale, Par M. Pastoret, ouvrage qui a remporté le prix à l’académie des inscriptions et belles-lettres en 1786 ; 2° édition, 1787, in-8o ; et l’excellente traduction française que M. Guigniaut a donnée de l’histoire des Religions de l’antiquité, de Creuzer. On trouvera beaucoup de détails curieux dans les notes qui forment la seconde partie du 1er volume (1[2]). P-ot. [3]

  1. (1) Comme dans une foule de mots composés, on y voit deux radicaux monosyllabique, sor…, de zoros, pur, et Astr… d’Astron, réunis par la voyelle de transition o, qui, dans les règles de la Grèce antique, devrait s’élider devant la voyelle subséquente, mais que la mollesse du dialecte ionien a pu retenir précieusement ; ainsi le nom du célèbre prophète signifierait Astre pur, étoile de pureté. C’est en procédant à peu près de cette manière que les anciens étaient arrivés à traduire ce nom par les mots d’étoile vivante, étoile de vie (voy. Grégoire de Tours, Hist. Francor, et l’auteur des Recognitiones géograph., liv. 4, chap. I). Mais il y avait ici erreur palpable et matérielle. … ou Zôe… seuls désignent un être animé, vivant, et ne pouvant jamais se transformer en ZôrZéro… Si donc on admettait une étymologie grecque, c’est à la première seulement qu’on devrait s’attacher.
  2. (1) Dans le cours de ces dernières année de très-importants travaux ont été mis au jour sur les livres de Zoroastre. L’Allemagne et l’Angleterre surtout ont rivalisé de zèle et d’érudition à cet égard. Le Vendidad a été publié d’après les manuscrits du Paris., avec une traduction latine et les variantes, par Jules Œlhausen, Hambourg, 1829, in-4o. Une traduction allemande de l’Avesta, faite d’après le texte original par le docteur F. Spiegel, a paru à Leipsick, de 1862 à 1863, en 3 volumes in-8o. Citons aussi Zend-Avesta édited and interpreted, by N. L. Westergaard, Copenhague, 1852, in-4o, et le Zendaschla, texte original, avec une triple version (française, polonaise et allemande), entreprise par M. Ignace Petraszewski. Le Zend-Avesta a également été l’objet d’un travail, en allemand, de M. G. F. Fechtner, Leípsick. 1848-1651, 3 vol. in-8o. Eugène Burnout avait entrepris la publication du Vendidad-Sadé, avec un commentaire, une traduction nouvelle et un mémoire sur la langue zende considérée dans un rapport avec la sanscrit et les anciens idiomes de l’Europe ; cet important travail, que recommande le nom de l’illustre indianiste qui s’en était courageusement chargé, a paru de 1829 à 1843 ; il a été tiré à cent exemplaires. Burnouf a également mis au jour, en 1833 et 1836, en deux parties, le premier volume d’une édition (restée inachevée) du Yaçna, texte zend, avec les variantes de quatre manuscrits de la bibliothèque de Paris et la version sanscrite inédite de Nériosengh. Une continuation du commentaire de Burnouf sur le Yaçna, formée d’articles insérés dans le Journal asiatique de 1840 à 1850, a été réunie en 1 volume in-8o (Paris, imprimerie royale) sous le titre d’Études sur la langue et sur le textes zends. M. Jules Thonnelier a, de son côté, entrepris, en 1856, une reproduction autographiée, d’après les manuscrits zend-pehlvis de la bibliothèque de Paris, du Vendidad-Sadé, traduit en langue huzvaresch ou pehlvie. La bibliothèque de Paris possède un exemplaire d’une édition très-rare, autographiée à Bombay, du Vendidad-Sadé, texte zend, avec titre persan et commentaire guzarati de la première partie des livres des Parsis, par les soins de Manakeiis Cursetji. M. Herman Brockhaus a fait paraître, à Leipsick, en 1860, grand in-4o, l’Yaçna, le Vispered et le Vendidad, d’aprés les éditions lithographiées de Paris et de Bombay, avec un index et un glossaire. En 1842, un Guèbre, du nom d’Aspandiarij, avait mit au jour, à Bombay, l’Yaçna, en zend, mais en caractères guzaratca, avec une traduction guzarate, une paraphrase et un commentaire. Ceci nous rappelle un autre ouvrage en gazarate, qui a été publié à Bombay en 1869, et dont le titre peut se traduire par : Essai sur les livres religieux de Zoroastre, la langue dans laquelle ils sont écrits et leur antiquité, par Sohrabji Shapourji. Ce qui manque encore à la France, c’est une traduction complète et fidèle des livres zends. Le travail d’Anquetil ne répond nullement aux vœux de la critique moderne ; il a été fait d’après une version persane, où le texte et les commentaires sont confondus. M. Lanjuinah a écrit une analyse du Zend-Avesta, concise et claire, mais qui aujourd’hui est fort incomplète. On peut aussi consulter l’ouvrage de J.-A. Vullers : Fragments sur la religion de Zoroastre (en allemand), Bonn, 1831. Silvestre de Sacy lui a consacré deux articles dans le Journal des savants, (1832), et le Dictionnaire des sciences philosophiques, article Perses (Religion des). indiquons aussi T.-P. Blasma, De Zoroastris quíbusdam placitis cum doctrina christiania comparatis,
  3. Lugd. Bat., 1826 ; A. Hœlty Zoroastre et son époque (en allemand), Lunebourg, 1836 ; J. Menant, Zaroastre, essai sur la philosophie religieuse des Perses, 1846. B-n-t.