Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/HEARNE (Samuel)

Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 19 page 2 à 5

HEARNE (Samuel)


HEARNE (Samuel), voyageur anglais, naquit en 1745. Le peu d’inclination qu’il montrait pour l’étude, et l’ardeur qu’il témoignait pour la profession de marin, engagèrent sa mère, restée veuve, à le conduire elle-même à Portsmouth quand il n’était encore âgé que de onze ans. Il s’embarqua sur le vaisseau du capitaine depuis lord Hood. On était alors en guerre ; Hood ne tarda pas à combattre, et fit plusieurs prises ; il dit à Hearne qu’il aurait sa part du butin ; celui ci le pria de tout donner à sa mère, qui saurait mieux l’usage qu’il conviendrait d’en faire. À la fin de la guerre, Hearne voyant qu’il avait peu d’espoir d’avancement dans cette partie, quitta la marine royale, et entra au service de la compagnie de la baie d’Hudson. Son activité, son intelligence, un vif désir d’entreprendre quelque découverte qui fût utile à ses semblables, le firent bientôt distinguer des autres contre-maîtres des bâtiments de la compagnie qui naviguaient dans la baie. Il effectua en 1768 un voyage vers le haut de cette baie, pour améliorer la pêche de la morue, et contribua, par ses recherches, à faire mieux connaître les côtes de ces parages. Les directeurs de la compagnie, instruits de son zèle, pensèrent que personne ne convenait mieux pour l’exécution de deux projets qui les occupaient depuis longtemps; l’un était la découverte du passage au N. O., tant de fois tentée sans succès; l’autre, celle d'une mine de cuivre, située très-haut dans le nord, près de l’embouchure d’un fleuve qui coulait dans cette direction, et dont les récits des Indiens avaient donné connaissance dès 1715. Quelques tentatives faites pour y arriver par mer n’avaient pas réussi. Enfin, en 1768, des Indiens du nord ayant apporté au fort anglais de nouveaux renseignements sur ce fleuve, et un morceau de cuivre qu’ils disaient provenir de la mine voisine, le gouverneur transmit ces nouveaux détails à la compagnie, en les lui recommandant comme dignes de son attention. La découverte fut résolue. Hearne, désigné pour cette expédition, partit le 6 novembre 1769, accompagné de deux blancs et de quelques Indiens ; aucun de ceux-ci ne connaissait le grand fleuve de la mine de cuivre. On fit route à l'0. N. 0.; la neige couvrait la terre ; le sol était inégal, rude et pierreux; on allait à pied; chacun tirait un traineau. L’on n’avait encore fait que deux cents milles, lorsque le chef des Indiens et sa troupe abandonnèrent Hearne, qui le 30 revint sur ses pas, et le 11 décembre fut de retour au fort, à son grand chagrin, et à la surprise extrême du gouverneur. Cette mésaventure ne découragea pas Hearne: il se disposa pour un second voyage; mais il ne prit point d’Européens avec lui cette fois, ayant reconnu qu’ils n’étaient d’aucune utilité, à cause du peu d’égards que les sauvages avaient pour eux. Le 5 février 1770, il se mit en route à peu près dans la même direction que la première fois, avec un Indien qui, suivant son récit, était allé bien près du fameux fleuve, et en mena cinq autres. Arrivé en mars à 58° 46’de latitude boréale, et à 5° 57’ à l’ouest du fort, Hearne, sur les représentations de son guide, s'arrêta en attendant que la belle saison permit de s’avancer au nord. Il s'occupa, pendant son séjour, à mettre son journal en ordre, et à dresser sa carte. Vers la fin de l’hiver, il fut quelquefois réduit à une grande détresse. Le 24 avril, il se remit en route. La troupe était augmentée; elle se monta graduellement jusqu’à six cents personnes. On était parvenu au 63° 10’de latitude, et à 10° 40’ à l’ouest du fort, lorsque le 12 août le quart de cercle de Hearne fut renversé par un coup de vent et brisé. Cet accident lui fit prendre le parti de retourner au fort. Le lendemain, des Indiens du N. 0., qui venaient d’arriver, lui enlevèrent la plus grande partie de ses effets les plus utiles, et son fusil; ce vol le mit très-mal à son aise. Heureusement il rencontra le 20 novembre un chef indien plus honnête, nommé Matonnabi, lequel pourvut à ses besoins, et lui promit de le mieux guider dans une nouvelle entreprise s’il voulait la tenter. Hearne ne demandait pas mieux. Il rentra dans le fort le 25 novembre. Matonnabi proposa un nouveau plan de voyage, qui faisait honneur à sa pénétration et à son jugement. Hearne s’empressa de l’adopter, et muni d’un nouveau quart de cercle, il partit le 7 décembre. La route que prit la nouvelle troupe fut dirigée plus à l’ouest que les deux premières fois; le pays qu’elle parcourut était de même inégal, caillouteux, entrecoupé de lacs et de petites rivières, stérile et peu habité ; le 25 avril 1771, l’on marcha droit au nord; l’on était alors par le parallèle du 60° degré de latitude, et à plus de six cents milles à l’ouest du fort. L’on fit halte à quelque distance pour construire des canots, afin de traverser les lacs. Hearne vit arriver plus de deux cents Indiens, dont la plupart venaient pour les mêmes motifs sur les bords du lac où il était campé. Quoique l’on fût à la fin de mai, le temps était froid ; il tombait de la neige et de la pluie; en s’avançant au nord, la température fut la même au milieu du mois de juillet. Le 22 juin, la troupe rencontra les Indiens de la mine de cuivre, que Hearne dépeint comme des hommes obligeants. Il traversa ensuite la chaîne des monts pierreux, et le 13 juillet il arriva enfin sur les bords du fleuve de la mine fameuse, objet de ses recherches. Ce fleuve était peu large et rempli de cataractes. Ce fut peu de jours après que ce voyageur infatigable eut la douleur de voir ses compagnons de voyage, qui n’avaient eu que de bons procédés pour lui, se souiller par le massacre d’une petite horde d’Esquimaux qu’ils surprirent pendant la nuit: massacre prémédité depuis plus de six semaines, commis de sang-froid, et accompagné de toutes les atrocités imaginables. Il faut dire à la louange de Matonnabi, qu’il fit tout ce qu’il put pour détourner sa tribu et les autres Indiens de cet acte de férocité. Le 17 juillet, Hearne aperçut au nord la mer, qui s’étendait de l’est à l’ouest. Il continua ses observations jusqu’à l’embouchure du fleuve, et vit qu’il n’était guère navigable que pour un canot. Il aperçut de la glace au large, et des phoques couchés sur les glaçons ; le rivage était couvert d’oiseaux de mer. Dans les tentes des malheureux Esquimaux il avait observé des ossements de baleine ; toutes ces circonstances lui firent penser que c’était la mer qu’il avait devant lui: elle était remplie d’îles et d’écueils; la glace ne commençait à fondre qu’à environ trois quarts de mille de la cote. Les Indiens du pays lui dirent qu’elle était toujours gelée. Il détermina la latitude de cette embouchure à 71° 54’, et conformément à ses instructions il prit possession du pays au nom de la compagnie. Il alla ensuite reconnaître la mine de cuivre, située à trente milles dans le S. S. E. de l’embouchure du fleuve, et poursuivit sa route au S. S. 0. Les longues fatigues de Hearne lui avaient mis les pieds dans le plus mauvais état; il ne put cependant jouir de quelque repos que lorsque les Indiens eurent rejoint leurs femmes qu’ils avaient laissées en arrière. Dès la fin de septembre, les lacs étaient gelés; le 6 octobre un coup de vent renversa les tentes ; le quart de cercle de Hearne, quoique renfermé dans un étui, fut brisé. Le 9 janvier 1772 notre voyageur atteignit l’extrémité sud du lac Athapusco, qui est le même que le lac de l’Esclave, de Mackensie. Le 27, on fit route à l’est; le reste du voyage fut très-pénible. On éprouva une disette telle que des Indiens moururent de faim. Enfin, le 30 juin, Hearne arriva en bonne santé au fort, après une absence de dix-huit mois et vingt-trois jours. En 1773 la compagnie lui écrivit une lettre de félicitation, et lui accorda une gratification. Toujours occupé de ce qui pouvait être avantageux aux intérêts de ceux dont il avait la confiance, il établit en 1774 le comptoir de Cumberland dans l’intérieur des terres. Le gouverneur étant mort en 1773, Hearne fut nommé son successeur. En 1782 une escadre française, commandée par la Pérouse, s’empara du fort, le fit sauter, et détruisit ou emporta tout ce qui appartenait à la compagnie anglaise. Le manuscrit du voyage de Hearne, qui fut trouvé parmi ses papiers, eût pu être considéré comme étant la propriété de la compagnie, puisque l’expédition avait été entreprise par ses ordres ; sur les instances de Hearne, la Pérouse le lui rendit, à condition qu’il le publierait dès qu’il serait de retour en Angleterre. En 1785 Hearne fit rebâtir le fort, qui fut mis en meilleur état de défense qu’auparavant. Il revint en Angleterre, en 1787, jouir de la fortune modeste qu’il avait acquise par de longs travaux, et mourut en 1792. Le résultat de ses voyages, comme on le voit par l’introduction qui précède le troisième voyage de Cook, était connu longtemps avant qu’il les fit paraitre. Hearne, lorsqu’il entreprit ses courses, pensait peu qu’un jour ses observations seraient rendues publiques ; instruit que plusieurs personnes possédaient des copies manuscrites ou des extraits de ses journaux, il les refondit en un seul, et prit le parti de le publier, parce que les copies différaient entre elles sur des points essentiels. Il obtint de la compagnie de la baie d’Hudson la permission de recourir aux documents originaux qu’il avait envoyés dans le temps, et mit son travail en état d’être imprimé ; il le fut Sous ce titre: Voyage du fort du Prince de Galles, dans la baie d’Hudson, à l’Océan septentrional, entrepris par l’ordre de la compagnie de la baie d’Hudson, dans les années 1769, 1770, 1771 et 1772, et exécuté par terre pour la découverte de mines de cuivre, d’un passage au nord-ouest, etc., Londres, un vol. in-4o, fig. et cartes. Cette relation, une de celles qui ont répandu le plus grand jour sur un des points les plus essentiels de la géographie, fait beaucoup d’honneur à son auteur. On reconnaît en lui un homme courageux, zélé, persévérant, doux, humain, éclairé, bon observateur; il intéresse infiniment par son récit qui porte le cachet de la candeur. Dalrymple, qui rêvait toujours le continent austral et le passage du nord ouest, avait eu communication des journaux de Hearne, et dans un mémoire sur la navigation de la baie d’Hudson et des parages voisins, il le chicana sur plusieurs points qui ne s’accordaient pas avec ses idées, et lui reprocha de n’avoir ni fait assez d’observations de latitude, ni expliqué la construction du quart de cercle qui avait été brisé. Hearne, dans sa préface, répond avec beaucoup de modération aux inculpations de Dalrymple, dont il prouve la futilité ; il justifie ensuite dans son introduction la compagnie accusée d’être ennemie des découvertes; inculpation peut-être vraie au commencement de son existence, et soutenue ultérieurement par les calomnies d’Ellis, de Dobs, de Middleton, etc., mais démentie par les faits qu’il rapporte. Un passage des instructions de Hearne qui ne fait pas honneur à cette association commerciale, est celui, où elle recommande à son agent d’exciter les Indiens à se faire la guerre entre eux. D’après le voyage de Hearne, le fameux passage au nord-ouest n’existerait pas où on le plaçait jadis. Son expédition et celle de Mackensie donnèrent lieu de présumer que le continent de l’Amérique septentrionale ne s’étend pas beaucoup au delà du, 71° parallèle[1]. Quoi qu’il en soit, Hearne n’en a pas moins rendu des services essentiels à la géographie. Peu de voyageurs ont fait une course plus pénible que lui ; c’est toujours à pied, et souvent chargé d’un fardeau pesant, qu’il a parcouru près de treize cents milles avant d’arriver à la mer, presque toujours entre des rochers âpres et des bois stériles. Il dépendait de la chasse pour sa subsistance, et quelquefois il était réduit à une pipe de tabac et à trois verres d’eau par jour. Seul Européen au milieu d’une troupe de sauvages livrés à toutes leurs passions, sa position ne cessait pas un instant d’être critique. Un seul des Indiens le protégeait; il lui a payé le tribut de sa vive reconnaissance. Le tableau qu’il trace de toutes ces hordes si vantées par quelques écrivains, prouve que la simple nature n’est belle qu’au tant que la civilisation l’a dépouillée de sa grossièreté primitive. Ses observations sur ces hordes en font connaître plusieurs sur lesquelles l’on avait bien peu de notions; il donne également de très-bons détails sur les animaux et sur les végétaux de ces régions arctiques, et réduit beaucoup le merveilleux que des voyageurs plus anciens avaient mis dans leurs narra- tions ; il décrit aussi très-bien le pays et son aspect, et relève les erreurs de quelques écrivains qui en avaient parlé avant lui. On doit regretter la perte d’un vocabulaire de la langue des Indiens du nord, qui contenait seize pages in-fol.; il avait prêté cet écrit, qui fut égaré. Le voyage de Hearne a été traduit dans la plupart des langues de l’Europe ; la traduction française, par M. Lallemand, accompagnée de cartes et de figures, a été imprimée à Paris en l'an 7 (1799), un vol. in-4o ou 2 vol. in-8o. Elle est assez exacte; mais elle offre des incorrections, et peu de connaissance de tout ce qui concerne l’histoire naturelle; il en résulte que des animaux décrits par Charlevoix et autres Français qui ont visité le Canada, ne sont pas désignés par les noms qui leur appartiennent, et qui sont reçus dans notre langue.

E—s.


  1. En 1861, la certitude du passage au nord-ouest a été définitivement constatée. Cette découverte est due au capitaine anglais Mac-Clure (voy. à ce sujet l’article ELLIS note). Z.