Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/BODIN (Jean)

Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 4 page 512 à 514

BODIN (Jean)


BODIN (Jean), naquit à Angers, vers l’an 1530. Quelques-uns ont prétendu qu’il fut moine dans sa jeunesse ; d’autres l’ont nié. De Thou, qui est le témoin le plus grave qu’on allègue pour l’affirmative, n’en parle que comme d’un ouï-dire. Il parait, par ses ouvrages, qu’il avait acquis de grandes connaissances dans les langues et dans les sciences. Il fit ses premières études en droit à Toulouse, et il y professa même quelque temps ; mais, trouvant que cette ville n’était pas pour lui un théâtre assez brillant, il vint à Paris, dans l’intention d’y suivre le barreau. Sans talent pour la plaidoirie, il ne put lutter contre les Brisson, les Pasquier, les Pithou, qui y tenaient le premier rang. Il ne réussit pas même, suivant Loisel, dans la consultation, et il s’adonna uniquement à la composition des livres. Ses premiers ouvrages lui firent une grande réputation. Henri III, qui se plaisait dans les entretiens des gens de lettres, l’admit dans ses conversations familières. Il plut beaucoup à ce prince, qui fit mettre en prison un nommé Michel de la Serre, gentilhomme provençal, pour avoir publié un écrit injurieux contre Bodin. Comme il avait beaucoup de présence d’esprit et une mémoire heureuse, il savait étaler à propos les ressources de sa vaste érudition. L’envie des courtisans, suivant de Thou, et l’opposition qu’il montra aux états de Blois, en 1576, contre les projets du roi, suivant d’autres, lui firent perdre ses bonnes grâces. Il trouva un asile auprès du duc d’Alençon, le quatrième des enfants de Henri II, prince léger et faible comme ses frères, mais qui ne fut pas roi comme eux, et n’eut des couronnes qu’en espérance. Les insurgés des Pays-Bas eurent le projet de le déclarer leur souverain ; et il prétendit à la main d’Élisabeth, reine d’Angleterre. Bodin l’accompagna, et fut son conseiller dans tous les voyages qu’il fit pour tenter ces aventures. Ce prince le fit en outre son secrétaire des commandements, maître des requêtes de son hôtel, et son grand maître des eaux et forêts. Ces faveurs furent perdues pour lui, par la mort prématurée de son protecteur. Il se retira, en 1576, à Laon, où il épousa la sœur d’un magistrat ; il y occupa même la place de procureur du roi, comme le prouve Niceron. Député aux états généraux de 1576, par le tiers état du Vermandois, il s’y comporta en bon citoyen, en s’opposant de toutes ses forces, mais sans succès, aux desseins de ceux qui voulaient faire révoquer les édits de pacification, et replonger la France dans les horreurs de la guerre civile. Il empêcha aussi qu’on ne déléguât tous les pouvoirs des états à une commission de quelques députés choisis par la cour dans les trois ordres ; et il mit obstacle à l’aliénation du domaine, qu’il regardait comme une opération funeste. Cette fermeté contribua à le perdre entièrement dans l’esprit du roi, qui se plaignit que Bodin, non content de se montrer contraire à ses desseins, était parvenu à faire partager ses opinions par ses collègues. Tout espoir d’avancement fut perdu pour lui, et il ne put obtenir une charge de maître des requêtes qui lui avait été promise. Il continua à demeurer à Laon, et, par l’influence qu’il exerçait dans cette ville, il la fit déclarer pour la ligue, en 1589. Il écrivit même à cette occasion, au président Brisson, une lettre très-injurieuse contre Henri III. Il répara cependant, en partie, sa faute en ramenant la ville de Laon à l’obéissance de Henri IV. Il y mourut de la peste, en 1596. Le premier ouvrage qu’il publia fut un commentaire sur la Chasse d’Oppien, et une traduction en vers latins de ce même poëme, Paris, 1555, in-4o. On l’accusa, non peut-être sans raison, de s’être beaucoup servi des écrits de Turnèbe. Il donna ensuite sa méthode pour l’histoire : Methodus ad facilem historiarum cognitionem, Paris, 1566, in-4o. Les avis ont été très-partagés sur le mérite de cet ouvrage. Comme il n’est rien moins que méthodique, on a remarqué qu’il était en contradiction avec son titre. Scaliger, ennemi de Bodin, prétendait que ce n’était qu’un chaos, où l’auteur avait entassé sans discernement ce qu’il avait pris de côté et d’autre. La Monnoie, dans ses Additions au Ménagiana, est de l’avis de Scaliger. Cependant, d’Aguesseau, dans ses Instructions à son fils, le lui indique comme le meilleur de tous les livres qui ont été faits à ce sujet. Scaliger et la Monnoie paraissent plus croyables sur ce point. L’ouvrage qui contribua le plus à faire une grande réputation à Bodin fut ses six livres de la République. On avait dit qu’il y avait plus d’ordre et de méthode que dans le précédent. Néanmoins ceux qui ont tenté de le rajeunir de nos jours assurent que les matières y sont dans le plus grand désordre, et que, pour corriger ce défaut, ils ont été obligés de transporter les livres et les chapitres. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est rempli de digressions et de citations superflues ou inexactes. Bodin connaissait assez bien la constitution de la monarchie française ; mais il se trompe fréquemment dans ce qu’il dit des pays étrangers. Avant lui, plusieurs avaient déjà écrit sur la politique, mais personne ne l’avait fait avec autant d’étendue. Son livre parut un code complet sur cette matière ; et c’est ce qui fit sa prodigieuse fortune. On s’empressa de le traduire dans plusieurs langues. La traduction italienne est in-fol., sans date, ni nom de lieu d’impression. Dans un des voyages que Bodin fit en Angleterre avec le duc d’Alençon, il trouva que les Anglais en avaient fait une assez mauvaise traduction latine, qu’on expliquait à Londres et à Cambridge. C’est Bodin qui rapporte lui-même ce fait ; mais il ne dit point, comme on l’a répété dans tant de dictionnaires, que c’était un livre classique dans l’université de cette dernière ville. Le droit public ou privé ne faisait point alors partie de l’enseignement des universités d’Angleterre ; et, si l’on expliquait à Cambridge l’ouvrage de Bodin, ce devait être dans des leçons particulières. Les opinions de Bodin sont en général saines et raisonnables ; il tient un juste milieu entre l’adulation et la licence. Il parait examiner sérieusement si les astres exercent quelque influence sur le sort des empires. Cette question tient une grande place dans les écrits politiques de ce siècle, et l’on est étonné du nombre prodigieux d’écrivains qui s’étaient adonnés à ces recherches vaines. Bodin parle également, dans cet ouvrage, de l’influence du climat ; et, parce que Montesquieu en a parlé aussi, on en a conclu que l’ouvrage de la République avait été le modèle, ou, comme dit Laharpe, « le germe de l’Esprit des lois. » Mais si l’on accordait cet honneur à tous les livres où il est question de l’influence du climat, il faudrait remonter à Hippocrate et à Cicéron, qui en ont fait mention. Il n’y a de commun entre Bodin et Montesquieu que la matière que ces deux écrivains ont traitée. Mais l’un n’a fait que ramasser les idées d’autrui, et s’est renfermé dans ce qu’il a trouvé établi par la pratique ; l’autre a tenté de deviner la pensée des législateurs, et de s’élever aux principes d’une théorie, quelquefois, à la vérité, plus brillante que solide. Montesquieu a eu de plus ce qui a manqué totalement à Bodin dans ses pensées et dans son style ; cet éclat et ce coloris qui font vivre les ouvrages. La première édition des livres de la République est de Paris, 1577, in-fol. Il en parut ensuite trois autres, en 1577, en 1578 et 1580 ; mais on préfère les éditions de Lyon, 1595, et de Genève, 1600, in-8o, parce qu’on y a joint quelques traités de Bodin sur les monnaies. Il traduisit lui-même cet ouvrage en latin, Paris, 1586, in-fol., édition réimprimée plusieurs fois depuis, et plus complète que les françaises. Werden-Hagen a donné un abrégé de la République de Bodin, sous le titre de Synopsis, sive medulla J. Bodini de Republica, Amsterdam, 1635, in-12. Il en parut un autre abrégé en français, sous la date de Londres, 1755, 2 vol. in-12, qui ont reparu en 1766, sous le titre des Corps politiques et de leurs Gouvernements, 3 vol. in-12, ou 1 vol. in-4o. Cet ouvrage est de Jean-Charles Lavie, président au parlement de Bordeaux. Il renversa tout l’ordre suivi par Bodin, et il y inséra ses propres idées et des passages d’autres ouvrages. Ch. Arm. Lescalopier de Nourar, maître des requêtes, avait aussi, en 1756, publié, à Paris, le premier livre de la République, sous le titre de la République, ou Traité du gouvernement, 1 vol. in-12. Il l’avait également abrégé et arrangé à sa mode. Tout cela n’a pas tiré l’ouvrage de Bodin de l’oubli où il est tombé, depuis que les idées sur la politique nous sont devenues plus familières. La Démonomanie, autre ouvrage de Bodin, est très-capable de ternir la gloire que lui avait acquise celui de la République. Grosley veut absolument qu’il ait eu, en l’écrivant, une intention secrète, qui tenait à sa position. Il ne peut imaginer que Bodin, homme instruit et esprit indépendant, ait cru aux sorciers, comme son livre le suppose. Mais si ce n’avait été qu’une opinion factice de sa part, se serait-il livré à l’étude dégoûtante de tant de livres de sorcellerie dont il a entassé les citations ? Il croyait avoir convaincu un sorcier dans un jugement où il avait assisté. Sa Démonomanie parut à Paris, en 1580 ; réimprimée en 1582 et 1587, in-4o, et traduite en latin par François Junius, caché sous le nom de Lotarius Philoponus, Bâle, 1581, in-4o. Il y en a une édition française, sous le titre de Fléau des démons et sorciers, Niort, Duterroir, 1616, in-8o, et une traduction italienne par Hercule Cato, Venise, Alde, 1589, in-4o. Cet ouvrage fut suivi d’un autre, intitulé : Universæ naturæ Theatrum, Lyon, 1596, in-8o ; traduit en français, par Fougeroles, ibid., 1597, petit in-8o. C’est un mauvais ouvrage de physique. On a cru y apercevoir des opinions dangereuses. On n’en jugea pas d’abord de même ; car la première édition parut revêtue de l’approbation d’un docteur et de l’official de Lyon. Bodin l’avait écrit pendant le feu des guerres civiles. On a encore de lui : Paradoxes, doctes et excellents discours de la vertu, touchant la fin et souverain bien de l’homme, Paris, 1601, in-12 ; Oratio de instituenda in republica juventute, ad S. P. Q. Tolosatem, Toulouse, 1559, in-4o. Le dernier ouvrage de Bodin qui mérite qu’on en fasse mention est intitulé : Colloquium heptaplomeron de abditis rerum sublimium arcanis. Il a cela de particulier, qu’il n’a jamais été imprimé ; et c’est le mystère dans lequel on l’a renfermé qui en a fait toute l’importance. Ce sont des dialogues divisés en 6 livres, où des individus de diverses religions s’attaquent et se défendent mutuellement. On prétend que les chrétiens sont toujours battus, soit qu’ils soutiennent le catholicisme, ou le luthéranisme, ou le calvinisme ; l’avantage est pour les juifs, et surtout pour les déistes. D’autres n’y ont rien vu de tout cela. La nature de l’ouvrage, où l’on peut prendre les objections des interlocuteurs pour les opinions de l’auteur, permet d’y trouver ce qu’on veut. Ces dialogues de Bodin furent prêtés en original, par ses héritiers, au président de Mesme, qui en fit tirer une copie, d’où il est probable que sont venues toutes les autres. Grotius, qu’on avait voulu engager à les réfuter, jugea qu’ils n’en valaient pas la peine. Huet, dans sa Démonstration évangélique, répond à quelques-unes des objections qu’on y fait contre le christianisme : ce sont des choses bien triviales. Diecman en a donné une réfutation complète, sous le titre de Schediasma inaugurale de naturalismo cum aliorum, tum maxime J. Bodini, etc., Leipsick, 1684, in-12 ; Iéna, 1700, in-4o, édition estimée. L’histoire de ce manuscrit se trouve dans la préface. On a voulu que Bodin fût tout à la fois protestant, déiste, sorcier, juif, athée. Le vrai est qu’il avait montré quelque penchant pour la réformation. Il eut cela de commun avec presque tous les hommes distingués de son siècle, qui, sans renoncer à la religion de leurs pères, ne disconvenaient point des abus qui l’avaient entachée. Il mourut catholique, en 1566, et ordonna, dans son testament, qu’on l’enterrât dans l’église des cordeliers de Laon. Il fut, au jugement de d’Aguesseau, un digne magistrat, un savant auteur, un très-bon citoyen. — Un autre Bodin (Henri), jurisconsulte allemand, professa le droit à Rinteln et à Halle, où il mourut, en 1720. On a de lui un grand nombre de dissertations : de anticipato Concubitu ; de Statu reipublicæ Germanicæ feudali et feudis regalibus ; Selectæ Conclusiones juris controversi, etc.