Biographie universelle ancienne et moderne/1re éd., 1811/Thiard de Bissy (Auxonne-Théodore)


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THIARD de Bissy (Auxonne-Théodore) était le fils du comte Claude, qui mourut en 1810, et le neveu du comte Henri-Charles, qui périt sur l’échafaud révolutionnaire en 1794, (voy. ces deux noms XLV, 394 et suiv.). Il fut le dernier rejeton de cette illustre race, étant mort en 1853, ne laissant que deux filles, dont l’une est devenue l’épouse du marquis de Bouillé et l’autre celle du marquis d’Étampes. Le comte de Thiard naquit en 1770, et fut, comme la plupart de ses ancêtres, destiné à la profession des armes. Selon l’usage, trop ordinaire à cette époque dans les plus grandes familles, il ne reçut pas une éducation très-soignée. Entré à quinze ans dans le régiment du roi infanterie, il s’y trouvait un des plus jeunes officiers, lorsque la révolution commença. Loin de s’en montrer partisan, comme il a fait plus tard, il concourut avec beaucoup de zèle, ainsi que la plupart de ses camarades, à la répression des désordres, auxquels se livra la garnison de Nancy en 1790 (voy. Bouillé, V, 311). Il émigra bientôt après, pour se rendre à l’armée des princes, où il n’obtint pas, dès son début, le grade qu’il croyait dû à sa naissance et surtout à sa vanité, qui fut toujours fort grande. Cependant il s’y tint d’abord assez bien et, doué de quelque valeur, il se fit remarquer dans plusieurs occasions. Mais contre toute attente, il arriva que dans le quartier d’hiver qui suivit la première campagne, se voyant relégué dans un triste village de la forêt Noire, il conçut la pensée de compléter son éducation qu’il reconnaissait lui-même être restée fort imparfaite, et se mit à lire chez un ministre protestant, où il était logé, des livres dont il n’avait pas même soupçonné l’existence. Comme ces livres étaient, ainsi que la plupart de ceux de cette époque, empreints de toutes les fausses doctrines du xviiie siècle, il s’opéra aussitôt en lui une révolution dont il a senti l’influence pendant le reste de sa vie. Il n’abandonna toutefois pas encore le drapeau de la monarchie, et continua de servir dans cette brave armée de Condé qui fut soumise à tant d’infortunes. On doit bien penser que, plus d’une fois, il eut à supporter pour ses nouvelles opinions de graves démêlés avec ses camarades ; ils allèrent jusqu’à le soupçonner de s’être mis, des lors secrètement, en relation avec le parti républicain qui dominait en France. Nous pensons qu’il était incapable d’une telle bassesse ; mais il est bien sûr que, dès ce temps là il faisait tous ses efforts pour sortir d’une position aussi embarrassante. Lorsque, vers le commencement de l’année 1800, peu de temps après la révolution du 18 brumaire, le gouvernement consulaire permit à ceux des émigrés, qui voulurent se soumettre à lui de revoir leur patrie, Thiard hésita d’autant moins à revenir en France, que son père, parvenu à un âge avancé, conservait une fortune considérable, dont la révolution n’avait pu le dépouiller sous aucun prétexte, et qui allait lui échapper s’il persistait à rester émigré. C’était, il faut en convenir, pour le jeune comte un puissant motif de hâter son retour. Très-bien accueilli par le nouveau gouvernement, il fut nommé membre du conseil général du département de Saône-et-Loire, puis chambellan à la nouvelle cour. C’est en cette qualité qu’il assista au sacre de l’empereur Napoléon, en 1804, à Paris, puis à celui de Milan, l’année suivante. Il entra ensuite dans la diplomatie et fut envoyé a Bade, pour y négocier ou plutôt, pour y imposer au grand-duc, un traité dont la conséquence immédiate fut de fournir trois mille hommes à l’armée impériale. Dès qu’il eut rempli cette facile mission, le comte de Thiard se rendit à Carlsruhe, où il fit accepter pour épouse à l’électeur la princesse Stéphanie de Beauharnais, puis à Stuttgard, où il remplit une mission plus délicate et non moins importante, ce fut de demander la main d’une princesse de Wurtemberg, pour le prince Jérôme, frère de Napoléon. Le succès de ces missions fut si agréable à l’empereur, qu’aussitôt il proposa au négociateur d’ètre son ministre à Florence, ou de remplacer M. de Rémusat dans la charge de grand-maître de sa garde-robe. Thiard, préférant la carrière des armes, se rendit à Raguse où il concourut, sous les ordres de Lauriston, à la défense de cette place qui soutenait un siége contre les Russes. Dès qu’elle fut délivrée, il alla joindre l’empereur en Prusse, où venait d’être remportée la mémorable victoire d’Iéna. Nommé aussitôt gouverneur de Dresde, il força l’électeur de Saxe à rester dans sa capitale, puis à se séparer des Prussiens, et il contribua beaucoup ensuite à le faire proclamer roi. Napoléon fut tellement satisfait du zèle de Thiard dans toutes ces circonstances, qu’il l’autorisa à communiquer directement avec lui, ce qui était un témoignage de la plus haute confiance. Mais le comte ne jouit pas longtemps de cette faveur. Resté toujours attaché à ses premières opinions, il ne voyait qu’avec peine Napoléon marcher au pouvoir absolu, et n’ayant personne à qui il pût faire part de ses chagrins à cet égard, il les communiquait à sa femme dans des lettres qui furent interceptées à la poste par ordre du souverain maître. Ce prince lui ayant témoigné son mécontentement, il s’en montra vivement offensé et, dès le lendemain il envoya sa démission de tous ses emplois. Selon son usage, Napoléon ne fit aucune réponse à ce premier message ; mais Thiard en ayant envoyé un second, puis un troisième, l’empereur, poussé à bout, lui infligea un ordre d’exil immédiat dans ses terres de Saône-et-Loire. Cette disgrâce dura deux ans, et ne finit que par l’intercession du roi de Saxe qui n’avait pas cessé de porter beaucoup d’intérêt au comte de Thiard. Bien que rendu à la liberté, selon ses vœux, celui-ci continua de vivre fort retiré, soit dans ses terres, soit à Paris, où il se trouvait en 1814, faisant le service de simple officier dans la garde nationale, lorsque l’armée des puissances alliées se présenta pour s’en emparer. On a dit que, placé dans le parc de Mousseaux, il y montra de la valeur, ce dont nous ne doutons point ; mais ce n’était pas assurément pour la royauté des Bourbons qu’il croyait combattre. Le gouvernement provisoire, que dirigeait Talleyraud, le nomma aussitôt après la capitulation adjudant-commandant de la garde nationale, et dès qu’il fut entré dans sa capitale, Louis XVIII le rétablit sur les contrôles de l’armée, lui donna la croix de Saint-Louis, comme à tous les généraux de l’armée impériale, et reçut en conséquence son serment de fidélité. Mais rien de tout cela ne pouvait faire revenir le comte de ses anciennes opinions. Dès le mois de janvier suivant, on le trouva compromis dans un complot contre le gouvernement royal, et il fut destitué, puis réintégré quelques jours après, quand on connut le départ de l’île d’Elbe. Alors, dans le trouble où cette nouvelle mit tous les esprits, on le nomma commandant du département de l’Aisne, et on le chargea de réunir tout ce qu’il pourrait de troupes, pour marcher contre les frères Lallemand et Drouet d’Erlon, qui s’étaient insurgés, non pour la cause de Napoléon, mais pour celle du duc d’0rléans, comme cela a été prouvé depuis. Le comte de Thiard refusa positivement de les combattre, et s’exposa à toutes les conséquences que pouvait avoir une telle désobéissance. Mais la fuite de Louis XVIII le tira bientôt de toute inquiétude à cet égard. Il se hâta d’accourir auprès de Napoléon ; mais. reçu un peu froidement, il retourna dans le département de Saône-et-Loire et chercha vainement à s’y faire nommer député par la faction révolutionnaire. Ses intrigues avec ce parti ayant encore une fois été découvertes par la police, il fut arrêté et subit un emprisonnement de six mois. Voulant à tout prix l’éloigner, mais n’osant pas user de violence, le gouvernemeni royal lui offrit des passe-port pour l’étranger, qu’il refusa fièrement. Sur l’ordre de quitter Paris, qui lui fut donné par le préfet de police, il se rendit à la prison de l’Abbaye, demandant à être jugé. N’ayant pu l’obtenir, il sortit de la prison et retourna chez lui avec la même fierté qu’il en était sorti. C’était dans le mois de mars 1816, à l’époque qu’on a osé nommer la terreur de la royauté ! Retourné dans son département l’année suivante, le comte de Thiard, vivement appuyé par le parti révolutionnaire, fut près d’être nommé membre de la chambre des députés ; mais ce ne fut qu’en 1820 que le collège électoral de Saône-et-Loire lui fit cet honneur, à une grande majorité. Ce ne fut pas, comme on le pense bien, par ses talents oratoires qu’il se distingua dans cette assemblée, mais par son attachement aux doctrines les plus démocratiques. Constamment assis à côté de Manuel, de Benjamin Coustant et du général Foy il ne monta que rarement à la tribune, et ne prononça de sa place que quelques phrases entrecoupées sur des questions dont on ne pensait pas qu’il se fût jamais occupé, telles que l’enseignement mutuel, le concordat, le traitement des évéques et l’indemnité des émigrés, pour laquelle il reçut toutefois onze cent mille francs, sans se plaindre et sans dire aux ministres du roi, comme il avait fait dans une autre occasion, qu’il redoutait les Grecs, même quand ils lui faisaient des présents. Ce présent, que lui fit la Restauration, ajouta beaucoup à sa fortune déjà si considérable, et dont il ne faisait guère usage que dans l’intérêt de son parti, soit à la ville, soit à la campagne, où il habitait son magnifique château de Pierres. Plusieurs de ses collègues y avaient un appartement. Celui de Benjamin Constant portait le nom de ce député, et il l’a conservé longtemps après sa mort. Réélu plusieurs fois, le comte de Thiard était encore membre de la chambre des députés en 1848. Alors il fut nommé envoyé de la République française en Suisse, où il resta jusqu’à la révolution de 1852. A cette époque, il revint à Paris, où on le vit exprimer des opinions tout à fait différentes de celles qu’on lui avait vu professer jusqu’alors, et se vanter hautement d’avoir fait célébrer un service à la mémoire de Louis XVI, le 21 janvier 1853. Il mourut en 1854, dans son hôtel de la rue Jean-Goujon, aux Champs-Élysées, après avoir rempli ses devoirs de religion et demandé à Dieu pardon de ses erreurs. M—dj.


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