Biographie universelle ancienne et moderne/1re éd., 1811/Avertissement


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AVERTISSEMENT.


Les auteurs de la Biographie universelle s’étaient fait une loi de n’y admettre aucun article mythologique. Il eût en effet paru bizarre de trouver, dans un ouvrage exclusivement consacré à l’histoire véritable, des êtres purement fictifs ou même ces personnages des temps héroïques dont les actions réelles peuvent à peine se faire jour au travers des nuages fabuleux qui les enveloppent.

Mais, si la mythologie doit être distinguée de l’histoire, il n’en faut pas conclure qu’elle ne puisse, traitée séparément, marcher à sa suite. Nous croyons au contraire qu’elle en est un appendice nécessaire, surtout en la considérant sous un point de vue plus élevé qu’on ne l’a fait jusqu’à nos jours.

Il eût été indigne du 19ème siècle de borner l’utilité de la mythologie à faire saisir une allusion poétique, à faire connaître le sujet d’un tableau ou d’un morceau de sculpture.

Une étude plus approfondie des institutions religieuses de l’antiquité païenne nous met sur la voie de l’histoire de la civilisation progressive des peuples et de l’état des sciences à ces époques reculées.

Tels sont les motifs qui, joints aux réclamations d’un grand nombre de personnes, ont déterminé l’éditeur de la Biographie universelle à donner, pour premier complément de cet important ouvrage, une Mythologie.

M. Parisot, l’un des collaborateurs de la Biographie universelle, s’est chargé de cette tâche dont il ne se dissimulait pas les difficultés. Préparé par dix années d’études mythologiques au grand travail qu’il acceptait, entouré des recueils scientifiques que chaque jour voit naître non-seulement en Europe, mais dans l’Asie et dans l’Amérique; éclairé par les conseils des savants français, parmi lesquels il nomme à la fois avec regret et reconnaissance MM. Abel Rémusat, Champollion jeune et De Chézy, il a vu s’évanouir devant lui une grande partie des difficultés qui obstruaient la route, peu frayée en France, où il entrait. Pour distinguer à chaque pas sous quelles images divines les peuples naïfs personnalisèrent et consacrèrent des objets de crainte ou d’amour, il faut joindre à une lecture immense, à une patience à toute épreuve, à une connaissance profonde de l’histoire primordiale un tact exquis et une haute philosophie. Une réunion de collaborateurs eût seule pu présenter la réunion des qualités nécessaires à cette œuvre difficile. Mais l’unité de composition était un besoin encore plus essentiel que tous les autres dans un ouvrage de ce genre ; car tout s’y tient et tout s’y emboîte. Rien d’ailleurs n’y est géométrique ; dès-lors, il fallait un seul homme pour que la solution donnée à tel problème dans tel article ne fût point en contradiction avec l’idée émise dans tel autre.

Enfin cette mythologie devait, à moins de faire disparate dans la collection, porter le titre de Biographie mythologique.

On s’abuserait, si de cet intitulé nécessaire on concluait que nous avons voulu travestir la mythologie en histoire. Sans doute les légendes abondent chez nous ; mais, sauf les cas où elles se recommandent par le grandiose , le piquant ou l’antiquité , elles sont toutes présentées avec autant de brièveté que le comporte la loi que nous nous sommes faite d’être complets. Ce que nous nous sommes surtout appliqués à mettre en relief, c’est ou le rapport ou la contradiction des légendes, mine féconde d’instruction pour qui sait, au milieu des variantes, saisir le fîl indicateur, à l’aide duquel on voit tout se résoudre dans une large et riche unité.

En fait d’histoire, nous n’avons vu dans la mythologie que l’histoire par masses, l’histoire des clans, dèmes, peuples ou races, des castes, des cultes, des grandes institutions, des révolutions majeures, l’histoire sans dates. Mais qu’elle est riche et imposante, cette histoire ethnographique dont les langues, les religions, les codes, sont les uniques monuments, et qu’il faut démêler sous des légendes où mille traits surajoutés et d’âges divers se croisent sous des superstitions locales qui ont au loin leurs analogues, sous des formes inaperçues ou méprisées d’un état social qui fut et qui n’est plus !

Ensuite venait l’extérieur du culte , temples , prêtres, fêtes, sacrifices, processions , victimes humaines, prostitutions sacrées, statues, talismans, animaux représentatifs de la divinité. Les mystères, tant dogmes que cérémonies, s’intercalaient avec éclat dans ce labyrinthe. Enfin , les nombreuses représentations figurées, épargnées par le temps, exigeaient un travail particulier. Dans toute cette section revenait encore l’histoire, car le culte non moins que le lieu a souvent la sienne, et c’est à tort, par exemple, qu’on identifierait à l’histoire de Bacchus celle de la religion dyonisiaque.

Toutes ces difficultés pourtant n’étaient que des jeux auprès de celles de l’herméneutique. C’est là que s’était déployé dans tout son luxe l’esprit de système et d’exclusivité : l’un n’a vu dans la mythologie que l’astrologie judiciaire, l’autre que la pierre philosophale, un troisième que des cataclysmes, un quatrième que des coïncidences astronomiques. On ignorait que la mythologie symbolise tout, ciel et terre, eau et feu, esprit et matière, idéal et réel, éléments et rapports, et, fait immense ! qu’elle symbolise tout en même temps, tout en trois ou quatre ou dix ou vingt hiéroglyphes, les uns parlés, les autres sculptés, ceux-ci pris tout simplement à la nature qui ne donne que des fétiches, ceux-là humanisés, hellénisés à plaisir. On ignorait qu’il est une mythologie pour l’ichthyophage, comme pour le nomade qui erre de steppe en steppe avec ses troupeaux ; pour la Phénicie navigatrice comme pour la continentale Phrygie ; pour le mineur qui croit au feu central et aux dragons gardiens de l’or, comme pour l’agricukeur qui fait ses dieux de la rosée et des douces chaleurs.

Il nous reste à circonscrire cette Biographie mythologique. Comme la Biographie même, elle est universelle. Toutefois nous avons élagué et ce que les convenances, et ce que la physionomie par trop historique des faits ou la nouveauté de la date nous forçait à regarder comme peu mythologique. Ainsi, la Grèce, l’Egypte, l’Asie antérieure, la Perse, l’Inde, le Tibet, la Chine, le Japon, les Celtes, les Slaves, les Finnois, les Scandinaves, l’Irlande, l’Afrique, les îles du Cap-Vert, les Antilles, Mexico, Tlascala, Palenqué, Cuzco, les Muiscas, le Chili, la Plata, la Floride, les tribus iroquoises et canadiennes, les Sioux,les Ouakach, etc., et enfin les nombreux archipels de la Polynésie ont fourni à notre Panthéon ou Pandémonium biographique une multitude de noms. Mais c’est en vain que l’on y chercherait les êtres surnaturels que reconnaît le Talmud. L’Islamisme, dont tout en quelque sorte s’est passé à notre vue, n’a pu nous donner de dieux mythologiques. La demonologie, les fables brillantes du moyen âge, les fées, les ogres, les sylphes, les gnomes, les ondines, les dames blanches, les lavandières, les sulèves, les goules, enfin les cycles épiques de Charlemagne et d’Arthur participent à la même exclusion.

Nous avons été sobres pour les articles d’animaux ; cependant le bœuf Apis, le loup Fenrir, le singe Hanouman, le serpent Iormoungandour, ne pouvaient être passés sous silence. On nous pardonnera aussi les articles sur l’arbre Bogaha et l’arbre Hom, sur la roche primordiale Agd et quelques autres.

Du reste, notre Biographie mythologique ne contient que des noms d’hommes ou d’êtres assimilés à des dieux. Nous avons élagué sans pitié les noms de choses : point d’articles Cosmogonie, Fétichisme, Géomancie, Métempsychose. Ces articles, à notre avis, appartiennent à un traité méthodique et non à un dictionnaire. Tout ce que nous pouvions était de donner les détails de fêtes, de temples, de cérémonies, de monuments et de dogmes transcendantaux aux articles individuels. Ainsi Bouto, Brahmâ, Esmoun, Ilithye, Rhaméphioïdes contiennent de haute théologie plus que n’en présente tout ce que nous connaissons de lexiques mythologiques. Sous Eleusis et sous Cérès se trouve un vaste tableau des Eleusinies. La géographie sacrée de l’Inde se trouve à Siva, Siva-Mérou. Des renvois ménagés avec soin faciliteront, à qui voudra s’en donner la peine, le passage de l’un des articles aux autres, et permettront de suivre presque comme dans un ouvrage méthodique soit les développements d’une même religion, soit les transfigurations d’une même idée chez des peuples différents.



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