Biographie nationale de Belgique/Tome 3/CARLIER, Jean Guillaume
CARLIER (Jean Guillaume), né à Liége en 1638, mort dans la même ville en 1675. Le comte de Becdelièvre, à qui nous empruntons les principaux faits de la biographie de Carlier, dit « né vers 1638, » mais comme il ajoute plus loin qu’il mourut en 1675, à l'âge de trente-sept ans, le mot vers devient tout à fait inutile. Ce fut sous la direction de Bertholet Flémalle que Carlier commença ses études; ses dispositions aidant, il devint en assez peu de temps aussi habile peintre que son maître. Lorsque, ce dernier retourna pour la secoonde fois à Paris, en 1670, il fut accompagné de son élève. Déjà les deux artistes avaient travaillé ensemble à Liége où Carlier peignait spécialement les draperies dans les tableaux de Flémalle. A Paris on s’aperçut assez vite que l’élève valait le maître et on commanda aux deux artistes quatre tableaux destinés au roi, en ayant soin d’en faire peindre un tout entier de la main de Carlier; cette toile fut conservée dans le cabinet du monarque jusqu’à la révolution; elle était digne en tous points des œuvres de Flémalle. D’Argenville a trouvé moyen d’introduire là une de ces anecdotes dont il est si prodigue; il raconte que le maître ayant reconnu le génie de son élève, eut soin de n’employer ce dernier qu’à broyer ses couleurs; mais que Carlier sentant ce qu’il pouvait, peignit en secret un Martyre de saint Denis pour la voûte de l’église de ce nom à Liége. Flémalle, en voyant cette œuvre très-réussie, en conçut tant de dépit qu’il abandonna ses pinceaux. Il est à peine inutile d’ajouter que ce récit ne repose sur aucun fait connu. La seule chose exacte, c’est que Carlier peignit le Martyre de saint Denis; c’était une grande composition, enchâssée dans la voûte de l’église et montée sur une forte charpente en bois. Le mérite de ce travail fut assez transcendant pour attirer, en 1794, l’attention des agents du gouvernement français en tournée d’enlèvements de chefs-d’œuvre. Sans songer au danger de l’opération, ils firent détacher le tableau de la voûte; mais il échappa aux mains des ouvriers et tomba sur les dalles de l’église; il fut mis dans un état pitoyable et abandonné par les ravisseurs. Plus tard on le restaura et on le replaça dans la même église.
Carlier ne résida pas longtemps à Paris : en 1675, il était de retour dans sa ville natale, sans qu’on sache depuis quelle année. Il était sans doute destiné à y acquérir une réputation aussi grande que méritée, lorsqu’un événement tragique vint terminer son existence. Il peignait la famille du commandant de la citadelle de Liége, quand celui-ci, nommé Beckers, reçut ordre d’y introduire les Français. Ce qui, en effet, eut lieu dans la nuit du 27 an 28 mars 1675. Le commandant parvint à sortir de la citadelle, accompagné des siens, de Carlier et de ses gens; mais arrivé sur le marché, où campaient les troupes liégeoises, il répondit : « France » au « Qui vive ! » qu’on lui cria. Des coups de feu partirent; l’artiste effrayé perdit la tête; il se mit à fuir et parvint à se réfugier dans le couvent des Carmes où l’on mit tout en œuvre pour le calmer. Mais le saisissement, le trouble, l’effroi de cette nuit funeste avaient été trop grands pour l’âme paisible du pauvre peintre. Quelques jours après il mourut dans l’asile où il avait été recueilli. Outre le Saint Denis dont il a été question, on voit encore de Carlier, à Liége, une Femme adultère. Le Musée de Bruxelles renferme de lui l’esquisse de son Saint Denis. D’après Becdelièvre, la plupart de ses productions se trouvent à Dusseldorf et à Saint-Pétersbourg, nous ignorons par suite de quelles circonstances. Nous l’avons dit, Carlier excellait dans les draperies; en outre il dessinait corectement; son coloris était remarquablement vigoureux et il avait une bonne entente du clair-obscur. Sans nul doute, si une mort prématurée n’était venue le surprendre, Jean-Guillaume Carlier fût devenu un des meilleurs artistes de son époque.