Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BRÉE, Mathieu-Ignace VAN
BRÉE (Mathieu-Ignace VAN), peintre d’histoire et de portrait, naquit à Anvers, le 22 février 1773. Son père était peintre décorateur et n’avait d’autre fortune que celle qui provenait de son travail; l’enfant fut destiné à apprendre le métier de son père et il aida vaillamment celui-ci dès qu’il fut en âge. Mais la vocation artistique se fit bientôt jour et le jeune Van Brée obtint la permission de fréquenter les cours de l’Académie sans négliger toutefois le travail qui subvenait aux besoins de la famille. L’Académie avait de consciencieux professeurs; parmi eux Guillaume Schaeken et Pierre-Jean Van Regemorter s’occupèrent de notre artiste; c’est au dernier qu’il dut ses premières leçons. Van Brée les mit si bien à profit que de 1789 à 1794 il monta de la septième place à la première. La décadence dans les arts était si grande à Anvers que le jeune peintre comprit qu’il devait chercher à se perfectionner ailleurs; malheureusement ce n’est pas à la Belgique seule que s’arrêtait la décadence; l’Europe entière subissait le même sort et Paris même, malgré la rénovation commencée par David, n’offrait pas encore un enseignement de nature à attirer les jeunes artistes. C’était cependant là qu’il y avait le plus à étudier; le succès de Suvée tenta Van Brée et il partit rempli d’ardeur, mais peu fourni d’argent. Les commencements furent difficiles; plus d’une fois, le courage de Van Brée fléchit, mais une chance favorable le fit admettre à l’atelier de Vincent, et dès lors le fondateur de notre jeune école était sauvé. Vincent, élève de Vien, avait de bonnes traditions, et, si ses productions portent le cachet de l’époque, son enseignement était du moins basé sur les vrais principes. Van Brée travailla nuit et jour; comme s’il avait pu pressentir la carrière qui lui était destinée, il dévora les livres où il apprenait la science, il se rendit familière l’anatomie dans laquelle il excella; il acquit enfin, en quelques années, l’érudition qui fit de lui, plus tard, le professeur par excellence.
En 1797, Bonaparte, premier Consul, réorganise les concours généraux; Van Brée se met à l’œuvre; il remporte le second prix avec son tableau de la Mort de Caton, une de ses meilleures compositions. Il faut noter ici que ce concours, après une suspension de six années, fut très-important. Les efforts de notre compatriote étaient donc récompensés; comme première conséquence de son succès, il fut mandé près de Joséphine, qui l’honora de sa protection, lui commanda des travaux pour ses salons et le nomma un de ses peintres. « C’est à ce titre, dit un écrivain contemporain, qu’il eut le droit d’offrir à Madame Bonaparte, en l’an xii, à l’occasion du 18 brumaire, un tableau dont nous trouvons la description dans le Journal de Paris (19 brumaire an xii). » Nous reproduisons cette curieuse description qui résume, en quelques lignes, le goût de l’époque. « Le premier consul est représenté assis au bord de la mer; il s’appuie sur un globe et porte ses regards vers l’horizon où l’on aperçoit l’Angleterre couverte d’un orage menaçant. Au-dessus du premier consul, dans un ciel brillant, sont les trois Parques, maîtresses des destinées des mortels. L’une d’elles, la plus terrible des trois, Atropos, est endormie; l’Humanité, cachant dans son manteau des enfants effrayés, la couronne de pavots; un génie en présente une vaste corbeille. La Parque cruelle dort d’un sommeil profond et Lachésis continue à filer des jours de gloire. Le citoyen Van Brée, ajoute le même journal, est un peintre encore jeune et de la plus grande espérance. Il réunit dans ses compositions, au beau style de la nouvelle école française, le coloris de l’école flamande. »
Cet hommage rendu par Van Brée au soleil levant, lui valut davantage encore la faveur de Bonaparte; il esquissa rapidement les Manœuvres de la flotte française sur l’Escaut, devant Anvers; ce tableau fut présenté à celui qui était devenu l’Empereur Napoléon et qui, lui-même, remit, à Van Brée une bague magnifique comme témoignage de sa satisfaction. Si notre artiste avait eu moins à cœur l’amour du sol natal et les affections de famille, on le voit, il était sur le chemin de la gloire et de la fortune; mais Van Brée était vraiment Belge, il brillait du désir de revoir les siens, et, en 1804, il revint dans sa ville natale. Joséphine n’oubliait pas ceux à qui elle accordait sa protection; Van Brée put bientôt s’en convaincre. Le préfet d’Herbouville venait de réorganiser les cours de l’Académie dont la direction avait été confiée à Guill. Herreyns. Van Brée, à peine arrivé à Anvers, fut nommé premier professeur, et, à partir de ce moment, commença pour lui cette carrière laborieuse, utile, glorieuse et dévouée avant tout, qui lui méritera toujours la reconnaissance de sa patrie. Il est possible, comme on l’a dit, que si Van Brée se fût appliqué constamment à la peinture, à se perfectionner dans son art, si dans ce but il eût visité l’Italie au début de sa carrière, il est possible, disons-nous, qu’il aurait atteint, comme peintre, une valeur plus considérable; mais du moment où il devint professeur à l’Académie, il s’oublia lui-même pour ne plus songer qu’à ses élèves. En 1817, l’Académie reçut le titre de royale; Van Brée fut alors confirmé dans ses fonctions de professeur. L’année précédente il avait été nommé membre de l’Institut néerlandais; il fut choisi, par ses compatriotes, en 1817, pour occuper un siége à la commune, et, quelques mois après, il accompagna Ommeganck à Bruxelles pour faire restituer, par le bourgmestre de cette ville, une Sainte Famille d’Otto Venius, enlevée en 1794 à la cathédrale d’Anvers. La mission de nos artistes fut couronnée de succès. Peu de temps après, le prince d’Orange, plus tard Guillaume II, nomma Van Brée son peintre ordinaire. En 1827, lors du décès d’Herreyns, Van Brée remplaça celui-ci comme directeur de l’Académie et il occupa cette place jusqu’à sa mort. Notre peintre avait, dès 1821, réalisé son rêve d’artiste en allant visiter l’Italie; il en rapporta une ample moisson d’esquisses, de dessins, et écrivit le journal de son voyage. Ajoutons à cette occasion que Van Brée s’occupait de littérature : il produisit quelques pièces de théâtre, tragédie, comédie et drame, où les intentions étaient excellentes, les pensées nobles, le sentiment national très-prononcé, mais dont la forme laissait beaucoup à désirer. Il ne nous appartient pas d’être sévère à ce sujet, puisque ces essais n’étaient pour l’artiste qu’un délassement. Dans sa tragédie de La mort de Beiling, on rencontre des passages très-pathétiques.
Ce qui mérite tous nos éloges, ce sont ses ouvrages sur l’enseignement. Il pu- blia vers 1820 un livre important, les Leçons de dessin, œuvre excellente, comprise avec sagesse, exécutée avec amour et talent. Aussi fut-elle, dès son apparition, adoptée par plusieurs académies de l’Europe; sa collection de statues dessinées au trait d’après l’antique, fut exécutée de sa main, afin que ses élèves fussent dirigés complètement selon ses vues. L’ensemble, embrassant toutes les phases diverses des études d’un peintre, est un véritable monument qui survivra aux modes et au temps, car il est basé sur les règles les plus parfaites et sur la beauté dans ce qu’elle a de plus complet. Une circulaire du ministre de l’instruction publique d’alors, M. le baron Falck, engagea les directeurs de toutes les académies à mettre entre les mains de leurs élèves cet excellent livre.
L’ouvrage est divisé en quatre parties : La première concerne tout ce qui a rapport au corps humain mesuré d’après les plus célèbres statues de l’antiquité; la seconde est destinée à l’expression des figures et à l’intelligence des contours; la troisième renferme l’enseignement des figures ombrées et l’explication théorique et pratique des effets de la lumière sur les corps; la quatrième, enfin, est un traité de myologie aussi complet que possible, avec tous les détails que comporte cette partie de l’organisme humain. Comme complément, l’ouvrage contient une nomenclature myologique et ostéologique rédigée en trois langues, latine, flamande et française. De nos jours encore, ce traité est l’un des meilleurs que l’on connaisse et il est partout en usage.
Les dernières années de Van Brée furent éprouvées par la maladie; plusieurs attaques d’apoplexie avaient graduellement brisé ses forces; sa vue s’était affaiblie et il vécut en languissant jusqu’au 15 décembre 1839. Il comptait trente-cinq années de professorat. Van Brée s’était marié, à son retour de Paris, à une jeune fille nommée Thérèse van Pelt; il en eut un fils qui n’a pas laissé de nom dans les arts. La fin de la vie de notre peintre ne fut pas exempte de chagrin. Son enseignement, classique par excellence, eut à subir le rude assaut du romantisme; il dut voir avec une profonde douleur ce moment de crise où la couleur régna en maîtresse absolue au détriment de toutes les autres qualités essentielles de la peinture; c’était une réaction contre l’excès des règles académiques, contre la raideur, la sévérité, les froides exigences du style de David; mais une réaction aveugle, sans règle et sans raison; aux graves sujets de l’histoire ancienne, succédèrent les épisodes les plus fantastiques extraits des romans en vogue, et le pauvre Van Brée dut éprouver un douloureux étonnement en voyant des fantômes, des héroïnes échevelées, de romanesques brigands, détrôner les vieux Romains, les Athéniennes ou les héros plus modernes dont il avait aimé à représenter les hauts faits. Mais l’épreuve ne dura qu’un temps fort court, comme toutes les modes exagérées. L’exubérance de la forme et de la couleur s’humilia devant la règle et le dessin; une transaction eut lieu, et, du fatras multicolore et multiforme, sortit la belle, l’harmonieuse école qui fait l’orgueil de la Belgique moderne. Il fut donné à l’initiateur de tant d’artistes aujourd’hui célèbres, il fut donné au plus dévoué des citoyens et des maîtres, de voir naître et grandir ces dignes représentants de l’école flamande; il assista aux premiers succès de ses élèves, nous allions dire de ses enfants, car, jamais il n’y eut de père plus attentif, plus consciencieux, plus soucieux de la science et de la gloire de ses rejetons que ne le fut Van Brée pour ses élèves. Il n’épargnait aucun soin, aucune fatigue; il donnait ses leçons avec un affectueux dévouement et avec une éloquence entraînante qui frappait les auditeurs les plus indifférents. Un squelette d’une main, un morceau de craie de l’autre, le modèle vivant à côté de lui, il dessinait, démontrait, expliquait avec une admirable clarté le jeu des muscles, leur corrélation avec les mouvements, toute la sublime harmonie du corps humain. Son intelligence, son âme tout entière s’épanchaient dans ses leçons; il aimait ceux qu’il instruisait, mais ceux-ci le lui rendaient avec usure; aussi lui a-t-on entendu dire en parlant de ces heureuses années : « Je n’aurais pas échangé ma place de professeur contre un trône de roi. » Empruntons quelques lignes à l’un de ses plus illustres élèves, elles prouveront à quel point l’on aimait et l’on admirait le vieux maître.
« Van Brée était la lumière, le rayon de soleil qui, à chacune de ces âmes pleines de séve et d’avenir, distribuait sa part de feu sacré.
La main suivait la pensée, la parôle suivait la main. La voix allait toujours, expliquait, citait, prouvait, appuyait d’exemples. Devant ce spectacle étonnant, instructif, les yeux attentifs, immobiles, se troublaient, et cependant ou comprenait, on devenait anatomiste... Dans l’histoire, la composition, la perspective, la philosophie pittoresque, dans une leçon qui embrassait à la fois tout ce qui constitue les beaux-arts, c’était toujours savant, profond, persuasif, prompt comme la pensée. C’était le professeur-type, qui créa une académie-type. » Ainsi s’exprimait Wiertz en parlant de son vénéré maître.
Les honneurs et les distinctions ne manquèrent point à Van Brée; il fut membre de plusieurs académies et décoré des principaux ordres de l’Europe. Ses tableaux, quoique ne constituant pas son vrai titre à la gloire, portent cependant l’empreinte d’un progrès véritable; ils sont comme un trait d’union entre le système académique de David et les allures libres et franches du naturalisme moderne. Van Brée avait le don de l’invention, il composait avec science, il avait le sentiment de la grandeur des lignes; il groupait habilement ses personnages; mais son énergie était nulle, et, en voulant achever ses tableaux, il arrivait à la raideur et à la convention. A un dessin pur, sage, correct, s’appliquait un coloris dépourvu de vigueur, fade, mais harmonieux. Le goût de ses compositions est empreint de celui de son époque; mais parfois on sent le maître, on devine ce qu’il aurait fait s’il avait pu vivre quelques années plus tard; il y a çà et là des éclairs. Là où brillait toute sa science, c’est dans ses dessins; quelle finesse d’observation, quelle pureté, quelle exactitude! N’oublions pas ses petites études peintes, un doigt, un torse, un pied, un œil, une tête, des riens qu’on s’arrache et qui acquièrent chaque jour une valeur plus considérable. Habile à manier l’ébauchoir, il fit plusieurs bustes qui trahissent l’homme de talent; on cite celui de Rubens que possède l’Académie d’Anvers, et, à ce propos, on rappelle qu’il fut l’un des premiers promoteurs du monument destiné à glorifier l’illustre maître.
Parmi les toiles de Van Brée, citons la Mort de Caton, la Mort de Rubens, au Musée d’Anvers ; le portrait du Pape Pie VII, au Vatican ; Le prince d’Orange et les factieux de Gand, à Gand ; le portrait en pied de Guillaume Ier roi des Pays-Bas, au Musée de Bruxelles ; Entrée du premier consul à Anvers, à Versailles; la Mort du comte d’Egmont, et Le prince d’Orange visitant les inondés de 1825, tous deux à Haarlem ; des grisailles à la cathédrale d’Anvers, etc.
Les funérailles du peintre furent honorées par la présence de toute une population, qui voulait rendre un dernier hommage au savant, au célèbre professeur, au régénérateur de l’école, enfin à celui qui s’était efforcé de restituer son ancien lustre à la métropole artistique; on venait aussi donner de sincères regrets à l’homme de bien dont la carrière ne fut qu’un long dévouement pour les jeunes gens qui l’entouraient, pour l’art qui était son idole, pour son pays dont il voulait la grandeur. Il fut enterré à Saint-Willebrord, faubourg d’Anvers, et, en août 1852, on inaugurait solennellement sa statue; c’est la dernière œuvre du sculpteur Jean-Baptiste De Cuyper, mort en avril de la même année.
Van Brée a lithographié, gravé et composé un dessin de monument; on connaît de lui trois eaux-fortes : 1° la copie au trait d’un de ses tableaux, les Jeunes Athéniennes; — 2° l’Homme en bonnet et à barbe, d’après Rembrandt; — 3° Une carte d’adresse avec ornements. Le portrait du peintre, exécuté par son élève Van Ysendyck, existe au Musée d’Anvers et a été lithographié par Baugniet.
La plupart des élèves de Mathieu van Brée sont aujourd’hui les chefs et la gloire de l’école belge moderne.