Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BOSSEAU, Pierre

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BOSSEAU (Pierre), marquis de Châteaufort, homme de guerre, né à Nismes, près de Couvin, le 3 janvier 1668, mort à Zamora, en Espagne, le 26 juiliet 1741. Pierre Bosseau, né dans une des classes les plus obscures de la société, s’enrôla à l’âge de dix-huit ans dans un régiment de cavalerie espagnole (1685). L’instruction qu’il avait reçue du curé de son village et surtout sa bonne conduite et son application le firent bientôt remarquer de ses chefs; la brillante valeur qu’il déploya aux combats de Walcourt (1689) et de Fleurus (1690), ainsi qu’au siége de Mons (1691), lui fit obtenir un brevet de lieutenant. La bataille de Steinkerke (1692), le combat de Beaumont (1693), puis la bataille de Neerwinden furent pour lui autant d’occasions de se signaler et l’avancèrent au grade de capitaine en second. L’audace qu’il déploya devant Charleroi, en s’acquittant d’une mission périlleuse, lui valut une compagnie de dragons. Pendant les cinq campagnes qui suivirent, il se distingua souvent par des actions d’éclat. Il avait atteint le grade d’officier supérieur lorsque l’avénement du petit-fils de Louis XIV au trône d’Espagne fit éclater la guerre de la succession (1702). Bosseau se rangea sous les drapeaux de Philippe V. Dès la première campagne, qui se termina par la journée d’Eeckeren, il conquit le grade de lieutenant-colonel sur le champ de bataille. Un régiment de cavalerie devint le prix de ses services après les campagnes de 1704 et de 1705. A la journée de Ramillies (23 mai 1706), dont l’issue malheureuse pour les armes de Louis XIV devait décider du sort de la Belgique, Bosseau, qui commandait l’arrière-garde, sauva une grande partie de l’artillerie et des bagages. Il rendit de grands services à Audenarde et à Wynendale en 1708, à Malplaquet en 1709. Les revers que les armées de Louis XIV subissaient depuis plusieurs années amenèrent cet orgueilleux monarque à consentir au démembrement des États de son petit-fils. Pour obtenir la paix, il dut stipuler la renonciation de Philippe V à la possession des provinces belgiques. Le colonel Bosseau ne crut pas pouvoir, sans manquer à ses serments, accepter du service dans les armées de l’Autriche; il quitta donc sa patrie et se rendit en Espagne où il fut accueilli avec empressement et placé immédiatement dans l’armée qui luttait contre les Anglais et les Hollandais. Il se distingua aux combats d’Almenara (27 juillet 1710), de Linijalva, puis à la sanglante bataille de Saragosse. A la fin de cette journée désastreuse, une partie de l’infanterie se retirait péniblement vers Tudela; Bosseau protégea sa retraite jusqu’à ce que, atteint d’une balle, il fut renversé de son cheval.

Ses blessures ne l’empêchèrent pas de prendre une part glorieuse aux campagnes de 1711 et de 1712; l’année suivante, il fut placé à la tête des dragons de l’armée du maréchal de Berwich; il assista au siége de Barcelone, emporta le fort du Midi et le fort de la Mer et contribua puissamment, par son héroïsme, à la capitulation de cette place (12 septembre 1714). Ayant été élevé au grade de maréchal de camp, il prit une grande part au succès du chevalier d’Asfeld dans l’expédition de Majorque, en 1715, et, l’année suivante, thius celle de Sardaigne où il fut témoin de la bravoure que déployèrent ses compatriotes des gardes wallones.

Après la facile conquête de la Sardaigne, le roi d’Espagne voulut s’emparer de la Sicile. Bosseau seconda efficacement le marquis de Lede, chef de cette expédition; il assista à la prise de Messine, à la bataille de Francaville, à la défense de Palerme. Ses services lui valurent alors le grade de lieutenant général et un commandement important dans le corps expéditionnaire qui se rendit en Afrique en 1720 pour réprimer l’insolence des Mores qui depuis vingt ans bloquaient les possessions espagnoles. Après l’heureuse issue de cette campagne, Bosseau reçut, avec les insignes de l’ordre de Calatrava, la patente de gouverneur de Jaca, ville considérable à laquelle Philippe V, mu par un sentiment de reconnaissance pour les services qu’il en avait obtenus lors de la guerre de la succession, venait d’accorder d’importants priviléges. Après avoir passé plus de dix ans dans ce poste, Bosseau reçut le titre de marquis de Châteaufort (29 octobre 1728); quelques années après, le roi fit encore un appel à son dévouement pour diriger une nouvelle expédition sur la côte d’Afrique. Il répondit dignement à la confiance de son souverain et l’Espagne lui dut la possession d’Oran (1732). A peine rentré de cette glorieuse expédition, il dut se rendre dans le royaume de Naples où les Espagnols luttaient contre les Autrichiens; il eut une grande part dans la victoire de Bitonto (1734). A la suite de ces nouveaux succès, Bosseau fut élevé à la dignité de capitaine général de la Vieille-Castille, qu’il conserva jusqu’à sa mort.

Le marquis de Chateaufort fut un des généraux les plus distingués de son temps et il ne dut qu’à son mérite et à ses services le rang auquel il s’éleva; il donna souvent des preuves d’un grand désintéressement, notamment pendant l’expédition de Sardaigne : les troupes manquaient de tout; leurs subsistances n’étaient pas assurées; on ne pouvait attendre aucune aide du gouvernement; Bosseau n’hésita pas, il vendit sa vaisselle, ses bijoux, une partie de ses équipages pour subvenir aux besoins les plus pressants de ses soldats. Il ne rougissait pas de son humble origine, il se plaisait au contraire à la rappeler, soit pour abaisser l’orgueil des grands, soit pour donner de salutaires leçons aux jeunes officiers inconsidérés. On raconte qu’un grand d’Espagne, l’ayant blessé par sa morgue insultante : « Il fait bien, s’écria le marquis de Châteaufort, de s’applaudir ainsi de sa naissance; car s’il avait été porcher comme moi, nul doute qu’il le serait encore. » Dans une autre circonstance, voulant réprimer la légèreté de jeunes officiers, qui avaient maltraité de pauvres cultivateurs sans défense, il les manda près de lui : « Le marquis de Châteaufort, leur dit-il, n’a pas oublié que Bosseau a pris naissance au sein de cette classe estimable et il ne souffrira pas qu’on l’opprime. »

Général Guillaume.

Baron de Stassart. — Gén. Guillaume, Histoire des Gardes wallones.