Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BINCHOIS, Gilles

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BINCHOIS (Gilles), compositeur de musique, né à Binche au commencement du xve siècle. Jusqu’ici les détails biographiques relatifs à la vie de cet artiste faisaient complétement défaut ; on ne le connaissait guère que par les éloges de ses contemporains ; son nom se trouvait, il est vrai, cité dans d’anciens traités de musique, ceux de Tinctoris, Gaffori, Herman Finck, comme celui d’un musicien instruit, qui perfectionna la notation, l’art d’écrire, l’harmonie et qui eut l’honneur de former quelques-uns des maîtres de son temps ; mais, pour le surplus, tout se bornait à des hypothèses, à de vagues inductions ; il appartenait à M. Alex. Pinchart de dissiper ces obscurités et de mettre en son véritable jour un personnage qui fut, tour à tour, soudart, ménestrel et chapelain[1].

Un agent politique, Guillaume Benoit, intendant du comte de Suffolk, raconte qu’en 1424 il fit venir Binchois « pour alégier le dueil » de son maître, alors retenu à Paris par suite d’une chute. Un autre document historique nous apprend que notre artiste eut, en 1425, « de grans debaz avec les Normans qui parloient contre monseigneur de Bourgoigne. » Jusqu’en cette dernière année, Binchois était donc au service du seigneur anglais ; mais, dix ans plus tard, il fut attaché à la cour de Philippe le Bon. Il figure, en effet, l’an 1436, dans un état des gages payés aux vingt-quatre personnes appartenant à la chapelle du duc. De cette année, à 1449, on l’y voit obtenir de l’avancement et passer du cinquième rang au deuxième ; il y avait un empêchement pour qui’il allât plus loin et devînt chapelain en chef : c’est que le titulaire de l’emploi, Nicaise Dupuis, lui survécut. Encouragé d’ailleurs par mainte faveur, il devint, vers l’an 1440, « secrétaire aux honneurs » et fut pourvu d’une des prébendes laissées à la collation du duc de Bourgogne dans l’église de Sainte-Waudru, à Mons[2]. L’on sait aussi que lorsque ce monument religieux dut être reconstruit, en 1449, Binchois se rendit en cette ville avec Guillaume Du Fay, et d’autres chanoines, non résidents, afin de déterminer l’emplacement de l’église nouvelle. Grâce à la douce quiétude engendrée par les bénéfices de sa position cléricale, notre artiste atteignit à la vieillesse et décéda à la fin du mois de septembre, ou pendant les premiers jours du mois d’octobre de l’an 1460, ainsi que l’indique une annotation découverte aux archives du département du Nord, à Lille. L’on doit également à la patiente érudition de M. Pinchart la transcription faite aux Archives du royaume, d’une autre note relative aux travaux du compositeur et qui est conçue comme suit : « A Gilles de Bins, dit Binchois, chappellain de la chappelle de Monseigneur, la somme de xxiij de x l. gros de Flandres, pour unq livre qu’il avait fait et composé par l’ordonnance de Monditseigneur, des Passions, en nouvelle manière, et icellui mis en la dicte chappelle ; pour ce, par mandement de icellui seigneur sur ce fait et donné en sa ville de Douay, le xxix jour de may l’an mil iiijc trente-huit. »

Nous venons d’indiquer en partie les éloges que Binchois obtint des écrivains les plus compétents de son époque ; il convient d’y ajouter le témoignage d’un poëte français, Martin Franc, qui écrivait, vers le milieu du xve siècle, son poëme, souvent cité, du Champion des Dames ; il s’agit dans le passage suivant de certains instrumentistes aveugles qui avaient fait sensation à la cour de Bourgogne :

Tu a les aveugles ouy
Jouer à la court de Bourgogne :
N’a pas certainement ouy
Qu’il fust jamais telle besogne.
J’ay veu Binchois avoir vergogne,
Et soy taire emprez leur rebelle ;
Et du Fay despité et frongne
Qu’il a mélodie si belle.

Jusqu’ici l’on n’a retrouvé des compositions de Binchois qu’un Fragment à deux parties et des Chansons à trois voix, comprises dans un manuscrit du xve siècle (Regula musicæ), vendu à Paris en 1834 et acquis par un savant musicographe, M. Edm. de Coussemaker, de Lille.

Félix Stappaerts.


  1. Messager des sciences historiques, Gand, 1867, pp. 82, 84. — A. Desplanque, Projet d’assassinat de Philippe le Bon par les Anglais, Mémoires couronnés de l’Académie Royale de Belgique, t. XXXIII, p. 70, in-4o.
  2. « Maistre Jehan Hebert ou son clerc, délivrez à Binchois, nostre chappelain, une retenue de secrétaire aux honneurs et une lettre de la prébende de Saincte-Wauldrut de Mons, que lui avons nouvellement donné, sauz de tout ce prendre droit de séel. » (Archives générales du royaume, collect. des acquits des comptes du grand sceau.)