Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BILLET, Juste

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BILLET (Juste) ou BILLIET, magistrat municipal, poëte et chroniqueur flamand, né à Gand en 1592, mort en cette ville le 2 octobre 1682. Il était fils de Josse Billet, qui fut doyen des merciers, et il épousa en 1633 Marie d’Inghelbin, veuve d’Antoine Barme. De ce mariage naquirent deux filles ; Marie-Liévine et Anne-Justine Billet. Leur mère décéda le 7 décembre 1681. Juste Billet avait le goût des voyages ; il atteignait à peine sa vingt-deuxième année, lorsqu’il partit pour la France et l’Italie. Revenu à Gand, il en repartit au commencement de 1619, pour voyager de nouveau en Italie et en Corse. Ses goûts aventureux n’étaient pas encore satisfaits : il embrassa la carrière militaire, et, avec les troupes espagnoles, il parcourut pour la troisième fois une partie de l’Italie. Mis à la réforme, il perdit son grade et son emploi d’adjudant-major auprès du gouverneur d’Ulmia, Marc-Antoine Magno ; il quitta, en 1629, l’armée et s’en revint en Flandre. De retour dans ses foyers, il s’adonna fructueusement au commerce des toiles et des denrées étrangères, et acquit une honnête fortune. Jouissant de l’estime de ses concitoyens, qui appréciaient son instruction et son expérience, il fut, à différentes reprises, appelé à faire partie de l’échevinage gantois, soit au collége de la keure, soit au collége des parchons. De 1643 à 1660, il fit quatorze années de magistrature scabinale et fut pendant vingt-trois ans consécutifs l’un des échevins de la seigneurie de Saint-Pierre, juridiction de l’abbaye de ce nom. Il résigna ce dernier mandat le 9 novembre 1666, en faveur de son neveu, J.-B. Billet, avocat près du conseil de Flandre. Le 22 août 1658 Juste Billet et son collègue de l’échevinage Olivier Weesaert furent nommés maîtres ou directeurs de la police urbaine (politiemeesters) à Gand. Leur charge consistait principalement à surveiller les nouvelles constructions, à rechercher les cens, rentes et propriétés dont la ville était frustrée, à veiller à l’ordre et à l’approvisionnement des marchés, à maintenir en toute occasion les priviléges communaux. En 1666, Billet se démit de sa charge, à cause de l’affaiblissement de sa santé et de sa vue. En 1660 il était maître des cérémonies (hofmeester) du chef-collége échevinal, et, en 1662, on lui confia la trésorerie de la cité. Il fut aussi gouverneur de la chambre des pauvres et conseiller du mont-de-piété. Durant ses fonctions municipales et sa direction de la police urbaine, à Gand, il fut chargé d’importantes missions auprès du gouvernement central, et, continuellement, l’un des arbitres officiels dans les affaires contentieuses traitées avec les adjudicataires de travaux publics et les corps de métiers. Juste Billet aimait passionnément la lecture : chez lui, en voyage, au service, il avait sans cesse, dans ses instants de loisir, un livre à la main. Partout où il séjournait, il achetait de petits livres curieux. Revenu définitivement à Gand, il s’appliqua avec ardeur à augmenter sa bibliothèque, et se mit à extraire des livres et des manuscrits les faits les plus saillants. Il rassembla ainsi les matériaux de ses diverses chroniques. Doué d’une excellente mémoire et d’un esprit observateur, il se rappelait, à la fin de sa longue carrière, les moindres événements de sa jeunesse et même de son enfance. Juste Billet professa toute sa vie les sentiments pieux dans lesquels il avait été élevé ; ils se reflètent dans ses actions et ses œuvres.

Les ouvrages écrits par Juste Billet sont les suivants : 1° Le Mémorial, qui lui fut imposé par le magistrat de Gand, pour spécifier les devoirs et les vacations de son office de maître de la police urbaine. Ce journal est le Politie Boeck. Insensiblement il y intercala la relation d’événements locaux et contemporains, puis des faits antérieurs, des annotations remémoratives de ses lectures et ses observations personnelles. Ayant enregistré dans le premier tome de son Livre de police les constructions et les embellissements effectués dans les églises et les chapelles de Gand, si délabrées depuis leur dévastation par les sectaires du xvie siècle, il s’aperçut que ces mentions devenaient trop fréquentes, et il résolut d’en former un recueil spécial. Ce fut là l’origine de sa chronique religieuse. Il écrivit successivement onze volumes in-folio de son Livre de police, d’août 1658 à décembre 1666. Le dépôt des archives communales de Gand, qui possède tous les manuscrits des ouvrages connus de Juste Billet, a du Politie Boeck les tomes I à IV et VI à XI. Le tome V y fait lacune, et l’on ne sait en quelles mains il a passé. Il contient la description de Gand au xviie siècle : Beschryvinghe der stede van Ghendt op de moderne maniere, 1662-1663. Le tome VII donne un aperçu des marchés et du commerce gantois. Vers la fin commence l’ancienne chronique de Flandre et de Gand : Aude Cronycke van Vlaenderen ende sonderlinghe der stede van Ghendt, met alle het curieuste ende memorabelste datter beschreven ghevonden is gheweest. Anno Domini MDCLXIIII. La chronique continue dans les tomes VII, VIII et IX ; elle parcourt près de onze siècles, de l’an 325 de l’ère chrétienne à l’an 1400. En terminant, en décembre 1666, le tome XI de son Mémorandum, il promettait le tome XII, qui ne fut point rédigé. Il devait contenir les événements de 1667, « année sur laquelle les comètes de la fin de 1666 allaient exercer leur influence. » L’auteur, plus que septuagénaire et maladif, avait abandonné les devoirs fatigants de son office et ses annotations journalières ; mais il continua à mettre en ordre les notes qu’il avait accumulées. Les six premiers volumes du Politie Boeck portent sur le titre les armoiries de Juste Billet, et au revers, ou comme frontispice, la Pucelle de Gand. — 2° Compilation coordonnée en 1660 et intitulée : Curieuze annotatien dezer stede van Ghendt angaende, ofte dynckweerdighe geschiedenissen binnen der zelver geschiedt, ofte ten minsten in deze provintie van Vlaenderen (1525-1606). Anno MDCLX. In-4°, 554 pages. — 3° La grande chronique de Gand et de la Flandre : Cronycke der stede van Ghendt ende van Vlaenderen, midtsgaders eenighe genealosyen raeckende onze doorluchtighe princen van Bourgoingne ende van Oostenryck, als graven van Vlaenderen daer onder begrepen. Deux volumes in-folio. Il acheva le premier tome en 1664, le second en 1665, et les dédia aux membres de l’échevinage gantois de chacune de ces années. La chronique part de l’an 1400, période où il s’est arrêté dans le dernier des fragments intercalés dans son Livre de police ; le tome Ier finit avec le xve siècle, à la naissauce de Charles-Quint, à Gand ; le tome II va de 1500 à 1568. Ces deux volumes comptent ensemble au delà de douze cents pages. — 4° Abrégés de la grande chronique de Gand et des événements en majeure partie consignés dans les chroniques partielles de son Livre de police, précédés d’un aperçu rétrospectif depuis la nativité du Christ. Il conduit le lecteur jusqu’en 1667, et son travail a pour titre : De Cleyne ofte corte Cronycke van d’heer Judo Billet, beghinnende van de gheboorte van onsen Salichmaecker, tot 1667. Six tomes in-4o, paginés de 1 à 360 et de 1 à 1004, ensemble 1,364 pages. Le tome IV manque ; on ignore s’il existe encore. D’après une indication de l’auteur, il y décrit les années de 1600 à 1637.

Dans sa Grande Chronique de Gand, l’auteur s’excuse d’y avoir rapporté des faits arrivés en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Pologne et même en Asie, en Afrique et en Amérique, régions si éloignées de la Flandre et de Gand ; mais, comme les comtes ou princes souverains de Flandre, et nommément l’empereur Charles-Quint, ont été mêlés à ces faits, leurs alliances, leurs guerres, leurs traités avec les monarques de ces pays concernent directement ou indirectement la cité gantoise. « Je reconnais, dit-il, qu’il y a assez de matériaux pour en produire une chronique exclusivement consacrée soit à la ville de Gand, soit à la Flandre, néanmoins, je ne répondrais pas qu’elle serait très-agréable à lire. Les principales matières consisteraient en discussions, querelles et hostilités nées de l’octroi des vieux priviléges, qui ont occasionné tant de révoltes et firent couler des flots de sang. » — 5° La dernière production historique de Juste Billet, ses Annales religieuses, est une œuvre complexe, formée de deux ouvrages distincts, qui étaient destinés à être imprimés séparément. Leurs titres prolixes sont de véritables sommaires. Le premier est intitulé : Den gheestelycken gheduerighen grooten Calendrier, zeer noodich, dienstich ende prouffectelick voor alle Godt liefhebbende, vreesende ende devote zielen, om in den zelven te vinden meest alle de daeghen ende naemen van de heylighen, die commen in het heele jaer, midtsgaders de feesten, kerckwydinghen ende processien, die men is onderhaudende binnen deser stede van Ghendt. Ce recueil est en deux parties. Il s’appellera : le Calendrier religieux, le Parfait indicateur des jours ou le Sage annotateur mensuel, trois qualifications qu’il peut justement s’attribuer. » Il y a le grand calendrier religieux ; le calendrier abrégé ; l’indication de la célébration des fêtes patronales dans les églises, les couvents, les chapelles de la ville de Gand, et enfin des anecdotes édifiantes, précédées de moralités rimées. Le titre du second ouvrage est formulé ainsi : De gheestelycke corte cronycke van zesthien hondert ende achtenvyftich jaeren ofte den Tydtwyser wanneer d’apostelen, martelaers, belyders, maechden ende weduwen, de welcken begrepen syn in den Calendrier, hier vooren gheleeft ende ghefloreert hebben, midtsgaders de jaeren van hun martire ofte wanneer dat de zelve hun ballingschap ofte hun eyghen doot ghestorven zyn, tot meerder contentement ende wetenschap van christene, catholycke ende devote zielen. Le manuscrit qui contient le Calendrier et la Chronique porte en tête une lettre dédicatoire de Juste Billet à son neveu, l’abbé de Saint-Pierre, prince de Camphin et comte de Harnes, datée du 1er janvier 1681 : l’auteur avait alors quatre-vingt-neuf ans. Il y a dans cette épître des éléments autobiographiques qui concordent avec les renseignements que l’on rencontre dans ses écrits antérieurs. La chronique religieuse, qu’il avait le projet d’étendre jusqu’en 1670, finit à 1658 ; c’est la période qui précède le Livre de police. Les annotations postérieures seront restées à l’état de notes. Tous les manuscrits ici mentionnés sont inédits.

Juste Billet se livrait aussi à la poésie flamande. Ses divers travaux historiques sont précédés et entremêlés de factums poétiques en guise d’Avant-propos, de Dédicaces, d’Allocutions aux lecteurs et de Chronogrammes. Gantois de l’ancien temps, un de ces bourgeois qui se vantaient de mettre Paris dans leur Gand, pour lui, sa ville natale était l’une des plus célèbres cités de l’Europe, l’une des plus belles qu’il eût vues. Son Politie Boeck ne contient pas moins de dix poèmes en l’honneur de la métropole des Flandres. Ses poésies sont en général assez médiocres, souvent ce n’est guère que de la prose rimée. Le style de ses chroniques est très-simple, ses observations dénotent l’instruction et le bon sens. « Il a cherché, dit-il, à l’approprier aux événements qu’il relate, et parfois il a employé, à dessein, des mots barbares, surannés, inusités, pour marquer l’antiquité et l’authenticité de ses récits, pour leur communiquer la couleur locale. » Toutefois, il ne se faisait point illusion sur les imperfections de ses écrits ; « mais, continue-il, comme il n’est pas d’or sans scories, pas de grain sans ivraie, il n’est pas de livres sans défauts. »

Dans les documents contemporains, français et flamands, il est nommé Justus ou Justo Billet et Billiet ; il signait toujours Billet.

Edm. De Busscher.