Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BERGEN, Adrien VAN

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BERGEN (Adrien VAN), xvie et xviie siècle. — Quoique ce personnage, devenu célèbre par la part qu’il prit à un des faits d’armes les plus hardis qui aient été accomplis durant la lutte engagée entre l’Espagne et les Pays-Bas, se soit réellement appelé Adrien van Overacker, il n’est généralement connu des historiens que sous le nom de Van Bergen, Van Berghen, Vanden Berghen ou Vanden Berg, orthographié diversement selon les différentes dénominations de la ville de Berg ou Berg-op-Zoom, d’où Adrien était probablement originaire. Plus tard, quand l’événement dans lequel il joua un rôle si important l’eut mis en évidence, il quitta son premier nom patronymique pour y substituer celui de Van Bergen qui resta désormais attaché à ses descendants.

On ignore la date de la naissance d’Adrien. On ne sait pas davantage quel était le lieu de sa résidence au moment où il apparut sur la scène de l’histoire, et ce n’est que par voie de conjecture qu’on peut lui attribuer la ville de Berg-op-Zoom pour berceau. Tout ce que l’on connaît de positif à son sujet, c’est que, vers l’an 1590, il exerçait un trafic considérable d’expédition sur les eaux intérieures de la Zélande et du Brabant septentrional.

À cette époque, la ville de Bréda se trouvait au pouvoir des Espagnols. Or, le prince Maurice de Nassau attachait la plus grande importance à la possession de cette forteresse qui lui eût permis d’attaquer d’autant plus énergiquement les provinces méridionales des anciens Pays-Bas qu’il avait déjà, en deçà des grandes eaux qui les séparent des provinces du nord, deux solides points d’appui, l’un à Berg-op-Zoom, l’autre à Steenbergen, outre les châteaux de Gorcum et de Loevestein. De son côté, le duc de Parme mettait le plus grand prix à conserver une place qui était en quelque sorte la clef de la Belgique centrale, et il y entretenait une forte garnison composée d’Espagnols et d’Italiens. Celle-ci ne semblait pouvoir être réduite que par un siége en règle. Elle le fut par un statagème mémorable dans l’histoire des guerres du xvie siècle.

Depuis longtemps un gentilhomme cambrésien, Charles de Haraugier, l’un des plus audacieux aventuriers qui se trouvassent au service des Provinces-Unies, avait conçu le projet de se rendre maître de Bréda. Pour le réaliser, il lui fallait le concours d’Adrien van Bergen, et ce concours le patriote brabançon le lui assura. Un des bateaux de celui-ci naviguait sur la Marck et servait spécialement à approvisionner la garnison de la forteresse de cette tourbe que l’on extrait en si grande quantité des marécages du Brabant septentrional. Il s’agissait de cacher au fond de cette embarcation une troupe d’hommes déterminés, de les introduire dans la place et de faire ensuite main basse sur la garnison. Ce plan, concerté avec le comte Philippe de Nassau, le prince Maurice et Olden Barneveld, avocat de la province de Hollande, devait recevoir son exécution le lundi 26 février 1590. Van Bergen avait fait établir secrètement dans son bateau un faux pont sous lequel Haraugier et soixante-dix hommes de guerre résolus se blottirent aussi bien qu’ils purent, et il voulut prendre lui-même le commandement du navire.

Mais ici commença une suite de contrariétés qui faillirent faire avorter l’audacieuse entreprise. Le vent contraire et la gelée qui ferma subitement la rivière ne permirent au bâtiment d’avancer ni de reculer, et le retinrent pendant trois jours immobile à la même place. Si bien que, dans la matinée du jeudi 1er mars, les compagnons d’Haraugier manquant de vivres et pouvant à peine respirer dans l’étroit espace où ils étaient resserrés, commencèrent à murmurer hautement ; leur chef se vit forcé de leur permettre de descendre à terre et de gagner le retranchement de Noordam où ils passèrent la journée à se refaire. S’étant rembarques dans la soirée, ils arrivèrent le lendemain à un quart de lieue de Bréda, et ce fut seulement le 3 mars, à dix heures du matin, que le bateau atteignit le voisinage de la citadelle, où il atterrit provisoirement en attendant que la marée vînt et lui permît d’entrer dans le fossé du château même.

Cependant, la barque s’étant heurtée de tous côtés contre les glaçons et se trouvant couchée sur le flanc à cause du reflux qui avait considérablement fait baisser la rivière, ne tarda point à prendre eau dans une partie de sa cale, de manière que les gens d’Haraugier s’y virent bientôt plongés jusqu’aux genoux. Alors il se passa parmi ces hommes une de ces scènes tragiquement grandioses qui s’attachent, comme des inventions légendaires, à toutes les entreprises dont le succès dépend des efforts d’un héroïsme collectif. L’histoire nous apprend que, dans ce moment critique, le lieutenant de Lierre, Mathieu Helt, atteint d’un rhume violent et préoccupé uniquement de la crainte que sa toux ne trahît ses compagnons d’armes, leur présenta son poignard et les supplia de le frapper droit au cœur s’il se prenait à tousser encore. Heureusement il ne fut pas nécessaire de recourir à cette extrémité. La marée étant survenue, le bâtiment ne tarda pas à se remettre à flot et les voies d’eau purent être rebouchées.

Durant ces entrefaites, un sergent du poste qui gardait l’entrée de la forteresse s’étant approché dans une petite nacelle, avait mis pied dans le bateau à l’effet d’opérer la visite. Mais il se borna à ouvrir une des fenêtres de la cabine pour s’assurer qu’il ne s’y trouvait rien de suspect. Après quoi, l’écluse du fossé de la citadelle ayant été ouverte, il ordonna à plusieurs soldats de s’attacher aux amarres de l’embarcation et de la tirer jusque devant la porte du château. Puis ils commencèrent immédiatement à décharger la tourbe. Comme le jour n’était pas encore tout à fait à son déclin et que le travail était déjà avancé au point qu’on allait mettre à nu le plancher du faux pont, Van Bergen, qui n’avait pas un seul instant perdu son sang-froid, comprit que tout serait perdu s’il ne parvenait à trouver un moyen de faire stationner pendant la nuit son bateau à l’entrée de la citadelle. Il avait eu la précaution de mettre un homme à la pompe, moins pour rejeter au dehors l’eau qui avait pénétré dans la cale, que pour couvrir par le bruit de la machine la moindre rumeur qui pourrait se faire entendre dans l’intérieur de l’embarcation. Il poussa plus loin encore la prudence. Prétextant qu’il était fatigué outre mesure, que le déchargement pouvait se terminer le lendemain et que son aide aussi avait besoin de prendre du repos, il donna à celui-ci quelque argent pour aller se rafraîchir dans la ville avec les soldats qui l’avaient assisté, et lui ordonna en même temps de venir le rejoindre un peu plus tard. Mais le commandant du poste lui fit observer que ses instructions ne lui permettaient pas d’autoriser plus d’un seul étranger à passer la nuit dans l’enceinte de la citadelle. Alors Van Bergen changea de plan. Il fit rester son aide dans le bateau, en lui recommandant de ne point négliger l’indispensable manœuvre de la pompe. Puis il rentra dans la ville, moins pour y passer la nuit que pour informer au plus vite le prince Maurice de la situation d’Haraugier et de ses intrépides compagnons.

Le prince se tenait prêt à tout événement, et devait, l’obscurité venue, prendre position à quelque distance de la place avec un corps de cavalerie et de fantassins. Afin d’assurer mieux encore le succès de l’entreprise, il avait depuis quelques jours adroitement répandu le bruit qu’il avait résolu de tenter, cette nuit même, un coup de main sur Geertruidenberg et de l’enlever aux Espagnols. Trompé par cette fausse nouvelle, le gouverneur de Bréda avait voulu prendre les devants. Après avoir remis le commandement de la citadelle à son fils, jeune homme sans expérience, il s’était acheminé avec une bonne partie de ses forces vers la ville menacée, pour la mettre à l’abri d’une surprise. De manière que tout semblait concourir au succès du plan si habilement convenu entre Haraugier et Van Bergen.

Le soir, vers onze heures, le capitaine cambrésien sortit du bateau et partagea ses hommes en deux troupes, dont il chargea l’une de forcer l’entrée du château qui faisait face au port et dont il conduisit l’autre vers la porte voisine de l’arsenal. Les postes de garde égorgés, la garnison surprise dans son premier sommeil, essaya d’abord d’opposer quelque résistance ; mais elle finit par céder devant l’énergie et l’audace des assaillants. Pendant ce temps l’alarme s’était répandue dans la ville, où l’avant-garde du prince Maurice, commandée par le comte de Hohenlohe, ne tarda pas à pénétrer et où le prince arriva bientôt lui-même avec le reste de ses hommes, tandis que les Espagnols et les Italiens, frappés de terreur, s’en évadaient en fuyant dans toutes les directions. Ainsi s’accomplit, dans la nuit du 3 au 4 mars 1590, ce mémorable fait d’armes qui mit au pouvoir des Provinces-Unies une forteresse dont elles devaient se faire plus tard un point d’appui pour porter des coups si rudes à la puissance espagnole dans les Pays-Pas.

La prise de Bréda fut célébrée dans toutes les villes de l’Union par des fêtes et des prières publiques. Pour perpétuer le souvenir de cette conquête, les États firent frapper une médaille, dont une face portait cette inscription : Breda à servitute Hispanâ vindicata, ductu principis Mauritii à Nassov., 4 martii, anno 1590, et sur le revers de laquelle ou voyait figuré, au milieu de ces deux légendes : Parati vincere aut mori et Invicti animi premium, le bateau historique de Van Bergen, au moment où Haraugier et ses héroïques compagnons en sortaient pour accomplir leur glorieuse entreprise.

La république décerna à chacun des braves qui avaient concouru à ce grand fait d’armes un exemplaire en or de cette médaille attachée à un collier du même métal. Celle qui fut donnée à Adrien van Bergen fut conservée longtemps par sa famille, alliée, dès le xviie siècle, à celle de Herry, dans les archives de laquelle nous avons vu cette pièce historique mentionnée deux fois par des inventaires. Ce qu’elle est devenue, on l’ignore.

L’intrépide coopérateur d’Haraugier se fixa désormais à Bréda, où une notable pension lui fut assignée par l’État. Il y termina paisiblement ses jours vers l’an 1608 ou 1610. Ses fils Adrien et Charles obtinrent des fonctions importantes, l’un dans l’ordre judiciaire, l’autre dans l’ordre administratif, et plus tard un de ses descendants, Nicolas van Bergen, un des imitateurs les plus heureux de la manière de Rembrandt, se signala dans l’art de la peinture, sans avoir toutefois pu réaliser tout ce qu’il promettait, la mort l’ayant enlevé quand il comptait vingt-neuf ans à peine.

André Van Hasselt.

E. Van Meteren, Historie der Nederlandsche oorlogen. — J. Wagenaar, Vaderlandsche Historie. — G. Van Loon, Histoire métallique des Pays-Bas. — Archives des familles Van Bergen et Herry.